dimanche 28 avril 2024

Rafeef Ziadah: Nous enseignons la vie, Monsieur

We teach life, sir... (2008).

C'est Rafeef Ziadah (Rafif Ziadah) qui nous montre comment réussir à faire bonne contenance, sans perdre la rage et le sumud, quand un civilisé vous pose une question scélérate, particulièrement infecte, au sujet de votre peuple martyrisé. C'était lors d'un énième massacre sioniste, concrètement Plomb Durci (2008-2009) ; un journaliste canadien eut l'aplomb très durci de lui demander « Mademoiselle Ziadah, vous ne pensez pas que tout serait résolu si vous cessiez au moins d’enseigner toute cette haine à vos enfants ? »

V.O.S. en castillan par Patricia Bobillo Rodríguez.
Je reproduis en bas de page la traduction proposée par Charleroi pour la Palestine

Contre le Dieu des gratte-ciels et des terres promises, sa foi et celle de son peuple est un Handala attaché et entouré de soldats.
Elle est trois générations de palestiniennes qui n'ont jamais dépassé la quarantaine, trois générations de femmes palestiniennes joie et amour contre des ciels d'acier...


Olga Rodríguez vient de publier un entretien avec elle après une performance émouvante au Círculo de Bellas Artes, à Madrid, le 16.04.2024.

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Nous enseignons la vie, Monsieur

Aujourd’hui, mon corps était un massacre télévisé.
Aujourd’hui, mon corps était un massacre télévisé censé ne pas aller au-delà des brèves citations et des limites des mots.
Aujourd’hui, mon corps était un massacre télévisé censé ne pas aller au-delà des brèves citations et des limites des mots, suffisamment remplies de statistiques pour s’opposer à une riposte mesurée.
Et j’ai peaufiné mon anglais et j’ai appris mes résolutions de l’ONU.
Et pourtant, il m’a demandé : « Mademoiselle Ziadah, vous ne pensez pas que tout serait résolu si vous cessiez au moins d’enseigner toute cette haine à vos enfants ? »

Pause.

J’ai cherché en mon for intérieur la force d’être patiente, mais la patience n’est pas au bout de ma langue pendant qu’ils larguent des bombes sur Gaza.
La patience vient précisément de m’échapper.

Pause. Sourire.

Nous enseignons la vie, Monsieur.
Rafeef, n’oublie pas de sourire.

Pause.

Nous enseignons la vie, Monsieur.
Nous, Palestiniens, enseignons la vie après qu’ils ont occupé le dernier ciel.
Nous enseignons la vie après qu’ils ont bâti leurs colonies et leurs murs de l’apartheid, au-delà des derniers cieux.
Nous enseignons la vie, Monsieur.
Mais, aujourd’hui, mon corps était un massacre télévisé censé ne pas aller au-delà des brèves citations et des limites des mots.
Et ne nous donnez qu’un récit, un récit humain.
Vous comprenez, ceci n’a rien de politique.
Nous voulons seulement parler aux gens de vous et de votre peuple, et faites-nous donc un récit humain.
Ne mentionnez pas ces mots : « apartheid » et « occupation ».
Ceci n’a rien de politique.
Vous devez m’aider, moi, en tant que journaliste, à vous aider à raconter votre histoire qui n’a rien d’une histoire politique.

Aujourd’hui, mon corps était un massacre télévisé.
Que diriez-vous de nous parler de l’histoire d’une femme de Gaza qui a besoin de médicaments ?
Ou de nous parler de vous ?
Avez-vous suffisamment de membres aux os brisés pour couvrir le soleil ?
Passez-moi vos morts et donnez-moi la liste de leurs noms sans dépasser les mille deux cents mots.

Aujourd’hui, mon corps était un massacre télévisé censé ne pas dépasser les brèves citations et les limites des mots, mais émouvoir ceux qui sont devenus insensibles au sang terroriste.
Mais ils se sont sentis désolés.
Ils se sont sentis désolés pour le bétail à Gaza.
Et ainsi donc, je leur donne les résolutions de l’ONU et les statistiques et nous condamnons, et nous déplorons, et nous rejetons.
Et ce ne sont pas deux camps égaux : l’occupant et l’occupé.
Et cent morts, deux cents morts, et un millier de morts.
Et entre ce crime de guerre et ce massacre, je crache des mots et je souris sans « rien d’exotique », « rien de terroriste ».
Et je recompte, je recompte : cent morts, un millier de morts.
Il y a quelqu’un, là, dehors ?
Y aura-t-il quelqu’un pour écouter.
Je voudrais pouvoir pleurer sur leurs corps.
Je voudrais pouvoir courir pieds nus dans chaque camp de réfugiés et prendre à bras tous les enfants, couvrir leurs oreilles pour qu’ils ne doivent plus jamais entendre le bruit des bombes le reste de leur vie comme moi je l’entends.
Aujourd’hui, mon corps était un massacre télévisé.
Et permettez-moi de vous dire ceci, rien que ceci. Rien, vos résolutions de l’ONU n’ont jamais rien fait, à ce propos.
Et aucune des mes brèves paroles, aucune parole que je sortirai, et qu’importe que mon anglais s’améliore, aucune parole, aucune parole, aucune parole, aucune parole ne les ramènera à la vie.
Aucune parole ne fera cela.
Nous enseignons la vie, Monsieur.
Nous enseignons la vie, Monsieur.
Nous, Palestiniens, nous nous réveillons chaque matin pour enseigner au reste du monde la vie.

Monsieur.

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