vendredi 25 octobre 2019

Travail, salaire, profit, de Gérard Mordillat et Bertrand Rothé



« La responsabilité sociale du monde des affaires consiste à augmenter ses bénéfices. »
Milton Friedman, The New York Times Magazine, le 13.09.1970


Forbes.fr a tout à fait raison, il faut éviter de se leurrer là-dessus : « Travail, salaire, profit » n'est pas une devise, mais une nouvelle série documentaire que nous devons au romancier, poète et cinéaste Gérard Mordillat et à l'économiste Bertrand Rothé. Ses quatre premiers volets ont été diffusés le 15 octobre à 20h50 sur ARTE, la chaîne publique franco-allemande.
Il s'agit d'une coproduction Archipel 33 et ARTE France de cette année 2019. Pour la réaliser, les auteurs ont interrogé 21 chercheurs d’Europe, des États-Unis, de Chine et d’Afrique sur 6 concepts fondamentaux de l’économie : le travail, l’emploi, le salaire, le capital, le profit et le marché. La série consacre un chapitre d'une cinquantaine de minutes à chaque concept. Ces épisodes seront disponibles en ligne, sur le site d'ARTE, jusqu'au 13 décembre 2019. Pour y accéder, vous n'avez qu'à cliquer sur les liens précédents.
Quant aux intervenants dans la série, en voici la liste :
Richard Arena, professeur d'économie à l'Université Côte d'Azur de Nice et chercheur au centre LATAPSES. C'est un spécialiste de l'école autrichienne et particulièrement de Carl Menger.
Christophe Darmangeat, anthropologue, Université Paris Diderot.
Philippe Askenazy, toulousain, directeur de recherche au CNRS et chercheur à l'École d'économie de Paris.
Dirk Ehnts, économiste, Technische Universität, Chemnitz (Allemagne).
Béatrice Cherrier, historienne de l'économie, Université de Cergy-Pontoise. Ses recherches portent sur l’histoire de l’économie depuis la Seconde Guerre mondiale.
Olivier Favereau, économiste, Université Paris Nanterre.
James K. Galbraith, économiste, University of Texas, Austin (États-Unis).
Armand Hatchuel, professeur et chercheur en sciences de gestion et en théorie de la conception. Ses travaux ont été, le plus souvent, menés avec d’autres chercheurs du Centre de Gestion Scientifique de Mines ParisTech.
Yann Giraud, historien de l'économie, Université de Cergy-Pontoise.
Fritz Helmedag, économiste, Technische Universität, Chemnitz (Allemagne). 
David Graeber, anthropologue et militant anarchiste étasunien, théoricien de la pensée libertaire nord-américaine et figure de proue du mouvement Occupy Wall Street. Évincé de l'université Yale en 2007, il est aujourd'hui professeur à la London School of Economics (Royaume-Uni). J'ai lu une interview où il affirme ce que j'affirme depuis très longtemps : « De plus en plus de personnes estiment que leur boulot ne devrait pas exister ».
Reinhild Kreis, historienne, Universität Mannheim (Allemagne).
Danièle Linhart, sociologue travaillant sur l'évolution du travail et de l'emploi. Elle est directrice de recherche au CNRS et professeure à l'université de Paris X.
Kako Nubukpo, économiste, Université de Lomé (Togo), il est l'auteur de L’Urgence africaine (éd. Odile Jacob).
Frédéric Lordon, philosophe et économiste, CNRS, Paris. Cité plusieurs fois dans ce blog.
Arnaud Orain, historien de l'économie, Université Paris 8, Vincennes - Saint-Denis, il a récemment publié La politique du merveilleux (Fayard, 2018).
Arthur MacEwan, économiste, University of Massachusetts, Boston (États-Unis).
Robert Pollin, économiste, University of Massachusetts, Amherst (États-Unis).
Waltraud Schelke, économiste, London School of Economics (Royaume-Uni).
Alain Supiot, juriste spécialiste du droit du travail, de la sécurité sociale et de philosophie du droit, professeur au Collège de France, Paris.
Andong Zhu, économiste, Tsinghua University, Beijing (Chine).
Bertrand Rothé a expliqué :
« Il y a des avis tranchés sur tout ! Sur l'entreprise, par exemple. Parce que cette entité entre le capital et le travail, ne peut pas faire l'unanimité. Pour Frédéric Lordon, c'est un lieu du politique. Pour d'autres, c'est un lieu de la production, un lieu d'échanges, de savoirs. Mais j'ai l'impression qu'il y a quand même aujourd'hui plus de convergences que de divergences. Dans notre série, personne ne défend la mondialisation, par exemple.
Et la convergence la plus importante - celle qui structure notre travail - , c'est l'idée que nous sommes dans une situation de crise du capitalisme, que sa forme contemporaine, le néo-libéralisme, est contestée par tous. La montée de l'extrême-droite est une des mesures de cette crise. Bien sûr, ce n'en est que la mesure, ce n'est pas la crise elle-même. La crise est celle du système de production, du système dans lequel nous vivons.»



Mordillat et Rothé ont complété leur travail par la publication d'un livre qui représente leur position vis-à-vis de ce sujet à l'amplitude plutôt considérable : Les Lois du capital, Seuil et ARTE éditions, 2019
J'en ai eu vent grâce à Là-bas.org, le site de Daniel Mermet, où —sous le titre Le salariat, cette « gigantesque prise d’otages »— ils ont été interviewés par Jonathan Duong :


« Le moteur de la mise au travail, c’est – comme le disait Marx – l’aiguillon de la faim. Nous avons là affaire à une prise d’otages. Je le dis parce que le mot "prise d’otages" est souvent employé dans le débat ordinaire, dans le commentaire médiatique, politique et éditorialiste. Et les preneurs d’otages sont soit les cheminots, soit les éboueurs, etc. À ceci près que le salariat lui-même n’est qu’une gigantesque prise d’otages. » Frédéric Lordon, qui enfile à nouveau sa casquette d’économiste pour cette série, rappelle en quoi le capitalisme, dans ses structures même, est inégalitaire, violent, destructeur. Et qu’on ne peut pas réformer le capitalisme, il faut l’abattre.
DUONG : L’apparition du salariat au XIXe siècle est concomitante de l’abolition de l’esclavage. Pourquoi on est passés de l’esclavage au salariat ? Est-ce que c’était uniquement pour des raisons morales ?
MORDILLAT : Non, il n’y avait aucune raison morale, c’était beaucoup plus commode et beaucoup plus rentable.
ARTHUR MAC EWAN, Économiste à l’Université du Massachussetts, explique dans la série : La raison est très simple, quand on y pense. Construire un canal, c’est dangereux, si un esclave meurt, vous perdez de la propriété ; perdre un esclave, c’est perdre sa possession ; si un Irlandais est tué, eh bien, on en engage un autre et vous ne perdez rien. Je suis ironique, bien évidemment, quand je dis que ce n’est pas grave de perdre un Irlandais, mais ça montre bien l’avantage du salariat.
[Sans compter que les salariés, notamment les soi-disant auto-entrepreneurs de la gig economy, pourraient ajouter que le patron capitaliste ne doit s’occuper de loger, nourrir et soigner ses salariés, alors que le négrier devait le faire, viols, mutilations et tortures à part, s’il tenait à disposer d’une force de travail vraiment opérative.]

Voici les six volets de la série (visionnables en ligne jusqu'au 13 décembre 2019) :
La série documentaire Travail, salaire, profit nous entraîne dans les arcanes de l'économie mondiale, jugée bien souvent trop opaque pour en saisir tous les tenants et les aboutissants. L'étude de cas, didactique et passionnante, est pourtant salutaire, à l'heure d'une crise massive du capitalisme, notamment via son avatar contemporain, le néolibéralisme, rejeté en bloc par une grande partie de la société. Après Jésus et l'islam, avec Jérôme Prieur, et Mélancolie ouvrière, Gérard Mordillat, accompagné de l'économiste Bertrand Rothé, signe une réflexion creusée et lucide sur cette "nouvelle religion contemporaine", via le témoignage d'économistes renommés, dont Frédéric Lordon et David Graeber.
1)  Travail, Salaire, Profit, Épisode 1 : Travail.
Série documentaire de Bertrand Rothé et Gérard Mordillat (France, 2019, 54mn)

SYNOPSIS : Certains mots sont d’un usage si courant qu’on finit par les utiliser sans en interroger le sens. Comme celui de "travail". Depuis la nuit des temps l’homme travaille : une activité qui n'a pourtant pas cessé d'évoluer depuis le paléolithique. Qu'est-ce que le travail aujourd’hui ? Est-il devenu une marchandise ? Qu'achète-t-on sur le marché du travail ? Pourquoi et comment est apparu le Code du travail ?
📜 Sommaire de l'épisode :
00:34
La notion de travail.
14:15 Le travail une marchandise
22:48 Le marché du travail
30:05 Le droit du travail, l’équilibre entre capital et travail
41:40 Le contrat de travail, une manière de légitimer le lien de subordination
Rappel : « Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné »

2)  Travail, Salaire, Profit, Épisode 2 : Emploi.
Série documentaire de Bertrand Rothé et Gérard Mordillat (France, 2019, 54mn)

SYNOPSIS : Le travail et l’emploi apparaissent souvent comme deux termes interchangeables. De façon ordinaire, aujourd’hui, c’est l’emploi qui est le plus souvent utilisé pour désigner le travail… Seraient-ils de faux jumeaux ? Étude des incroyables transformations du management contemporain, ainsi que de l’invention de l’autoentrepreneuriat comme forme moderne de l’emploi.
📜 Sommaire de l'épisode
00:33 Les différences entre le travail et emploi
11:00 La fin du taylorisme, une diversification des compétences de l’employé ?
26:41 Le passage du salariat à la relation commerciale
36:06 L’avenir de l’emploi face à l’informatisation et la robotisation
3)  Travail, Salaire, Profit, Épisode 3 : Salaire.
Série documentaire de Bertrand Rothé et Gérard Mordillat (France, 2019, 54mn)

SYNOPSIS : "Le salaire est la somme d’argent que le capitaliste paie pour un temps de travail déterminé ou pour la fourniture d’un travail déterminé." Cette citation de Marx est-elle encore valide aujourd’hui ? Après le salaire de subsistance et le salaire différé, l'on voit apparaître les notions de revenu universel ou de salaire à vie. Serait-ce la fin du salariat ?
📜 Sommaire de l'épisode
00:34 La transformation du salaire : de l’enveloppe hebdomadaire à la fiche de paie mensuelle
10:15 Le « salaire de subsistance »
13:59 La productivité marginale des travailleurs
18:28 La disparition du marché du travail
29:03 L’armée de réserve
36:16 La polarisation du marché du travail : l’accroissement des inégalités salariales et la disparition de la classe moyenne
46:58 Vers la disparition du salariat ? 
4)  Travail, Salaire, Profit, Épisode 4 : Marché.
Série documentaire de Bertrand Rothé et Gérard Mordillat (France, 2019, 54mn)

SYNOPSIS : Aujourd’hui, le marché occupe une place hégémonique dans les sciences économiques. D’Adam Smith et sa "main invisible" aux libéraux contemporains, tous y voient le principe central de l’économie. Forts d’un discours théologico-économique, ils en font un dieu incontestable. Pour les libéraux, le marché a toujours raison. Mais de la guerre commerciale à la guerre entre nations, il n’y a qu’un pas…
📜 Sommaire de l'épisode
00 :34 Le marché a toujours raison ?
10 :34Le marché et l’Etat
17 :53 Le déclin de l’interventionnisme étatique, l’hégémonie du libéralisme
28 :23 La notion de crise
38 :10 Le soutien de l’Etat, un rempart du système néo-libéral  
5)  Travail, Salaire, Profit, Épisode 5 : Capital.
Série documentaire de Bertrand Rothé et Gérard Mordillat (France, 2019, 54mn)

SYNOPSIS : Comme tous les concepts économiques, le capital a une histoire ; une histoire singulière que l'on peut raconter de bien des manières. D'autant plus que la signification de ce terme s'est transformée au rythme du changement des modes de production... Plutôt que de faire une théorie du capital, la situation contemporaine de l'économie ne nous invite-t-elle pas à faire une théorie de l'actionnariat ?
6)  Travail, Salaire, Profit, Épisode 6 : Profit.
Série documentaire de Bertrand Rothé et Gérard Mordillat (France, 2019, 54mn)

SYNOPSIS : D'où vient l'argent ? Au cours de l'histoire les thèses se sont succédées sans parvenir à conclure. Le profit est un concept fuyant. Pour Marx il était le produit d'un vol, le capitaliste volait au travailleur une part de son travail ; pour Milton Friedman, Prix Nobel d'économie, accroître les profits était l'unique responsabilité des entreprises. Entre l'enjeu financier et l'enjeu social, la querelle demeure.

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