Loin du psittacisme médiatique, il y a bon nombre d'événements qui nous
interpellent autrement dont on ne parle que peu ou sous un angle qui
nous enfonce carrément dans l'intox. Nous passons internet au peigne fin
afin d'y repérer et choisir des faits ou sujets ou positions hors actu
qui vont constituer la matière de notre journal des infos dont on ne
parle que plutôt peu. En voici notre cinquième sommaire de cette année (pour le 21.03.18) et merci à mes élèves pour leurs contributions !
Philologue, traducteur, jadis prof de français par temps d'anglobais obligatoire, désormais à la retraite (du travail, pas de la vie).
mardi 20 mars 2018
jeudi 8 mars 2018
En France, les hommes gagnent 50 % de plus que les femmes (Jean Gadrey)
Tous les grands indicateurs de « progrès », y compris le PIB,
sont des
constructions sociales incorporant des valeurs morales
et politiques.
Notamment parce qu’ils sont tous calculés en
commençant par des
questions telles que : que met-on dedans
et que laisse-t-on en dehors,
que voulons-nous compter, quel
type de progrès voulons-nous mesurer ?
(Jean Gadrey : Le Sexe du PIB)
Deixe a menina sambar em paz
Eu não queria jogar confete
Mas tenho que dizer
Cê tá de lascar
Cê tá de doer
E se vai continuar enrustido
Com essa cara de marido
A moça é capaz de se aborrecer
C'est le 8 mars et, dans le but de contribuer aux réflexions nécessaires autour de la domination masculine et les inégalités et discriminations de tout poil qui affligent les femmes, je suggère la lecture d'un billet récent de l'économiste, écologiste et professeur honoraire à l'université Lille 1 Jean Gadrey (1943) qui risque d'étonner d'aucuns et d'aucunes. Il est contenu dans son blog, Debout !, hébergé à son tour par le site d'Alternatives Économiques.
Donc, encore honneur à Jean Gadrey, qui a également publié beaucoup d'études et de réflexions en la matière, dont, ces derniers temps, un autre billet très pertinent en matière d'inégalités hommes-femmes ou deux autres sur le rôle de la maternité dans ces inégalités dans le domaine professionnel (les 20 et 26 février 2018).
On peut trouver d'autres références à Jean Gadrey dans ce blog ici, ici, ici et là. Dans ce dernier billet, j'évoquais son article Le Sexe du PIB (2009) où Gadrey insérait une citation autrement éloquente de Françoise Héritier, admirable anthropologue féministe qui nous a quittés le 15 novembre 2017 :
« Récemment, une enquête d’opinion publique a été menée par des sociologues pour savoir quels étaient les principaux événements du XXème siècle. Les hommes répondent majoritairement qu’il s’agit de la conquête de l’espace. À 90 %, les femmes mettent en premier le droit à la contraception » (Masculin/Féminin II, Odile Jacob, 2002).Ce qui prouve qu'Emmanuel Macron est bel et bien un homme.
Voici l'article promis de Jean Gadrey :
En France, les hommes gagnent 50 % de plus que les femmes. Vrai ou faux ?
Jean Gadrey
Réponse : c’est parfaitement vrai, mais il faut expliquer car ce chiffre est plus élevé que ceux qui circulent (en général à l’occasion de la journée mondiale du 8 mars, avant de tomber dans l’oubli les autres jours de l’année…).
Je débute l’année 2018 avec ce billet dont l’idée m’est venue en lisant le formidable rapport mondial sur les inégalités (malheureusement en anglais), dont la presse a abondamment parlé… pendant quelques jours. On trouve le rapport complet sur le site http://wir2018.wid.world/ , mais aussi un résumé en français (20 pages), ainsi que de nombreux fichiers de données sur la page « methodology ».
Dans ce rapport figure une section (n° 2.5) consacrée aux inégalités de revenu en France, dont, à la fin, une brève analyse du « gender pay gap » (écart de revenu du travail entre les femmes et les hommes) dans un paragraphe intitulé « Gender pay gaps may be falling, but men are still paid approximately 50% more than women ». Soit : l’écart des rémunérations selon le sexe se réduit, mais les hommes gagnent encore environ 50 % de plus que les femmes.
Les preuves statistiques se trouvent dans l’un des fichiers liés au rapport lui-même, mais elles sont plus complètes dans un article de fond que je vais utiliser et dont le lien est ici : http://piketty.pse.ens.fr/filles/GGP2016DINA.pdf
Commençons par le graphique choc qui justifie ce chiffre de « environ 50% » (de plus pour les hommes en moyenne). C’est un graphique par âge. Pour chaque âge entre 25 ans et 65 ans, on a le rapport entre les rémunérations du travail des hommes et celles des femmes en 2012. Par exemple, à 25 ans, les hommes gagnent environ 25% de plus que les femmes du même âge (coefficient 1,25 sur l’axe vertical), à 35 ans, c’est 41% de plus, à 40 ans c’est 51% de plus, et à partir de 55 ans, on dépasse 60 % de plus pour les hommes. Encore faut-il préciser ce que l’on calcule alors comme « rémunération du travail » des femmes et des hommes pour chaque âge, ce que je ferai à la suite du graphique, que voici :
Il y a deux points essentiels pour comprendre ces données. Le premier est que les revenus du travail (ou associés au travail) pour chaque âge incluent non seulement les salaires ou une fraction du « revenu mixte » des entrepreneurs et indépendants (ce que l’on peut assimiler à une rémunération d’activité personnelle), mais également l’assurance chômage éventuelle, et les éventuelles pensions de retraite des 65 ans et moins. Cette extension est une convention, discutable comme toutes les conventions, mais elle me semble bienvenue pour évaluer ce que les uns et les autres perçoivent vraiment comme revenus liés à l’activité professionnelle entre 25 et 65 ans.
Le second point est plus important encore : ces calculs concernent toute la population de chaque âge, pas seulement celle qui occupe un emploi rémunéré (ou qui est au chômage ou à la retraite). C’est une perspective également très intéressante pour évaluer la répartition des revenus d’activité entre les sexes en intégrant dans l’analyse le fait que les femmes et les hommes (de 25 à 65 ans) accèdent inégalement à l’activité et à l’emploi, ce qui se répercute sur les revenus liés à l’activité de chaque sexe.
En d’autres termes, si on se limite aux personnes en emploi, les hommes ne gagnent pas en moyenne 50 % de plus que les femmes. C’est plutôt de l’ordre de + 34 à 35 % selon une étude à laquelle j’ai contribué et dont j’ai parlé sur ce blog. Mais si l’on tient compte de l’inégalité des taux d’activité ou d’emploi selon le sexe, alors oui, le graphique précédent est impeccable et le chiffre moyen de 50% est exact.
(...)
Mais ce n’est pas tout. Il n’y a pas qu’en haut de la hiérarchie des professions et des revenus que les femmes restent très inégalement traitées. Ce « plafond de verre » est une injustice, mais le « plancher collant » en est une autre, qui concerne encore plus de monde. On rappelle, ce qui n’est pas dans le rapport mondial (mais ce n’est pas son objet), que les femmes représentent environ 75 % du sous-emploi (temps partiel subi et chômage technique), 80 % des emplois salariés à temps partiel, mais aussi 80% des employé.e.s considéré.e.s comme « non qualifié.e.s », c’est-à-dire en réalité sous-payé.e.s en dépit de compétences et de responsabilités réelles mais non reconnues, comme dans le cas des auxiliaires de vie des personnes âgées.
EN LIRE LA TOTALITÉ
Enfin, on pourrait conclure ce billet commémoratif par un petit rappel décisif. Si la lutte contre les inégalités entre les hommes et les femmes devrait être au cœur de tout un chacun, elle ne devrait pour autant aucunement cacher le combat plus général dans lequel elle s'enclave : la guerre contre les inégalités tout court et contre l'exploitation qui les sustente. Bref, il ne faut pas oublier What matters —pour reprendre le titre d'un article du 27/08/2009 de Walter Benn Michaels où il précisait, entre autres :
We can put the point more directly by observing that increasing tolerance of economic inequality and increasing intolerance of racism, sexism and homophobia – of discrimination as such – are fundamental characteristics of neoliberalism.