samedi 31 juillet 2010

Le faciès, les Tsiganes, Sarkozy et les Parce-que-je-le-vaux-bien

L'appétit tient du rêve, car il est à la fois mémoire et hallucination
Roland Barthes, Lecture de la Physiologie du goût, de Jean Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826), Hermann Éditeurs, 1975 ; nouveau tirage 2005, coll. Savoir : Lettres, page 25.

Je sais très bien que le fait de voir ensemble une salade d'infos apparemment disparates pourrait entraîner la perplexité de certains ; faites-moi néanmoins confiance et lisez la suite hétéroclite que je vous propose. Il se peut qu'elle finisse par vous aider à établir des liens apparemment biscornus.

Sujet 1. Je vous relaie tout d'abord des extraits du rapport Police et minorités visibles : les contrôles d’identité à Paris, enquête dirigée par Fabien Jobard et René Lévy (du CNRS), lisible ici en pdf et divulguée dans son site par le lucide collectif Les Mots sont importants :
Les citoyens français d’origine immigrée, et en particulier ceux d’origine nord-africaine et subsaharienne, se plaignent depuis longtemps de ce que les fonctionnaires de police les soumettent à des contrôles d’identité injustes, discriminatoires et dépourvus de nécessité. En 2007, la Open Society Justice Initiative a lancé une étude pour examiner si, et dans quelle mesure, les policiers contrôlent les individus en fonction de leur apparence. Cette étude a été réalisée en collaboration avec Fabien Jobard et René Lévy, chercheurs au Centre National de la Recherche Scientifique, et sous la supervision technique de Lamberth Consulting. En examinant cinq sites parisiens (dans et autour de la Gare du Nord et de la station Châtelet-Les Halles), importants points de transit du centre de Paris où l’on observe une forte activité policière, l’étude a recueilli des données sur les contrôles de police, au premier rang desquelles des données sur l’apparence des personnes contrôlées (origine, âge, sexe, style vestimentaire, types de sacs portés). Cette étude, qui présente des données uniques sur plus de 500 contrôles de police, est la seule menée à ce jour, propre à détecter le contrôle à faciès en France.
(...) L’étude a confirmé que les contrôles d’identité effectués par les policiers se fondent principalement sur l’apparence : non pas sur ce que les gens font, mais sur ce qu’ils sont, ou paraissent être. Les résultats montrent que les personnes perçues comme « Noires » (d’origine subsaharienne ou antillaise) et les personnes perçues comme « Arabes » (originaires du Maghreb ou du Machrek) ont été contrôlées de manière disproportionnée par rapport aux personnes perçues comme « Blanches ».
Selon les sites d’observation, les Noirs couraient entre 3,3 et 11,5 fois plus de risques que les Blancs d’être contrôlés au regard de la part de ces deux groupes dans la population disponible à être contrôlée par la police (ou la douane).
Les Arabes ont été généralement plus de sept fois plus susceptibles que les Blancs d’être contrôlés ; globalement, ils couraient quant à eux entre 1,8 et 14,8 fois plus de risques que les Blancs d’être contrôlés par la police (ou la douane) sur les sites retenus, également au regard de la composition de la population disponible. (...)
Un autre facteur déterminant a été le style de vêtements portés par les personnes contrôlées. Bien que les personnes portant des vêtements aujourd’hui associés à différentes « cultures jeunes » françaises (« hip-hop, » « tektonik, » « punk » ou « gothique », etc.) ne forment que 10% de la population disponible, elles constituent jusque 47% de ceux qui ont été effectivement contrôlés. Il ressort de notre étude que l’apparence vestimentaire des jeunes est aussi prédictive du contrôle d’identité que l’apparence raciale. L’étude montre une forte relation entre le fait d’être contrôlé par la police, l’origine apparente de la personne contrôlée et le style de vêtements portés : deux tiers des individus habillés « jeunes » relèvent de minorités visibles. Aussi, il est probable que les policiers considèrent le fait d’appartenir à une minorité visible et de porter des vêtements typiquement jeunes comme étroitement liés à une propension à commettre des infractions ou des crimes, appelant ainsi un contrôle d’identité.
Alors qu’en règle générale, les personnes interrogées ont qualifié de « poli » et de « neutre » le comportement des fonctionnaires qui les avaient contrôlées, et ce quelles que soient leurs origines supposées, à la question de savoir quel effet ce contrôle avait produit sur les intéressés, les Noirs et les Arabes interrogés ont exprimés des sentiments fortement négatifs au regard de celles exprimées par les Blancs (...).
Sujet 2. Êtes-vous au courant de ce beau feuilleton rassemblant Liliane Bettencourt, Éric Woerth, Florence Woerth et Nicolas Sarkozy ?
Liliane Bettencourt est une milliardaire du fait de sa naissance, car héritière de L'Oréal, et bénéficiaire du célèbre bouclier fiscal établi en France par Sarkozy.
Éric Woerth est le ministre français du Travail, de la Solidarité et de la Fonction publique et était ministre du Budget lorsque sa femme travaillait pour Liliane Bettencourt. Trésorier de l'UMP, il nie —contre le témoignage de Claude Thibout, ancienne comptable de Mme Bettencourt— qu'il ait reçu 150 000 € en argent liquide de celle-ci par l'intermédiaire de son gestionnaire de fortune, Patrice de Maistre, à l'occasion de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007. Ce qui est sûr, c'est que Patrice de Maistre a reçu les insignes de la Légion d'honneur des mains d'Éric Woerth, alors ministre du Budget, le 23 janvier 2008 à Bercy.
Florence Woerth est économiste et épouse d'Éric ; elle fut recrutée par Patrice de Maistre au sein de Clymène, la société chargée de gérer le patrimoine financier de Liliane Bettencourt.
Voyons ce qu'en dit Pierre Haski dans Rue89 :
Les 30 millions de Bettencourt ou la faillite du bouclier fiscal

A son corps défendant, Liliane Bettencourt est en train de devenir le révélateur de bien des maux actuels, au gré du déluge de révélations qui la concernent, elle et sa fabuleuse fortune. Ainsi, les 30 millions d'euros qu'elle a reçus en 2008 au titre du « bouclier fiscal » font réagir, non pas que ce paiement du Trésor public ne soit pas légal, mais pour ce qu'il révèle de l'arnaque de ce même bouclier.

Face à l'ampleur de ce remboursement de l'Etat révélé par Mediapart, et qui a été effectué au titre du bouclier fiscal instauré par la majorité UMP dès l'élection de Nicolas Sarkozy en 2007, Dominique Paillé, le très dévoué porte-parole du parti majoritaire, est monté au créneau avec un argument dont il ne mesurait sans doute pas l'ironie absurde.

Il a réaffirmé sur France Culture vendredi matin que le bouclier fiscal avait été instauré pour que les gros contribuables, ceux qui se voient rembourser les montants dès qu'ils dépassent les 50% de prélèvements, restent en France et ne partent pas à l'étranger.
« Evidemment, ce chiffre est important, mais je vous demande simplement de réfléchir. Il est probable, il est possible en tous cas, que si cette disposition n'avait pas été mise en œuvre, Mme Bettencourt aurait pu quitter le territoire national. Mme Bettencourt, première fortune de France et probablement première fortune d'Europe, reste sur le territoire national et c'est tant mieux, car elle y fait des investissements et des dépenses. »
Le problème pour l'argumentation de Dominique Paillé, c'est que Mme Bettencourt -par ailleurs gros soutien financier de l'UMP- a empoché l'argent du Trésor public en 2008, et a continué à pratiquer ce qui ressemble fort à de l'évasion fiscale à haute dose en Suisse, à Singapour ou aux Seychelles, comme l'ont montré les enregistrements du maître d'hôtel, ainsi que la décision en forme d'aveu de l'héritière de L'Oréal de rapatrier en France ses comptes illicites à l'étranger, en particulier en Suisse.
C'est donc toute la logique du bouclier de Nicolas Sarkozy qui s'effondre avec le comportement de l'une des plus grandes fortunes de France, qui profite sur les deux tableaux, aux dépens du Trésor public et donc de tous les citoyens/contribuables. Et elle n'est pas seule. (...)

(Ecouter le son ou lire la suite)
Quant au fond de cette histoire, lisons des fragments d'une info publiée par le quotidien français de droite Le Figaro, où il est question de l'interrogatoire de Mme Bettencourt qui a eu lieu chez elle et —Dieu soit loué— « s'est passé très courtoisement » :
C'est Liliane Bettencourt qui a ouvert le bal lundi. Son audition par les policiers de la brigade financière s'est tenue de 11 heures à 13h15 dans son hôtel particulier de Neuilly-sur-Seine. L'interrogatoire « s'est passé très courtoisement, s'agissant de souvenirs qui sont parfois très anciens et que ma cliente n'a pas forcément gardés à l'esprit avec détail », a indiqué son avocat, Me Georges Kiejman. Il a par ailleurs affirmé à l'issue de l'audition que le bureau du secrétariat de la milliardaire avait été perquisitionné. «Mme Bettencourt a donné son accord à cette perquisition, cela ne lui pose aucun problème», a ajouté l'avocat. (...)
La milliardaire devait s'expliquer sur le volet fiscal de l'affaire. Les écoutes clandestines ont en effet laissés entendre qu'elle possédait au moins deux comptes en Suisse, dotés de plusieurs dizaines de millions d'euros. Autre point révélé par les enregistrements pirates : l'existence de l'île d'Arros, aux Seychelles, dont les policiers souhaitent déterminer l'identité du réel propriétaire. C'est sur cette île qu'a notamment porté l'audition de Liliane Bettencourt, selon son avocat. «Nous avons indiqué aux policiers que nous allions leur remettre une note précisant mieux le statut juridique de l'île», a ajouté Me Kiejman.
L'héritière de L'Oréal a par ailleurs été entendue sur sa relation avec Eric Woerth», qu'elle a qualifiée «d'épisodique» et sur les déclarations de son ex-comptable Claire Thibout, qui a fait état de retraits en espèces destinés à des décideurs politiques, selon son entourage.
Sujet 3. Mais, en même temps, quand il faut chercher des délinquants, Nicolas Sarkozy a les idées claires, même si elles sont étonnamment ressemblantes à celles de Jean-Marie Le Pen, Silvio Berlusconi, le régime de Vichy ou notre Marqués de la Ensenada : au lieu d'aller fouiller dans les sièges sociaux des entreprises du Cac 40, ou chez leurs grands actionnaires, où —qui sait— on aurait peut-être pu trouver plus de 40 voleurs, il a organisé une réunion sur les "problèmes que posent les comportements de certains parmi les gens du voyage et les Roms" le 28 juillet à l'Elysée (Et Hervé Le Tellier de gloser l'affaire dans son Papier de verre, Le Monde : On oublie les Arabes, les Noirs, les Juifs et les coiffeurs. Si vous avez pensé "pourquoi les coiffeurs ?" vous avez perdu).
Conclusions ? Nicolas Sarkozy, citoyen français d'origine hongroise, époux de Carla Bruni, citoyenne française d'origine italienne, est prêt à établir des distinctions juridiques entre Français de souche et Français d'adoption, comme le souligne, par exemple, France Culture (Cliquez dessus, si vous voulez écouter). Il prône même la déchéance de nationalité et l'expulsion. Solutions apparemment peu conséquentes puisque, comme le souligne Jean-Luc Mélenchon,"Le président devrait prendre garde que sa condition de fils d'immigré ne permette pas demain de le déchoir de sa nationalité s'il venait à être poursuivi ou condamné, à tort ou à raison, du fait des conséquences de ses accointances avec les milieux d'affaires".

Synthèse. Revenons au faciès ; vu les habitudes flicardes, plusieurs interrogations pourraient éventuellement s'imposer : quelle rage pousse certains à adopter le mépris de classe qui correspondrait en principe à d'autres castes et qui constitue souvent une sorte d'auto-détestation ? Oui, il y a là-dessus pas mal de réponses chez Veblen, Bourdieu et tant d'autres. Afficher un ton décidément très NAP, très bling-bling ou très aristoCAC ne pourrait pas constituer la preuve définitive de l'appartenance à une minorité visible, souvent invisible et toujours opaque, étroitement liée à une propension aux conflits d'intérêts et à la commission de délits d'initiés, visiblement encline à la paresse, au désœuvrement et au dolce farniente, manifestement portée à l'évasion fiscale, appelant ainsi, dans le cadre de la lutte contre la criminalité économique et financière, à des contrôles fiscaux et des interventions de la brigade financière ?
Eh bien, fiasco, nous sommes désolés de constater que cela ne se passe presque jamais ; il faut en général que quelqu'un filtre des informations trop fortes de café pour que policiers et procureurs agissent et gênent un tant soit peu l'ordinaire placidité des nantis, dont l'armée de régisseurs et de domestiques les dispensent même de savoir quel est le détail de leurs domaines ou de leurs fortunes. Il va falloir en conclure que la police et les procureurs travaillent pour d'autres que pour le commun des mortels... Serait-ce vrai ?
D'ailleurs, nous comprenons très bien l'inclination à la paresse et la ferme volonté d'oisiveté car elles font partie même de notre nature : nous ne prêchons qu'un partage équitable de ces appétissantes délices afin que nous aussi, sujets hédonistes, puissions nous les permettre au même niveau que les détenteurs de la caquitude. Serait-ce juste ?
Et puis, j'avoue que la création de boucs émissaires m'a toujours écœuré, car honteuse et inutile par-dessus le marché : elle n'est qu'un simple rideau de fumée tiré par les faucons, destiné aux vrais cons et jouissant de l'essence même de la vieille prestidigitation : il s'agit de leurrer nos sens et notre entendement pour que nous voyions ce qu'on veut nous montrer tout en nous escamotant ce qui risquerait de nous intéresser beaucoup plus... Quand je songe à tous les voleurs et tous les tyrans de ma vie (y compris les génocides), je n'ai besoin de penser à aucun tsigane mais plutôt à bon nombre de gadjos bien blancs, dont quelques uns sachant laver plus blanc que personne. Et vous ?

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