dimanche 16 décembre 2018

Marguerite Duras en 1985 à propos de l'an 2000

Production : TELE LIBERATION, Antenne 2. Septembre 1985.
Drucker pose une question à Marguerite Duras. Elle imagine l'homme en l'an 2 000 et évoque l'information, les écrans, les conditions du voyage...




AIDE À LA COMPRÉHENSION :

Michel Drucker : Les hommes ont toujours eu besoin de réponses, même si un jour, elles s'avèrent fausses ou seulement provisoires. Alors, à l'an 2 000, où seront les réponses ?

Marguerite Duras : Il y aura plus que ça... La demande sera telle que... y aura plus qu'des réponses. Tous les textes seront des réponses en somme. Je crois que l'homme sera... littéralement... noyé... dans l'information, dans une information constante... sur son corps, sur son devenir corporel, sur sa santé, sur sa vie familiale, sur son salaire, sur son loisir... C'est pas loin du cauchemar, y aura plus personne pour lire. Ils verront de la télévision, on aura des postes partout, dans la cuisine, dans le water-closet, dans le bureau, dans les rues,... Et où sera-t-on ? Tandis qu’on regarde la télévision, où est-on ? On n’est pas seul.
On ne voyagera plus, ce ne sera plus la peine de voyager, quand on peut faire le tour du monde en huit jours ou quinze jours, pourquoi le faire ? Dans le voyage, il y a le temps du voyage, c'est pas voir vite, c'est voir et vivre en même temps,... vivre du voyage, ce ne sera plus possible. Tout sera bouché, tout sera investi... Il restera la mer quand même, les océans. Et puis la lecture : les gens vont redécouvrir ça, un homme un jour en lira... et tout recommencera, tout... on repassera par la gratuité. C'est-à-dire que les réponses à ce moment-là, elles seront moins écoutées, ça commencera comme ça par une indiscipline, un risque pris par l'homme envers lui-même, un jour il sera seul de nouveau avec son malheur et son bonheur, mais... qui lui viendront de lui même. Peut-être que ceux qui se tireront de ce pas soient les héros de l'avenir, c'est très possible, espérons qu'il y en aura encore.
Je me souviens d'avoir lu dans un livre d'un auteur allemand, de l'entre-deux-guerres, je me souviens du titre : Le dernier civil, de Ernst Glaeser. Ça, j’avais lu ça, que "lorsque la liberté aurait déserté le monde, il resterait toujours un homme pour en rêver." Je crois... je crois que c’est déjà commencé même.

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