dimanche 5 avril 2020

Ne travaillez jamais (Alastair Hemmens) et la Wertkritik

« La seule chance est celle de sortir du capitalisme
industriel et de ses fondements, c’est-à-dire de la
marchandise et de son fétichisme, de la valeur, de
l’argent, du marché, de l’État, de la concurrence,
de la Nation, du patriarcat, du travail et du narcissisme,
au lieu de les aménager, de s’en emparer,
de les améliorer ou de s’en servir. »
Anselm Jappe.

« De nos jours, le travail est un droit et l'oisiveté,
à moins qu'elle ne soit involontaire, est une offense aux hommes.
Il en est tout autrement au Moyen Age. L'oisiveté y est " sainte ",
digne d'estime, voire d'admiration. Ne rien faire est synonyme
de noblesse et de foi, à l'exemple du moine voué à la prière.
Le négoce est " vulgaire et impie ", quant au " travail ",
le mot n'existe pas avant le XVIe siècle. Travailler est une punition
celle que le créateur infligea au premier couple après la Faute
et cette malédiction se trouve renforcée par la pratique de l'esclavagisme. »
Présentation de Robert Fossier, Le travail au Moyen Âge, Fayard, 2000.

« L'abolition du travail, si cela veut au moins avoir une
signification positive, ne sera pas le résultat d'une prouesse
technologique, mais le résultat d'êtres humains pensant
de manière critique et agissant en conséquence. »
Alastair Hemmens, Ne travaillez jamais, p. 79.

« Il ne s'agit pas de rendre le travail libre, mais de le supprimer. »
Karl Marx, L'Idéologie allemande,
Paris, Éditions sociales, 1968, p. 232,
(et dernier mot de la conclusion de Hemmens).


(Ce billet est toujours en chantier)

Avez-vous toujours pensé, comme moi (1), que le délire productiviste du Capitalisme est aberrant, contre-productif, destructif, inhumain, belliqueux, biodiversitéphage, infantilisant, plastifiant, kitsch, tarte, disneyforme, technolâtre, bidon, esbroufe, débile, taré et tarant, boulotmique ? Oui ? Non, jamais ? Est-ce possible ?
Eh ben, dans les deux cas, je vous suggère la lecture d'un ouvrage récent du chercheur britannique Alastair Hemmens, Ne travaillez jamais. La critique du travail en France de Charles Fourier à Guy Debord, Albi, Crise & Critique, mai 2019, 326 p. (ISBN : 978-2-490831-01-2. Diffusion et distribution : Hobo-diffusion / Makassar distribution).
Au bout du compte, cette devise, « Ne travaillez jamais », est l'exact contraire du panneau au-dessus des portes des camps de concentration nazis, « Arbeit macht frei », inscription scandée méthodiquement et métalliquement par tant de libéraux avec délectation ; ce sont des variations sur un même thème genre « C'est par le travail qu'on devient libre » d'un Nicolas Sarkozy à Montpellier. Bien avant Sarko, un type bien plus brillant et Lumières que lui l'avait expliqué sans subterfuges (le gras est de mon cru) :
« Quand nous parlons de la sagesse qui a présidé quatre mille ans à la constitution de la Chine, nous ne prétendons pas parler de la populace ; l'esprit d'une nation réside toujours dans le petit nombre, qui fait travailler le grand nombre, est nourri par lui, et le gouverne. Certainement cet esprit de la nation chinoise est le plus ancien monument de la raison qui soit sur la terre. » 
Citation qui en dit long sur les concepts libéraux d'esprit, travail, alimentation, mérite, gouvernement (et, aujourd'hui, gouvernance), monument et raison —on dirait la glossature du discours libéral cyniquement simple et nette, peut-être parce qu'à l'époque la majorité du grand nombre ne savait pas lire et que l'on s'attendait à une réception de salon, littéralement de classe. C'était Voltaire dans L'essai sur les mœurs et l'esprit des nations (2).


Ne travaillez jamais ! ..., ce fut Guy Debord (1931-1994) qui traça ce fameux graffiti en 1953 sur un mur de Paris —bien avant Mai 68, mouvement à double tranchant.


Présentation de Crise & Critique :

Qu’est-ce que le travail ? Pourquoi travaillons-nous ? Depuis des temps immémoriaux, les réponses à ces questions, au sein de la gauche comme de la droite, ont été que le travail est à la fois une nécessité naturelle et, l’exploitation en moins, un bien social. On peut critiquer la manière dont il est géré, comment il est indemnisé et qui en profite le plus, mais jamais le travail lui-même, jamais le travail en tant que tel. Dans ce livre, Hemmens cherche à remettre en cause ces idées reçues. En s’appuyant sur le courant de la critique de la valeur issu de la théorie critique marxienne, l’auteur démontre que le capitalisme et sa crise finale ne peuvent être correctement compris que sous l’angle du caractère historiquement spécifique et socialement destructeur du travail. C’est dans ce contexte qu’il se livre à une analyse critique détaillée de la riche histoire des penseurs français qui, au cours des deux derniers siècles, ont contesté frontalement la forme travail : du socialiste utopique Charles Fourier (1772-1837), qui a appelé à l’abolition de la séparation entre le travail et le jeu, au gendre rétif de Marx, Paul Lafargue (1842-1911), qui a appelé au droit à la paresse (1880) ; du père du surréalisme, André Breton (1896-1966), qui réclame une « guerre contre le travail », à bien sûr, Guy Debord (1931-1994), auteur du fameux graffiti, « Ne travaillez jamais ». Ce livre sera un point de référence crucial pour les débats contemporains sur le travail et ses origines.
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Sommaire
Introduction. Théorie marxienne et critique du travail
Chapitre 1. Charles Fourier, le socialisme utopique et le « travail attrayant ».
Chapitre 2. Paul Lafargue, les débuts du marxisme en France et le Droit à la paresse.
Chapitre 3. André Breton, l’avant-garde artistique et la « guerre au travail » du surréalisme.
Chapitre 4. Guy Debord, l’Internationale situationniste et l’abolition du travail aliéné.
Chapitre 5. Le nouvel esprit du capitalisme et la critique du travail en France après Mai 68.
Conclusion. Nouvelles de nulle part ou une ère de repos.

Alastair Hemmens est un auteur, chercheur et traducteur qui vit à Cardiff, au Pays de Galles.
Il est Lecturer on French dans la School of Modern Languages de la Cardiff University.
Ses recherches portent sur la théorie critique et l'histoire intellectuelle et culturelle européenne moderne. L'édition originale de son livre s'intitule The Critique of Work in Modern French Thought, from Charles Fourier to Guy Debord (Londres: Palgrave Macmillan, 2019).
Hemmens a traduit un certain nombre d'ouvrages théoriques du philosophe Anselm Jappe, dont The Writing on the Wall: On the Decomposition of Capitalism and its Critics (Londres: Zero Books, 2017), et il a déjà édité une collection d'essais, L'Extrême littéraire (Cambridge: CSP, 2012).
Il a beaucoup écrit sur les situationnistes, y compris une thèse de doctorat sur la vie et l'œuvre de Raoul Vaneigem (Lessines, Hainaut, Belgique, 1934), et, en 2014, il a reçu une bourse Leverhulme Early Career Fellowship.
Quant à Raoul Vaneigem, il est toujours là, irréductible. Cliquez ici pour accéder à son abécédaire, mis en ligne par l'excellente revue Ballast.

Nous devons la préface de cette édition de Ne travaillez jamais à Anselm Jappe et sa version française à une véritable équipe de traducteurs : Bernard Ferry, Nicolas Gilissen, Françoise Gollain, Richard Hersemeule, William Loveluck, Jeremy Verraes.
La préface de Jappe, tout comme l'introduction de Hemmens, intitulée Théorie marxienne et critique du travail (66 pages), sont deux vrais essais de colportage de la Wertkritik ou « critique de la valeur » —voire de la Wert-Abspaltungskritik ou « critique de la valeur-dissociation » (3).
Comme le signale Anselm Jappe dans son avant-propos :
Pour l'essentiel, Hemmens montre que presque tous les auteurs [abordés dans cet ouvrage], bien loin d'être trop « radicaux », ne sont pas allés assez loin dans leur critique du travail. Tout en dépassant la simple question du travail exploité et aliéné, ils ne sont pas vraiment arrivés à une critique « catégorielle » du travail, se limitant souvent à une critique « empirique » ou « phénoménologique ».
La méta-critique de Hemmens, c'est-à-dire sa critique des critiques du travail, se fonde elle-même sur la « critique de la valeur » : l'approche qui, en reprenant des aspects essentiels de la critique de l'économie politique de Marx, part de l'analyse de la valeur et de la marchandise, de l'argent et du travail dans sa double nature — abstrait et concret. Ce courant international a été développé par les revues allemandes Krisis et Exit ! et leur auteur principal Robert Kurz à partir de 1987, ainsi que par Moishe Postone aux États-Unis dans les mêmes années.
Pour ceux qui chercheraient un petit point de repère, disons que Robert Kurz (1943-2012) travaillait de nuit dans le conditionnement de journaux en vue de leur livraison. Quant à son rôle dans l'élaboration de la Wertkritik, Anselm Jappe précisait, dans un entretien en 2015 :
La critique de la valeur a été élaborée depuis la fin des années 1980 par les revues allemandes Krisis et Exit ! et leur auteur principal Robert Kurz. Elle s’inscrit dans la pensée de Karl Marx, mais elle rompt avec presque tout ce qui est connu comme « marxisme », et même avec le « marxisme critique ». Elle reprend plutôt les catégories centrales de la critique de l’économie politique de Marx : le travail abstrait, la marchandise, la valeur, l’argent et le fétichisme de la marchandise. Pour Marx, ces catégories ne sont ni « neutres » ni « supra-historiques », mais constituent le caractère spécifique de la société capitaliste. Elles en expliquent aussi le potentiel destructeur. C’est surtout le concept de travail abstrait qui se révèle central pour comprendre la crise actuelle de la société marchande : dans le travail abstrait – dont les origines se situent à peu près à la fin du Moyen Âge - l’activité humaine n’est pas prise en compte pour ses qualités réelles et son contenu, mais seulement en tant que dépense d’énergie humaine indifférenciée, mesurée par le temps (4). Cela implique une inversion entre l’abstrait et le concret : chaque activité, chaque produit ne compte qu’en tant que quantité déterminée d’un travail sans contenu - son côté abstrait. Le côte « concret » - ce qui réellement intéresse les êtres humains – n’a droit à l’existence qu’en tant que « porteur » de l’abstrait. Nous le voyons dans le fait que le prix en argent décide du destin de tout objet, toute activité : cependant, cela n’est pas dû à l’« avidité » d’une classe sociale particulière, mais est un fait structurel. – Le marxisme traditionnel, au contraire, a toujours accepté, au moins implicitement, l’existence du travail, de la marchandise, de l’argent et de la valeur marchande et s’est battu essentiellement pour leur distribution plus « juste », non pour leur abolition. Les « luttes de classes » (5), tout en étant bien réelles, n’allaient pas en général au-delà de l’horizon créé par les catégories de base du capitalisme. (...)
JAPPE, Anselm. Critique de la valeur et société globale. In : Philosophie, science et société [en ligne]. 2015
Donc, la Wertkritik critique le travail, la valeur (non seulement sa distribution), l’argent et le fétichisme de la marchandise, c’est-à-dire, les catégories de base du système capitaliste en place.
Et sa critique de la valeur est pleine, radicale, elle ne cible pas que la valeur d'échange ; la valeur d'usage n'est pas épargnée, notamment depuis Kornelia Hafner et son article Le fétichisme de la valeur d'usage. Robert Kurz écrit :
Elle ne désigne pas une « utilité » en soi, mais seulement une utilité sous les contraintes du système moderne de production de marchandises. Pour Marx, au XIXe siècle, ce fait n’était peut-être pas encore aussi clair. Le pain et le vin, les livres et les chaussures, la construction de maisons et les soins infirmiers semblaient semblables à eux-mêmes, qu’ils soient produits de manière capitaliste ou non. Cette situation a changé radicalement. Les aliments sont cultivés en fonction de normes d’emballage ; les produits ont une « obsolescence programmée », de sorte qu’on doit en racheter de nouveaux rapidement ; les personnes malades sont traitées en fonction de normes commerciales, comme les voitures dans une station de lavage. Le débat, qui dure depuis des décennies, sur les conséquences destructrices des transports privés et de l’expansion urbaine, n’a eu aucune conséquence.
[À propos des valeurs d'usage, je suggère la lecture de la critique de Frédéric Lordon que j'évoque à la fin de la note 3 de ce billet. Ou la lecture de Thorstein Veblen.]
Voici d'autres extraits significatifs de la préface d'Anselm Jappe à Ne travaillez jamais. La critique du travail en France de Charles Fourier à Guy Debord :
(...) Pour Hemmens, comme pour toute la critique de la valeur, il faut réfuter une conception ontologique, transhistorique du travail qui l’identifie à l’activité productrice en tant que telle. La question n’est pas que la fatigue fût absente dans les sociétés précapitalistes, mais qu’il n’y avait pas de séparation entre une sphère du « travail » et une autre du « non travail ». De nombreuses recherches en anthropologie confirment la justesse de cette « dé-naturalisation » de la catégorie du travail. Il faut questionner tout travail, et non seulement le travail « aliéné » ou « exploité ». Ce qu’on appelle « travail » est toujours nocif en tant que forme sociale, indépendamment de son contenu particulier : il s’agit inévitablement de l’effacement des qualités spécifiques qui caractérisent les activités et leurs résultats. Au fond, tout travail est du « travail abstrait ». (...)

(...) La critique « catégorielle », un terme puisé chez Kurz, vise la distinction entre travail et non-travail en tant que telle et indique que, dans le capitalisme, toute activité qui se présente comme « travail » n’est que la nourriture du capital. (...) C’est l’indifférence de ce travail pour tout contenu et pour toute conséquence, et sa séparation par rapport au reste de la vie, qui constituent son potentiel destructif.
Dans les présentations et analyses de ses auteurs, Hemmens se montre très juste. Ainsi, il met en évidence les ambiguïtés de Fourier, son antisémitisme viscéral, tout comme le fait qu’il ne veut pas vraiment abolir le travail. Au contraire, dans les phalanstères, on travaille énormément — à la seule différence que le travail n’y est plus « répugnant », mais est devenu « attrayant ». Hemmens qualifie cela de révolution « dans l’adjectif ». Fourier reste donc (...) productiviste, (...) comme les entreprises qui prétendent que c’est un plaisir de travailler pour elles. (...)

En parlant de Paul Lafargue, Hemmens met en relief l’actualité de ses invectives contre la complicité de nombreux travailleurs avec leurs patrons (...). Il souligne l’influence des anarchistes français du début du siècle sur les surréalistes, et il présente des textes peu connus de Tristan Tzara et de Louis Aragon qui n’ont pas toujours été les adorateurs du prolétariat et de son grand chef qu’on a connus...
L’étude présente les situationnistes comme le point de convergence entre la critique marxiste et la critique surréaliste-poétique, où le « ne travaillez jamais » que le jeune Debord traça en 1953 sur un mur de Paris devient central. (...) Après l’explosion de 1968, un refus du travail s’est répandu —timidement— dans certaines franges de la contestation, en particulier dans l’ultragauche, souvent influencées par les situationnistes. Hemmens attire l’attention surtout sur le groupe peu connu de l’Union ouvrière, active vers le milieu des années 1970 en tant que scission de Lutte ouvrière. Elle prônait l’abolition de l’« esclavage salarié » et a évolué ensuite vers la naissante Autonomie ouvrière. Un peu plus tard, Jean-Marie Vincent a ouvert une réflexion importante avec son livre Critique du travail (1987) qui a influencé André Gorz. Celui-ci, dans ses derniers ouvrages, est passé de la recherche d’un travail « alternatif » à une critique catégorielle du travail, influencée ouvertement par la critique de la valeur.
(...) Espérons que ce livre nuira le plus possible à la société du travail.
Nous adhérons à cet espoir.
Anselm Jappe est né à Bonn, le 3 mai 1962, et enseigne l’esthétique et la philosophie à l’Accademia di Belle Arti di Sassari (Italie).
Théoricien de la « nouvelle critique de la valeur », il est spécialiste en Guy Debord. Il a expliqué, dans une interview (propos recueillis par Marc Losoncz) :
« Il n’y a pas de filiation directe entre la critique de la valeur et les situationnistes. Guy Debord était très peu connu en Allemagne à l’époque où la Wertkritik s’est formée et c’est plutôt moi qui ai établi ensuite le lien. Ce sont deux moments historiquement bien différents. »
Sur Debord, Jappe explique :
« Il m’est arrivé de parler avec des personnes qui me disaient qu’elles venaient de lire La société du spectacle – mais sans avoir compris qu’il s’agit d’un livre paru il y a quarante ans. Donc il y a des gens qui croient que le livre est paru tout récemment. Effectivement, c’est une des rares œuvres des années 1960 qu’on peut encore lire aujourd’hui : pour le style, mais aussi pour l’analyse d’une époque où naît la société d’information et de consommation – une nouvelle forme de marchandisation du monde et de la vie.
La société du spectacle
a été souvent qualifiée de « prophétique ». Ce n’est pas seulement une critique de la télévision, mais plus généralement une critique de la passivité organisée où les personnes contemplent d’autres personnes qui vivent à leur place, en guise de compensation de la pauvreté de leur vie.
Debord était un des premiers à reprendre les concepts marxiens de marchandise et de fétichisme de la marchandise. Son actualité consiste justement dans sa contribution à la création d’une critique sociale nouvelle qui analyse le caractère anonyme et fétichiste de la domination capitaliste – même si la théorie de Debord était encore assez mêlée à d’autres formes de marxisme plus traditionnelles.
L’autre aspect essentiel de l’agitation situationniste réside dans le fait d’avoir combattu le spectacle avec des moyens non spectaculaires, donc d’avoir démontré qu’on peut combattre le capitalisme sans s’exposer dans les médias, sans enseigner à l’université et sans militer dans des partis. C’est aussi une leçon sur la dignité du refus. »
Dans le même entretien, il apporte une précision simple et lumineuse :
« Il existe évidemment des luttes des classes, parce que le capitalisme est une société basée sur la concurrence – il y a toujours une lutte autour de la distribution de la valeur. Mais aujourd’hui cette lutte n’a plus – et n’a eu que rarement dans le passé – le caractère d’une lutte pour ou contre le capitalisme. Ses participants ont presque toujours présupposé et accepté l’existence de la valeur, de l’argent et de la marchandise. (...) Avec le déclin du prolétariat classique, la gauche a indiqué beaucoup d’autres « sujets révolutionnaires » possibles – que ce soient les travailleurs informatiques, les travailleurs précaires, les femmes, ou encore les peuples du tiers-monde etc. Mais on a vu qu’aucune catégorie qui participe au cycle du travail et du capital n’est en tant que telle en dehors du capital. »
Voici encore une entrevue avec lui, en castillan, pour elsaltodiario.

Anselm Jappe est l'auteur de Guy Debord (essai publié chez Via Valeriano 1995, Denoël 2001, La Découverte 2020), Les Aventures de la marchandise (Denoël, 2003, 2017), L’Avant-garde inacceptable. Réflexions sur Guy Debord (Lignes, avril 2004), Crédit à mort. La décomposition du capitalisme et ses critiques (Lignes, 2011), Pour en finir avec l'économie. Décroissance et critique de la valeur avec Serge Latouche (Libre et Solidaire, Paris, 2015) et La société autophage. Capitalisme, démesure et autodestruction. (La Découverte, 2017, 2019).

Anselm Jappe : Autodestruction et démesure du capitalisme. 23 janvier 2018.
Xerfi Canal a reçu l'essayiste allemand, à l'occasion de
la publication de son livre La société autophage.
Une interview menée par Thibault Lieurade


Cet essai d'Alastair Hemmens est un précieux précis de contributions françaises à la critique du travail constituant une particulièrement riche tradition dans ce domaine. Mis à part les grands noms méritant des chapitres personnels...
(...) l'utopiste socialiste Charles Fourier (1772-1837), qui a appelé à l'abolition de la séparation entre travail et loisirs ; le gendre rebelle de Marx, Paul Lafargue (1842-1911), qui a réclamé Le droit à la paresse (1880) ; le père du surréalisme André Breton (1895-1966) , qui déclarait une « guerre au travail » ; et, bien sûr, le situationniste français Guy Debord (1931-1994), (...).
..., Hemmens reconnaît l'existence d'une foule d'autres groupes et personnalités qui ont précédé ces auteurs ou leur ont succédé. Voici quelques références à suivre en la matière citées par le professeur de Cardiff, sans compter bien entendu les traductions françaises de la théorie de la Wertkritik  :
— Raoul Vaneigem, Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations, Collection Blanche, Gallimard, Paris, décembre 1967.
— Le journal « Union ouvrière, pour l'abolition de l'esclavage salarié », Bordeaux, à partir de décembre 1974.
— Claude Berger - les Associationnistes, Pour l'abolition du salariat, Éd. Spartacus, 1976. Recueil comprenant, en première partie, une série d’articles parus dans «La Gueule Ouverte» (N° 122 et 123, Septembre 1976), en seconde partie, un manifeste diffusé une première fois sous forme ronéotée en 1975 et épuisé depuis. Article de mondialisme.org.
Jean-Marie Vincent, La Théorie critique de l'École de Francfort, Galilée, Paris, 1976.
— Alexis Chassagne et Gaston Montracher, La Fin du travail, Éditions Stock, Paris, janvier 1978.
— André Gorz, Adieux au prolétariat. Au-delà du socialisme, Galilée, Paris, 1980.
Jean-Marie Vincent, Critique du travail. Le faire et l'agir, PUF, Paris, 1987. Pages 1-77 en pdf. Pages 78-162 en pdf.
— André Gorz, Métamorphoses du travail. Quête du sens, Galilée, Paris, 1988.
— Luc Boltanski et Ève Chiapello : Le nouvel esprit du capitalisme, Collection Tel (n° 380), Gallimard, février 2011, édition augmentée d'une postface inédite des auteurs (Première parution en 1999).
— Pierre Carles, Attention Danger Travail, Film documentaire, 2003.
— Corinne Maier, Bonjour Paresse : De l'art et de la nécessité d'en faire le moins possible en entreprise, Gallimard, Paris, 2004.
— Stephen Bouquin (coord.), Résistances au travail, Syllepse, Paris, 2008.
— Michael Seidman (historien étasunien), Ouvriers contre le travail. Barcelone et Paris pendant les fronts populaires, éditions Senonevero, Marseille, 2010 (1991).
— Dominique Méda, Le Travail, une valeur en voie de disparition ?, Flammarion, Paris, nouvelle édition mars 2010 (1995).
— Maurizio Lazzarato, Marcel Duchamp et le refus du travail, Les Prairies ordinaires, Paris, 2014.
— Lorraine de Foucher, Absurdes et vides de sens : ces jobs d'enfer, Le Monde, 22 avril 2016.
Jean-Marie Vincent, « La Légende du travail », in éd. Pierre Cours-Salies, La Liberté du travail, Syllepse, Paris, 6 Octobre 2018.
Pour des preuves empiriques et un examen de la spécificité historique dudit travail, le très méticuleux Alastair Hemmens nous renvoie, par exemple, à ces vrais bijoux :
— Jacques Le Goff, « Pour une étude du travail dans les idéologies et les mentalités du Moyen âge », dans Lavorare nel medio evo. Rappresentazioni ed esempi dall'Italia dei secc. X-XVI (Todi, Presso L'Academia Tudertina, 1983).
— Robert Fossier, Le travail au Moyen Âge (Paris, Fayard, 2000 ; Pluriel, 2012).
— Daniel Becquemont et Pierre Bonte, Mythologies du Travail. Le Travail Nommé (Paris, L'Harmattan, 2004, pp. 8-9).
— Michel Freyssenet, « Invention, centralité et fin du travail », CSU, Paris, 1999, 15 p. Édition électronique, freyssenet.com, 2006.
Marie-Noëlle Chamoux, « Société avec et sans concept de travail : remarques anthropologiques », Sociologie du travail, vol. 36, Sept. 1994, pp. 57-71 (disponible également sur internet).


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(1) Les intéressé.e.s disposent sur ce blog de bon nombre de billets consacrés à la critique de la religion du travail, de la croissance et de la rage productrice qui est à la base de l'éthique, si j'ose dire, du système que nous subissons, dont...
Le Café, jeudi 5 novembre 2009.
Les mercuriales véreuses d'Angela Mère Quérulence, mardi 7 juin 2011.
Hervé Kempf, Comment les riches détruisent la planète (Seuil, 2007), 14 juillet 2011.
La voiture, ses chiffres et la guerre, lundi 14 novembre 2011. 
L'Emploi, par Bou Grasso, vendredi 27 janvier 2012.
« La mise à mort du travail », de Jean-Robert Viallet, mardi 1er mai 2012.
Adieu à la croissance (Gadrey) pour ce Premier Mai 2013.
La sous-traitance comme traite d'êtres humains et pillage des sous publics, jeudi 7 novembre 2013.
Jacques Ellul et la croissance zéro, samedi 24 janvier 2015.
COP21, urgences planétaires et état d'urgence de l'État dans tous ses états, dimanche 29 novembre 2015.
Manifeste d'urgence sur l'état de la planète signé par 15 364 scientifiques, lundi 13 novembre 2017.
Les Gilets jaunes contre du même en pire, jeudi 17 janvier 2019.
« Travail, salaire, profit », de Gérard Mordillat et Bertrand Rothé, vendredi 25 octobre 2019.
Attention danger travail (Pierre Carles, 2003), samedi 28 mars 2020.
— Pierre Carles avait déjà été cité sur ce blog ICI et .
 Quant à l'éthique en question, elle se résume à ça (par exemple) :
L'empire du mal empire, samedi 2 avril 2011.
Quand un retournement peut en cacher un autre, mercredi 10 août 2011.
Goldman Sachs - La banque qui dirige le monde, sur ARTE, lundi 3 septembre 2012.
Le Grand Retournement, de Gérard Mordillat, samedi 26 janvier 2013.
Forbes démontre Archimède et la gravité n'existe pas dans la Finance, dimanche 17 mars 2013.
Nestlé : un empire dans mon assiette, jeudi 1er mai 2014.
Les fondations, Verne et la Finance - Paris au XXe siècle, mardi 2 août 2016.
Tromelin, un cas incroyable d'esclavage, cruauté, solidarité et survie, samedi 21 janvier 2017.
Des nullités surévaluées nous emmènent vers la Terre Gaste, samedi 16 décembre 2017.
Vacuité libérale autosatisfaite ou le triomphe de la connerie, jeudi 28 mars 2019.
La liberté du port de chaînes et "Les Routes de l'Esclavage", vendredi 30 août 2019.
BlackRock ou ces financiers qui dirigent le monde, mardi 31 décembre 2019.
Ces financiers qui dirigent le monde - BlackRock (le film), lundi 27 janvier 2020.
(2) Chapitre CLV (État de l’Asie au temps des découvertes des Portugais), 1756. Perspective très libérale qui était aussi celle des Pères Fondateurs de la Constitution étasunienne de 1787 ; Noam Chomsky nous le rappelle :
« The founding fathers repeated the sentiments of the British "men of best quality" in almost the same words. As one put it "When I mention the public, I mean to include only the rational part of it. The ignorant and vulgar are as unfit to judge of the modes [of government], as they are unable to manage [its] reins." The people are a "great beast" that must be tamed, his colleague Alexander Hamilton declared. Rebellious and independent farmers had to be taught, sometimes by force, that the ideals of the revolutionary pamphlets were not to be taken too seriously. The common people were not to be represented by countrymen like themselves, who know the people’s sores, but by gentry, merchants, lawyers, and other "responsible men" who could be trusted to defend privilege.
The reigning doctrine was expressed clearly by the President of the Continental Congress and first Chief Justice of the Supreme Court, John Jay "The people who own the country ought to govern it." (...) »
(3) Valeur-dissociation est l'expression communément utilisée en français par traducteurs et exégètes. Néanmoins, sa morphosyntaxe est calquée sur le terme allemand introduit par Roswitha Scholz (1959-) et, en première lecture, je me demandais s'il ne faudrait pas la traduire par « critique de la dissociation de la valeur » (expression utilisée au moins une fois par les traducteurs de Hemmens ; en anglais, l'expression établie jusqu'à présent est The Critique of Value Dissociation), quitte à accepter que le nom de cette théorie regrouperait en un mot composé les éléments d'une dichotomie (dynamique). Bien entendu, le sens et l'intention se comprennent —Hemmens et Jappe, voire Johannes Vogele, les éclaircissent très bien—, c'est la version terminologique qui me pose problème, surtout parce que, malheureusement, je n'ai pas lu directement Roswitha Scholz.
Hemmens explique qu'elle a tiré le terme « Abspaltung » de la psychanalyse freudienne pour décrire le processus de suppression, de répression et d'interdépendance de ces aspects de la vie sociale qui ne peuvent pas être gérés par la forme-travail ni ne produisent de valeur, qui sont donc exclus de la sphère de la valorisation, mais sans lesquels le travail ne pourrait pas bien fonctionner.
Comme aide à la compréhension de l'approche de la « Wert-Abspaltung », je reproduis un extrait du chapitre I de l'ouvrage d'Alastair Hemmens (pp. 70-71) :
Le capitalisme est une « totalité brisée », un système d'identité et de non-identité, dans lequel la sphère de la valorisation a développé ces caractéristiques qui ont été désignées comme « masculines » (ainsi que blanches et européennes) —dureté de cœur envers soi-même et les autres, raison, travail acharné, force physique et morale, leadership et utilisation « rationnelle » de la force (en bref tout [ce] qui permet de réaliser un profit)— et la sphère dissocié de tout ce qui se trouvait à l'extérieur a été projetée sur le « féminin » (et d'autres « altérités ») —douceur, sentimentalité, irrationalité, paresse, faiblesse physique et morale. Pour cette raison, et en règle générale, le « masque de caractère » de la valeur —sous ses formes d'argent, de travail et de capital— est tombé aux mains des hommes et le reste a été légué aux femmes et aux autres groupes marginalisés. Néanmoins, la valeur-dissociation ne doit pas être comprise en termes simplistes comme une structure strictement binaire et statique. Au contraire, non seulement les femmes ont été historiquement actives dans le domaine de la valorisation depuis le tout début (bien que souvent moins bien payées et non reconnues), mais les rôles des genres et les notions de genre ont constamment évolué depuis la création du capitalisme (...) (avec la réserve que le racisme, la transphobie, l'homophobie et le sexisme restent des problèmes empiriques très ancrés, à surmonter), le problème structurel de la dissociation n'a pas fondamentalement changé : le « travail domestique », quelle que soit l'identité de celui qui le réalise, reste nécessairement non rémunéré, dégradé, dissocié et dans une position subordonnée à la « production ». La valeur-dissociation peut changer d'apparence mais pas son caractère essentiellement tyrannique. La critique du travail devrait, comme telle, aller de pair avec une critique concomitante du patriarcat et des autres formes de marginalisation et de discrimination, mais elle ne l'a pas toujours fait.
Alastair Hemmens nous rappelle également que l'approche de la « critique de la valeur » est largement liée à ce que Robert Kurz appelle le côté ésotérique des écrits de Karl Marx.
Quant à l'importance que Hemmens accorde à son introduction, voici quel est vraiment son but (p. 79) :
En bref, la théorie critique du travail que je viens de décrire fournit une nouvelle perspective critique à partir de laquelle on peut analyser les critiques passées du travail.
Soulignons l'activité autour de la Wertkritik du site palim-psao.fr :
Palim Psao propose un ensemble de textes et videos portant sur les courants de la critique de la valeur (Wertkritik) et de la critique de la valeur-dissociation (Wert-abspaltungskritik), autour des oeuvres de Robert Kurz, Anselm Jappe, Roswitha Scholz, Norbert Trenkle, Ernst Lohoff, Moishe Postone, Clément Homs, Johannes Vogele, Benoit Bohy-Bunel... et des revues Krisis, Exit ! et Jaggernaut
Je rappelle que l'objectif de ce billet n'est pas de faire la critique de la Wertkritik. Pour les lecteurs intéressés en la matière, il existe au moins une récente critique de gauche et, disons, marxienne de la Critique de la Valeur contenue dans l'essai de Frédéric Lordon La condition anarchique. Affects et institutions de la valeur, Éd. du Seuil, octobre 2018 —concrètement, pages 81-90, dans les sous-chapitres Argent, désir et valeur d'usage et Réalités des Ferrari (contre le « virtuel », le « capital fictif » et le « faux argent »), tous deux faisant partie du chapitre 3 Pas moins creuse que les autres (La valeur économique).
(4) Je pense à une citation que j'ai trouvée dans Maurizio Lazzarato, Marcel Duchamp et le refus du travail, Paris, Les Prairies ordinaires, 2014 :
« Le temps, c'est de l'argent », dit le capitaliste, « mon capital n'est pas l'argent, mais le temps » lui répond Duchamp.
Ce petit essai de Lazzarato démarre par trois citations en exergue, dont une de Walter Benjamin qui tombe ici à point nommé (et qui est reprise par Hemmens, p. 313) :
« Marx avait dit que les révolutions sont la locomotive de l'histoire mondiale. Mais peut-être les choses se présentent-elles tout autrement. Il se peut que les révolutions soient l'acte par lequel l'humanité qui voyage dans ce train tire le frein d'urgence. »
(5) Voir Hemmens, pp. 75-76 :
Le capitalisme, en tant que tel, avait été envisagé comme engendrant son propre « fossoyeur » incarné par un sujet « radical » : la classe ouvrière. Cependant, (...) le mouvement ouvrier (...) a souvent joué un rôle important dans la levée des obstacles à la pleine réalisation de la valorisation de la valeur. (...) La lutte des classes n'est donc pas un conflit émancipateur, mais une « querelle de famille » ou une compétition pour la gestion des catégories considérées comme acquises ou même célébrées, comme dans le cas du travail, par les deux parties. (...) Aucun « sujet » ne peut nous sauver.
(...)
Face à la détérioration constante de la situation, nous avons besoin de mouvements sociaux qui cherchent à construire un mode de vie différent au-delà et contre la médiation du travail, du marché et de l'État.
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IAATA, Information Anti Autoritaire Toulouse et Alentours, le 16 juin 2019, et surtout Politikon, le 10 juillet 2017, s'étaient déjà penchés sur la Critique de la valeur.

Faut-il abolir le travail ? - Politikon #10 - YouTube, le 10 juillet 2017
« Dans ce dixième épisode de Politikon, on revient sur le thème du travail qui va bien occuper l’actualité ces temps-ci. Est-il aliénant, libérateur ? Faut-il protéger le travail ? Ou ne faudrait-il pas tout simplement le supprimer ? Cette question provocante mais non dénuée de pertinence nous permet d’introduire à un courant marxiste pas toujours bien connu : la critique de la valeur. On parle bien-sûr de Marx (valeur d'échange, valeur d'usage, travail abstrait/travail concret, fétichisme de la marchandise), mais aussi d’Aristote (différence praxis/poeisis), de Locke (la propriété est fondée sur le travail), Adam Smith et David Ricardo (valeur travail dans l'économie classique). »

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