jeudi 31 juillet 2014

« Ma vie, mon œuvre, mon cul » 8, par Siné

 « En 2003, avant d’attaquer le numéro 8, harassé d’avance par l’effort à fournir, je décidai de m’octroyer une pause bien méritée… Elle fut beaucoup plus longue que je ne l’avais imaginée. Cette procrastination inexplicable aura duré onze ans. »  (Siné)

Mais, voilà, il y a trois mois, Siné avait finalement sorti le huitième tome de ses mémoires « Ma vie, mon oeuvre, mon cul », sous forme de hors-série de son Siné Mensuel. Il couvre la période d’octobre 1961 au printemps 1965.
Invité par L'Invité de TV5 Monde, il s'expliqua. Vous verrez que Siné cure pour de bon.
Merci, Siné, et que la révolte te tienne toujours en joie...

mercredi 30 juillet 2014

Ilan Pappé et la langue pour dire vrai - Conférence à Stuttgart 2010

"¡Señor, protégeme de mis amigos! Si uno posee la voluntad necesaria,
encontrará en estos dos volúmenes pruebas de lo que Hitler, Goebbels
y Rosenberg alegan contra los judíos, no se necesita una enorme
habilidad para interpretar y distorsionar los hechos."  
Viktor Klemperer, après lecture des écrits sionistes
et du premier volet des journaux de Theodor Herzl.
 version castillane de Adan Kovacsics. Éd. Minúscula, Barcelona, 2001.


Face à l'horreur, il y a encore des gens dont les mots et l'attitude nous encouragent et nous font respirer. C'est toujours le cas, admirable, d'Ilan Pappé, un exemple insurmontable d'honnêteté intellectuelle et de décence humaine. Prenez le temps de l'écouter ; il s'agit d'une conférence tenue à Stuttgart en novembre 2010 mais qui reste pertinente. Il parle en anglais ; sur la vidéo, il y a des sous-titres en portugais et, un peu plus bas, je vous propose un lien renvoyant sur le site de Silvia Cattori, qui nous apporte une traduction française.

Pappé est historien et, en tant que chercheur et analyste, il se connaît en colonialisme, nettoyage ethnique ou recherche de pureté ethnique (racisme), mais il vous apprendra aussi beaucoup sur une matière qui nous intéresse ici particulièrement : la corruption du langage. Cet « antisioniste pour la paix » vous apprendra que dans une situation de colonialisme, ce n’est pas la paix qui est importante, mais la fin du colonialisme. Ou, avec Edward Said (cf. son article Permission to narrate), en ce qui concerne la narration historique académique, que les victimes peuvent au moins gagner cette bataille, c'est-à-dire, l’emporter sur la narration des conquérants, de la puissance occupante, nettoyante et purifiante : on sait bien aujourd’hui que la narrative israélienne n’est qu’une pure propagande.



En voici des extraits (je préviens que les liens hypertextes sont de mon cru) :

- Je pense que c’est bien l’essentiel de l’histoire sioniste de ne pas permettre aux gens de mener une vie normale, de ne pas leur permettre d’être des amis normaux, et de les obliger à passer par toutes ces difficultés pour satisfaire cette aspiration humaine élémentaire qui est de vivre ensemble.

- Imaginez qu’à l’époque de l’apartheid en Afrique du Sud, vous n’ayez pas été autorisé à manifester contre l’apartheid sud-africain, mais seulement contre le massacre de Soweto ! Cela est encore un grand succès israélien.

- (...) pour la plupart d’entre nous, nous n’utilisons pas encore le bon langage. Nous, la plupart d’entre nous, n’utilisons pas encore le genre de vocabulaire que nous devrions utiliser pour faire passer le message au sujet du problème dont nous nous occupons.
Parce que l’un des plus grands paradoxes de ce qui se passe en Israël et en Palestine, est que, d’une part, ce n’est pas une histoire compliquée ; c’est une histoire que l’on a déjà vue : des colons européens qui arrivent pour, soit liquider, soit expulser le peuple autochtone
(...) Si vous dites que le sionisme est du colonialisme, vous êtes l’étudiant le plus jeune et le plus à jour que j’aie rencontré. Quiconque tenterait de vous décourager en disant que c’est anachronique, que ce n’est pas utile, que c’est de l’antisémitisme ... est lui-même anachronique ; il vit sur la lune ou sur Mars, (...)

- En fait, si vous connaissez l’hébreu, vous savez que toute la langue hébraïque, de 1882 jusqu’à aujourd’hui, qui a été construite pour décrire ce que le mouvement sioniste est en train de faire en Palestine, utilise, encore et encore, les mots [« yiddishmutt, yignaphalutt »] ; et la seule façon de traduire ces mots est COLONISER. Il n’y a pas d’autre traduction.
Ainsi le mouvement sioniste, à la fin du 19ème siècle, époque où le colonialisme disposait de très bonnes relations publiques, utilisait très volontiers le mot coloniser. Mais, par la suite, les sionistes ont appris que le colonialisme n’était pas si populaire, alors ils l’ont traduit différemment, ils ont trouvé le mot « settlement » [« implantation »], qui signifie quelque chose d’autre en anglais ; et ils ont trouvé cette réponse : « Oui, c’est coloniser, mais ce n’est pas comme “coloniser”, c’est une chose différente ».
(...) vous avez affaire au dernier projet colonialiste et, aussi bizarre que cela puisse paraître, même au XXIème siècle, ce projet colonialiste emploie les mêmes tactiques que le colonialisme du XIXème siècle.

- (...) ils vont vous considérer comme antisémite même si vous soutenez la solution de deux États parce que cela signifie que vous ne soutenez pas la solution de deux États comme ils l’entendent. Parce que vous ne comprenez pas le problème ; vous pensez que la solution de deux États consiste en un État souverain et indépendant sur la Cisjordanie et la bande de Gaza, non, vous ne comprenez pas. L’État pour les Palestiniens, c’est deux Bantoustans, divisé par douze en Cisjordanie, et clôturé comme un camp de concentration à Gaza, qui n’a pas de connexion entre les deux, et qui a une petite municipalité à Ramallah que l’on appellera gouvernement ; voilà l’État.

- Quiconque a vécu en Israël assez longtemps, comme c’est mon cas, sait que la principale corruption subie par les gens au cours du service militaire est la totale déshumanisation des Palestiniens. C’est pourquoi, quand il voit un bébé palestinien, un soldat israélien ne voit pas un bébé, il voit un ennemi potentiel. Entre chasser le bébé de la maison à coups de pieds, et tuer le bébé, la route n’est pas très longue. Et je pense que le message à transmettre touchant la purification ethnique est un message de criminalisation, non des politiques de l’État d’Israël, mais de criminalisation de l’État d’Israël. Et c’est ce que nous devrions faire.

- Parfois l’État représente la pire chose qui puisse arriver à un pays. Et la pire chose qui soit arrivée à la Palestine, c’est l’État d’Israël.

- (...) Israël a le pouvoir d’éliminer des États, pas nous. Ce que nous avons, c’est le pouvoir moral de dire aux gens : le type d’État que vous avez fondé, et le type d’État que vous soutenez, est en train de détruire le pays dans lequel vous vivez. La création de cet État a conduit, en 1948, à l’expulsion de la moitié de la population indigène de la Palestine. Montrez-moi n’importe quelle autre situation où la communauté internationale viendrait dire, sous le slogan de la paix : pour faire de ce pays un endroit paisible, il fallait expulser la moitié des gens qui y vivaient.

- Vous connaissez l’histoire du jugement de Salomon ? Vous connaissez cette histoire du bébé et des deux mères [qui se le disputent], et que c’est la véritable mère qui refuse que le bébé soit coupé en deux. Nous savons qui est la véritable mère dans le cas d’Israël et de la Palestine. Nous savons qui est tout le temps prêt, soi-disant, à le couper.

- Avec le projet sioniste, ils ont corrompu le sens commun de tout le vocabulaire que nous avions en Occident à la fin des années 1940 et au début des années 1950. C’est ainsi que vous établissez une démocratie ? En expulsant la population autochtone, de sorte que vous puissiez avoir une majorité juive ? (...) Le fait que la majorité doit être maintenue en permanence par le nettoyage ethnique, par des massacres, par la colonisation, par l’emprisonnement [des Palestiniens] dans de grands ghettos comme Gaza, n’est jamais évoqué comme faisant partie de la démocratie israélienne.

- (...) ce qui est important pour Israël n’est pas l’autodétermination pour le peuple juif, ce qui est important pour Israël est de s’assurer que ce ne soit pas un État arabe.

- (...) si la base d’analyse de la situation est la « real » politique – comme le fait Uri Avnery, comme le fait Noam Chomsky, et beaucoup d’autres, et ce n’est pas cyniquement que je dis « nos bons amis », ils sont mes bons amis mais je suis, sur ce point, en total désaccord avec eux – cela signifie que c’est l’équilibre des forces qui détermine votre attitude.
Eh bien, si c’est l’équilibre des forces – comme nous l’avons entendu hier, entre la plus grande et la plus puissante armée du Moyen-Orient, et les plus faibles forces militaires du monde – qui détermine notre attitude, nous ne devrions même pas être réunis aujourd’hui. Nous devrions céder aux diktats israéliens. Nous savons que les Israéliens sont très clairs au sujet de ce qu’ils veulent : ils veulent autant de territoire palestinien que possible, avec aussi peu de Palestiniens que possible ; c’est ce qu’ils voulaient en 1882, et c’est ce qu’ils veulent en 2010. Cela n’a pas changé. Les moyens ont changé, les circonstances historiques ont changé, mais la vision de ce qui serait une florissante et prospère société israélienne, à savoir une société avec aussi peu d’Arabes que possible, et autant de territoire palestinien que possible, cela n’a pas changé.

- (...) quand vous soutenez le droit au retour [des réfugiés palestiniens], vous ne soutenez pas seulement, ce que nous faisons tous, le droit des personnes expulsées à revenir si elles le veulent. Vous ne reconnaissez pas seulement le crime de nettoyage ethnique de 1948, vous n’adhérez pas seulement aux résolutions des Nations Unies qui soutiennent très clairement le droit au retour, vous dites en plus un très simple NON au racisme. C’est cela que vous faites. Vous dites NON au seul État raciste du Moyen-Orient.

- Nous n’avons pas de très jolis régimes au Moyen-Orient, je suis d’accord ; les régimes politiques du Moyen-Orient ne sont guère inspirants, je ne recommanderais pas aux futures sociétés de s’en inspirer pour construire leurs politiques ; mais aucun d’eux n’est raciste. Le seul État raciste est l’État juif d’Israël. Un des seuls moyens de s’en prendre à cet État raciste est de le contester sur la question du droit au retour des réfugiés. Non pas parce qu’il serait praticable ou pas praticable, mais parce qu’il touche au code génétique de l’État juif. L’idée que vous pouvez coloniser n’est pas nouvelle. Mais l’idée que vous pouvez, au XXIème siècle, maintenir cette colonisation en maintenant ouvertement un État raciste, ne devrait pas être considérée comme acceptable, surtout [en Allemagne].



P.-S. : "Tagmul" est un mot hébreu qui veut dire "représailles". Il foisonne dans le discours sioniste car son concept est l'alibi destiné à justifier les crimes israéliens : c'est donc un pilier essentiel de la hasbara (expression signifiant « explication » ou « éclaircissement »), la propagande sioniste. Néanmoins, Ilan Pappé nos explique dans son livre Le nettoyage ethnique de la Palestine que depuis même 1948, le mot hébreu “Tihur” (épuration, pureté ou nettoyage, selon les versions que j'ai trouvées en français et castillan) revient régulièrement dans les ordres transmis par le haut-commandement aux unités sur le terrain afin de galvaniser les soldats chargés de détruire villages et villes arabes. Cette idée de "Tihur" était de manière expresse le premier objectif de David Ben Gurion. D'autres termes employés par les dirigeants sionistes pour décrire leurs objectifs furent “nikkuy” ou “bi’ur”, qui ont des sens analogues à celui de “Tihur”. Cette envie de nettoyage de l'Arabe, cette arabophobie, constitue un cas d'école d'antiSEMitisme. En cas de doute, pour simplifier, cherchez sémite* dans Le Robert. Puis, profitez-en et cherchez antisémitisme** : ça vous aidera à saisir une impeccable manipulation sémantique qui est devenue la "norme" :
* Sémite :   de Sem, nom d'un fils de Noé  Se dit des différents peuples provenant d'un groupe ethnique originaire d'Asie occidentale et parlant des langues apparentées ( sémitique). Les Arabes, les Éthiopiens, les Juifs sont des Sémites.
** Antisémite :  Racisme dirigé contre les Juifs.

À voir aussi...

- « Comment Israël expulsa les Palestiniens (1947-1949) », de Dominique Vidal. (Ilan Pappé, ou le chemin solitaire, chapitre X)
- L'Histoire sioniste (The Zionist History, Israël, 2009. Langue : anglais), documentaire indépendant, artisanal et émouvant que nous devons, merci mille fois, à Renen Berelovich (dont le surnom est Berek Joselewicz). La qualité du film est d'ailleurs remarquable.
- La révolution palestine, par Rodolfo Walsh (quotidien Noticias, 1974).
Les Palestiniens dans les manuels scolaires israéliens (Comment on fabrique la déshumanisation d'un peuple), par Nurit Peled-Elhanan, qui s'exprime en anglais (sous-titrage en portugais). Pour un sous-titrage en castillan, cliquez ici.
- This is My Land... Hebron, en français Ceci est ma terre (Hébron), par Giulia Amati and Stephen Natanson (Documentaire, Italie, 2010)
- An open letter for the people in Gaza [Une lettre ouverte pour le peuple de Gaza], The Lancet, par Paola Manduca, Iain Chalmers, Derek Summerfield, Mads Gilbert, Swee Ang, représentant 24 signataires. Publiée en ligne le 22 juillet 2014.
- Info-Palestine 
- La terre parle arabe, 2007, de Maryse Gargour, avec la collaboration historique de Sandrine Mansour Mérien et les commentaires de l'historien Nur Masalha (St. Mary's College, University of Surrey). Maryse Gargour naquit à Jaffa en Palestine et est diplômée de l'Institut Français de Presse. Elle a travaillé à l'Unesco (Paris) auprès du Conseil International du Cinéma et de la Télévision. Elle a écrit et réalisé 5 films documentaires sur la Palestine : Une Palestinienne face à la Palestine (1988, durée : 28'), Jaffa la mienne (1998, co-réalisé avec Robert Manthoulis), Loin de Falastine (1999), Le Pays de Blanche (2001, durée : 28') et La Terre parle arabe.



 

 
Naji Al-Ali, Nous reviendrons..., Al Qabas, Koweït, 12/03/1987. 
 
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Mise à jour du 17/09/2014 :

Gaza : le silence tue, la désinformation rend complice



Une chanson pour Gaza : le Crif pour la censure ? (vendredi 2 novembre 2012), par Alain Gresh


Mise à jour du 28/09/2016 :


Ilan Pappé et Michel Collon présentent La Propagande d'Israël,
essai de Pappé à ce sujet, préfacé et édité par Michel Collon/Investig'Action en juin 2016.

jeudi 17 juillet 2014

Nación Rotonda, ou les monstres de la Modernité en Espagne

À Stéphane et Arturo
Aux citoyens de San Fernando de Henares


« Les arbres de la route toujours élagués à la mode du pays
ne donnaient presque aucune ombre » 
(J.-J. Rousseau, Les Confessions, Livre VIII)


Cette citation que j'ai mise en exergue fait partie d’un fragment des Confessions où Rousseau évoquait la route Paris-Vincennes. Chez nous, en Espagne, l’élagage à la mode du pays, c’est l’abattage —ou l’incendie.

Chronique de la spéculation ordinaire. Historiquement, la majorité des Espagnols ont dû subir, de la part de leurs élites, un double opprobre fait de cruauté et de grossièreté. Au manque de scrupules, notre classe dominante a toujours accolé une culture de la laideur et de la dévastation qu’on ne trouve facilement pas ailleurs : nos seigneurs ont toujours été des goujats dont l’abjection va de pair avec la muflerie. Et normalement, c'est le pouvoir qui établit la norme.
C’est ainsi qu’on peut expliquer l’inexplicable haine qui ravage notre littoral, nos forêts, nos campagnes… tout en avilissant nos esprits. Parmi nous, les arbres ont toujours été facilement coupables.

Chronique de la spéculation extraordinaire. Comme si la tradition ne suffisait pas, l’Espagne moderne a bien voulu y mettre du sien, c’est-à-dire, de l’étasunien, car l’argumentaire de nos cadors proconsulaires et leurs experts en matraquage n’est que du pur psittacisme friedmanite (empiré et augmenté par les oxymores qui dégoulinent de la Chimère financière) et que leur modèle « vital » n’est que le soit disant « American Way of Life » ; bref, la débauche des austères, le plus sûr chemin vers la mort de ce qui vit et rit.
D'où il résulte que maintenant, déforestation à outrance rime avec bétonnisation et bitumisation implacables, notamment dès l’arrivée au pouvoir (1996) de José Mª Aznar, Grand Apôtre de l'Intégrité de la Patrie, qui s’empressa de faire voter sa loi Rodrigo Rato du sol : tous les terrains devenaient constructibles, on laissait faire. Pas de réaction de l'opinion publique, loin de là ; alors que les citoyens coinçaient la bulle, la bulle financière concomitante n’était qu’une question de temps, vu d’ailleurs que l’argent stupide suit toujours le chant des sirènes du Vrai Argent...

En général, bétonnisation et bitumisation vont ensemble ; d’un côté, la spéculation immobilière opère un étalement urbain massif qui multiple les lotissements et bétonne à tout va ; d’autre part, la machine infernale qui l’accompagne —la caisse qui a toujours soif— provoque un goudronnage intensif tous azimuts.
Puis, les constructions spéculatives ne servant souvent vraiment à rien —ou rencontrant des obstacles insurmontables d’ordre financier ou commercial—, ces « promotions » immobilières deviennent des villes ou des cités fantômes, comme Seseña et Valdeluz.

En ville, côté places, boulevards et jardins, les mairies occupées par les amis du fric ou par des gogos offusqués par le prestige du prestige n’y pigent que dalle —hormis le pognon ou la « modernité » barbare.
Donc, les dallages de la fausse austérité ou du snobisme triomphant remplacent la terre et les parterres. Nous disposons d’exemples à foison. L’année dernière, mon ami Arturo Pardos nous mit au courant de l’abattage (municipal) des arbres, troènes, lauriers roses et roseraies de la rue principale d’Alcabón (Tolède), village qui manque affreusement de verdure. À leur place, la mairie planta des palmiers foncièrement chochottes et anatopiques.


D'ailleurs, la tocade municipale avait conçu des déchaussages et des entourages d'arbre ("alcorques") inquiétants, en béton craquelé teint en vert,...

 Source des 3 photos : Arturo Pardos

... défiant toute comprenette et renvoyant de toute évidence à la tête de l'ogre des Jardins de Bomarzo (il Parco dei Mostri, dans la province de Viterbe, en Italie)...


Disons en passant que sur la lèvre supérieure du monstre de cette Porte des Enfers, on peut toujours lire Ogni pensiero vola (« Toute pensée s'envole»), inscription qui fait cruellement défaut sur le béton vert d'Alcabón.

Cui bono?” (À qui cela profite ?), se demandait mon ami Arthur qui nous envoya une quarantaine de brillantes réflexions au sujet de ce carnage, dont celle-ci :
La página oficial del Ayuntamiento de Alcabón se abre en Facebook con unas flores de adelfa. Sin embargo, el Ayuntamiento de Alcabón ha arrancado, en vez de trasplantarlas, varias adelfas con años de vida. O sea, que la Autoridad de Alcabón arranca del mundo real de Alcabón la adelfa de Alcabón, que es la imagen de Alcabón, pero mantiene la adelfa de Alcabón en un mundo virtual que no es de Alcabón. Los Duques de Gastronia y los SIC (sensibles, inteligentes y cultos) están perplejos ante la razón de la sinrazón que a su razón les hace la Autoridad de Alcabón, de tal manera que, enflaquecida su razón, con razón se quejan de la sinrazón de que hace gala la Autoridad. ¿Retirará la Autoridad la foto de Facebook? ¿La sustituirá por la de un asno? ¿Matará, luego, al asno? (Jueves 15 de agosto de 2013)
Sénèque (Médée) autorisait mon ami à présumer : “Cui prodest scelus, is fecit”… « Le crime est à celui qui en recueille les fruits ». Et l'avidité trouve des fruits ailleurs que sur les arbres.

À San Fernando de Henares (banlieue Est de Madrid), on vous explique que la place d’España —« ensemble historico-artistique » qui abritait la « Real Fábrica de Paños » (Usine royale de tissus), l’hôtel de ville d’aujourd’hui— a été « restaurée » en 2012.

Sans compter les retombées humaines et économiques de ce coup de génie socio-écopathe qu’il serait prolixe de détailler, la « restauration » en question a consisté notamment dans l’abattage de la plupart des arbres de fort belle allure qui ombrageaient les lieux et dans la transformation de la place en un toit de parking souterrain, progrès tentant tous les grands partis politiques en Espagne —car c’est le cadre dominant et son bouillon de culture qui déterminent la persévérance dans leur être de tous les heureux membres de la communauté des « libres ».
Voici une photo montrant des arbres qui n’existent plus à San Fernando de Henares pour le bonheur des voitures.


Voici la place après sa restauration...


Dans ce contexte de progrès et de modernité libérales, le 21 juin, le quotidien espagnol en ligne eldiario.es faisait état d’un site, Nación rotonda (« La nation rond-point »), inauguré à la mi-2013 et proposant une radiographie de l’urbanisation effrénée dont nous jouissons en Espagne. Les promoteurs de Nacion Rotonda visent à dresser un «inventaire visuel du changement d'affectation des terres [en Espagne] au cours des 15 dernières années", y expliquait Esteban García, l'un des trois amis ingénieurs des Ponts et Chaussées qui ont créé ce projet —avec Miguel Álvarez et Rafael Trapiello, auxquels se joindraient ensuite le frère de celui-ci, l'architecte Guillermo Trapiello, et la correctrice Melina Grinberg.
Cet inventaire pourrait servir de source inépuisable d'inspiration aux procureurs anti-corruption...
Álvarez destaca que "existe una alta correlación entre los pueblos en los que se descubre un caso de corrupción, sea urbanística o no, y las entradas de Nacionrotonda. Casi cada vez que sale un caso nuevo en un pueblo nosotros ya lo teníamos en la web".
"Avant, tout cela était la campagne", lit-on en exergue sur Nacion Rotonda, un web où il n’y a que des images superposées, pas de textes ; jusqu'à présent, 480 billets-photos illustrant notre dévastation ont été postés depuis qu'ils ont commencé.
Sur chaque paire de photos superposées, il faut faire coulisser une manette fléchée pour comparer l'aspect des terrains avant leur modernisation et après...

Beaucoup de ces contrastes ne sont pas très jolis à voir...

Terrains destinés à la Zone d'activité Bahía de Algeciras, avant...

 ...et après

Et le projet continue, hélas : nulle manière d'en finir avec une telle tâche...

Disons pour les francophones et les étudiants de français qu’un peu avant, le 28 mai, le site de Rue89 avait déjà fixé son attention sur cette initiative et en avait déjà rendu compte présentant un échantillon de huit images satellite :
Le projet « Nación Rotonda » (« la nation rond-point »), créé par trois ingénieurs et un architecte, cherche à rendre visible l'impact de la bulle immobilière sur toutes les régions d'Espagne. Pour montrer comment la « folie » de la construction a transformé le territoire, ils se sont servis de Google Earth.
La bulle immobilière a commencé en 1997 et a duré dix ans. Selon la banque d'Espagne, le prix des logements a augmenté de 100% entre 1996 et 2006, ce qui a contribué à créer une économie spéculative qui a fini par s'effondrer en 2007.

 Source : "El bosque habitado" (Radio 3)



P.-S. - Le hasard a voulu que j'aie lu aujourd'hui, sur la dernière page du quotidien espagnol La Vanguardia (La Contra), un entretien avec le photographe Robert Harding Pittman, qui évoque également les terribles dégâts planétaires, sociaux et psychologiques provoqués par la civilisation du béton et de la voiture. Une âme sœur...


 

mercredi 2 juillet 2014

La Suisse vue du ciel, par Yann Arthus-Bertrand

Un peu de paix pour entamer les vacances. Voici un film publicitaire réalisé par le photographe écologiste Yann Arthus-Bertrand en collaboration avec Suisse Tourisme. Les mots sont de trop. Disons simplement que ce parcours aérien nous montre tour à tour il Ponte dei Salti du Val Verzasca tessinois, la Vallée de Zermatt ou Mattertal (canton du Valais), le Rothorn de Brienz (sommet panoramique de l'Oberland bernois où l'on peut monter en chemin de fer, dans des locomotives à vapeur sur une voie à crémaillère), le barrage de la Grande-Dixence ou le Val de Bagnes (tous les deux dans le Valais), le Château de Gruyères (dans les préalpes fribourgoises), la région viticole de Lavaux et ses vignobles en terrasses au bord du lac Léman (dans le canton de Vaud), un vieux pêcheur sur le lac de Neuchâtel, le lac fribourgeois de la Gruyère (entre Bulle et Fribourg), le lac de Zoug (paradis dont le barème fiscal représente à peu près la moitié de la moyenne suisse) où il fait bon se baigner l'été ; le Château de Chillon (Vaud), le Lac des Quatre-Cantons (Lucerne), des voiliers sur le Lac de Silvaplana (qui se trouve sur le plateau des lacs de la Haute-Engadine, dans les Grisons), les Chutes du Rhin à Schaffhouse (Rheinfall, Schaffausen) ; un rocher physiognomonique modelé par une chute d'eau sur la Vallée de Lauterbrunnen (la vallée des 72 cascades), l'impressionnant Pont suspendu du Trift ou le Wendenstöcke (tous les trois dans le canton de Berne) ; dans le Valais, le Glacier d'Aletsch et le Sphinx (pic de 3 571 mètres à l'Est du Jungfraujoch ; un ascenseur conduit à son sommet, où sont situés une petite plate-forme d'observation ainsi qu'un observatoire scientifique), et l'Allalinhorn (sommet des Alpes valaisannes qui fait partie du massif des Mischabels). Pour clore le film, comme bouquet, on peut contempler le mythique sommet enneigé du Cervin (Valais) et la Chaîne de la Bernina (Grisons).