jeudi 15 septembre 2011

L'École publique et ses ennemi(e)s. Sur le 14 septembre à Madrid


Nous avons participé hier, mercredi 14 septembre, à une manifestation contre les atteintes répétées au service public en général, à l'École publique en particulier. De la même façon que le Saint Office mit à l'Index Copernic, Galilée et l'héliocentrisme ou l'Encyclopédie de D'Alembert et Diderot —autrement dit, la liberté et le savoir—, les autorités madrilènes ne visent qu'au remplacement de l'École de tous —égalitaire, plurielle et ouverte— par une école privée à l'idéologie obligatoire conçue pour évangéliser (pardon : plutôt vaticaniser) les élèves sur l'autel de la Finance —tout en réprimant des professeurs qui sont recrutés sans concours. Car le gouvernement madrilène est occupé par un parti politique qui ne jure que par la déprédation et l'endoctrinement confondus et tous azimuts, ce qui explique ses coupes budgétaires très sélectives et ses choix en la matière.
Rappelons quelques faits pour établir des liens qui contribuent à y voir beaucoup plus clair et à savoir qui fait quoi ou quel est le but de chacun. J’insère mes remarques entre crochets :

— Le gouvernement d’Esperanza Aguirre, Comtesse de Murillo, finance des collèges privés religieux impeccablement sexistes ou cède du terrain pour qu’on en construise. Exemples : El País, 13/09/2006. Público, 12/08/2009. El País, 8/05/2010.
Dans ce but, on peut aussi faire du forcing auprès des maires d’un autre parti. La preuve : El País, 2/03/2005

— La Consejería (« conseillerie », en ancien français plus ou moins repris de nos jours) d’Éducation commandite une association prônant que les préservatifs vont à l’encontre de la loi naturelle. Simultanément, elle retire ses allocations aux associations qui préconisent l’usage du préservatif pour éviter des grossesses non désirées, voire des avortements. El País, 28/09/2005.

— Août 2010. Lucía Figar (conseillère d’Éducation de la Communauté de Madrid) explique à Rimini (Italie) son bilan et ses projets en matière de cession de terrains publics gratuits pour la création de collèges catholiques sous contrat, c'est-à-dire, « soutenus par des fonds publics mais avec une gestion privée ». Voir vidéo de son intervention. En italien. Sur la toile d'El País (12/09/2011).


[Bien entendu, Mme Figar est pressée d'adapter en Espagne —tout comme Luis Peral avant elle— l'aubaine étasunienne des "charter schools", ruse très du goût de Milton Friedman et de ses acolytes ultralibéraux (cf. le Chili de Pinochet ou la Louisianne après le Katrina). Pour mieux savoir à quoi s'en tenir, on peut lire, par exemple, l'article de Diane Ravitch, The Myth of Charter Schools, publié par The New York Review of Books le 11 novembre 2010. Elle y dit, entre autres, :
"(...) charter schools were created mainly at the instigation of Albert Shanker, the president of the American Federation of Teachers from 1974 to 1997. Shanker had the idea in 1988 that a group of public school teachers would ask their colleagues for permission to create a small school that would focus on the neediest students, those who had dropped out and those who were disengaged from school and likely to drop out. He sold the idea as a way to open schools that would collaborate with public schools and help motivate disengaged students. In 1993, Shanker turned against the charter school idea when he realized that for-profit organizations saw it as a business opportunity and were advancing an agenda of school privatization."]
— Quant aux affaires de l'éducation privée parmi nous...


— Juin 2011. [Comme la convoitise débridée se transforme aisément en violence concrète,] une institutrice est sanctionnée à Madrid pour avoir mis un teeshirt vert sur lequel figurait le slogan École publique, de tous pour tous. Público, 23/06/2011. [Les tyrans font souvent cadeau de beaux symboles et les profs manifestent aujourd'hui plus vertement.]
[Note du 9 avril 2014 : la répression libérale s'est tapé une jolie déconvenue à cet égard. Cliquez sur le lien ci-contre pour en savoir plus. Les libéraux madrilènes ont ouvert jusqu'à présent plus de 500 enquêtes-sanctions administratives contre des profs. En cause... leur liberté d'expression. Bon courage à tous les concernés.]

@Álvaro García, El País 14/08/11.

— Août 2011. La Consejería d'Éducation de la Communauté de Madrid affiche les messages suivants sur la façade de son siège : “Todos estamos llamados a la santidad”, “Dejaos sorprender por Cristo”, “Abrid vuestro corazón a Dios”, “María, háblanos de Jesús” y “Arraigados en Cristo podréis vivir en plenitud lo que sois”. [Traduction approximative, vu la teneur de ces arcanes : « Nous sommes tous appelés à la sainteté », « Laissez-vous surprendre par le Christ », « Ouvrez tout grand votre cœur à Dieu », « Marie, parle-nous de Jésus » et « Enracinés dans le Christ, vous pourrez vivre pleinement ce que vous êtes »]. Elplural.com, 14/08/2011.
Tant de propagande de la foi catholique aux frais de tous a contraint l’association Preeminencia del Derecho à porter plainte pour prévarication : quelqu'un se serait servi de sa charge « pour favoriser ses croyances ». [Croyances qu'on étale démagogiquement et qu'on ignore à longueur d'existence car nos tartuffes madrilènes détestent les pauvres et ne chassent précisément les gros marchands ni des temples ni des institutions qu'ils contrôlent et qui devraient être les nôtres]

— 17/07/2011. Réunion d'Esperanza Aguirre et Jesús Núñez, président d'ACADE (association patronale de l'enseignement privé), où elle aurait montré sa « totale disposition » à satisfaire les demandes patronales, au point qu'on annonce une réunion de Núñez et Figar pour la rentrée. L'essentiel des demandes guillerettes d'ACADE ? Augmentation sensible du financement direct (chèque scolaire) et indirect (déductions fiscales) du système d'endoctrinement privé par l'argent de tous ; interdiction par le gouvernement de laisser construire de nouveaux établissements scolaires publics ou, le cas échéant, gestion privée de ceux-ci. [Autrement dit, alors que l'École publique devra ramer et gérer la pénurie, les établissements privés souhaitent de nouveaux transferts de l'argent de tous —en harmonie avec cette stratégie si libérale qui consiste à privatiser les profits et collectiviser les pertes— et une concurrence qui consiste au boycott du service public par le gouvernement qui le contrôle et est censé le protéger] :
Desde el punto de vista de la financiación, Jesús Núñez solicitó un incremento en el número de familias beneficiarias del cheque escolar, así como un aumento de las cuantías del mismo. Para el resto de los niveles educativos, el Presidente de ACADE hizo hincapié en la necesidad de ampliar la deducción fiscal de los gastos de enseñanza, basándose en que la actual deducción resulta insuficiente para las familias del sector educativo privado.
En cuanto a la construcción de nuevos centros, ACADE solicitó a la Presidenta que se evite la construcción de nuevos centros de educación infantil públicos en aquellas zonas en los que la oferta ya está suficientemente cubierta por escuelas infantiles privadas. Si por necesidades de escolarización, resultase necesario establecer más plazas, se ha solicitado que los centros privados de la zona tengan prioridad en el acceso a la adjudicación de la gestión de los centros públicos que se construyan.
Asimismo, en cuanto al resto de la enseñanza no universitaria, ACADE ha solicitado, que se evite la construcción de nuevos colegios públicos o concertados en zonas donde la oferta ya está cubierta. En aquellas circunstancias en las que sea necesaria la creación de nuevos centros, Jesús Núñez, solicitó prioridad en la adjudicación de los conciertos para los centros privados de la zona.

— 30/08/2011. Esperanza Aguirre envoie une lettre à tous les enseignants de la Communauté de Madrid où elle annonce que nous devrons « compléter [notre] emploi du temps jusqu’à 20 heures, au lieu des dix-huit actuelles » [alors qu’elle sait parfaitement que nous signons au début de l’année scolaire un emploi du temps comportant 37,5 heures de travail par semaine. Ce document est d’ailleurs visé par l’Inspecteur éducatif de notre zone.
Au demeurant, il ne faut pas oublier que, selon notre statut légal, toute heure dépassant les 18 de cours que nous devons effectuer par semaine, et jusqu'à une limite de 21, devra être réglementairement compensée par 2 heures complémentaires. Ça nous fait donc 4, dans ce cas. Et ce que cela entraîne... Comme comparaison, un professeur certifié français assure 18 heures de cours hebdomadaires.] 

— Rentrée 2011 : l’année scolaire va commencer. Nous aurons 1.127.342 élèves, soit 3,1% d’augmentation par rapport au chiffre précédent. Mais il va y avoir une réduction considérable du nombre d’enseignants : 3 000 professeurs en moins, à peu près. El País, 01/09/2011. [À ajouter aux coupes budgétaires de tout poil et à la réduction d'effectifs de l'année dernière : l’école publique madrilène avait déjà perdu 2 000 professeurs environ. El País 23/06/2010. Ces suppressions d'emplois entraînent évidemment une augmentation sensible de la charge de travail de tous les enseignants du public].

— 1/09/2011. Madame Aguirre renchérit et déclare aux moyens de communication que « 20 horas son, en general, menos de las que trabajan el resto de los madrileños » (20 heures sont, en général, moins de celles que travaillent le reste des Madrilènes). [Elle ment de nouveau et dénigre publiquement les professeurs et leur travail dans le but de les discréditer et de les mettre aux abois de l'opinion publique, prestidigitation destinée à masquer ses vrais desseins, éloquemment expliqués par Lucía Figar à Rimini (cf. supra).] RTVE, 1/09/2011.

— [Bien entendu, comme il faut enfoncer le clou jusqu'au bout,] la conseillère municipale Ana Botella signale que les fonctionnaires de la mairie de Madrid travaillent « muchísimas más horas » que les enseignants [« beaucoup plus d’heures, et de loin ». 6/09/2011], et Lucía Figar affirme que dans les assemblées des profs, on trouve « ceux qui tabassaient les pèlerins » [9/09/2011]

— 2/09/2011 - Les inspecteurs pensent que l'élargissement généralisé du nombre hebdomadaire des cours par professeur comporte une interprétation "torticera" (illégale ou injuste) de la norme et alertent des conséquences d'une mesure de ce calibre. El País 2/09/2011.
[Note postérieure : L'Association des Inspecteurs dénonce l'insécurité juridique dans laquelle se retrouvent désormais inspecteurs et proviseurs à l'heure d'élaborer et de signer les horaires enseignants. La Vanguardia, 6/10/2011.]

— Selon Esperanza Aguirre, la réduction de professeurs comporte une épargne de 80 millions d’euros. Elle en claque 111 millions en propagande par an. ELPLURAL.COM. [Sans compter l’usage qu’elle fait des moyens de communication publics de Madrid, y compris Telemadrid et Canal Metro].
La Communauté de Madrid dépensa plus de 37 millions d'euros en cours de religion l'année dernière dans nos établissements : au lieu de financer convenablement le savoir, elle marraine les superstitions les plus porteuses aux yeux de ses dirigeant(e)s.
Les déductions fiscales octroyées par le gouvernement Aguirre aux parents dont les enfants sont scolarisés dans des établissements privés atteignent presque 90 millions d'euros cette année. En juillet 2010, ACADE, alarmée par la notable réduction d'élèves inscrits dans l'éducation privée madrilène pour la rentrée 2010, instigua sa déesse tutélaire à lui offrir un cadeau urgent et conséquent, et l'obtint illico. Le patronat du secteur s'y complut. Et nous savons très bien que ce genre de réussites ne manquent jamais d'entraîner leurs contreparties sociales. Cliquez ici pour en savoir plus sur les réformes parallèles notifiées cette même journée-là du 12/11/10 et entérinées le 22/12/2010, avec d'autres mesures édifiantes, bingo !, lors de l'approbation officielle du budget madrilène 2011.
Modifications légales que l'on peut lire dans le journal officiel madrilène, le BOCM, du 29 décembre 2010 ; voir l'article 1 de la LEY 9/2010, de 23 de diciembre, de Medidas Fiscales,  Administrativas y  Racionalización del Sector Público. [Comme la vérité ne saurait être criée sur tous les toits, au lieu de choisir une expression exacte du type "Dépouillement", "Coupes", "Spoliation" ou, peut-être, "Rationnement", le gouvernement de la Comtesse de Murillo lui a préféré le terme "Racionalización" (Rationalisation) aux connotations autrement plus scientifiques. La manipulation linguistique est la base de toute machination.]


Et puisque nous y sommes, concluons par d'autres faits à portée extrascolaire...

— La dette cumulée des ménages et des entreprises ibériques atteint 220% du PIB. Le Figaro, 6/06/2010.

— [Elle atteint respectivement 900 et 1 200 milliards d’euros. À son tour, la dette publique espagnole s’élevait à 680 milliards d’euros en juin 2011].

— Espagne: le Sénat adopte la réforme constitutionnelle sur le déficit public. La réforme portant sur la limitation du déficit public dans la Constitution espagnole, proposée par le gouvernement et soutenue par le principal parti de l'opposition, a été adoptée, mercredi, par le sénat espagnol (Chambre haute du Parlement). La réforme, qui porte sur l'amendement de l'article 135 de la Constitution espagnole en y introduisant une " règle d'or " relative à la stabilité budgétaire, a été adoptée, dans le cadre d'une procédure d'urgence, par 233 voix contre trois. AtlasInfo.fr, 7/09/2011.

— [Il n’y a pas de règle d’or budgétaire pour ménages et entreprises car justement, le système capitaliste actuel construit une Économie spéculative irréelle, chimérique ou fantasme qui se base, entre autres, sur le crédit, son combustible essentiel. D’ailleurs, nous souffrons d’une manière permanente une transformation de la dette privée en dette publique grâce à l’activité frénétique de politiciens nationaux et organisations internationales qui ne travaillent que pour la Chimère, autrement dit le Grand Capital ou la Grande Finance.
Pour animer vos réflexions à propos des petites dettes privées remboursables par petites mensualités, je vous propose la lecture d’un bouquin anonyme plutôt court (ou lettre un peu longue) : Insolvables ! Lettre d’espoir au monde, Flammarion, mai 2011, 63 pages. Depuis juin, il existe édition castillane introduite par Maruja Torres, chez Espasa, avec traduction de Patricia Cañizares.]

— Le soutien public de l’UE à la dette des banques privées a coûté environ 600 milliards d'euros [cf. Le Monde diplomatique, juillet 2010 et, NOTE POSTÉRIEURE, le blog decigarrasyhormigas 28/09/2011]. Rappel : 1 milliard d'euros = 1 000 000 000 euros.

À vous d'y réfléchir.
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NOTA POSTERIOR para castellanohablantes. Si no lees francés, pulsa aquí para tener un esquemita que no dice todo pero aclara bastante.

7/04/2014 : Répression de la liberté d'expression, intimidations et sanctions dans l'école publique madrilène.

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