jeudi 7 novembre 2013

La sous-traitance comme traite d'êtres humains et pillage des sous publics

(...) [municipalizar el servicio es una posibilidad que]
"no saldría muy cara, ya que la maquinaria que se utiliza
viene de contratas anteriores y pertenece al Ayuntamiento,
se ahorraría el beneficio que las empresas obtienen con
estos servicios y los ingresos por impuestos irían íntegramente
a las arcas públicas en lugar de a empresas privadas"
(Moisés Torres)


Nous vivons à Madrid une grève illimitée des services de nettoyage :


Ils dénoncent la suppression de plus de 1000 postes et une baisse de salaires pouvant aller jusqu‘à 40%. Le personnel de nettoyage de Madrid est en grève, un mouvement qui durera tant que la direction ne reviendra pas sur sa décision. Les syndicats refusent de négocier. 7000 salariés de cinq entreprises sous contrat avec la mairie sont concernés par cette mesure. Un énième plan social pour l’Espagne confrontée à l’explosion des déficits publics, les salariés en ont plus qu’assez : “Ils vont nous mettre dehors avec une indemnité de départ honteuse . Il y a des gens qui ont travaillé 28, 30 ans s’insurge un manifestant.”
“Cela suffit ! tout cela cela doit cesser une fois pour toutes. santé, éducation, ville, les services publics en général, tout part à l’abandon, c’est l’enfer.”

Madrid va se transformer en porcherie avertit l’association des entreprises de nettoyage de qui dit ne pas voir d’issue au conflit et veut mettre en place un service minimum. A Madrid, un jardinier gagne 900 euros et un agent de nettoyage 1.050 euros.


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Information là-dessus de Público, journal en ligne (en castillan).

Récapitulons. À la mairie, le gouvernement municipal du parti politique X, qui a pris sous son bonnet de gérer la res publica (la chose publique), se soustrait à ses obligations et brade le patrimoine et les services de tous au nom de l'efficacité (« efficience », disent-ils), quoique sous le critère les copains d'abord et/ou le do ut des. Lorsque la débâcle balaie les rues de la ville, le gouvernement municipal en question (le « donneur d'ordre ») prétend qu'il n'y est pour rien, sous prétexte que le service lambda a été « externalisé ». Il ne manquerait plus que ça : au bout du compte, s'ils se sont évertués à privatiser le bien commun et à sous-traiter les services essentiels, stratégiques, c'est justement pour que personne ne leur en parle : ils ont d'autres chats à fouetter (cf. la case de départ). Et la boucle est bouclée. Car les quatre piliers de la sous-traitance, et cavaliers de l'apocalypse sociale, sont la baisse des salaires de la main-d'œuvre, la réduction des « effectifs », l'avilissement des conditions de travail et l'accroissement conséquent des profits des copains, dont les rémunérations et dividendes ne sauraient être jamais modérés. C'est la Bouteille à l'encre, c'est la Bouteille pleinement vide jetant l'ancre pour cause de conjointisme —quel cas de figure de falot-cratie ou, plutôt, de falote-cratie. C'est fétide, puant, irrespirable. Comme l'air du temps. Comme les différentes pollutions qui colonisent nos corps et nos esprits à longueur d'existence marchandisée.

J'ai remarqué que cette histoire de « sous-traitance » ou « externalisation » n'a pas été très bien comprise par pas mal d'honnêtes citoyens, y compris parmi ceux qui ont voté pour le parti X, d'autant qu'ils tenaient, verbi gratia, à ce que les hôpitaux fonctionnent ou que les rues soient nettoyées.
Je copie ensuite à leur intention un fragment d'André Gorz contenu dans son essai L'Immatériel. Connaissance, valeur et capital, Éd. Galilée, 2003. Bien qu'il ait été conçu —en 2003 !— pour analyser d'une manière générale les transformations de la connaissance en capital immatériel dans la nouvelle économie, il permet de comprendre le rapport existant entre sous-traitance et traite des êtres humains, entre vrai travail et vrai profit. Bref, de saisir la nature perverse des sous-traitances dans le cadre très pervers échafaudé par la Finance.
Gorz, à partir d'une lecture de Jeremy Rifkin (1), écrit...

(...) La nouveauté, pour Rifkin, peut se résumer ainsi : la dimension immatérielle des produits l'emporte sur leur valeur d'usage pratique et, bien entendu, sur leur valeur d'échange, qu'elle gomme. La majeure partie des bénéfices est réalisée grâce à la dimension immatérielle des marchandises. Leur « matérialisation devient secondaire du point de vue économique ». Les entreprises de production matérielle sont reléguées au rang de vassales des firmes dont la production et le capital sont essentiellement immatériels.
Ainsi, une proportion rapidement croissante de firmes préfère louer son capital fixe matériel (bâtiments, installations, machines, matériels de transport) plutôt que d'en être propriétaire. « Use it, don't own it » est la devise. Aux États-Unis, un tiers des machines, des installations et des moyens de transport est loué. 80% des entreprises louent leur infrastructure à 2 000 agences spécialisées. Un tiers des industries a externalisé plus de la moitié de ses activités de production. IBM et Compac, les deux leaders de leur branche, sous-traitent à la même firme, Ingram, la construction, la livraison et la facturation de leurs ordinateurs. Nike ne possède ni installations ni machines : son activité se borne à la conception et au design. La fabrication, la distribution, le marketing et la publicité sont confiés à des sous-traitants.
Cette externalisation de la production et du capital fixe matériel n'est pas un simple prolongement de la
« production allégée » (lean production) et du reengineering des années 1990. Il ne s'agit plus simplement de réduire le temps de circulation du capital aussi radicalement que possible en éliminant les stocks et tout le personnel stable à l'exception d'un noyau. Il s'agit maintenant d'imposer une nouvelle division du travail non seulement entre prestataires de travail mais entre entreprises et capitaux. Le capital matériel est abandonné aux « partenaires » sous-traitants de la firme mère qui assume envers eux le rôle de suzerain : elle les force, par la révision permanente des termes de leur contrat, à intensifier continuellement l'exploitation de leur main-d'œuvre. Elle achète à très bas prix les produits livrés par les sous-traitants et encaisse des gains très élevés (dans le cas de Nike, par exemple, 4 milliards de dollars par an pour les seules ventes aux États-Unis) en les revendant sous sa marque. Le travail et le capital fixe matériel sont dévalorisés et souvent ignorés par la Bourse, tandis que le capital immatériel est évalué à des cours sans base mesurable.

Comprenez-vous maintenant pourquoi on veut, entre autres, démoniser et supprimer les fonctionnaires ? Parce que les prestations qu'ils rendent à la société constituent la dernière niche à investir par la Prédation. Une aubaine car il s'agit de services dont personne ne peut se passer.



(1) Jeremy Rifkin : The Age of Access. The New Culture of Hypercapitalism where All of Life is a Paid-For Experience, New York, G. P. Putnam, 2000. Traduction française de Marc Saint-Upéry, L'âge de l'accès, Paris, La Découverte, 2000.

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P.-S. - J'espère pouvoir en parler plus calmement. Entretemps, je vous propose de lire...

Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon : La violence des riches, Chronique d’une immense casse sociale, Éditions Zones / La découverte, 2013, 256 pages, 17 €.

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