Puis, il avait été invité par le Colectivo Estudiantil Alternativo (CEA) et Acción Antifascista de Salamanque à un colloque universitaire contre la criminalisation des mouvements sociaux ("Contra la criminalización de los movimientos sociales"). Le CEA, c'est le collectif majoritaire au sein des étudiants salmantins.
Ce débat aurait dû avoir lieu aujourd'hui, à 19h, dans la Faculté de Philosophie de l'Université de Salamanque, mais fut déplacé à la Salle des Réunions du syndicat CGT (Calle de Pérez Oliva, 2), à la même heure. Pourquoi ? Parce que M. le Rector (le Président) de l'Université de Salamanque, Daniel Hernández Ruipérez, n'a finalement pas autorisé la participation d'Alfonso Fernández, sous prétexte qu'il manquait "de relevancia" (disons... prestige) pour intervenir dans une institution académique. Son véto est intervenu juste après une campagne médiatique fulgurante et diffamatoire promue par les caciques et les néonazis locaux.
En tant qu'ancien étudiant de l'Université de Salamanque, et professeur circonstanciel dans ses salles de classe à plusieurs reprises, je tiens à dénoncer cet acte de censure (néo et vieux con par-dessus le marché) et adhère au manifeste pour la liberté d'expression qui s'en est suivi —pour signer la pétition, on peut cliquer sur le lien ci-contre. Son premier signataire est le poète salmantin Marcos Ana, un homme admirable qui resta presque 23 ans dans les prisons franquistes.
Viennent maintenant à mon esprit bon nombre de fragments des Chiens de Garde, essai signé et publié par Paul Nizan en 1932 qui est toujours, hélas, d'actualité, car justement, il y dénonçait l'intense soumission des universitaires et des philosophes aux ordres du capital. Il y disait, par exemple, à leur propos :
"Il est grandement temps de les mettre au pied du mur. De leur demander leur pensée sur la guerre, sur le colonialisme, sur la rationalisation des usines, sur l'amour, sur les différentes sortes de mort, sur le chômage, sur la politique, sur le suicide, les polices, les avortements, sur tous les éléments qui occupent vraiment la terre. Il est grandement temps de leur demander leur parti. (...) Lorsque Démétrios assiégeait Athènes, Épicure marchait au milieu des Athéniens. Épicure prenait parti. S'ils refusent publiquement (et je vois d'ici, je palpe d'ici, je mesure d'ici le monceau ordonné de leurs belles raisons, de leurs nobles raisons de refuser la marche parmi nous), alors le moindre adolescent comprendra qu'ils ont en vérité choisi, qu'ils préfèrent réellement —et non par erreur, et non par omission, et non par aveuglement guérissable— leur confort spirituel, et les garanties temporelles de leur confort, aux questions bassement humaines." (Paul Nizan : Les Chiens de Garde)Monsieur le Rector de l'Université de Salamanque a bien pris parti mais n'est pas Épicure, loin s'en faut. Il a pris parti pour la "relevancia", l'importance, le prestige... du parti pris, de la vérité officielle. Il a obtempéré aux ordres des garants de l'ordre bien établi qui ont vite fait de commencer à couiner. Il aurait pu penser qu'un jeune homme soumis pendant presque deux mois à un régime FIES —pour ensuite être libéré faute de preuves— pourrait s'avérer une vraie autorité en matière de répression libérale (1) ou de dictature du monétariat, mais non —Nizan avait encore oublié d'être con et organique quand il écrivait :
"Il a toujours paru plus facile à l'oppresseur qu'à l'opprimé de s'adapter à l'oppression" (Ibidem)Ou encore, après avoir transcrit une citation du "clerc" Léon Brunschvicg sur l'indignation que provoque toujours la violation des garanties du justiciable :
"On pense à l'affaire Dreyfus, on se dit qu'il en est bien ainsi. Mais on reprend ensuite dans sa mémoire le jugement et la mort de Sacco et Vanzetti, on pense aux conditions juridiques dans lesquelles se déroulent en Indochine les procès des révolutionnaires : on est bien contraint de conclure que les limites de la pratique cléricale coïncident avec celles des intérêts de la bourgeoisie. Défendre Dreyfus, c'était affirmer la bourgeoisie, défendre Sacco, défendre Tao, au nom de la justice, c'est travailler contre soi, c'est vouloir se détruire. Si la violation de la Justice atteint un prolétaire, la philosophie ne la sent point. L'homme prolétarien est situé en dehors de la philosophie. Il n'a point de titres réels à l'intérêt de la philosophie bourgeoise."Alfón n'a point de "relevancia"... Ce dernier extrait appartient au sixième et dernier chapitre des Chiens de Garde qui s'intitule Défense de l'Homme ; nous pouvons toujours y lire :
"(...) la bourgeoisie veut détruire les causes extérieures apparentes de son mal et croit qu'elle pourra se remettre avec les anciens remèdes et le renfort de quelques remèdes nouveaux sans abandonner le monde auquel elle tient et qu'elle a fait. Cette défense comportera promptement une division du travail : il appartient aux politiques d'abattre la révolution et aux penseurs de produire des remèdes, de fabriquer des recettes, qui inspireront confiance à la bourgeoisie et persuaderont aux forces mêmes de la révolution de rester liées aux destins bourgeois.
Que font ici cependant les hommes qui ont pour profession de parler au nom de l'Intelligence et de l'esprit ? Que font ici les penseurs de métier au milieu de ces ébranlements ?
Ils gardent encore leur silence. Ils n'avertissent pas. Ils ne dénoncent pas. Ils ne sont pas transformés. Ils ne sont pas retournés. L'écart entre leur pensée et l'univers en proie aux catastrophes grandit chaque semaine, chaque jour, et ils ne sont pas alertés. Et ils n'alertent pas. L'écart entre leurs promesses et la situation des hommes est plus scandaleux qu'il ne fut jamais. Et ils ne bougent point. Ils restent du même côté de la barrière. Ils tiennent les mêmes assemblées, publient les mêmes livres. Tous ceux qui avaient la simplicité d'attendre leurs paroles commencent à se révolter, ou à rire."
(1) "Cuanta más libertad se otorga a los negocios, más cárceles se hace necesario construir para quienes padecen los negocios." (dixit Eduardo Galeano dans son introduction à Las venas abiertas de América Latina, Siglo XXI Editores, México, 1971 ; dernière édition en date : Siglo XXI de España Editores, Tres Cantos, Madrid, 2011)
Prometo releer a Paul Nizan (o leerlo, directamente), a quien conocía como un gran clasicista y novelista. Tiene mucho que contarnos...
RépondreSupprimerY por cierto, "Alfon" es llana, no aguda - así que sin acento.
J'ignore vraiment comment ils l'appellent, ses proches. Et comme j'ai vu "Alfón" sur le Réseau à plusieurs reprises, j'ai fini par croire qu'on l'appelle "Alfón". Mais je suis Candide et je n'en sais rien.
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