mercredi 30 novembre 2016

Lire et rechercher à l'ère du numérique...

Guerre d'Algérie, causes et conséquences

Je suis à présent un cours de formation en ligne pour enseignants intitulé la lecture et la recherche à l'ère du numérique, qui me contraint à glaner, sur internet et ses réseaux sociaux, des infos en rapport avec un contenu de mes cours en vue d'élaborer une synthèse sur Storify. Ce billet est en rapport avec un autre déjà publié au sujet du massacre du 17 octobre 1961.

Reconstruction du 30.09.2018

Mais... As of May 16, 2018 Storify is no longer available...
Donc, j'ai essayé de reconstruire le contenu de l'information disparue. Là voilà, pour l'essentiel :


Histoire de la Guerre d'Algérie, causes et conséquences
Dans sa séance du "Moi, lecteur" du 15 novembre, José Carlos présenta un ouvrage de Bernard Droz et Évelyne Lever : Histoire de la Guerre d’Algérie (1954-62), Seuil, 1982. Il s'ensuivit une belle série de rebondissements collatéraux, dont le massacre du 17/10/1961, nous menant à l'actualité...




JC appuya son intervention sur trois vidéos de son choix. La première était due à Samir Zarqane et abordait Les causes de la guerre d'indépendance algérienne (8'15'')...



Puis, nous visionnâmes un bref documentaire de l'Obs intitulé Comprendre les origines de la guerre d'Algérie (2'46''), mis en ligne le 30 octobre 2014 : "Il y a 60 ans débutait la guerre d’Algérie. En voici les raisons."



Enfin, ce fut le tour de La Guerre d'Algérie, 8e volet du projet Réalisons l'Europe. L'Europe et le colonialisme, une réalisation du Collège André Malraux de Paron. Durée : 13’48’’. Ce chapitre rend compte du contexte et des principaux évènements politiques qui déclenchèrent et mirent fin à la Guerre d'indépendance de l'Algérie. Il précède la partie 9 sur les conséquences de cette guerre.



Quand les commentaires et les questions fusèrent, il fallut aborder le massacre du 17 octobre 1961...

Un webdocumentaire commémore les 50 ans du Massacre du 17 octobre 1961

"La date du 17 octobre 1961 reste dans l'Histoire associée à un massacre : une manifestation organisée à Paris par la Fédération de France du F.L.N. (Front de Libération Nationale ; Jabhat al-Taḩrīr al-Waţanī, en arabe) en faveur de l'indépendance de l'Algérie fut réprimée dans le sang. Les forces de l'ordre françaises, dirigées par le préfet de police Maurice Papon, tuèrent deux centaines d'Algériens par balle, à coups de matraque, étranglés ou noyés. Beaucoup des manifestants furent internés pendant quatre jours dans des centres de détention où ils auraient subi des tortures. Début octobre, Papon avait exprimé clairement qu'il couvrirait les excès policiers ; devant le personnel réuni pour les obsèques du brigadier Demoën, assassiné par le FLN, il avait déclaré dans son allocution : "Pour un coup, nous en rendrons dix." Le 5 octobre, Papon renchérit et décréta un couvre-feu parfaitement discriminatoire car il ne concernait que les Français musulmans d'Algérie. L'appel du FLN à manifester pacifiquement déclencherait la boucherie."


Ce billet du blog Candide résiste relaie, entre autres, un film de JEAN-JACQUES BERYL : 17 OCTOBRE 1961, L'ORDRE FRANCAIS, France, 2013, 48'.

[Pour des raisons de droits d'auteur, la vidéo n'est plus disponible]

Sous le titre 17 octobre 1961, un crime d’État, les Indigènes de la République organisèrent une rencontre autour du film de Beryl qu'ils publièrent sur Youtube (1h06') :




L'évocation des Indigènes de la République, renvoie forcément à sa cofondatrice Houria Bouteldja et à son essai très récent Les Blancs, les Juifs et Nous (La Fabrique éditions), ouvrage que nous saluons en raison de ses nombreuses et salutaires vertus. Sa perspective, largement ignorée par le grand public, les grands média ou l'enseignement, la justesse de sa critique du colonialisme et de la culture blanche, sa critique impeccable de l'Histoire officielle, sa lucidité à bien des égards... rendent sa lecture incontournable, même si sa crudité insolite pourrait choquer des saint(e)s nitouches effarouché(e)s et bien que certaines affirmations ou propositions soient parfaitement discutables ou absolument à discuter. Sa voix fière, indignée et très intelligente se rebiffe très naturellement contre une agression historique (reliant passé et présent, ancrant ses racines dans le passé, agissant toujours comme cadre et culture néfastes dans le présent), qui devrait faire honte et avec laquelle il faut en finir. Pour s'en faire une idée, voici deux interventions de cette femme courageuse. La première à côté de son extra-ordinaire éditeur, Éric Hazan...



...et la deuxième lors d'une rencontre-discussion avec Isabelle Stengers :



CODA 1 - Pour mieux connaître l'Histoire : Quand Tocqueville légitimait les boucheries en Algérie, par Olivier Le Cour Grandmaison, Le Monde diplomatique, juin 2001.
La tradition libérale a toujours promu et justifié l'esclavagisme, le colonialisme et la guerre de déprédation (cf. Domenico Losurdo : Contre-histoire du libéralisme, Éd. La Découverte, janvier 2013).
« J’ai souvent entendu en France des hommes que je respecte, mais que je n’approuve pas, trouver mauvais qu’on brûlât les moissons, qu’on vidât les silos et enfin qu’on s’emparât des hommes sans armes, des femmes et des enfants. Ce sont là, suivant moi, des nécessités fâcheuses, mais auxquelles tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre », écrit Alexis de Tocqueville avant d’ajouter : « Je crois que le droit de la guerre nous autorise à ravager le pays et que nous devons le faire soit en détruisant les moissons à l’époque de la récolte, soit dans tous les temps en faisant de ces incursions rapides qu’on nomme razzias et qui ont pour objet de s’emparer des hommes ou des troupeaux. »
[Alexis de Tocqueville, Travail sur l’Algérie, in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1991, p. 704 et 705.]

C'est peut-être aussi un bon moment pour rappeler que tout conflit comporte également un affrontement de narrations. Bref, tout changement de perspective transforme complètement tout récit, y compris son titre. Disons que la soi-disant Guerre d'Algérie est connue en Algérie comme la Guerre de Libération nationale (au même titre que toutes les autres Libérations).

CODA 2 - Pour mieux connaître l'Histoire : Les crânes oubliés de la conquête de l'Algérie (sur le site d'information et de débat en ligne Là-bas, si j'y suis du 29 juillet 2016).

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Mise à jour du 6 juin 2019 :

Karima Lazali, psychologue clinicienne et psychanalyste, exerce dans son cabinet de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) depuis 2002 et à Alger depuis 2006.
Autrice de La Parole oubliée (Érès, 2015), j'ai appris grâce à Le Monde diplomatique qu'elle a publié en septembre 2018 Le trauma colonial. Une enquête sur les effets psychiques et politiques contemporains de l'oppression coloniale en Algérie, Éd. de La Découverte.


En voici sa quatrième de couverture :
Psychanalyste, Karima Lazali a mené une singulière enquête sur ce que la colonisation française a fait à la société algérienne, enquête dont elle restitue les résultats dans ce livre étonnant. Car elle a constaté chez ses patient∙e∙s des troubles dont rend mal compte la théorie psychanalytique. Et que seuls les effets profonds du « trauma colonial » permettent de comprendre : plus d’un demi-siècle après l’indépendance, les subjectivités continuent à se débattre dans des blancs de mémoire et de parole, en Algérie comme en France.
Elle montre ce que ces « blancs » doivent à l’extrême violence de la colonisation : exterminations de masse dont la mémoire enfouie n’a jamais disparu, falsifications des généalogies à la fin du XIXe siècle, sentiment massif que les individus sont réduits à des corps sans nom... La « colonialité » fut une machine à produire des effacements mémoriels allant jusqu’à falsifier le sens de l’histoire. Et en cherchant à détruire l’univers symbolique de l’« indigène », elle a notamment mis à mal la fonction paternelle : « Leurs colonisateurs ont changé les Algériens en fils de personne » (Mohammed Dib). Mais cet impossible à refouler ressurgit inlassablement. Et c’est l’une des clés, explique l’auteure, de la permanence du « fratricide » dans l’espace politique algérien : les fils frappés d’illégitimité mènent entre frères une guerre terrible, comme l’illustrent le conflit tragique FLN/MNA lors de la guerre d’indépendance ou la guerre intérieure des années 1990, qui fut aussi une terreur d’État.
Une démonstration impressionnante, où l’analyse clinique est constamment étayée par les travaux d’historiens, par les études d’acteurs engagés (comme Frantz Fanon) et, surtout, par une relecture novatrice des œuvres d’écrivains algériens de langue française (Kateb Yacine, Mohammed Dib, Nabile Farès, Mouloud Mammeri…).
Sous le titre Les Français n'ont toujours pas digéré la guerre d'Algérie, Thierry Leclère nous en livre son analyse en deux pages (6 et 7) du Siné Mensuel nº 87 (juin 2019).
À propos de l'ouvrage de Karima Lazali et de sa radiographie, si j'ose dire, de la mémoire collective en France en rapport avec la colonisation et la guerre d'Algérie, il affirme :
En fine lectrice de Frantz Fanon, auteur de l’incontournable Peau noire, masques blancs, psychiatre compagnon de route de la révolution algérienne (mort en 1961, à 36 ans), Karima Lazali ausculte les impensés et les blancs de notre mémoire collective avec les lunettes de la clinicienne. Et c’est en cela qu’elle va plus loin : « les historiens ont parlé d’histoire oubliée. En fait, elle est impossible à oublier. Il s’agit d’autre chose : cette histoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie n’est toujours pas inscrite dans les mentalités, dans le discours public, dans l’imaginaire collectif. Il ne faudrait pas parler d’oubli mais plutôt d’effacement. » Une histoire effacée, donc, et pas même refoulée comme on pourrait l’imaginer : « Vous refoulez quand c’est inscrit. Là, c’est l’inverse du refoulement », insiste la psychanalyste. Cette histoire n’est toujours pas inscrite dans le discours commun. La machine de l’effacement, elle est là. »
Et il prend acte de la situation en 2019...
Nous voilà dans l’ère du « oui, on sait tout ça, mais il faut passer à autre chose ». (...) Oui, la conquête coloniale a décimé probablement un tiers de la population algérienne, mais passons à autre chose... Passer à autre chose sans avoir vraiment nommé la chose ? Pas besoin d’être psychanalyste pour comprendre qu’on n’ira pas très loin comme ça. « Une partie des Français n’a jamais accepté l’issue de la guerre d’Algérie. Sous le signe de la vengeance, une mauvaise mémoire joue contre les immigrés maghrébins. Toute une légende de « l’invasion arabe » hante l’opinion », écrivait dans les années 1990 l’historien Yvan Gastaut*. C’est toujours vrai. Même si le 11 Septembre, Al-Qaïda et Daech sont passés par là, le trauma colonial reste, en France, la partie immergée de l’iceberg du racisme anti-Arabe. Étonnez-vous, après ça, qu’année après année, « l’indice de tolérance » des Maghrébins et des musulmans, comme dit la très officielle Commission nationale consultative des droits de l’homme, arrive en avant-dernière position, après les Noirs et les Juifs, et juste avant les Roms. Il n’y a guère que ces derniers pour prouver aux Français de culture musulmane qu’on peut être encore plus mal vu dans ce pays qu’un Arabe !

*« L’Algérie se dévoile », chap. 1 de Sociologie d’une révolution, de Frantz Fanon, Maspero 1959, réédité en 2001 par La Découverte sous le titre L’An V de la révolution algérienne.

vendredi 25 novembre 2016

Contrat réglant une tâche de recherche

Je suis à présent un cours de formation en ligne pour enseignants intitulé la lecture et la recherche à l'ère du numérique, qui me contraint à concocter et publier sur mon blog un contrat de recherche sur le modèle de celui d'Una investigación de libro. Guía práctica para docentes (guide de référence en castillan pour les professeurs participants). Voici, donc, une...

Proposition de tâche autour d’une recherche
et contrat de responsabilité


MATIÈRE et NIVEAUX :

Français. NI2, NA1 ou NA2 des Écoles Officielles de Langues.

OBJECTIFS :

Présenter en français un sujet qui me motive devant la classe.
Pratiquer la recherche en français en ayant recours à des sources traditionnelles et aux énormes possibilités d’Internet.
Faire un exposé oral qui pourra s'appuyer sur toute sorte de supports.
Lancer et animer un débat

DÉVELOPPEMENT :

—Choix d’un sujet qui vous semble intéressant et sur lequel vous avez une certaine compétence, voire considérable. Si chaque apprenant propose un sujet de sa spécialité, il se sentira bien mieux à l’heure de l’aborder en français et le groupe bénéficiera à la fin de l’année d’une expérience très variée en contenus, informations et champs sémantiques.

—Préparation, donc recherche : ressources propres, encyclopédies, bibliothèques et médiathèques physiques (municipales, universitaires, instituts culturels des ambassades), presse écrite, internet (dictionnaires, encyclopédies et bibliothèques numériques, presse et médias en ligne, radios, télévisions, blogs de qualité, sites des organisations de terrain, plateformes non conventionnelles...)…

—Exposé de mon sujet à l’aide de supports classiques (voix, tableau, photocopies si nécessaire...) et numériques, en fonction des possibilités ou besoins : projection d’articles, photos, diapositives, infographies, vidéos... ; écoute d’audios, chansons, extraits d’émissions radiophoniques...

—Animation d’un débat à ce sujet, ce qui comporte la préparation de bonnes questions là-dessus.

CONTRAT SIMPLIFIÉ DE RECHERCHE (INFOGRAPHIE), appliqué à cette tâche



CONTRAT LÉGÈREMENT DÉTAILLÉ DE RECHERCHE :

—Je choisirai un sujet de mon intérêt ou de ma spécialité. J’aurai ainsi la possibilité d’initier mes camarades en telle ou telle matière ou parcelle du savoir ou de l’actualité. Je réfléchirai à l’approche qui me conviendrait le plus, à partir de quoi je tracerai un plan qui déterminera ma quête d’informations pertinentes et la manière de les illustrer, le cas échéant.

—Je me demanderai où chercher la meilleure information, je me poserai des questions sur la fiabilité ou les intérêts de mes différentes sources. Je penserai aussi à mon public et ses compétences théoriques. Je glanerai des contenus essentiels et des matériaux utiles à la présentation et démonstration desdits contenus.

—Je compilerai de manière ordonnée et claire toutes les sources et références recueillies/utilisées pour pouvoir les citer honnêtement et décemment. En cas de publication écrite de mon projet, j’aurai recours soit à des formats de citation, soit à des notes ou à une bibliographie-sitographie finale, soit aux guillemets, italiques ou liens hypertextes qui me permettront de rendre justice à mes sources. À l’heure de mon exposé, donc à l’oral, je remplacerai les guillemets par les expressions « début de citation », « fin de citation ».

—Je préparerai un bon schéma ou scénario pour mon exposé. Je distribuerai et connecterai les contenus de mon intervention. Je n’oublierai aucun maillon fondamental de mon ensemble. Je ne négligerai pas les bons exemples pouvant illustrer mon argumentation.

—Lors de mon exposé, l’idée n’étant pas de tout écrire, j’essaierai de parler le plus naturellement possible devant un public que je tenterai de regarder dans les yeux.

J’accepte les conditions de recherche et d’exposé énoncées ci-dessus et veillerai à les respecter

À ….………….., le...... .................... 20....




Signé : la chercheuse, le chercheur.
       

dimanche 20 novembre 2016

65 jours dans le meilleur des mondes des derniers jours de l'humanité

Cela peut être le signe de la mort d'une culture, que le 
ridicule ne tue plus, mais agisse comme un élixir de vie.
Die Fackel, 834, mai 1930, p. 2

(...) pertenecemos al tercer mundo de la información, 
pese a ser el país europeo que más utiliza las redes sociales 
(Whats App, 86%, Facebook, 83%, You Tube, 72%....) 
estamos metidos en el analfabetismo del análisis. Saturados 
de chorradas que duran menos que el tiempo de leerlas. 
Gregorio Morán: No hay vírgenes en el periodismo,
Bez, 19 de noviembre de 2016



Je suis à présent un cours de formation en ligne pour enseignants intitulé la lecture et la recherche à l'ère du numérique. Je suis un formatage, donc je ne suis temporairement pas. Ce sont 65 jours dans le meilleur des mondes (7/10-12/12/2016), expérience stupéfiante. Après hésitation, j'ai accepté de devenir cobaye, dangereux élan scientifique et méthode d'enquête qui me rend un peu semblable à Günter Wallraff et ses pairs.

Le meilleur des mondes, c'est Candide, Leibniz tamisé par Voltaire. Et c'est aussi The Brave New World, le splendide nouveau monde d'Aldous Huxley. Ou Die letzten Tage der Menschheit  (Les Derniers jours de l'Humanité) de Karl Kraus. Ou la mondialisation heureuse et tiqueuse des libéraux high tech high TIC, et de leurs ouailles, diligemment prêtes à donner ou recevoir des données personnelles et des mots d'ordre, à assurer la réplication du système dans tous les dividus de l'organisme social, chacun dans sa position hiérarchique et dividuelle du moment.

On nous soûle au haut débit priv-attisé, celui —privé de vie— de la mainmise des affaires sur nos existences. On nous bourre d'écrans, de logiciels parure du néant et de re-sots réseaux sociaux, moule cyberstructurel de plus en plus armé (comme la police et le béton) dans lequel il faut rentrer gaiement, comme des soldats de, pourquoi pas, puisque nous y sommes, Les Derniers jours de l'Humanité de Karl Kraus. Et dans les tranchées resplendissantes du numérique profond, d'où il faut bombarder Venise, on éprouve un indicible et cinglé éloignement de la vie et de la nature, voire des lectures et des recherches, et on brûle de soif d'en sortir pour pouvoir se rattraper et retourner à la vie et aux promenades, aux lectures et aux recherches...

On dit que les poissons méconnaissent l'eau. Or celui qui s'enfonce dans les filets sociaux de l'individualisme théorique a perdu conscience qu'il habite un monde parallèle fait de flux viraux insaisissables ; étourdi de vertige et de voracité retouitivement creuse, le sinciput rimbaldiennement plaqué de mortels enthousiasmes vagues, il n'aura jamais le temps de composer une prière au temps ni d'acheter le crayon qui soulignerait ses livres. Bref, il ignore le repos, le (vrai) plaisir (non vicaire) et, bien sûr, la lecture —l'alibi des inepties qu'on nous programme.

Permettez que je vous invite à une expérience de 7 minutes, voire moins, concernant l'ineffable monde des présentations, qui constituent l'un des formalismes et pratiques illustrant le mieux cet univers d'absence radicale de sens destiné à l'obnubilation des gogos. Au lieu de clase, presentación, instrucciones, voire tutoría a distancia (cours, présentation, mode d'emploi...), on l'appelle tutorial, pour compléter la bourde en langue impériale, leur seule source d'inspiration. Si cette connerie vous écœure, abrégez-la, visionnez-écoutez juste dès 6'47''.


Sensationnel. Next Stop... The World Domination... Hahahaha !  
Moderne, créatif, innovant, dynamique, compétitif,... c'est-à-dire, pathétique, ahurissant, futile, distractif, american way of life, flippant... Plus con, tu meurs, mais ça tue tout de même.

Ça fout la trouille, cette culture engourdit les neurones, abrutit. C'est à ce genre de nullités qu'il faut consacrer le temps, l'énergie, le talent, la concentration..., la trempe qu'un cerveau humain normalement constitué pourrait accorder à d'autres cultures plus hédonistes et fructueuses.

Ceci est un simple exutoire, un soulagement qui ne servira à rien. En l'écrivant, je rejoins dans l'inutilité révoltée des gens comme ceux que j'ai rassemblés à la hâte sur un tableau de Pinterest, l'un des réseaux sociaux auxquels j'ai dû adhérer pendant ma toxique descente aux enfers de la modernité. Des gens comme Alfonso Berardinelli, que je ne connaissais pas il y encore un mois, et qui écrit dans Leer es un riesgo (Círculo de Tiza, Madrid, 2016, page 95 —traduction de son Leggere è un rischio, gransasso nottetempo, 2012, par Salvador Cobo) :
(...) Las tecnologías informáticas y telemáticas son mi bestia negra, o mejor aún, mis molinos de viento. No son enemigos que combatir. Han vencido desde el principio, y doblegarán también la mente humana que piensa que las ha creado para "usarlas", para ponerlas a su servicio. He leído alguna que otra fábula antigua, y creo más en estas que en las actuales fábulas neotecnológicas. Despotrico contra ellas con mucho gusto y sin finalidad alguna.
El vigoroso gigante tecnológico que hemos inventado para ser ubicuos, omniscientes y más rápidos que la luz, ya ha comenzado a jugar con nosotros como el gato y el ratón. No somos sus amos, somos sus esclavos.
Nous ne lisons pas, nous sommes lus... (cf. Yuval Noah Harari)

Et puis, ne me demandez pas pourquoi, je pense à la Mémoire de La Terre Gaste, de Michel Rio, machine compilant tous les savoirs humains sur une planète dévastée... Ou je frémis en lisant, sur le site du quotidien suisse Le Temps, cette article au sujet de «Homeland security-Cyber» (HLS-Cyber),...
(...) l’événement international en matière d’antiterrorisme et de cyberguerre organisé tous les deux ans à Tel Aviv pour flatter le «know how» [savoir-faire] des entreprises spécialisées de l’Etat hébreu. [Où l]es chargés de communication, fort affables au demeurant, vantent les mérites des drones tueurs, de systèmes de protection «intelligents», de logiciel de cryptage pour smartphones et de caméras d’identification faciale (...).
 ...devant des...
Responsables et hommes politiques étrangers [qui] se pressent pour connaître les dernières tendances [en la matière]  
 (C'est Candide qui y mets du rouge).

 Mongolia, novembre 2011

Mauro Entrialgo, Mongolia, Novembre 2016

vendredi 18 novembre 2016

Jean-Pierre Changeux : L’Homme neuronal, trente ans après ?




Vidéo publiée le 19 juin 2015
Jean-Pierre Changeux revient ici sur la genèse de son livre. Dès sa parution en 1983, "L’Homme neuronal" a fait date par son objet, par le programme de recherches qu’il proposait, et par les débats qu’il a suscités. Quel était le contexte et comment ce livre l’a-t-il marqué ? Comment le programme de recherches a-t-il accompagné la place croissante des neurosciences dans la philosophie et la société contemporaines ? Quel est aujourd’hui l’état des lieux scientifique et philosophique?

Le psychisme, écrit Changeux, a une anatomie et une biologie. La masse gélatineuse du cerveau est formée de dizaines de milliards de cellules nerveuses, les neurones, qui établissent entre elles des quantités énormes de connexions, les synapses. Ces neurones véhiculent des impulsions électriques et des substances chimiques, les neurotransmetteurs. Chaque neurone possède une individualité, mais participe à des opérations qui mobilisent d'autres neurones dans d'autres zones du cerveau. Chaque aire a une fonction différente que les nouvelles technologies - scanner, microscope électronique, caméra à positrons - ont permis de repérer et même d'en observer le fonctionnement.

Professeur honoraire au Collège de France et à l’Institut Pasteur, membre de l’Académie des sciences, Jean-Pierre Changeux est un neurobiologiste connu pour sa recherche dans plusieurs domaines de la biologie, de la structure et de la fonction des protéines, du développement précoce du système nerveux jusqu’aux fonctions cognitives. Il a dirigé de 1967 à 2006 les laboratoires de neurobiologie moléculaire et de récepteurs et cognition à l’Institut Pasteur.

FACEBOOK ► https://www.facebook.com/Ecole.normal...
TWITTER ► https://twitter.com/ENS_ULM
ENShttp://www.ens.fr/
SAVOIRS ENS ► http://savoirs.ens.fr

jeudi 17 novembre 2016

Clés pour affiner son regard de lecteur (2)

« Rêve inlassable de vaincre la mort, toujours
assassiné par les choses, toujours renaissant dans l’esprit. 
Pour moi, c’est cela, avant tout, la littérature »
Michel Rio
(4 dernières lignes de la postface d’Arthur, p. 169,
texte publié dans Le Magazine littéraire n° 382, décembre 1999)



Un cours de formation pour professeurs —portant sur la lecture et la recherche à l'ère du numérique— me contraint à publier sur mon blog des clés pour affiner ou aiguiser son regard de lecteur. Publiée une première partie de ce petit projet, voici le deuxième volet de ces perspectives pour réfléchir au fait de lire, pourquoi, quoi, comment, réserves...
Dans ce billet, je laisse la parole à des amis-proches que je tiens pour des maîtres, qui ont tout vécu dans le domaine des livres et ont eu la gentillesse et la générosité de m'offrir un bout improvisé de leurs idées en la matière. J'y ai ajouté des propos parus dans la presse de Michel Rio —écrivain de ma connaissance qui sort du commun et que j'ai eu le plaisir de traduire à plusieurs reprises.
La vignette en bas du billet est une création de El Roto. Elle fut publiée par El País (11/05/2016). Et la coda en contrepoint sur laquelle s'achève ce joli billet est un sonnet de Diego de Torres Villarroel (Salamanque, 1694-1770).

1) Amelia Gamoneda (Docteure ès Philologie française et professeure à l'Université de Salamanque, critique littéraire, traductrice, amie de la poésie et vraiment caetera) :

El primer criterio para saber si conviene atender a la opinión de un texto que lees es verificar si su propia sintaxis es correcta. No hay buen razonamiento sin buena sintaxis. Es una cuestión de hemisferios cerebrales y mapas neuronales.

Las verdades dóxicas suelen ser verdades tóxicas.

Para descubrir la intencionalidad de un texto no hay que preguntarse qué es lo que dice sino qué es lo que hace: ¿cuál es su estrategia? ¿convencer, sorprender, emocionar, enfadar, captar benevolencia, establecer confianza, ofrecer intimidad...?

La primera intención de un texto no es nunca transmitir un contenido sino retener a su propio lector en la lectura. El primer objetivo de todo texto es ser leído. A menudo ello suele tener una incidencia en el propio mensaje, forzosamente secundario.

La claridad es la cortesía de la inteligencia (la cortesía del filósofo, decía Ortega). Pero la complejidad (y no la complicación) es el reconocimiento de la inteligencia del otro.
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2) Constantino Bértolo (Professeur de Langue et de Littérature, critique littéraire incomparable, bourré de critère, écrivain éventuel et éditeur : Punto de Partida, Debate et Caballo de Troya) :

LEER, ¿PARA QUÉ?

Podría entenderse que la actividad de leer encuentra su sentido cuando esa actividad hace evidente que el sentido no está en la posible respuesta sino en el propio hecho de que la pregunta aparezca. El sentido de leer sería la aparición de la pregunta, del mismo modo que el sentido de la vida es la pregunta sobre el sentido de la vida porque, en definitiva, valga la tautología, el sentido de toda actividad humana es la pregunta sobre su sentido. La pertinencia de lo humano reside en esa pregunta, en su capacidad para hacerse esa pregunta, en la facultad de preguntarse sobre el sentido de ser un ser con facultades cognoscitivas.
Pero el hombre puede leer sin preguntarse por el sentido de leer y puede vivir sin preguntarse por el sentido de la vida. ¿Significa eso que ese hombre no lee o no vive ? No, sólo significa que ese hombre todavía no ha encontrado el sentido de lo que hace. Que todavía no lo ha encontrado pero puede encontrarlo. O no encontrarlo. Lo importante es que aquella facultad para encontrar exista. Lo importante es que esa actividad - leer, vivir - contiene esa facultad y que esa actividad está dirigida y orientada precisamente a que esa pertinencia - preguntarse - se ponga de relieve, se revele, aparezca.
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3) Juan Luis Conde (mon semblable, mon frère, Docteur ès Philologie Latine, et ici le terme "latin-e" est rigoureux, non une conquête française en Amérique. Écrivain surtout, traducteur toujours, analyste en catimini et professeur multifonction...)

El discurso revolucionario (DR) y el discurso del status quo (DSQ)

Los discursos cambian, los objetivos permanecen: el discurso del status quo protege los privilegios de quienes los tienen; el discurso revolucionario los desafía. Hay algunas características, sin embargo, de los discursos enfrentados que permanecen a través de sus modulaciones.

1) El discurso ganador del status quo es el de la inactividad, por eso su argumento de más peso es: “¿Qué más da? Todos son iguales. Se van a quitar esos y van a venir otros peores...” Se trata de una llamada al quietismo.

El DR identifica, señala causas, da nombres. Debe dar a entender la importancia de sacudir el status quo para que “los que están” no puedan sentirse impunes. “Vendrán otros peores, quizá, pero estos que están no se irán de rositas. Cuando lleguen los peores, habrá que volver a empezar.” El status quo no puede sentirse impune.

2) DSQ: Transferir las inconsistencias del sistema a razones de la naturaleza o de la vida. “Es así, siempre ha sido así, siempre seguirá siendo así...”

Una oración del libro de Alcohólicos Anónimos dice: "Señor, dame fuerzas para cambiar lo que puede cambiarse, paciencia para soportar lo que no puede cambiarse y sabiduría para distinguir lo que puede y lo que no puede cambiarse.” Como el miembro de Alcohólicos Anónimos, el DR debe esforzarse por deslindar lo que pertenece al sistema y lo que pertenece a la vida - debe distinguir entre lo que puede y no puede cambiarse. Pero debe subrayar la posibilidad del cambio y acompañarse de abundantísimos ejemplos de cambios sociales a lo largo de la historia. El DR podría titularse "las metamorfosis" - y en último extremo arriesgarse a intentar cambiar lo que no puede cambiarse.

3) El DSQ apunta hacia abajo con su característica manera anónima - hacia quienes están peor que uno, para así hacerte bendecir tu suerte. Y así también hacerte despreciar a quienes deberían ser tus aliados.

El DR apunta hacia arriba cuando señala. Se le puede acusar fácilmente de envidia o resentimiento, pero no debe dejarse impresionar por eso. La envidia y el resentimiento pueden ser revolucionarios.

4) El DSQ habla de coherencia e incoherencia para defenderse y atacar. Sus argumentos son ad hominem: "Mira fulanito, tanto hablar del proletariado y vive como un burgués.” Su objetivo es descalificar al portavoz del DR enfrentándolo a sus propios hechos.

El DR debe advertir que no se puede reclamar coherencia como no se puede reclamar heroísmo o santidad, porque sobrevivir en un sistema obliga a hacer cosas que uno no haría con otras reglas del juego. El discurso no tiene por qué ajustarse a los hechos. Hay que encajar la acusación de hipocresía con deportividad: lo que importa es el discurso (predicar con el ejemplo sólo está al alcance de los héroes y el DSQ sabe que hay pocos). Su lema es el del buen maestro: "Haz lo que digo, no lo que hago".
(Siempre que sea posible, el DR debe señalar las contradicciones del sistema: probar que quienes hablan de "estabilidad" no sólo provocan el caos cotidiano, sino que son promotores de experimentos sociales inauditos. Debe probar que quienes hablan de "innovación" son conservadores, que quienes hablan de "libre iniciativa" en realidad quieren esclavos, etc.)
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4) Encore Michel Rio. Propos encore recueillis par Josyane Savigneau pour Le Monde des Livres, le 15 janvier 2009.

(...) [L]a littérature ? "Au fond, la littérature m'assomme, répond-il immédiatement. Je la soupçonne de stupidité. Seule la création littéraire m'intéresse. La première est pléthorique, la seconde est rare. Encore faut-il prendre la peine de chercher l'une dans l'autre. Cueillette fouisseuse et salissante que j'ai cessé de pratiquer depuis longtemps pour glaner dans les disciplines du savoir dont les riches fruits sont bien en vue. Au fait, qu'est-ce que cette création littéraire ? La fausse, ce sont les trouvailles des pseudo-révolutions formelles qui reviennent, pour faire bref, à changer la parure de l'indigence. La vraie, c'est l'ambition sans limite de l'élucidation, qui rapproche les arts des sciences dans une enquête infinie, encyclopédique, sur l'être et les choses, et qui se renouvelle et invente de par son principe même. C'est encore le savoir-faire, c'est-à-dire exprimer tout cela avec un lexique, une invention langagière, un art propre de la composition ou syntaxe musicale, ce qui s'appelle l'écriture. C'est enfin le sens de l'action, ou du récit tendu, gorgé d'événements significatifs. Avec, chaque fois que c'est possible, cette distance de l'humour qui n'est rien d'autre que la forme la plus délectable de la distance critique."
"Mais plus encore que les champs de la création et du savoir, ce qui m'intéresse est le passage de l'un à l'autre. Cela tient sans doute à mes années d'enfance dans le bocage breton, où les limites de champs étaient puissamment marquées par des levées de terre talutées et plantées de grands arbres, le terrain de jeu idéal n'étant pas le champ lui-même mais cette limite à la fois clôture et transition. Plus généralement, il y a la conscience fascinée et inquiète de cette série de passages fondamentaux, scientifiques et existentiels, de la physique à la chimie, de la chimie à la biologie, de la biologie à l'histoire, ou, autrement dit, du quark à la molécule, de la molécule à la cellule, de la cellule à l'homme neuronal de Jean-Pierre Changeux, donc à moi. Ces passages initiaux, bretons ou disciplinaires, ont eu des suites dans mon travail. Passage de l'humour à la mélancolie, de la farce au tragique, de la spéculation à l'aventure, d'un genre à un autre, d'un ton à un autre... Le carrefour parfait de tous les passages possibles, donc de tous les paramètres constituant l'homme et son univers, est pour moi le roman. Ce qui ramène à la vocation librement encyclopédique de la fiction."
Récuse-t-il toujours la notion d'héritage littéraire, de filiation, pour privilégier la relation "horizontale" de la littérature avec tout ce qui est produit en même temps qu'elle et l'enrichit ? "Oui, je persiste à ne pas me reconnaître de père en littérature, ce qui ne veut pas dire que je suis absolument sans famille. Disons que j'ai des "oncles" en méthode. A 11 ans, j'ai découvert Edgar Poe et j'ai été tout de suite fasciné par ce que j'ai identifié plus tard comme l'association d'une incroyable richesse de l'imaginaire et d'une précision presque scientifique de l'écriture illustrant son principe favori : la poésie naît du calcul. Puis j'ai découvert Shakespeare et les romans de Victor Hugo. J'ai tiré de ces trois grands encyclopédistes de la fiction non seulement un plaisir de lecture jamais atteint ailleurs, mais quelques principes qu'ils pratiquent avec une maîtrise incomparable et dont j'ai fait mes propres bases de création littéraire." (...)

El Roto / El País

Diego de Torres Villarroel - Sonnet

mercredi 16 novembre 2016

7 clés pour affiner son regard de lecteur (1)

Ce billet est un peu particulier et je me réserve la probabilité de lui ajouter une suite.

Un cours de formation pour professeurs —portant sur la lecture et la recherche à l'ère du numérique— me contraint à publier sur mon blog 7 clés pour affiner ou aiguiser son regard de lecteur. 7 comme les 7 péchés capitaux, les 7 couleurs de l'arc-en-ciel... ou les 7 messagers qui avaient 7 fléaux, les derniers qui iraient s'abattre sur la terre, car en eux s'accompli[rait] la fureur de Dieu, selon un livre (Dévoilement de Jésus Christ, Apocalypse de Jean, 15, 1-8. Dans mon édition de Bayard, la traduction est due à Jacques Brault et Jean-Pierre Prévost).
Ou un conseil de lecture par jour de la semaine... En fait, il s'agirait de créer un guide ou manifeste destiné à aider mes élèves à mieux choisir leurs lectures. Et j'accorde très volontiers qu'il faut essayer de fortifier leur perspicacité dans la jungle du consumérisme multisupports et ultratechnicisé qui nous accable.

La consigne de la tâche comporte encore deux exigences. Premièrement, il faut poser à nos élèves des questions genre quels sont vos critères à l'heure de choisir un livre, sur quoi vous jetez les yeux ou fixez votre attention quand vous en cherchez un, pourquoi vous vous intéressez à un sujet plutôt qu'à un autre, voire en quoi la couverture ou le maquettage sont dans votre choix pour quelque chose... Deuxièmement, nous devons afficher le manifeste en question sur notre blog en ayant recours à la présentation multimédia qui nous semblerait la plus adéquate. Dommage car, aux yeux de Candide, rien n'est plus adéquat à l'heure de lire qu'un texte bien écrit et sans coquilles —de la même manière que rien ne serait plus nuisible qu'une présentation hygh tech et hyper tendance, quelle qu'elle soit ; comme si un bon texte ne pouvait pas suffire.

Comme il y a en plus une contrainte temporelle, je livre cette enquête pour ainsi dire en chantier (à suivre). J'insère d'abord (1) les 7 clés que m'ont fournies (en castillan) un groupe d'élèves de Nivel Avanzado 2 de Français. Puis (2) ma contribution. Enfin (3), des extraits de Chamfort et de Michel Rio* sur les livres qui prêtent à réflexion.


*Ronde nuit (Éd. Sabine Wespieser, octobre 2016, 120 p.) est son dernier ouvrage.
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(1) Merci beaucoup à Ángeles de la Horra, Juanma Villanueva, Christian Simón Torrico et Rubén Rubio pour leurs contributions empressées que j'insère ci-dessous dans une présentation peu chronophage [sur une plateforme anglo-saxonne débitant des bourdes genre A book really is judged by its cover, Craft a cover slide that people can't resist clicking on, Make sure your title (...) sells your content, Visual is viral, etc., et qui se croit capable de convaincre tout le monde d'être "viral" —ou d'increase sa virality— en même temps grâce à ses suggestions en la matière. Ils fabriquent fièrement un beau programme d'illettrisme : Images are processed by the brain 60,000x faster than text, and get shared more on social media, assènent-ils innocemment]. Merci aussi à ceux qui envoient encore leurs contributions : ne vous inquiétez pas, il va y avoir une suite, minimum, à ce billet



(2) L'ère Gutenberg avait ses traditions en matière livres/lecture qui sont encore là. D'autre part, depuis environ deux décennies et demie, nous vivons une véritable révolution dans le domaine technologique qui est la source de considérables mutations anthropologiques, sociales, professionnelles... : prolifération des supports de l'écrit et de ses canaux commerciaux ou altruistes, activité des auteurs, des maisons d'édition et des média, transformation des activités des amateurs, des habitudes de lecture, développement de l'autoédition...
Cette superposition diachronique dans la synchronie, si j'ose dire, et l’engouement très répandu pour les gadgets technologiques, les réseaux sociaux et les tendances à la coule, doublé de la compulsion, l’absence de répit et de substance, et la culture de l’infantilisme qui s'ensuivent de manière générale, m’incitent à lâcher ici des régurgitations de mon cru sans autre forme de procès :


Astuces préliminaires suggérées par le prof à la hâte

—Ce qui s’annonce dans les grands média, quel que soit son support, tu n’achèteras jamais

—Soumets à un contrôle particulièrement sévère tous les produits de la modernité, notamment ceux conçus en anglais. Le snobisme favorise le strabisme et la mission de la langue impériale est de s'aimer et de semer la soumission.

—Apprends/vis plusieurs langues pour décatégoriser ton esprit. Tu éviteras de surcroît les traductions, trop souvent hâtives, mal payées, voire directement des trahisons minables. Si tu achètes une traduction, rappelle-toi que toutes les éditions ne se valent pas.

—Méfie-toi des réseaux sociaux qui, comme les faits divers, font diversion (Bourdieu dixit), pompent le temps et laminent la concentration : ils sont fort difficilement compatibles avec la vraie lecture.

—Méfie-toi des présentations « innovantes et créatives » découlant des TIC comme de la peste. Sous couvert de créativité, on nous file du vide, du crétinisme et du bourrage de crâne. Le sens se passe de fioritures chronophages et de spectacles (ersatz de sens).

—De la même façon qu'il faut éviter de se gaver de malbouffe, esquive les bouquins dont les conditions de production et de distribution nuisent à la qualité et à la sécurité du ravitaillement cérébral.

—Un critère ne s'improvise pas. Il faut piocher et réfléchir sans désemparer. Le prestige n'est pas un critère -ni le prestige du prestige. Chamfort disait que les succès produisent les succès, comme l'argent produit l'argent (Ch. 450). Bonne nouvelle : les bonnes lectures appellent les bonnes lectures.


(3) Voici la transcription d'extraits de deux écrivains que j'ai beaucoup lus ; l'un, déjà cité, appartient à une époque révolue (Chamfort), l'autre aux temps actuels (Michel Rio, dont les pages ne sont surtout pas à la page). Bien que ces citations précèdent le triomphe d'Internet et des nouvelles technologies de cette ère numérique, je les trouve toujours pleines de brio.

Chamfort (1741-94) sur les livres dans Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes (Garnier-Flammarion, Paris, 1968)

—Ce serait une chose curieuse qu'un livre qui indiquerait toutes les idées corruptrices de l'esprit humain, de la société, de la morale, et qui se trouvent développées ou supposées dans les écrits les plus célèbres, dans les auteurs les plus consacrés ; les idées qui propagent la superstition religieuse, les mauvaises maximes politiques, le despotisme, la vanité de rang, les préjugés populaires de toute espèce. On verrait que presque tous les livres sont des corrupteurs, que les meilleurs font presque autant de mal que de bien. (Chamfort : Maximes Générales, 3)

—Veut-on avoir la preuve de la parfaite inutilité de tous livres de morale, de sermons, etc., il n'y a qu'à jeter les yeux sur le préjugé de la noblesse héréditaire. Y a-t-il un travers contre lequel les philosophes, les orateurs, les poètes, aient lancé plus de traits satyriques, qui ait plus exercé les esprits de toute espèce, qui ait fait naître plus de sarcasmes ? Cela a-t-il fait tomber les présentations, la fantasie de monter dans les carrosses ? Cela a-t-il fait supprimer la place de Chérin ? (Chamfort : Maximes Générales, 15)

—La plupart des livres d'à présent ont l'air d'avoir été faits en un jour avec des livres lus de la veille. (Chamfort : Maximes, Chapitre VII, 425)

—Ce qu'on sait le mieux, c'est : 1º ce qu'on a deviné ; 2º ce qu'on a appris par l'expérience des hommes et des choses ; 3º ce qu'on a appris, non dans les livres, mais par les livres, c'est-à-dire par les réflexions qu'ils font faire ; 4º ce qu'on a appris dans les livres ou avec des maîtres. (Chamfort : Maximes, Chapitre VII, 448)

—On a fait des livres sur les intérêts des princes ; on parle d'étudier les intérêts des princes : quelqu'un a-t-il jamais parlé d'étudier les intérêts des peuples ?  (Chamfort : Maximes, Chapitre VIII, 485)

—Il y a des gens qui mettent leurs livres dans leur bibliothèque, mais M... met sa bibliothèque dans ses livres. (Dit d'un faiseur de livres faits.)  (Chamfort : Maximes, Appendice I, 537)

 —On condamna en même temps le livre De l'esprit et le poème de La Pucelle. Ils furent tous les deux défendus en Suisse. Un magistrat de Berne, après une grande recherche de ces deux ouvrages, écrivit au Sénat : « Nous n'avons trouvé dans tout le canton ni Esprit ni Pucelle. »  (Chamfort : Maximes, Appendice I, 1158)


Michel Rio : extraits d'un entretien avec Le Monde des Livres
—(...) La fiction, et tout spécialement le roman, m’apparaît comme un lieu de liberté absolue. Le seul où rien n’oblige à opérer des segmentations disciplinaires de l’esprit, le seul où on puisse mélanger justement savoir et imaginaire, logique et irrationnel, intelligence abstraite et chair, aventures de la pensée et péripéties du corps, philosophie et «galipettes», pour reprendre le terme de la citation, et aussi individu privé et homme universel. Cela se traduit évidemment dans l’écriture par un mélange proportionnel des tons. C’est une liberté à laquelle ne peuvent prétendre ni le simple divertissement, ni l’essai scientifique, ni la littérature considérée sous le seul angle de l’art, de l’esthétique pure, précisément de cette métaphore qui réclame sottement d’exister par elle-même et pour elle-même.
» Je m’étonne qu’on profite actuellement aussi peu de cette liberté radicale. Je soupçonne que limiter une telle liberté par des pseudo lois des genres est une commodité opportune pour masquer l’indigence des auteurs ou les nécessités du commerce. En tout cas, c’est cette liberté de sens et de ton, de pensée et d’écriture, qui m’a attiré vers la fiction, tout spécialement le roman, dans la mesure où, au contraire de ce que prétend le personnage provocateur que vous citiez, elle ne m’oblige pas, précisément, à trancher entre savoir et imaginaire. Cette relation dialectique est son seul lien avec ses origines, avec «cet effroi qui l’a fait naître», lorsqu’elle s’efforçait d’expliquer le monde dans son ensemble. Brisez ce lien, et effectivement il ne reste plus que la «criarde métaphore» qui continue à fonctionner dans le vide, on ne voit pas bien dans quel but.
—Dans Rêve de logique , vous dites que la littérature «hésite entre deux cloaques, la chapelle et les variétés». Qu’entendez-vous par «chapelle»? Est-ce que c’est justement cette culture de la métaphore pour elle-même, c’est-à-dire d’une forme vide, dont vous parliez?
—À peu près. C’est ce qui est défini dès Mélancolie Nord, mon premier roman, comme «la fascination de la littérature devant son propre signifiant, l’écriture», ou ailleurs dans Rêve de logique comme «la quête forcenée de l’institution de codes». Laboratoires d’esthétique maquillés en laboratoires de la pensée, d’où sortent ces petites révolutions normatives qui plaisent tant à la critique et à l’histoire littéraires.
—Lorsque vous dites préférer l’ouvrage scientifique à la littérature de chapelle, vous choisissez votre laboratoire?

—Oui. Parce que, des deux laboratoires, seul le scientifique se préoccupe véritablement d’élucidation, ce qui est à mon avis aussi le rôle de la littérature, d’une manière subjective, mais sans limitation de son objet. Cela a été son rôle depuis le début, et ça l’est encore, malgré les dépossessions apparentes que lui ont causées les disciplines. Elle est toujours le lieu de rencontre parfait de tout ce qui constitue l’homme. L’homme concevant et l’homme imaginant, le logicien et le rêveur.
» En fait, je vais chercher le sens où il se trouve, et je le trouve davantage à l’officine qu’à la chapelle. Je disais récemment, dans une université américaine, devant un auditoire d’étudiants et de professeurs de lettres, qu’à mon sens la plus grande révolution littéraire du siècle ne se trouvait pas chez Proust, Kafka ou Joyce, ni dans le dadaïsme, le surréalisme ou le nouveau roman, mais dans la relativité d’Einstein, les relations d’incertitude de Heisenberg ou la conception de la matière comme sujet soumis à l’histoire par l’hypothèse du big-bang. Il y a eu dans la salle un certain flottement. Et cependant toute altération de la position physique de l’homme dans l’univers doit correspondre à une altération de sa position intellectuelle et affective, donc du discours littéraire qui est le calcul de toutes ces coordonnées. C’était un exemple limite, mais je le crois vrai.
—Vous avez pris là l’exemple de la physique. Un personnage d’Archipel définit «la trinité qui fonde notre vision du monde» en ajoutant à la physique la biologie et l’histoire.
—Oui, ce sont à mes yeux les trois sources principales du sens pour le logicien dans son incessante discussion avec le rêveur. (...)
—Cependant, pour en revenir à l’écriture, ou à la métaphore, ou au style, vous posez la poétique, dans Rêve de logique, comme un des trois fondements nécessaires de la littérature, avec cette vision du monde informée dont vous venez de parler, et l’action que vous appelez aussi «les tribulations du héros». Vous faites même de la poétique la seule spécialité de l’écrivain. Est-ce que cela ne tend pas à placer l’écriture au centre de l’exercice littéraire et à justifier le débat esthétique?
—Un écrivain, par opposition à un auteur, se définit surtout par une écriture identifiable, une idiosyncrasie faite de l’utilisation particulière du lexique, de la syntaxe et de la musique d’une langue naturelle. C’est évidemment la chose la plus rare, la plus difficile à acquérir. Mais bien que cette poétique personnelle soit le fondement même de la littérature, elle entre pour moi dans une hiérarchisation et doit être l’esclave du sens, une sorte d’esclave impératif ou dictatorial, mais un esclave. Ce n’est pas seulement une source de plaisir, mais aussi, sur le plan sémantique, un considérable accroissement de l’effet persuasif. Une simple phrase d’écrivain, n’importe laquelle, doit s’adresser à la fois à l’intelligence et à l’oreille interne. Disons que c’est lorsque le sens le plus dense trouve sa musicalité la plus achevée que la phrase tient debout, d’un point de vue littéraire, quel que soit le système des règles de composition choisi par l’individu. En somme, la poétique est le caractère propre de la littérature, mais pas son objet, qui est l’élucidation. (...)
—En ce qui concerne l’action, donc «les tribulations du héros» ou ses «galipettes», on a souvent dit que vous écriviez des romans d’aventures, ou que vous investissiez le genre aventureux (mer, exploration et même roman noir) pour mieux arriver à vos fins. Qu’en pensez-vous?
—À ce compte-là, on peut ranger dans le roman d’aventures une bonne part de l’œuvre de Rabelais, Don Quichotte, Candide, Jacques le Fataliste, les Travailleurs de la mer, presque tout Edgar Poe, Salammbô, Moby Dick ou l’œuvre entière de Conrad. Ce dernier a d’ailleurs déclaré à la fin de sa vie qu’il avait été mal compris : on l’avait fiché comme un écrivain de la mer et de l’aventure, de l’exotisme, alors qu’il était un écrivain de l’idéalité.
»Je récuse cette classification empirique, cette stylistique approximative. C’est un instrument illusoire, improbable, qui est trop souvent une commodité destinée à pallier la paresse ou l’ignorance, et qui catalogue un livre a priori, donne une fausse clef de lecture, ou permet tout simplement de gloser sans se donner la peine de regarder ce qui est véritablement écrit. (...)
—Puisque vous faites allusion aux médias, venons-en à votre position vis-à-vis d’eux, et plus généralement du social. Faut-il ne jamais apparaître médiatiquement, comme vous ? Votre attitude a-t-elle des limites, comme cet entretien ? Ou alors faut-il aller n’importe où ? Mais cela a aussi des limites. Y a-t-il une « gestion » possible de ses apparitions ?
—Depuis le début, j’ai une règle très simple et absolument rigide vis-à-vis de l’audiovisuel. J’exige d’être invité seul, parce que je crois à l’individualité, à la solitude de l’imaginaire au contraire du savoir, et que cette solitude me garantit une conversation, et non un spectacle où des auteurs manipulés par la machine médiatique, stimulés par la « concurrence », se livrent à une pantomime humiliante faite de minaudages et de coups d’éclat, d’échanges de gracieusetés et d’invectives, et bonimentent comme des maquignons à la foire. C’est un show, et on attend de vous que vous soyez « bon » ou encore mieux, ridicule. Ensuite, j’exige de parler du texte, à la rigueur plus généralement de littérature, et de rien d’autre. Enfin, je demande un temps de parole minimum d’une demi-heure pour être sûr qu’il s’agit bien de dire et non de paraître.
»Évidemment, ces trois conditions m’interdisent la plupart des manifestations de la radio et toutes celles de la télévision. Je n’ai pas de haine viscérale, comme on l’a parfois dit. Mais les médias ont acquis une sorte de pouvoir totalitaire, et grand-mère, Dieu la bénisse, m’a enfoncé dans le crâne lorsque j’étais enfant ce principe assez breton : «Ne courbe la tête devant aucun pouvoir, surtout si c’est ton intérêt.»
»J’ai une règle garantissant à peu près le sens et la dignité. Je n’ai jamais cédé et je ne céderai jamais. Je n’ai pas de réserve vis-à-vis des entretiens de la presse écrite, si je ne suis pas allergique à son idéologie, ni vis-à-vis des invitations par les organismes d’enseignement. Simplement j’espace mes interventions parce que j’ai horreur de me répéter, et il me faut le temps soit de trouver un nouveau développement, soit d’oublier ce que j’ai déjà dit. Dans le même ordre d’idées, je ne fais jamais de service de presse ni de séance de signatures, parce que je trouve cela dénué de sens.
»Quant à aller n’importe où, je ne peux même pas imaginer ce que ça représente, même si j’ai une vague idée de ce que ça signifie. À mes yeux, la défense tous azimuts de la littérature n’est qu’une hypocrisie jésuitique. C’est une confusion commode entre l’art et le moi. Le fait est qu’on va se vendre, ou essayer, à tout prix. Je n’ai rien contre la prostitution franche et joyeuse, mais elle me répugne un peu lorsqu’elle se pare d’une vertu militante. En tout cas, je n’ai pas la vocation. (...)

[Il y a] une guerre mondiale entre la littérature et le livre, j’entends par «livre» la variété massive imprimée s’inspirant du divertissement universel de l’image. En somme, une guerre entre le sens et l’argent, le succès. Le second attire évidemment de plus en plus d’auteurs, le premier de moins en moins d’écrivains. Ce qui est pénible, c’est l’amalgame. Le livre devient l’étouffoir de la littérature. C’est d’une drôlerie sinistre. Il faudrait faire un peu de ménage, et appeler un chat un chat.

(Michel Rio, Le Monde des Livres, 1993, propos recueillis par Josyane Savigneau)
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Suite : Clés pour affiner son regard de lecteur/lectrice (2)