dimanche 8 avril 2012

Le flux des liquidités selon Antoine Peillon

"The few who understand the system, will either be so interested in its profits, 
or so dependent on its favors that there will be no opposition from that class, 
while on the other hand, the great body of people, mentally incapable of comprehending 
the tremendous advantages (... that we gain), will bear its burden without complaint, 
and perhaps without suspecting that the system is inimical to their best interests."
Rothschild Brothers of London,
Communiqué aux associés, New York le 25 juin 1863

« Le capitalisme a déclaré la guerre à la classe ouvrière, et il l'a gagnée. »
Lester Thurow : The Future of Capitalism, William Morrow, New York, 1995.


"There's class warfare, all right, but it's my class, the rich class, that's making war, and we're winning."
(« Il y a une guerre des classes, d'accord, mais c’est ma classe, la classe des riches,
qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la gagner. »)
Warren Buffett, sur CNN, le 25 mai 2005.
(Il trouvait scandaleux de payer moins d'impôts que ses employés.)



Le 3 avril, grâce au blog du sociologue Laurent Mucchielli, j'ai eu vent de la publication d'un livre qui devrait en délurer plus d'un : Ces 600 milliards qui manquent à la France, par Antoine Peillon, et dont l'introduction est téléchargeable sur le site de l'éditeur, Le Seuil (1) ; allez-y gaiement : ça vaut le clic.
Le bouquin, un roman d'évasion très vérité, permet de réfléchir à certains termes plus ou moins à la mode, genre crise, coupes, boucliers, contrôle au faciès (comme les enquêtes fiscales vraiment intéressantes n'aboutissent pas —les bureaux du siège d’UBS France, boulevard Haussmann, à Paris, n’ont toujours pas été perquisitionnés, par exemple—, il faut faire du chiffre autrement. C'est ainsi que, du beurre dans les épinards, coup monté génial, la dite sale gueule —l'allure erronée, non plausible— devient le portrait du délit dans l'imaginaire collectif et policier), liberté et droit de réponse, logements sociaux (parce qu'il y a un rapport entre abondance de sans-abri et bombance du fric à l'abri des taxes), amnistie fiscale oui, amnistie fiscale non (7.06.2010), (non) impôt sur les grandes fortunes, tolérance zéro (ah, Pécresse et ses rodomontades d'évasion !), privilèges et contreparties sociales, etc.
En effet, même les plus grands gogos de la Terre risquent de comprendre que la croissance des nababs est fonction de l'augmentation des pénuries sociales, que l'intensité des coupes en aval doit être égale au poids du volume des liquidités déplacées en amont —dont il est prudent d'immerger le plus possible. D'où l'existence de paradis de tout poil dans le meilleur des mondes démocratiques : les uns ("qui ne se sont jamais aussi bien portés") destinés à l'immersion (y compris les patries sans mer et les possibilités des îles, Vierges ou Caïmans : que personne ne s'atolle), les autres à la prestidigitation.
C'est comme cela qu'une oligarchie sans états d'âme de presque 200.000 personnes peut tenir en échec toute une société de 65.000.000 millions d'habitants, et la culpabiliser par-dessus le marché ! On dirait du vrai laisser-faire ! Dans Mars attacks, on laissait faire les Martiens, des Extraterrestres ; dans la démocratie formelle, on laisse faire les entités offshore, c'est-à-dire, la finance extraterritoriale paradisiaque dont la bonhomie est comparable à celle des Martiens de Tim Burton.
En voici le début du billet de Mucchielli :

Une évasion fiscale massive continue malgré les promesses gouvernementales



Le journaliste Antoine Peillon, grand reporter au journal La Croix,  vient de publier Ces 600 milliards qui manquent à la France (Seuil), un livre choc dans lequel il montre comment la banque suisse UBS organise, depuis la France, un système massif d’évasion et de fraude fiscale vers les paradis fiscaux. Et elle n'est pas la seule.
600 milliards d’euros : c’est la vertigineuse somme cachée depuis des décennies dans les paradis fiscaux, soit près de 10% du patrimoine des Français. Au terme d’un important travail de recoupement des sources, l’auteur affirme que depuis 2000, UBS France aurait soustrait en moyenne 85 millions d’euros au fisc français chaque année. Il estime ainsi à 590 milliards d’euros l’ensemble des avoirs français dissimulés dans les paradis fiscaux dont une partie en Suisse. Il conclut aussi que « chaque année, plus d’un tiers de l’impôt potentiel sur les revenus français – soit près de 30 milliards d’euros – n’est pas perçu, rien que par la dissimulation de ces avoirs et des produits financiers dans les paradis fiscaux ».
Comment cette évasion fiscale massive a-t-elle été rendue possible ? Pourquoi l’évasion de ce patrimoine fait-elle l’objet d’une telle omerta judiciaire, alors que les institutions de contrôle, la police, la justice, la douane, les services de renseignements, en possèdent l’essentiel des preuves ?
En lire la suite.

Écoutez ces explications d'Antoine Peillon sur France Info le 4 avril 2012. Il évoque des fuites représentant un sixième du budget français, c'est-à-dire, elles pourraient couvrir le coût total de l'Éducation nationale. L'arnaque est double car à ces avoirs non fiscalisés, il faudrait ajouter les croustillants profits qui en découlent et qui ne cotisent pas non plus.



Antoine Peillon, au coeur de l'évasion fiscale par FranceInfo


On ne peut donc pas s'étonner que l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale nous rappelle dans son rapport annuel, présenté le 29 mars, qu'en 2009, 8,2 millions d'êtres humains vivaient en dessous du seuil de pauvreté en France (13,5 % de la population !). On en tient près de deux millions pour très pauvres : leur revenu serait inférieur à 640 euros par mois.
___________________________________
(1) Cette introduction est déjà très concluante. L'auteur y affirme, entre autres, :
— (...) cette masse considérable d’avoirs et de dividendes non déclarés, qui avoisine 10 % de la richesse privée des nations européennes, fausse lourdement les comptes internationaux de toute la zone euro. Selon le Boston Consulting Group et Gabriel Zucman, en 2010, pas moins de 2 275 milliards d’euros n’entrent pas ainsi dans les comptes de l’Europe*, ce qui génère des distorsions importantes dans les statistiques mondiales et dégrade gravement la qualité des politiques économiques de l’Union européenne et des États. Le jeune économiste [Zucman] dénonce : « Pour l’Europe, cela produit l’idée absurde que cette région du monde est pauvre, endettée vis-à-vis de pays émergents comme la Chine, alors qu’elle est encore la plus riche de la planète ! Si la richesse manquante, masquée, revenait à sa source, on améliorerait beaucoup l’impôt et cela contribuerait à résoudre de façon substantielle les problèmes de financements publics. Cela ferait partie des solutions à la fameuse dette publique ! »
* La seule part de la fortune privée européenne placée sous le secret bancaire suisse est, selon le Boston Consulting Group, de 743 milliards d’euros en 2010 !
— (...) le 10 février 2012, le procureur de Nice, Éric de Montgolfier, a révélé qu’à l’époque où le ministre du Budget se lançait dans une communication bruyante sur sa liste HSBC de 3 000 noms lui-même travaillait judiciairement sur la même liste, mais qu’elle comportait en réalité 8 000 identités, dont celle de Patrice de Maistre qui était alors le gestionnaire de la fortune de Liliane Bettencourt et, à ce titre, l’employeur de Florence Woerth, l’épouse du ministre…  Le procureur de Nice a aussi dévoilé que le ministère de la Justice lui avait donné l’ordre, toujours à la même époque, de restituer les données du dossier HSBC aux autorités suisses afin de mettre fin à ses investigations.
— (...) Les chapitres qui suivent proposent une exploration totalement inédite des mécanismes concrets de l’évasion fiscale organisée en France à très grande échelle, au vu et au su de nombreux services d’enquête et de contrôle (renseignement, police, douanes, fisc, etc.), mais jusqu’ici en toute impunité judiciaire. Certaines pages pourront paraître parfois un peu techniques, de même que de nombreux documents cités en exclusivité sembleront relativement opaques à celles et ceux qui ne connaissent pas grand-chose à la finance ni aux techniques bancaires. Mais surmonter ces légères difficultés de lecture est sans doute le prix à payer pour s’assurer de l’exactitude et de l’authenticité des informations produites, ce qui, en matière d’investigation journalistique, est une double exigence nécessaire, surtout lorsque le sujet abordé est manifestement si politiquement sensible qu’il produit toutes les tentatives possibles et imaginables d’occultation, voire d’intimidation.

Mise à jour du 18/02/2016 : À propos de UBS...


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