jeudi 28 mars 2019

Vacuité libérale autosatisfaite ou le triomphe de la connerie


D’une manière générale, l’étude des idéologies gagnerait à une analyse
détaillée des procédures rhétoriques qu’elles mettent en œuvre. Car,
même si une idéologie ne se réduit jamais à des phénomènes de langage
ni à une langue, celle-ci en constitue cependant toujours le noyau.

Alain Bihr : La Novlangue néolibérale. La rhétorique du fétichisme capitaliste
note 3, Éd. Page deux, Lausanne, 2007, 237 pp. Collection : Cahiers libres.
2e édition revue et augmentée : Page deux - Éd. Syllepse,
Lausanne-Paris, mai 2017, 344 pages, 18 €.
 


El Roto, El verbo se hizo ruido y habitó entre nosotros.
(Détournement de Jean 1, 14)
Il y a plusieurs versions françaises du verset de Jean qui permettraient des détournements genre :
« La Parole s'est faite bruit, elle a habité parmi nous » (selon une interprétation traditionnelle) ou
« La Parole a pris bruit / parmi nous elle a planté sa tente »
(d'après la nouvelle traduction de l'Évangile de Jean de Bayard, signée par Florence Delay et Alain Marchadour).


Souhaitez-vous réfléchir à ces bourdes enchaînées que vous entendez souvent dans les bouches des grands gourous sans pour autant très bien comprendre ou assister à un grand spectacle présidentiel... dans le genre ? Si c'est oui, n'hésitez pas et continuez à lire, puis à voir-écouter...

Le jargon libéral est une prestidigitation cuistre destinée à épater les gogos. Elle fait partie essentielle de la panoplie du parfait moderne. Inutile d’y chercher du sens ou de l’humanité ; ça débite des faufils très faux culs de logomachies, bref, de conneries. De conneries aux sonorités très branchées constituant un enfumage destiné à masquer de grandes opérations de prédation viens, pille et vole, / petit, petit.
Justement, Thomas Klikauer vient de produire un texte là-dessus sur CounterPunch :


Corporate Bullshit


Business bullshit is about the meaningless language conjured up in schools, in banks, in consultancy firms, in politics, and in the media. This language drives thousands of business schools. It is this language that is handed down to MBAs. It releases MBAs happy to spread the managerial buzz-word language of business bullshit. When pro-business management academics, management writers, CEOs, and other upper level managers invent bullshit language, they fabricate something that gets in the way of businesses.
The historical origins of business bullshit and its pathological language came with Kroning and AT&T’s management guru, who was hired to change the AT&T corporation. According to Colvin’s Fortune Magazine obituary of Peter Drucker, Drucker once said a management guru is someone named so by people who can’t spell charlatan. In the case of AT&T’s business bullshit, it was the Russian mystic George Gurdjieff and his ideas that introduced an entire new set of bullshit language to management.
It might certainly be true that Kroning may have been killed off while Kronese has lived on. Management charlatans like Gurdjieff, even when changing just one company (AT&T), may have had an global impact. It contributed to managerial bullshit language. Bullshit language is part of an ideology that is used to legitimize and stabilize capitalism. Ideologies are not concerned with the truth. Instead, they are designed to eliminate contradictions and stabilize domination. Hence, the managerial bullshitter has a lack of connection or concern for the truth.
Needless to say, it is true that bullshitters are not concerned that their grand pronouncements might be illogical, unintelligible and downright baffling. All they care about is whether people will listen to them. Their jargon can become a linguistic barbed wire fence, which stops unfortunate amateurs from trespassing on territory already claimed by experts. Not surprisingly, one finds that many managerial practices are not adopted because they work, but because they are fashionable. And the bullshit merchant can find a lucrative trade in any large organization.
En lire plus.

J'avais déjà abordé sur ce blog cette vacuité/novlangue, le fait qu'Il faut se méfier des mots ou que Des nullités surévaluées nous emmènent à la Terre Gaste. En voici un exemple formidable (qui devrait donc faire peur, littéralement). Un Jupiter convoque à lui tout seul un Grand Débat Spectacle Faisant Diversion où il décide des sujets, de la formulation des questions et de leur glose. Il nous prévient, en plus : Nous ne reviendrons pas sur les mesures que nous avons prises en matière d'impôts. Son porte-parole Benjamin Griveaux avait déjà rassuré tout le monde en décembre 2018 :
Le grand débat, ce n'est pas rejouer la présidentielle de 2017, ce n'est pas non plus détricoter ce que le gouvernement et le Parlement ont mis en place depuis 18 mois mais c'est attendre des propositions concrètes" (...)
Il n'est pas plus envisagé de revenir sur les ordonnances réformant le code du travail, ou la réforme de la SNCF. "Le président de la République a souligné que les transformations que nous avons par ailleurs engagées vont se poursuivre", a aussi promis Benjamin Griveaux, excluant tout changement de cap et assurant que la réforme des retraites ou celle de l'assurance-chômage seront bien menées à leur terme.
Pompon de la mascarade : une grande messe avec des intellectuels faisant tapisserie car croyant aux présidences et aux panoplies. Un bon moment pour se rappeler un aphorisme de Jorge Wagensberg :
Cambiar de respuesta es evolución, cambiar de pregunta es revolución.
Sous le titre « Grand débat des idées » : un exploit pas commun, Là-bas si j'y suis vient de coudre en vidéo des extraits de ce très long acte (soliloque ?) prospectif de propitiation macronien, petit petit, un sacrifice-supplice qui en dit long.
Lundi 18 mars, Emmanuel Macron recevait à l’Élysée 65 intellectuels pour un « grand débat des idées », retransmis sur France Culture. Bien peu sont restés jusqu’à la fin, à 2h13 du matin, soit au bout de 8 heures, 13 minutes, 15 secondes. Parmi eux, le grand climatologue Jean Jouzel, reconnu pour son travail sur le réchauffement climatique. Jean Jouzel est resté assis 8 heures, 13 minutes, 15 secondes, en livrant une lutte héroïque contre le sommeil :



Bande son :

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Mise à jour du 3 avril 2019 :

Donc, tandis que ces camelots nous en mettent plein les oreilles, ils n'arrêtent pas de produire des « réformes » lourdes de retombées perverses : liquidation du code et durcissement des conditions du travail, fiscalité très coûteuse pour les finances publiques, assistanat pour les grandes fortunes et les grandes entreprises (y compris, verbi gratia, CarrefourDassault ou la presse sous perfusion s'évertuant à dénoncer l'assistanat —et hors fraudes et évasions fiscales), aggravation incontestable des inégalités de revenu et de patrimoine depuis 1980 (et pour cause !), bref, on constate un grand transfert de richesse (et de pouvoir et de narration) de la multitude vers ces « élites » qui, selon la petite philo de comptoir de France Inter, ne sont qu'un préjugé.
Au bout du compte, au delà du blabla, comme le dit Jean Gadrey, « Emmanuel Macron prétend qu’il n’y a pas d’argent magique, mais il semble bien que la magie opère quand il s’agit d’argent allant vers le haut. » D'ailleurs, Victor Hugo nous l'avait bel et bien expliqué dans L'Homme qui rit, par exemple :
« Les scarabées mangent les racines, et les panoplies mangent le peuple. Pourquoi pas ? Allons-nous changer les lois ? La seigneurie fait partie de l’ordre. Sais-tu qu’il y a un duc en Écosse qui galope trente lieues sans sortir de chez lui ? Sais-tu que le lord archevêque de Canterbury a un million de France de revenu ? Sais-tu que sa majesté a par an sept cent mille livres sterling de liste civile, sans compter les châteaux, forêts, domaines, fiefs, tenances, alleux, prébendes, dîmes et redevances, confiscations et amendes, qui dépassent un million sterling ? Ceux qui ne sont pas contents sont difficiles.
— Oui, murmura Gwynplaine pensif, c’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches. »
Victor Hugo : L’homme qui rit (1869), Livre Deuxième, chapitre XI, p. 266
C'est de l'enfer des pauvres qu'est fait le paradis des riches... Francisco de Goya le savait très bien qui nous avait déjà expliqué que “los pobres y clases útiles de la sociedad son los que llevan a cuestas a los burros o cargan con todo el peso de las contribuciones del estado" :

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Francisco de Goya
, Tú que no puedes

 
Siné nº 85-Avril 2019-La vraie violence-P32

Bien entendu, les violentes réformes ne sauraient jamais être qu'économiques, loin de là ; un corollaire de violence physique (Voici du sang, accours, viens boire, / petit, petit), de diabolisation des récalcitrants (laissez faire, laissez casser), de tribunaux matraque et de répression très autoritaire des libertés fondamentales s'avère également essentiel pour saper toute résistance. Un cas de figure mélangeant répression et mensonges d'État ? Celui de la militante d'ATTAC Geneviève Legay grièvement blessée le 23 mars lors d'une charge de police sur la place Garibaldi à Nice ; suivez-en le fil : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
Entretemps, l'école, les collèges et les lycées se rebiffent :
Une vague de contestation balaye l’Education Nationale depuis plusieurs semaines. Après le mouvement de boycott des conseils de classe, attribution des 20/20, démission de professeurs principaux dans certains collèges et près de 600 lycées, c’est dans le primaire que les profs se mettent en branle contre « l’école de la confiance » avec des taux de grève qui sont allés jusqu’à 60% dans certaines académies mardi 19 mars.
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Mise à jour du 3 avril 2019 :

En même temps, côté pognon de dingue, la Cour des Comptes vient de rappeler (dans son Référé n° S2018-3520, du 12/12/2018, adressé à Madame Nicole Belloubet, Garde des sceaux et ministre de la justice, et à Monsieur Christophe Castaner, Ministre de l’intérieur) qu'il y a des vérités têtues et hors débat, au double sens :
La délinquance économique et financière est en progression significative. Bien que les méthodes de mesure ne soient pas harmonisées, on arrive à cette conclusion quelle que soit la source statistique retenue : infractions constatées par la police et la gendarmerie, affaires nouvelles enregistrées par les parquets, enquêtes de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE).
Selon les sources statistiques des services de police et de gendarmerie, fondées sur les dépôts de plaintes et les infractions constatées directement par ces services, les "escroqueries et infractions économiques et financières" (EIEF) ont augmenté de +24% entre 2012 et 2016. Cette hausse récente est comparable en "zone police" (+26%) et en "zone gendarmerie" (+22%). Elle est particulièrement sensible en région parisienne (+30% dans la petite couronne, +52% à Paris). Différenciée selon la nature des infractions, elle est globalement plus rapide que celle d’autres agrégats suivis par la police et la gendarmerie, tels que les atteintes aux biens et les atteintes à l’intégrité physique des personnes.
En lire plus.
Une délinquance de masse...

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