samedi 17 octobre 2015

Langues enseignées en Europe, selon Eurostat

« Donner à des millions d’hommes la connaissance de l’anglais, 
c’est comme les réduire en esclavage. » (Gandhi, 1908)



À l’occasion de la Journée européenne des langues —qui a lieu chaque année le 26 septembre à l'initiative du Conseil de l'Europe—, Eurostat, l’Office statistique de l’Union européenne, publie des données sur l’apprentissage des langues étrangères dans les écoles de grand nombre de pays de notre continent. Une infographie est également disponible sur le site web de l'Office.

Selon le communiqué de presse d'Eurostat de cette année, en 2013, 17,7 millions d'élèves de l'enseignement primaire (soit 81,7 % de l'ensemble des élèves de ce niveau) dans l'Union européenne étudiaient au moins une langue étrangère, dont 1 million (4,6 %) apprenaient deux langues étrangères ou plus.
Vous n'allez pas me croire, mais selon ce rapport, "la prépondérance de l'anglais se confirme", voire "l'anglais domine nettement", et dans le primaire et dans le secondaire, conclusion qui vous laisse, j'en suis persuadé, époustouflés et bouche bée. C'est pour cela que nous avons besoin de rapports, et de rapports annuels pondus après de longues études, sans quoi nous ne saurions guère de quoi il retourne, y compris dans ce meilleur des mondes de la mondialisation la plus heureuse où les événements se succèdent comme par hasard et en toute liberté.

C'est ainsi qu'à l'échelle de l'enseignement primaire, l'anglais, étudié par 16,7 millions d'élèves, était de loin, très loin, la langue "la plus populaire" (sic). La seule obligatoire (légalement ou de fait), risque-t-on de supputer ? Enfin, de quoi réfléchir peut-être à la popularité des contraintes ou à l'expressivité de l'actinomycose (1).
Quant au français, il arrivait en deuxième position... loin, très loin derrière.
Puis...
La prépondérance de l’anglais se confirme dans le premier cycle de l’enseignement secondaire (élèves âgés de 11 à 15 ans environ en fonction du système éducatif national), avec 17,1 millions d’élèves dans l’UE apprenant l’anglais en tant que langue étrangère (95,6% de tous les élèves de ce niveau) en 2013. Le français (4,9 millions, soit 27,4%) arrivait en deuxième position, suivi par l’allemand (2,9 millions, soit 16,3%), l’espagnol (2,1 millions, soit 11,6%), le russe (0,5 million, soit 2,7%) et l’italien (0,2 million, soit 1,0%).
Par ailleurs, ce communiqué de presse nous rappelle :
Actuellement, 24 langues officielles sont reconnues au sein de l’UE. En parallèle existent des langues régionales, des langues minoritaires et des langues parlées par les populations migrantes. Il convient également de noter que plusieurs États membres de l’UE comptent plus d’une langue officielle.
Un proche, qui n'avait pas vu par exemple l'infographie évoquée plus haut, commentait goguenard qu'il n'y avait pas de données sur les Îles Britanniques. En fait, on vérifie que le taux d'élèves de l'enseignement secondaire supérieur britannique (à partir de 15-16 ans, normalement) qui n'apprennent aucune langue étrangère est de... 52%. En tout cas, la presse anglaise aborde le sujet de temps à autre...
UK pupils 'worst in Europe for learning foreign languages'
The UK is the worst nation in Europe for the teaching of foreign languages following a dramatic collapse in the subject under Labour.


(The Telegraph, le 30 août 2011)
Deux ans plus tard (15/02/2013), The Telegraph persiste et signe :
English teenagers 'worst in Europe' at languages
British teenagers are trapped in a "vicious circle of monolingualism", a report warned yesterday as figures showed English youngsters are among the worst in Europe at foreign languages.
Concernant d'autres journaux, The Daily Mail remarquait également l'année dernière l'état pitoyable de l'apprentissage des langues étrangères en Angleterre et ses retombées sur l'économie de la Grande-Bretagne (dommage, ce quotidien n'avait pas considéré utile de comparer les chiffres de ces répercussions et des revenus découlant de l'industrie de l'enseignement de l'anglais au Royaume-Uni, tous ses secteurs confondus : droits d'inscription, transport, hébergement, nourriture, activités touristiques, souvenirs, marché de l'édition...) :
English youths 'Europe’s worst at languages’: Just 9% of pupils have basic mastery of French compared with 42% elsewhere
  • UK is missing out on almost £50billion-a-year in lost contracts because of poor language skills among the workforce 
  • English 15-year-olds came bottom of a table of 14 countries for competence in the main language taught in schools
  • Forty-four universities had scrapped language degrees since 2000.
The Guardian s'en souciait aussi (21/06/2014) :
Learning languages is key to UK's success in the global economy
Sponsored feature: The under-resourced teaching of foreign languages in the UK must improve if Britain is to compete in the global economy, a Guardian roundtable foun.
Dix mois avant, en août 2013, The Guardian nous prévenait : 40% des départements universitaires des îles risquaient de fermer à court terme (10 ans) et, de toute façon, le nombre d'universités proposant des études en langues modernes avait chuté de 40% depuis 2000...
Language teaching crisis as 40% of university departments face closure
Number of universities offering modern languages degrees plunges from 105 in 2000 to 62 at start of this academic year
Néanmoins, en matière de prééminence en cancritude linguistique, le débat existe car certaines sources soutiennent que le pays le plus réticent à apprendre des langues étrangères, donc le plus inébranlable à l'heure de préserver une nature foncièrement unilingue, serait plutôt... l'Irlande.

Oui, je sais, ce sujet est extrêmement important et mérite une analyse beaucoup plus détaillée, mais ce billet ne tient qu'à le présenter d'une manière non spécialisée et non exhaustive dans le but d'inviter tout le monde à y réfléchir. Bref, n'ayons pas la langue liée et posons deux questions (rhétoriques) en guise de conclusion, pour l'instant :

1) Quelle est la langue étrangère dont l'étude est tellement prépondérant qu'elle est en train de marginaliser toutes les autres, y compris les langues natives dans les plans de l'enseignement obligatoire de pays petit à petit gibraltarisés comme l'Espagne ? (cf. Esperanza Aguirre qui ne veut pas qu'on apprenne l'anglais, mais EN anglais).

2)  Quels sont les pays de l'Europe et de la planète [cf. son pays guide (2)] où l'on marginalise de plus en plus l'enseignement et l'apprentissage des langues étrangères ?

Je me souviens d'une conférence qui résumait ces deux aspects... Ou d'un ouvrage incluant quelques dizaines de pages très documentées et intelligentes à cet égard (Enrique Bernárdez : El lenguaje como cultura, Alianza, 2008)

Bien entendu, si l'on veut tout dire, il faudrait évoquer aussi les ravages subis par l'anglais en raison de sa position dominante de langue impériale et obligatoire. À ce propos, en septembre 2013, Jeremy Gardner publiait un essai intitulé Misused English Words and Expressions in EU Publications qui prête également à réflexion. Son introduction commençait comme cela :
Over the years, the European institutions have developed a vocabulary that differs from that of any recognised form of English. It includes words that do not exist or are relatively unknown to native English speakers outside the EU institutions and often even to standard spellcheckers/grammar checkers (‘planification’, ‘to precise’ or ‘telematics’ for example) and words that are used with a meaning, often derived from other languages, that is not usually found in English dictionaries (‘coherent’ being a case in point). (...)

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(1)  Langue de bois : gonflement, durcissement de la langue et ulcération superficielle des bovins atteints d'actinomycose et d'actinobacillose.

(2)  « Plusieurs États américains ont déjà pris ou s'apprêtent à prendre des mesures permettant aux étudiants d'apprendre le langage informatique plutôt que le français, l'espagnol, l'allemand ou le japonais... » (Source : Le Figaro, le 05/04/2015)

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