dimanche 2 février 2020

Le discours poignant d'Agnès Hartemann, chef du service diabétologie de la Pitié-Salpétrière

«On est là, on est là, même si Macron [ne]
le veut pas, nous on est là ! Pour l’honneur
des travailleurs et pour un monde meilleur,
même si Macron [ne] le veut pas, nous on est là !»
(Hymne des Gilets Jaunes
adaptation d'un hymne cheminot
créé par une section CGT de Lyon
)



À la page 3 du Monde diplomatique de février 2020, Vincent Sizaire constate, d'un côté, que l'idéologie sécuritaire augmente la répression que subissent les classes populaires, de l'autre, que police et justice se désintéressent de la criminalité des puissants. Et il a raison.
Cette répression exercée presque exclusivement en aval ne parvient pourtant pas à faire fléchir en France des mouvements sociaux et professionnels qui se succèdent vraiment partout, des avocats ou enseignants aux pompiers, en passant par Radio France ou la santé publique, sans oublier la tenace contestation des gilets jaunes ou la ferme rébellion de presque tout le monde contre le projet gouvernemental, retraître et blackrockiste, de réforme des retraites. (1)
Il s'agit d'une résistance admirable et, on dirait, miraculeuse, vu la situation générale en Europe. C'est peut-être ce qui arrive quand une partie considérable de la population dispose encore d'un mélange précieux d'information, de conscience et d'éthique.
Hakas à part, l'intervention devant les journalistes d'Agnès Hartemann, chef du service de diabétologie de l'Institut E3M à l'Hôpital de la Pitié-Salpétrière, à Paris, a été particulièrement poignante. En voici la vidéo. La professeure Agnès Hartemann explique pourquoi elle démissionne :



Poignant : qui cause une impression très vive et pénible ; qui serre, déchire le cœur (définition du Petit Robert de la langue française).

Le 17/01/2020, le journal Midi Libre contextualisait cette intervention :
Les hôpitaux de France sont à bout de souffle, des personnels soignants à bout de force et de nombreux patients à bout de nerfs : tel est le diagnostic posé par le Collectif interhôpitaux (CIH) alors que "1 101 chefs de service hospitaliers de toutes spécialités, médecins, chirurgiens, psychiatres, d’hôpitaux universitaires et non universitaires ont décidé de présenter officiellement une menace de démission de toutes leurs fonctions administratives", pour "sauver l’hôpital public" en état de "déliquescence". L'objectif : être entendus enfin par la ministre de la Santé, Agnès Buzyn.

Un cri d'alarme, une crise profonde

Mardi 14 janvier, à 11 h, ils ont mis leur menace à exécution en démissionnant collectivement. Un cri d’alarme pour dénoncer le manque de moyens humains et financiers qui a plongé l’hôpital public, en grève depuis dix mois, dans une crise profonde. Cheffe du service de diabétologie de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, la professeure Agnès Hartemann s'est exprimé ce même mardi lors d'une conférence de presse.
Le 20/01/20, à 10h53, Les Inrockuptibles ont publié à ce propos :
Filmée par C à vous (France 5) lors d'une conférence de presse le 15 janvier, la professeure Agnès Hartemann a délivré un discours poignant sur les raisons qui la poussent, comme 1200 médecins hospitaliers, à démissionner de sa fonction d'encadrement.
“Nous, chefs de services hospitaliers, avons pris la décision inédite de démissionner collectivement”. En "une" du journal Libération, le 14 janvier, ce titre dit à lui seul l'urgence de la situation à l'hôpital. Dans un texte collectif, 1 200 praticiens annoncent leur démission “si des négociations ne sont pas engagées”. Ils dénoncent notamment : “La dégradation des conditions de travail des professionnels est telle qu’elle remet en cause la qualité des soins et menace la sécurité des patients”.

“Je devenais une espèce de robot”

En rebond à cette nouvelle, C à vous (France 5) a consacré un reportage au milieu hospitalier. À l'occasion d'une conférence de presse, la professeur Agnès Hartemann, chef du service diabétologie de la Pitié-Salpêtrière (Paris XIIIe), a délivré un discours poignant : “Le cauchemar a commencé quand on a commencé à nous dire : 'Il va falloir que vous produisiez du séjour', alors qu'on avait l'habitude de prodiguer des soins”, commence-t-elle. Et de poursuivre sur l'engrenage qui en découle, et la course à la rentabilité, alors qu'il s'agit de patients : “On a peur, car quand notre activité baisse, on nous supprime des moyens. [...] Je devenais une espèce de robot, à dire : 'Quand est-ce qu'il sort ? Cela fait quinze jours qu'il est là, il occupe la chambre, je ne vais pas pouvoir faire du séjour'. Ce sont les jeunes, les infirmières, qui me regardent. Maintenant je sais que quand on me regarde comme ça, c'est que je ne suis plus éthique”.
La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, est cependant restée sourde à ces réclamations, refusant la demande d'“ouverture de négociations immédiate” ». Le collectif interhôpital mobilisé a annoncé une journée "Hôpital mort" (seuls les soins urgents seront prodigués) le 14 février.
Frédéric Lordon a écrit un billet (Contre « la-démocratie ») sur son blog à cet égard :
Mais quel « respect normal de base » la sous-classe robotique des bed managers, et celle pire encore de leurs maîtres, pourraient-elles s’attirer ? Elles ont perdu jusqu’à la capacité de produire une réponse décente, élémentaire, à des protestations symboliques qui, par leur force, alarmerait n’importe quelle personne n’ayant pas complètement tué le fond de moralité en elle. Forcément, c’est autre chose qui vient à la place du « respect ».
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(1) Mis à jour du 5 février 2020 :


Siné Mensuel, nº 94, février 2020

Raphaël Kempf : « Police et justice, les bras armés d'un État répressif » (p. 4 et 5)

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