jeudi 7 juin 2018

Des Justes contre une République inhumaine et toujours en marche (arrière)

Grosse fatigue, grosse amertume. Ce billet est la suite à d'autres déjà publiés concernant le délit d'humanité en France —alors que la "fraternité" fait encore partie de la devise de la République française :

On dirait que notre régime fait tout pour que les réfugiés et les migrants crèvent en marche : si leur Dakar pour fuir les guerres et la misère est particulièrement féroce, leur porter secours est lourdement puni. Un courriel de Sylvie Brigot-Vilain, Directrice Générale d'Amnesty International en France, nous rappelle —en vue de nous faire signer la pétition que son organisation vient de lancer— la persécution honteuse que subit Martine Landry, militante d'AI (1), ainsi que l'endurcissement de la loi française en matière d'asile et immigration :
À l’heure où notre militante, Martine Landry, est poursuivie pour « délit de solidarité », les sénateurs débattent du projet de loi asile et immigration. Si ce projet est adopté en l’état, plusieurs mesures mettront en danger les droits des réfugiés et des migrants et menaceront de poursuites pénales ceux qui leur viennent en aide.

Martine n’avait fait qu’apporter son aide, du côté français de la frontière, à deux adolescents guinéens auparavant expulsés de France de manière illégale. Cette situation souligne la nécessité de modifier la loi française : il faut mettre un terme aux poursuites contre des personnes qui, comme Martine, apportent leur aide humanitaire ou une assistance juridique aux migrants et réfugiés, sans en retirer un bénéfice financier ou matériel.
« C’est une première confrontation avec la justice pour vous… », observa Laurie Duca, la présidente du tribunal correctionnel de Nice quand elle dévisagea Madame Landry, 73 ans, à la barre de son tribunal mercredi 30 mai dernier.
Accusée d'« aide à l’entrée ou au séjour irrégulier », Madame Landry détailla sa participation au crime en question : « Je les ai attendus [les adolescents guinéens] sous le panneau France. Je voulais simplement faire respecter la loi. J’ai fait ce que toute personne devrait faire : les accompagner à la police aux frontières pour que ces jeunes soient pris en charge. »

Dans les Hautes-Alpes, malgré la répression, la solidarité est vive avec les migrants, informe Pierre Isnard-Dupuy (Reporterre) le 2 juin 2018 (2) :
La situation est dure pour les migrants et ceux qui les soutiennent dans les Hautes-Alpes. Trois morts ont été recensés depuis début mai et le procès des « Trois de Briançon », poursuivis pour « aide à l’entrée d’étrangers en situation irrégulière sur le territoire national et en bande organisée », a été repoussé au 8 novembre. Mais les montagnards maintiennent la solidarité.
En France, il y a très longtemps que le droit d'asile est devenu ex-tradition. Voilà pourquoi les cas genre Mamoudou Gassama (3) constituent aujourd'hui des exceptions très françaises, des contes de fées qui ne sauraient cacher une tendance générale (française et européenne car systémique) mélangeant prédation tous azimuts et déshumanisation des grandes victimes des rapines transnationales, liberté pour les grandes affaires et fortification des espaces où l'on vit encore dans l'aisance. Et puis, les migrants ne peuvent pas sauver tous les natifs du premier monde.
Dans ce contexte pénible et avilissant, il faut honorer les justes et réfléchir à leur témoignage. Dans le but d'agir, bien entendu.
Voici l'extrait accessible à tous, sur internet, de la tribune d'auto-inculpation publiée par 121 justes (4) dans Le Monde du 30.05.2018 :

« Nous avons aidé, nous aidons et aiderons toute personne migrante dans le besoin »

Un collectif, dont font partie Benoît Hamon, Cédric Herrou, J.M.G. Le Clézio ou François Morel, dénonce dans une tribune le procès intenté à trois personnes qui se sont montrées solidaires de migrants.

Le samedi 21 avril, quelques dizaines de militants du mouvement extrémiste Génération identitaire se retrouvent au col de l’Echelle, dans les Alpes, avec pour objectif de bloquer l’arrivée des personnes migrantes et de les renvoyer vers l’Italie, quitte à les mettre en danger. Ils déploient des banderoles haineuses et matérialisent symboliquement la frontière avec une barrière de chantier. Ils s’instaurent en milice, dont les slogans et motivations sont clairement racistes.
Nous rappelons que les provocations publiques à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale constituent un délit (art. 24, alinéa 6, loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse) punissable d’un an d’emprisonnement et/ou d’une amende de 45 000 euros au plus. Les forces de l’ordre ne sont pas intervenues pour mettre fin à cette action, la considérant donc, implicitement, comme tout à fait légale. Le ministre de l’intérieur lui-même a d’ailleurs minoré ces faits en les qualifiant de « gesticulations ».
En réaction à cela, plus de 160 personnes solidaires ont lancé un cortège spontané pour passer la frontière avec des personnes migrantes. Contrairement aux identitaires, les solidaires se sont heurtés à un cordon de gendarmes, qui ont finalement laissé la manifestation avoir lieu.
Quelques heures plus tard, alors que le cortège était terminé depuis longtemps, trois jeunes gens qui en faisaient partie, Bastien et Théo, deux Suisses, et Eleonora, une Italienne, ont été arrêtés et placés en garde à vue. Ils sont restés en détention provisoire à la maison d’arrêt des Baumettes à Marseille pendant neuf jours avant d’être libérés le 3 mai. Leur procès a été fixé à la date du 31 mai.
Poursuivis pour « aide à l’entrée de personnes en situation irrégulière en bande organisée », ils encourent une peine allant jusqu’à dix ans de prison et 750 000 euros d’amende, assortie d’une interdiction de pénétrer sur le territoire français. Bastien, (...)
Le texte rappelle un peu plus loin que ces nouveaux "délinquants solidaires"...
(...) sont poursuivis pour aide à l’entrée, au séjour et à la circulation de personnes en « situation irrégulière », termes d’une froideur déshumanisante qui invitent à considérer les personnes migrantes dépossédées de leurs droits comme des sous-hommes…
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(1) Pascale Robert-Diard : Au procès de la responsable d’Amnesty jugée pour aide aux migrants, le naufrage de l’accusation (Les autorités reprochent à Martine Landry d’avoir aidé, à l’été 2017, deux jeunes Guinéens refoulés de France en Italie malgré leur statut de mineurs isolés). Le Monde, Nice (envoyée spéciale), 30.05.2018, mis à jour le 31.05.2018.

(2) Une répression qui cible —deux poids, deux mesures, dans la meilleure tradition libérale— solidaires, zadistes, grévistes, étudiants (Strasbourg, Bordeaux, Lille, Nanterre, Tolbiac, Montpellier, Lyon2, Grenoble), sans-papiers et migrants (y compris dans la Basilique St.-Denis), retraités soupçonnés d'avoir pointé un doigt d'honneur vers Emmanuel Macron et autres rassemblements pacifiques kurdes... plutôt que les fachos identitaires contrevenant la loi, comme on verra un peu plus loin, à la lecture de la tribune du collectif des 121.
En ce qui concerne les Trois de Briançon, le 31.05.2018, Pierre Isnard-Dupuy avait déjà titré dans le journal suisse Le Temps :
Les «trois de Briançon» libres avant leur procès reporté - Le tribunal de Gap (Hautes-Alpes) a levé le contrôle judiciaire des trois jeunes manifestants poursuivis pour leur participation à une marche en faveur des migrants. Leur procès est reporté au 8 novembre.
Et aujourd'hui, Attac France rapporte que...
Une mobilisation de soutien à Nicole Briend est organisée ce jeudi à Carpentras pour demander la #RelaxePourNicole.
Cette militante risque cinq ans de prison et 75.000 euros d’amende pour vol en réunion et refus de prélèvement ADN. Elle n’a pourtant rien d’une voleuse : les chaises n’ont pas été réquisitionnées pour servir son intérêt personnel et elles ont depuis été restituées... au Trésor public.
Alors que BNP-Paribas poursuit ses pratiques d’évasion fiscale à grande échelle, l’État préfère poursuivre une militante qui dénonce, de façon non violente, l’évasion fiscale de la plus grande banque européenne. BNP-Paribas est toujours la banque française la plus implantée dans les paradis fiscaux, où elle détenait 198 filiales en 2017. Rappelons que chaque année, du fait de l’évasion fiscale, ce sont entre 60 et 80 milliards d’euros qui échappent aux caisses de l’État et grèvent les budgets des finances publiques. (En savoir plus)
(3) Hamidou Anne : Le conte de fées de Mamoudou Gassama cache mal la répression des migrants en France, Le Monde Afrique, 29.05.2018. Chronique où l'on peut lire, par exemple :
« (...) En janvier 2015, le Malien Lassana Bathily, qui s’était illustré lors de l’attentat du magasin Hyper Cacher de la porte de Vincennes, à Paris, avait été naturalisé par le président François Hollande, dont le mandat avait été marqué par un projet de loi – avorté – sur la déchéance de la nationalité. Aujourd’hui, c’est au tour de Mamoudou Gassama d’être « anobli » par Emmanuel Macron, lequel est en train de mener la politique la plus répressive en matière d’immigration depuis plusieurs décennies en France.
L’histoire de Mamoudou Gassama est un conte de fées qui cache mal une gestion des migrants à bien des égards critiquable. Elle ne doit pas occulter la réalité des milliers de Maliens qui vivent un enfer dans leur quête d’une vie décente que leur pays ne leur offre pas. Sans le vouloir, Mamoudou Gassama donne une leçon de vie à son bienfaiteur en lui rappelant que les migrants que son gouvernement déshumanise au quotidien ne sont pas des statistiques mais des personnes qui, en fuyant divers drames dont la pauvreté, sont capables de grandeur. (...) »
(4) Personnes, groupes ou organisations ; voici la liste (à retenir) des signataires :

Cédric Herrou (Président de DTC - Défends ta citoyenneté), Agnès Jaoui (Cinéaste, Comédienne), Alice de Poncheville (Scénariste, Écrivaine), Alice Diop (Cinéaste), Anne Vellay (Médecin), Annie Ernaux (Écrivaine), Arié Mandelbaum (Peintre), Arno Bertina (Écrivain), Audrey Estrogou (Cinéaste), Benoit Hamon (Homme politique), Bernard Pagès (Sculpteur), Bertrand Tavernier (Cinéaste), Bevinda (Chanteuse), Bruno Caliciuri (CALI, Chanteur), Bruno Sol (Acteur), Médecins du Monde, Carmen Castillo (Écrivaine, cinéaste), Catherine Corsini (Cinéaste), Catherine Withol de Wenden (Chercheuse au CNRS), Celhia de Lavarène (Journaliste), Céline Chapdaniel (Productrice), Christian Guémy (C215, artiste de la rue), Christian Olivier (Têtes Raides, Chanteur), Christophe Ruggia (Cinéaste), Claire Simon (Cinéaste), Colin Lemoine (Historien de l’art), Costa-Gavras (Cinéaste), Cyril Celestin (Guizmo du groupe Tryo, Chanteur), Didier Bezace (Acteur, metteur en scène), Didier Super (Humoriste, chanteur), Dominique Cabrera (Cinéaste), Edmond Baudoin (Auteur et dessinateur de BD), Éliette Abecassis (Femme de lettres, scénariste), Élisabeth Perceval (Cinéaste), Emmanuel Finkiel (Cinéaste), Éric Bellion (Navigateur), Éric Fassin (Sociologue), Erick Zonca (Cinéaste), Ernest Pignon Ernest (Artiste plasticien), Étienne Balibar (Philosophe), Farida Rahouadj (Actrice), François Flahault (Directeur de recherche émérite au CNRS), François Gèze (Éditeur), François Morel (Cinéaste), Françoise Vergès (Politologue), Fred Vargas (Écrivaine), Frédéric Lordon (Économiste), Geneviève Brisac (Écrivain), Geneviève Garrigos (Ancienne présidente d’Amnesty international), Gérard Krawczyk (Cinéaste), Gérard Mordillat (Romancier et cinéaste), Gilles Perret (Documentariste), Guillaume Meurice (Humoriste et chroniqueur radio), Guy Baudon (Documentariste), Henri Leclerc (Avocat), Imhotep du groupe IAM (Compositeur), Ingrid Metton (Avocate), Ingrid Thobois (Écrivaine), Jalil Lespert (Acteur), Jean-Michel Ribes (Comédien), JMG Le Clézio (Écrivain), Jonathan Zaccai (Réalisateur), José Bové (Député européen), Joseph Beauregard (Auteur, documentariste), Josiane Balasko (Comédienne, cinéaste), Juliette Binoche (Comédienne), Juliette Kahane (Écrivaine), Kaddour Hadadi (HK, Chanteur), Kéthévane Davrichewy (Écrivaine), Laurence Côte (Actrice), Laurent Cantet (Cinéaste), Les Ogres de Barback (Groupe de musique), Lilian Thuram (Président de la Fondation Education contre le racisme), Lou de Fanget (Signolet Scénariste), Lucas Belvaux (Comédien), Magyd Cherfi (Chanteur), Mariana Otero (Cinéaste), Marianne Chaud (Ethnologue, cinéaste), Marie Darrieussecq (Écrivaine), Marie Hélène Lafon (Écrivaine), Marie Payen (Actrice), Marie-Christine Vergiat (Députée européenne), Mark Melki (Photographe), Martine Voyeux (Photographe), Maryline Desbiolles (Écrivaine), Michel Agier (Anthropologue), Michel Broué (Mathématicien), Michel Toesca (Cinéaste), Michèle Ray Gavras (Productrice), Natacha Régnier (Actrice), Nicolas Bancel (Professeur ordinaire à l’université de Lausanne / CRHIM), Nicolas Bouchaud (Comédien), Nicolas Klotz (Cinéaste), Nicolas Philibert (Cinéaste), Nicolas Sirkis (Indochine, Chanteur), Pascal Blanchard (Historien), Pascale Dollfus (Anthropologue, CNRS), Patrick Pelloux (Syndicaliste / écrivain), Philippe Claudel (Écrivain), Philippe Faucon (Cinéaste), Philippe Poutou (Ouvrier, syndicaliste), Philippe Torreton (Comédien), Pierre Grosz (Auteur), Pierre Lemaitre (Écrivain), Pierre Salvadori (Cinéaste), Pierre Schoeller (Cinéaste), Rachid Oujdi (Réalisateur), Rachida Brakni (Comédienne), Raphaël Glucksmann (Essayiste), Rithy Panh (Cinéaste), Robert Guédiguian (Cinéaste), Robin Campillo (Cinéaste), Rokhaya Diallo (Journaliste et réalisatrice), Sam Karmann (Comédien, Réalisateur), Samuel Le Bihan (Acteur), Sophie Adriansen (Écrivaine), Valérie Rodrigue (Écrivaine), Vincent Fillola (Avocat, président d’Avocats Sans Frontières), William Karel (Cinéaste), Yvan le Bolloc’h (Acteur), Yves Cusset (Philosophe).
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Mise à jour du 16.06.2018 :

Le personnel d’Oxfam et d'autres témoins font état de cas où les garde-frontières français assignés à la démarcation italienne coupent les semelles de chaussures des enfants migrants ou volent leur carte SIM. Un des cas concerne une jeune Erythréenne, qu’on a forcée à repartir le long d’une route sans trottoir, son bébé de 40 jours dans les bras...

Rapport Oxfam : des enfants maltraités et renvoyés illégalement à la frontière franco-italienne

14/06/2018
Oxfam publie le rapport « Nulle part où aller » qui détaille l'échec de la France et de l'Italie à aider les réfugié-e-s et migrant-e-s échoué-e-s à la frontière vers Vintimille. Le rapport raconte comment des enfants d’à peine 12 ans sont maltraités, détenus et renvoyés illégalement en Italie par la police des frontières française.
Le rapport « Nulle part où aller » détaille comment le système d’accueil italien, submergé par les demandes et très bureaucratique, laisse des réfugiés vulnérables et d’autres migrants vivre « sous le radar » dans des conditions dangereuses. Le rapport décrit la manière dont la police française arrête quotidiennement des enfants non-accompagnés et les met dans des trains en direction de l’Italie après avoir modifié leurs papiers pour prétendre que ces enfants sont plus âgés ou qu’ils souhaitent retourner en Italie de leur plein gré.
Les enfants signalent avoir été maltraités physiquement et verbalement, et détenus de nuit dans des cellules sans eau, sans nourriture, sans couvertures, et sans avoir accès à un tuteur officiel, ce qui est contraire aux lois françaises et européennes en vigueur. Le personnel d’Oxfam et les partenaires impliqués font état de cas où les garde-frontières coupent les semelles de chaussures des enfants migrants ou volent leur carte SIM. Un des cas concerne une jeune Erythréenne, qu’on a forcée à repartir le long d’une route sans trottoir, son bébé de 40 jours dans les bras.
(...)
(Source : Oxfam France. En lire plus)

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