lundi 30 mai 2011

Discours sur l'origine de l'univers, par Étienne Klein

Ces derniers jours, nous avons lu par-ci par-là des nouvelles à propos des expériences du LHC de Genève. LHC est le sigle en anglais de Large Hadron Collider, c'est-à-dire, Grand Collisionneur de Hadrons, concrètement de protons —jusqu'en novembre 2010, car dès lors, on est passé aussi au mode ions plomb, des atomes de plomb débarrassés de leurs électrons. Cet accélérateur et collisionneur de faisceaux de particules a été mis en service par le CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire) dans un tunnel circulaire de presque 27 km. de circonférence foré entre Genève et le Jura, donc de part et d'autre de la frontière franco-suisse. Il pourrait nous aider à trouver le boson de Higgs, autrement dit, en principe, à découvrir l'origine de la masse.
Parmi ces informations récentes, on nous a fait état, par exemple, d'un communiqué de presse du CERN du 23 mai, selon lequel les trois expériences LHC qui étudient les collisions d’ions plomb ont présenté de nouveaux résultats à la conférence Quark Matter 2011 organisée cette année à Annecy. Puis, bon nombre de médias ont annoncé à leur manière —creuse, sportive et sensationnelle— que l'accélérateur du CERN venait de battre un nouveau record en franchissant le cap des 100 millions de collisions par seconde dans la nuit du 23 au 24 mai —tout comme nous battons régulièrement le record d'émission de C02 pour approcher de plus en plus de notre fixation,  La Terre Gaste de Michel Rio ; ou le progrès capitaliste comme source olympique de régression —affective, cérébrale et planétaire— qui nous rendra même impossible de singer La Planète des Singes, de Pierre Boulle, fable aujourd'hui trop optimiste.
Si le sujet du LHC vous intéresse, vous pouvez accéder à son simulateur en ligne ludique d'accélérateur de particules.
Mais il se peut que le sujet vous attire sans pour autant que vous parveniez à bien comprendre. Je vous conseille alors un ouvrage très pédagogique que je lus il y a quelques mois, rédigé par un physicien intelligent, cultivé et sensible qui, excédé des bourdes qu'on débite un peu partout en matière de physique, notamment en ce qui concerne le soi-disant origine de l'univers, décida d'intervenir afin de nous prévenir aussi bien contre la confusion qui règne là-dessus que contre la hâte de conclure dans une matière où les questions et les hypothèses sont beaucoup plus nombreuses que les certitudes.

Discours sur l'origine de l'univers (Flammarion, 2010) est le titre du livre dont je vous parle. C'est le dernier (octobre 2010) d'Étienne Klein (1958), alpiniste, physicien épris de poésie, de Bergson ou Bachelard et d'anagrammes, adjoint du directeur des Sciences de la Matière au CEA (Commissariat à l'Energie Atomique) et enseignant à l'École centrale à Paris.
Dans son Discours..., Klein, partant d'un « petit tour d'horizon » des récits et conceptions des cosmogonies traditionnelles, passe en revue l'histoire de l'idée d'univers (1) et dresse à merveille l'état des lieux des principales théories et formalismes de la recherche cosmologique contemporaine, dont aucun n'entraîne l'idée d'une création ex nihilo, comme Klein le rappelle dans un entretien que je lus dans la presse imprimée :
On arrive invariablement au même résultat : les équations rendent impossible cette singularité nommée big bang, chaque fois disqualifiée car irréalisable —au nom même des lois physiques qu’implique chacune des théories. La sortie de quelque chose à partir d’un pur néant n’est tout simplement pas concevable, et s’avère du reste inimaginable pour chacun d’entre nous. Car penser le rien n’est pas penser à rien. De ce fait, il suffit de songer à son existence pour extirper le néant de son statut de néant...

Nouvel Observateur, nº 2399, du 28 oct. au 3 nov. 2010, pp 12-14.
Propos recueillis par Fabien Gruhier
Lors de ce même entretien avec Fabien Gruhier, Étienne Klein prolongeait son raisonnement et en profitait pour critiquer la coquetterie ou l'autocomplaisance de certains physiciens :
(...) si jamais l’origine a bel et bien une origine, la physique est tout à fait incapable de la décrire. Pourtant, on continue trop souvent de faire comme si. Les physiciens eux-mêmes, lorsqu’ils parlent au public, se gardent en général de trop malmener le beau mythe du big bang et de l’instant zéro. Lequel mériterait pourtant d’être bientôt rangé avec toutes les autres cosmogonies traditionnelles, que Gaston Bachelard qualifiait joliment de « songeries ancestrales ».
Le nom du prologue du Discours..., Avis de brouillard sur l'aurore du monde, est déjà toute une déclaration d'intentions assaisonnée d'un humour et d'un goût pour les jeux de mots qui ne seront jamais absents de l'exposé de son auteur. Nous pouvons lire dans cet avant-propos :
L'origine de l'univers est devenue une terre promise : on ne cesse d'annoncer qu'on s'en approche, (...). Le ton est souvent publicitaire, parfois même racoleur.
(...), [S]ommes-nous certains que l'univers a eu un commencement ?
C'est un peu plus loin, dans son troisième chapitre, que Klein, contre les théories prônant une « singularité initiale », précise ce qu'il expliquerait oralement à Gruhier :
L'instant zéro qu'on persiste à accoler au big bang ne peut donc avoir un instant physique, le premier instant par lequel l'univers serait passé : c'est un instant fictif inventé par l'extrapolation abusive d'une théorie incapable de décrire de façon adéquate un univers très chaud et très dense.
Où nous en sommes, donc ? On s'en doutait : « (...), nos représentations habituelles de l'espace et du temps perdent toute pertinence en amont du mur de Planck. (...) Il ne reste donc qu'à élaborer ce qu'on appelle une théorie quantique de la gravitation, c'est-à-dire des équations qui unifieraient en un seul et même cadre théorique la physique quantique et la gravitation ». Mais vu les effets pervers symboliques des bourdes médiatiques, il fallait trancher en connaissance de cause et en beauté, deux des mérites de Klein. Voici d'autres pistes qu'il nous fournit à la fin, éloquente, de son entretien avec l'Obs :
N.O.- N’empêche, toutes les civilisations humaines ont été fascinées par l’idée de l’origine. Vous écrivez que cette grande question interpelle « presque » tous les hommes. Qui sont ceux qui ne s’y intéressent pas ?
É. K.- Moi, par exemple... car je m’en fous. Je pense qu’il y a toujours eu de l’« être » (par opposition au néant), et que cette question constitue un faux problème. La seule réalité tangible, c’est que la cosmologie est dans un état bordélique. Commençons donc par résoudre les problèmes de la matière noire, de l’énergie noire, du statut des constantes et des lois physiques —dont il semble invraisemblable qu’elles puissent ne pas changer avec le temps, et avec le milieu dans lequel s’appliquent— fût-ce à l’état virtuel, dans un supposé néant. Quand on aura résolu ces questions, alors on pourra se pencher sur le mystère du commencement. En attendant, méfions-nous des gens qui magnétisent les foules en assénant leurs vérités toutes faites sur l’origine —cela dans le seul but de s’accaparer un certain pouvoir. On en trouve parmi les religieux, mais aussi parmi les scientifiques.
N'oublions pas que la matière visible composant corps, étoiles et galaxies représente à peine 3 ou 4% du total. On dirait qu'il en est de la matière visible en physique à peu près comme de la masse monétaire dans la finance de marché, étant donné que "la masse monétaire créée par les banques centrales dans le monde entier ne représente que 1% des liquidités mondiales" (2). Ah, les prodiges sidéraux !
Revenons à nos moutons. Bref, si, arrivé ici, vous voulez en savoir plus, vous n'avez qu'à acheter le livre d'Étienne Klein, un délice illustratif qui nous laisse de surcroît plusieurs sujets à débat ouverts. En ce qui me concerne, j'en souligne deux : celui de l'objet de la science, que je reprends moyennant un extrait du texte,
(...) Ainsi, nous avons l'habitude de répéter -donc de croire- que depuis Galilée la science ne s'attache à comprendre que le comment des phénomènes, non le pourquoi.
Mais c'est parce qu'il est justement l'un des rares à intriquer ces deux questions -Comment l'univers est-il apparu et pourquoi est-il apparu ?- que le problème de l'origine nous oblige à sonder les capacités ultimes de la science. (...) (3)
et celui du langage (cf. pp. 156-161). Et un constat qui démonte heureusement une fausse dichotomie traditionnelle : « (...), en cosmologie, contenu et contenant ont partie liée. Selon la théorie de la relativité générale, ils adhèrent même l'un à l'autre. ». D'ailleurs, l'histoire de la grande physique est l'histoire d'unifications qui ont réconcilié de fausses divisions conventionnelles. Sujets à y revenir... un autre jour.

Klein dédie son livre à Jacques Perry-Salkow, qui lui a offert la plupart des savoureuses et suggestives anagrammes citées tout au long du volume et qui méritent une mention à part. Lorsqu'il fait référence au prémonde des anciens, qui « baigne généralement dans l'obscurité », il se plaît à nous faire savoir que « l'origine de l'univers est d'ailleurs l'anagramme révélatrice —et inquiétante— de un vide noir grésille... » Et puis, Albert Einstein celle de rien n'est établi ; Être ou ne pas être, voilà la question ? celle de Oui, et la poser n'est que vanité orale ; Jean d'Ormesson celle de J'adore mon sens ; Jean-Paul Sartre celle de Satan le parjure... !!!!
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 Le 12 janvier 2011, Klein a été interviewé par Raphaël Enthoven pour l'émission de France Culture Les Nouveaux chemins de la connaissance. Cliquez dessus pour l'écouter. Elle dure une heure environ.

Dernières publications d'Étienne Klein :
Il était sept fois la révolution. Albert Einstein et les autres..., Paris, Flammarion, 2005 ; coll. « Champs », 2007.
Le facteur temps ne sonne jamais deux fois, Paris, Flammarion, coll. « NBS », 2007 ; coll. « Champs », 2009.
Les Secrets de la matière racontés en famille, Paris, Plon, 2008.
Galilée et les Indiens. Allons-nous liquider la science ?, Paris, Flammarion, coll. « Café Voltaire », 2008.

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(1) Grâce à quoi j'appris que Friedrich Engels écrivit, dans son Anti-Dühring, à propos de l'Histoire générale de la nature et Théorie du ciel, de Kant : « La théorie kantienne, qui place l'origine de tous les corps célestes actuels dans les masses nébuleuses en rotation, a été le plus grand progrès que l'astronomie ait fait depuis Copernic. Pour la première fois s'est trouvée ébranlée l'idée que la nature n'a pas d'histoire dans le temps. »

(2) Fin 2006. Cf. Jean de Maillard : L'Arnaque, p. 202 (Coll. Folio Actuel, édition revue et augmenté, Éd. Gallimard, janvier 2011) ou sa source, Independent Strategy, citant Andrew Cornell, « The Year of Easy Money », Weekend Australian Financial Review, 27 décembre - 1er janvier 2007.

(3) Klein nous surprend un petit peu en lançant cette considération aux arômes plus transcendants qu'immanents, plus cantique que quantique. À cet égard, je suggère un titre de Jorge Wagensberg : A más cómo menos por qué, 747 reflexiones con la intención de comprender lo fundamental, lo natural y lo cultural, Metatemas, mars 2006, surtout pages 82-85.

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Actualisation du 2 octobre 2013 :

Visite à l'intérieur de l'accélérateur de particules avec Google Street View (visite virtuelle proposée par le service de cartographie Street View de Google)
Le Grand Collisionneur de Hadrons (site du CERN)

2 commentaires:

  1. Bonjour,

    Vous êtes cordialement invité à visiter mon blog.

    Description : Mon Blog(fermaton.over-blog.com), présente le développement mathématique de la conscience humaine.

    La Page No-11: BIG BANG !

    THÉORÈMES DES ORIGINES

    L'Univers n'a pas besoin de Dieu pour exister /Hawking !

    Cordialement

    Clovis Simard

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  2. Je ne suis pas très fane de la science. Mais je me renseigne, surtout quand il s'agit d'expériences concernant la vie de la planète. Je pense que l'on devrait beaucoup plus s'intéresser au futur. Mais pour cela il est nécessaire de connaître le passé, donc j'encourage fortement cette expérience.

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