jeudi 16 mai 2013

Mythe et Savoir dans la "Société de la Connaissance"


Quand la littérature devient une doctrine, et la mythologie une politique.
(Michel Rio)


Les mouvements révolutionnaires de 1848 avaient mis en fuite et sérieusement préoccupé le Pape catholique Pie IX, Pius Nonus, et le berger tenait absolument à faire retourner ses brebis sous la protection de l’autorité. C'est ainsi qu'il finit par déclarer, prononcer et définir le dogme de l'Immaculée Conception (sic), c'est-à-dire de la Conception Immaculée de la Vierge Marie, le 8 décembre 1854 dans la bulle Ineffabilis Deus. Ineffable, en effet, car inénarrable. En voici la formulation infatuée et anti-biologique de ce remède contre-révolutionnaire :
« Nous déclarons, prononçons et définissons que la doctrine, qui tient que la bienheureuse Vierge Marie a été, au premier instant de sa conception par une grâce et une faveur singulière du Dieu tout-puissant, en vue des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, préservée intacte de toute souillure du péché originel, est une doctrine révélée de Dieu, et qu’ainsi elle doit être crue fermement, et constamment par tous les fidèles. »
Puis, la destinée unique de cette femme juive, choisie par Dieu, lui permettra d'incorporer le mythe de la Procréation Divinement Assistée (PDA ; cf. Alcmène, petite-fille de Persée, épouse d'Amphitryon et mère d'Héraclès, l'Hercule grec) avec de la chasteté en prime en vue de supprimer toute souillure, car le vaticanisme officiel abomine officiellement le sexe —surtout le féminin.

Nous sommes en 2013, en Espagne, et ces articles de foi de la très pédophile église catholique disposent de fêtes nationales (cf. le 8 décembre) et sont toujours enseignés dans nos écoles (des écoles financées le plus souvent par des fonds publics dans un État en principe non-confessionnel) à nos enfants (des enfants qui sont également priés d'étudier des disciplines, comme la Physique ou la Biologie, en contradiction flagrante avec les dogmes en question, ou le matérialisme ultra grossier de leur Économie triomphante, foncièrement inconciliable avec le message de leur Christ). Bien entendu, les partisans de ce genre de salades militent contre l'endoctrinement dans les salles de classe, y compris les Wertueux qui disposent de mâchoires particulièrement métalliques, et dans un élan de courage et d'abnégation, nous rabâchent qu'il faut faire les choses "como Dios manda".

Donc, Dieu créa l'adam à son image, il les créa mâle et femelle, il les bénit et leur dit d'être féconds et multiples (Genèse 1, 27-29). Histoire à succès pas comme les autres : Dieu, le personnage littéraire, devient démiurge, fabricant ; le fabricant d'ailleurs de son narrateur, au point que les enfants de celui-ci devront y croire —et souvent y croient dur comme fer.
Ce fabricant inopiné mérite alors beaucoup d'honneurs, voire une discipline dans les établissements de l'enseignement collectif : la religion. Parce que toute recette comporte des ingrédients. C'est ainsi que l'école devient église, sur nos territoires, ou, ailleurs, médersa coranique, temple ou synagogue. Et ses contenus, du catéchisme : mémorisation-intériorisation de concepts impossibles : Sainte-Trinité, Résurrection, Conception immaculée (parthénogenèse) d'une femme... Contre-savoir incompatible avec nos connaissances et constatations les plus élémentaires mais aberrations (égarements) très utiles, car les Puissances (toujours d'Argent) ne sauraient aucunement se passer de mythes, même si elles prennent de nos jours les oripeaux du libéralisme et de la raison (barbare).

Au sujet de ce Triomphe de la Littérature, ou à propos de la religion comme genre littéraire (ou sous-genre du conte —traditions orales retranscrites—, secteur merveilleux), je copie ci-dessous un extrait d'un roman de Michel Rio, Le Vazaha sans terre, édité chez Fayard en 2011. Il s'agit de la réplique du narrateur-héros à un autre personnage, Virginia Fox, lorsque celle-ci lui lance la question "Pourquoi pas Dieu".
Bonne lecture.
« (...)
—Pourquoi pas Dieu ?
—Une solution poétique assez bâclée, à mon sens. Ça fait penser au cinquième élément d'Aristote, une inconnue qui résout toutes les équations. Malgré mon dérangement mental, je ne suis pas prêt à me jeter dans le credo quia absurdum [1], plus exactement le certum est quia impossibile de cette canaille de Tertullien. Notez que je n'emboîte pas trop le pas à Dawkins [2] dans ses croisades contre l'illusion divine. Après tout, chacun a le droit de se rassurer comme il peut. Mais ce que j'exècre, c'est le prosélytisme. La croyance imposée. Quand la littérature devient une doctrine, et la mythologie une politique. Le pire danger de la poésie, c'est de se transformer en dogme. Ça a fait des millions de morts. Et ça continue. Je n'ai jamais compris pourquoi, dans le stock des contes inventés par la fantaisie, la volonté de puissance, la morale ou la trouille, certains sont restés des contes, et d'autres sont devenus la vérité. Une superstition accusant une autre superstition de superstition. Il y aurait de quoi se tordre si les conséquences n'étaient parfois aussi tragiques. Pouvez-vous me dire pourquoi un tas de gens croient que la naissance d'Athéna sortie du crâne de son papa est une fable ridicule et que la parthénogenèse de la Vierge [3] est un fait historique ? »

« (...) On revient à la religion, c'est-à-dire au conte. Donc on peut attribuer à Dieu, en principe l'intelligence absolue, toutes les pensées stupides, contradictoires ou néfastes de l'espèce, liées aux lieux, aux temps et aux cultures. Tous les prêtres de toutes les religions ont pratiqué ce non-sens de faire parler Dieu, preuve initiale de leur délire ou de leur duplicité. Je ne sais pas quand l'esprit religieux est apparu dans l'évolution, mais s'il y avait parmi nos ancêtres monocellulaires de l'archéen ou du protérozoïque de petits curés procaryotes, je les vois très bien sermonner les autres bactéries en soupçonnant un plaisir coupable dans la reproduction par mitose. »

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N. B. - Pour mieux saisir le terme malgache "vazaha", veuillez cliquer ici (billet de Christian Papinot dans le Journal des Anthropologues) ou (témoignage d'Augustin Mada, enseignant coopérant français à Madagascar).

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[1] Allusion à une citation célèbre et apocryphe, car la phrase exacte, écrite par Tertullien dans De Carne Christi, dit littéralement, comme on peut lire ensuite dans le texte de Rio : "Crucifixus est dei filius; non pudet, quia pudendum est. Et mortuus est dei filius : credibile est, quia ineptum est; et sepultus resurrexit ; certum est quia impossibile est". Rien à voir avec les connotations du Bello e impossibile de Gianna Nannini ; "credibile est, quia ineptum est" veut dire "c'est croyable parce que c'est absurde" et "certum est quia impossibile (est)", "c'est certain parce que c'est impossible". Je pense à une petite remarque de Rafael Sánchez Ferlosio à ce propos...

[2] Évocation de l'activité militante pro-athéisme du biologiste Richard Dawkins, qui a publié en 2006 The God Delusion (traduit en français, Pour en finir avec Dieu).

[3] Attention, ce n'est pas un pléonasme ! Comme nous l'explique Église Catholique en France :
« Pour la plupart des gens, « l’immaculée conception » voudrait dire que Marie est devenue mère, a conçu Jésus, par l’action de l’Esprit Saint, sans relation conjugale. Comme si la relation conjugale était, par elle-même, un péché. Ce n’est pas du tout ce que dit la foi chrétienne. Si le mariage était un péché, il ne pourrait être un sacrement [...] rappelle Mgr Jacques Perrier, évêque de Tarbes et Lourdes. « Que voulait dire Pie IX ? Que fête l’Église catholique le 8 décembre ? Ceci : Marie, dès l’origine, a été totalement étrangère au péché. C’est pourquoi, dans toutes les apparitions, elle se montre toujours merveilleusement belle, rayonnante de lumière et de bonté ».

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