vendredi 16 décembre 2016

Visite virtuelle de la grotte de Lascaux et ouverture de son fac-similé

(Billet actualisé le 20 février 2019, après une visite de Lascaux IV le 18 février 2019)

L’expression art pariétal (du latin parietalis, « relatif aux murs ») désigne les œuvres réalisées sur des parois d'abris sous roche ou au fond de grottes difficiles d'accès. Ce sont notamment des images et des signes énigmatiques peints ou gravés —arts plastiques et écritures, des facettes/traductions de la même pulsion— tout au long d'environ 35 000 années, spécialement dans des territoires qui correspondent aujourd'hui à l'Espagne et à la France :
Classiquement l’art apparaût vers - 35 000 ans à l’Aurignacien puis se développe jusqu’à une apogée au Magdalénien aux environs de - 13 000. Il régresse ensuite rapidement pour disparaître complètement vers - 8 000. Cette perspective est modifiée depuis peu, la datation directe par SMA donne en effet, après calibration, un âge de - 35 000 pour des œuvres très élaborées de la grotte Chauvet [cf. ce blog]. Dès le début de la période artistique, à l’Aurignacien, il existait donc un art pariétal très accompli.
Mais les découvertes de Blombos bousculent les idées que nous avions reçues... 
Située en Afrique du sud la grotte de Blombos a délivré deux morceaux d'ocre datant de 77 000 ans. Ils sont sculptés de traits obliques et parallèles. Ces motifs géométriques remettent en cause la thèse de la révolution symbolique européenne... [À propos]
Au demeurant, comme l'écrit Joséphine Bindé« disséminées aux quatre coins du globe, des centaines de cavernes ornées ne cessent de repousser les limites spatio-temporelles de l'art pariétal. » En dehors de la France et de l'Espagne, d'après nos connaissances actuelles, les plus anciennes se trouvent en Italie (Fumane), en Roumanie (Coliboaia), en Indonésie (Maros), en Afrique du Sud (Blombos et Maloti-Drakensberg), en Inde (Bhimbetka) et en Australie (The Bradshaws).

Un Centre international de l’art pariétal a ouvert ses portes hier 15 décembre à Montignac-sur-Vézère, en Dordogne, pour montrer aux visiteurs une réplique intégrale (Lascaux 4) de la grotte de Lascaux, l'Altamira française ou « la chapelle Sixtine de l'art pariétal », d'après l'expression attribuée au grand préhistorien Henri Breuil (l'« abbé Breuil »).
Plan interactif pour se repérer.
Il y a environ 20 000 ans, à la période solutréenne de l'époque paléolithique supérieure, l'antre fut décoré avec cerfs, chevaux, bisons, aurochs, félins, un ours, un homme... Au total, 1963 figures peintes et ornées. La France comptait moins de 50 000 habitants. Les artistes avaient besoin d'une intendance collective pour aménager des échafaudages, s'éclairer, disposer de sept pigments différents (pour le noir, ils utilisaient de l'oxyde de manganèse au lieu du charbon de bois), peindre, graver... sans compter les probables rituels ou cérémonies annexes.

 Burin, pinceau, crayon, pochoir, bloc de colorant, tubes pour souffler la peinture.
Atelier de Lascaux/ALBERTO CONDE

L'ilumination au fond des cavernes était fournie par des brûloirs, des lampes en pierre, calcaire ou grès rose ou rouge. On façonnait ces dernières comme des cuillerons dont les creux servaient à placer de la graisse animale et une mèche de feuilles de genévrier pour éviter la suie, astuce très intelligente.

 Lampe simple bloc de calcaire et lampe façonnée dans un bloc de grès.
Atelier de Lascaux/ALBERTO CONDE

Lascaux fut découvert par hasard en septembre 1940 par quatre adolescents, Marcel Ravidat, Jacques Marsal, Georges Agniel et Simon Coencas (juif parisien alors réfugié pour fuir l'Occupation nazie, il vit encore).
Le chien de Marcel, du nom de Robot, s'introduisit après la chute d'un arbre dans ce qui semblait être un terrier de renard, mais qui était, en fait, l'entrée effondrée d'une grotte.
Photos prises à Lascaux IV, le 18 février 2019/ALBERTO CONDE

Un éboulement avait ainsi créé un sanctuaire qui avait réussi la conservation de ses merveilles pariétales, en collaboration avec les qualités protectrices de la calcite blanche...



Calcite sur les murs très modernes de Lascaux IV avant d'accéder à la grotte en fac-similé/ALBERTO CONDE

Lascaux 2, ouvert le 18 juillet 1983 —à 200 mètres en contrebas de l'original— pour éviter les dégâts provoqués par les visites, fut un premier fac-similé du site.
L'Exposition internationale Lascaux, ou Lascaux 3, a été conçue pour faciliter une itinérance mondiale des reproductions des fresques lascautoises. 
Dans Lascaux IV, on trouve tout et à l'identique : la salle des taureaux ou rotonde, le diverticule axial, le passage, l'abside et son puits (1), et la nef, et ses cerfs qui nagent. Seul l'inaccessible diverticule de la frise aux six félins, au fond de la nef, n'a pas été dupliqué.
Cette aventure ou prouesse technique se fit pendant trois ans, en huit étapes ; il fallut scanner la grotte originale, fraiser les blocs en polystyrène et papier mâché (un bras armé métallique, assisté par ordinateur et projetant un fin jet d'eau à très haute pression, sculpta le relief de la grotte dans du polystyrène), peaufiner à la main les moindres détails des parois, prendre l'empreinte en élastomère de silicone, créer des parois en voile de pierre (un assemblage de minéraux sur lequel on ajouta une couche de résine et fibre de verre), restituer les patines, les nuances de la coloration du fond rocheux, reproduire les figures peintes et, finalement, assembler et installer les panneaux comme les pièces d'un puzzle. Puis le tout fut fixé à l'arrière grâce à du béton projeté. (Cf. Joséphine Bindé in Lascaux. Centre international de l'art pariétal. Le secret des artistes des cavernes. Lascaux IV : les coulisses de l'exploit, Beaux Arts éditions, décembre 2016 —ouvrage paru le 4 janvier 2017)

Colline de Lascaux, le 18 février 2019, vers 11h40/ALBERTO CONDE

À propos de cette reproduction exacte, dans la mesure où elle représente la totalité des parties accessibles de la grotte originale...
Le fac-similé représente la quasi-totalité de la grotte originale reproduite avec les techniques et l’art de l’Atelier des Fac-Similés du Périgord (AFSP).
À l’intérieur du fac-similé, l’atmosphère est celle d’une véritable grotte. Il fait humide et sombre, les sons sont assourdis. L’idée est que les visiteurs apprécient la splendeur des œuvres à l’intérieur de la grotte, dans une atmosphère authentique, avec un minimum d’interruptions. Cette zone est surtout dévolue à la contemplation.
Les visiteurs entrent dans la grotte par groupes d’environ 30 personnes et, en haute saison, sont accompagnés par un guide. Cependant, ils vivront, à l’intérieur de la grotte, une expérience aussi personnelle que possible, en contemplant les œuvres d’art sans être trop interrompus, le guide ne donnant que des informations destinées à enrichir leur expérience.
En période de basse saison, il est possible d’utiliser la Torche comme guide. Elle accompagne le visiteur dans le fac-similé, en lui délivrant, dans sa langue, un minimum d’informations. À l’intérieur de la grotte, certains points importants feront l’objet d’un arrêt programmé car ils représentent les incontournables de Lascaux.
Le site du ministère français de la Culture propose une visite virtuelle en vidéo, une présentation et des photos. Voici son entrée en matière (y compris le jargon totémique habituel genre a pour vocation de mettre en valeur, la richesse et caetera) :

Lascaux - Centre International de l’Art Pariétal ouvre ses portes

Lascaux- Centre International de l’Art Pariétal ouvre ses portes au public le 15 décembre 2016 à Montignac-sur-Vézère en Dordogne. Il propose une visite immersive dans la réplique intégrale de la grotte de Lascaux, chef-d’oeuvre de l’art pariétal, ainsi que différents espaces scénographiques de médiation.
Lascaux - Centre International de l’Art Pariétal. Installé à Montignac-sur-Vézère au pied de la colline de Lascaux, le Centre International de l’Art Pariétal a pour vocation de mettre en valeur et d’expliquer la richesse des représentations peintes et gravées situées dans la grotte de Lascaux, chef-d’oeuvre de l’art pariétal, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO et fermé depuis 1963. Combinant haute exigence scientifique et volonté d’accessibilité pour tous, le site invite les visiteurs à contempler et ressentir l’émotion authentique de la grotte originale, et réfléchir au contexte environnemental et culturel dans lequel elle a été réalisée. Elément majeur du site, le fac-similé reproduit l’intégralité des parties accessibles de la grotte de Lascaux avec les techniques et le savoir-faire de l’Atelier des Fac-Similés du Périgord (AFSP). Afin d’offrir une visite immersive, l’atmosphère de la grotte originale a été recréée. A la sortie du fac-similé, différents dispositifs scénographiques proposent une expérience de visite s’appuyant sur les dernières technologies de l’image et du virtuel pour favoriser l’appropriation de l’art pariétal et de la civilisation de l’homme de Cro-Magnon. (En lire plus)


Pour l'étymologie de Cro-Magnon, rappelons que c'est la francisation de l'occitan Cròs-Manhon, expression où Cròs signifie « creux, grotte », tandis que Manhon pourrait signifier « grand » (du latin magnus) ou être le nom de l'ancien propriétaire de la terre où Louis Lartet dénicha en 1868 un ensemble de restes fossiles d'Homo sapiens. L'expression vient donc du toponyme correspondant à ce petit abri sous roche situé au bord de La Vézère, sur sa rive droite, dans la commune des Eyzies-de-Tayac-Sireuil, haut-lieu de l'Âge de la Pierre et siège du Musée national de la Préhistoire.
Signalons en passant que dans cette commune, ou à proximité immédiate, l'on peut visiter 37 grottes ou abris ornés au Paléolithique, dont la splendide grotte de Font-de-Gaume, découverte en 1901 et véritable pépite émotionnelle du coin, dans la mesure où, encore ouverte au public, elle étale —aux yeux fascinés d'un nombre limité de visiteurs par jour— plus de 200 gravures et peintures paléolithiques authentiques dans un cadre très préservé.

 Grotte de Font-de-Gaume (Les Eyzies-de-Tayac-Sireuil), le 18 février 2019/ALBERTO CONDE

Infos pratiques

Lascaux - Centre International de l’Art Pariétal
Avenue de Lascaux - La Grande Béchade
24 290 Montignac
Ouverture à partir du 15 décembre 2016

Sur le web

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(1) Il s'agit d'un puits normalement inaccessible de huit mètres de profondeur, sous l'abside.
Je reproduis à son égard un extrait d'un bouquin que j'ai offert à ma fille, Découvrir Lascaux, d'Elena Man-Estier et Patrick Paillet (ëd. Jean-Paul Gisserot) :
"Au fond de ce puits, deux parois ont été décorées. L'ensemble le plus connu est une scène plutôt étrange qui a été dessinée au trait noir. On y voit un homme tout nu. Les bras légèrement écartés, il tombe en arrière. Il n'a que quatre doigts à chaque main et sa tête ressemble à celle d'un oiseau. Il est menacé par un bison qui dirige vers lui ses cornes redoutables et en même temps se retourne vers une profonde blessure qui ouvre son ventre. L'homme est-il attaqué par l'animal qu'il vient de blesser ? Il nous semble d'ailleurs reconnaître à côté de lui une arme de chasse, un propulseur couronné d'un oiseau, et une longue lance qui traverse le ventre du bison.
Mais l'histoire n'est sans doute pas aussi simple. À côté de ces deux protagonistes se trouvent aussi un rhinocéros qui s'éloigne tranquillement, et sur la paroi d'en face, un cheval qui observe toute la scène... Alors s'agit-il d'une histoire réelle ou d'un récit totalement inventé ?"

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