samedi 23 janvier 2016

Gastrohemeroteca. Recettes historiques 1884-1934

La Hemeroteca Municipal de Madrid nous propose, dans son siège de Conde Duque et dans le cadre du Gastrofestival 2016, un échantillon de la cuisine de la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle à travers des reproductions de plusieurs périodiques d'époque affichées sur des panneaux. Ce sont des magazines professionnels comme La Cocina Elegante, La Mesa Moderna, La Ilustración de la Mujer, Almanaque de Conferencias Culinarias, Le Pot-Au-Feu, El Gorro Blanco, El Menú, La Cocina Artística y Casera et Marmitón.
La cocina artística y casera. 20 de marzo de 1917

L'exposition a démarré aujourd'hui et se tiendra jusqu'au 7 février 2016 dans le hall principal de Conde Duque. Elle rend compte de formules et recettes, menus quotidiens et festins de Balthazar à l'expression souvent très française...




Cette ultraprésence de la langue française en matière gastronomique, un peu partout dans le monde, me renvoie soudain, par antinomie, à la préface de Brillat-Savarin à son célèbre essai Physiologie du goût, édité en 1826, car il y glissait une remarque qui nous semble aujourd'hui plutôt décalée, voire anachronique :
« Je connais, plus ou moins bien, cinq langues vivantes, ce qui m'a fait un répertoire immense de mots de toutes livrées.
Quand j'ai besoin d'une expression, et que je ne la trouve pas dans la case française, je prends dans la case voisine, et de là, pour le lecteur, la nécessité de me traduire ou de me deviner : c'est son destin.
Je pourrais bien faire autrement, mais j'en suis empêché par un esprit de système auquel je tiens d'une manière invincible.
Je suis intimement persuadé que la langue française dont je me sers est comparativement pauvre. Que faire en cet état ? Emprunter ou voler.
Je fais l'un et l'autre, parce que ces emprunts ne sont pas sujets à restitution, et que le vol de mots n'est pas puni par le code pénal.
»
On voit bien que B.-S., néologueur de mots comme "radiance" ou responsable de l'exhumation de termes comme "siroter", était loin d'anticiper la collusion, sur une planète mondialisée, entre les indulgences du code pénal, le matraquage de tous les produits (y compris une certaine langue) de l'empire dominant et le snobisme veblenien, si j'ose dire, des cuistres colonisés.
Dans la méditation IV de son illustre ouvrage pionnier, B.-S. aborde une définition très physiologique de l'appétit —désir n'ayant visiblement rien à voir avec la vraie faim : envie d'essence dans l'aisance— qui en fera baver plus d'un ; sa réflexion commence de la sorte :
Le mouvement et la vie occasionnent dans les corps vivant une déperdition continuelle de substance ; et le corps humain, cette machine si compliquée, serait bientôt hors de service si la Providence n'y avait placé un ressort qui l'avertit du moment où ses forces ne sont plus en équilibre avec ses besoins.
Ce moniteur est l'appétit. On entend par ce mot la première impression du besoin de manger.
L'appétit s'annonce par un peu de langueur dans l'estomac et une légère sensation de fatigue.
En même temps, l'âme s'occupe d'objets analogues à ses besoins ; la mémoire se rappelle les choses qui ont flatté le goût ; l'imagination croit les voir ; il y a là quelque chose qui tient du rêve. Cet état n'est pas sans charmes ; et nous avons entendu des milliers d'adeptes s'écrier dans la joie de leur cœur :
« Quel plaisir d'avoir un bon appétit, quand on a la certitude de faire bientôt un excellent repas ! »
Cependant l'appareil nutritif s'émeut tout entier : l'estomac devient sensible ; les sucs gastriques s'exaltent ; les gaz intérieurs se déplacent avec bruit ; la bouche se remplit de sucs, et toutes les puissances digestives sont sous les armes, comme des soldats qui n'attendent plus que le commandement pour agir. Encore quelques moments, on aura des mouvements spasmodiques, on bâillera, on souffrira, on aura faim.
On peut observer toutes les nuances de ces divers états dans tout salon où le dîner se fait attendre.
(...)
 Que l'appétit vous tienne lieu de faim.

mardi 19 janvier 2016

Là-bas, le Lieu-Dit

C'est janvier, la paternité pompe mes minutes, mais j'ai quand même le temps de voir sur le site d'Acrimed deux appels qui appellent et nous rappellent que nous manquons affreusement de moyens d'honnête communication et d'espaces de rencontres, débats et résistance, et qu'il faut tout faire pour soutenir ceux qui sont encore là et tiennent bon. C'est bien le cas de l'émission Là-bas, si j'y suis (“ Plus près des jetables que des notables ”) et du bar pas comme les autres le Lieu-Dit (Table gourmande, table curieuse, café littéraire, café du coin, scène artistique, scène politique, il vous accueille du mardi au samedi de 16h00 à 2h00 et le dimanche de 11h00 à 2h00), à Paris, à Paris sur la Terre, la Terre qu'on enterre...
Voici les deux textes que publie Acrimed sur les difficultés (financières) mettant en péril la continuité de ces deux expériences. À y réfléchir.

Ces médias qui ont besoin de notre soutien : Là-bas si j’y suis

par Acrimed,
À l’instar d’Acrimed, qui doit régulièrement faire appel à la générosité de ses lecteurs, lectrices et de ses sympathisant-e-s pour pouvoir assurer sa survie financière, plusieurs journaux et sites d’information traversent actuellement une crise de financement qui handicape leurs possibilités de développement, ou qui met parfois en péril leur existence même. Nous relayons ici l’appel de « Là-bas si j’y suis », qui fête son premier anniversaire et qui a besoin de notre, de votre, soutien (Acrimed).
Chers amis, chers AMG,
« Ils nous ont enterrés mais ils ne savaient pas que nous sommes des graines. » C’était il y a un an, une jolie phrase de poète, histoire de se consoler [1]. Sauf que c’est devenu vrai. Grâce à votre soutien, le nouveau Là-bas a pris racine en l’espace d’un an, c’est même déjà une bien belle plante.
Sans publicité, sans subvention, sans actionnaire, sans marchand de béton ou de canons, le nouveau LÀ-BAS est reparti de plus belle sur le net, en radio, en vidéo, en débat, en reportage, en musique.
Déjà 26 000 abonnés soutiennent et participent à ce nouveau LÀ-BAS [2]. Voilà ce qui garantit notre réelle indépendance et nous protège de toutes les pressions financières ou politiques. En France, la quasi totalité des médias sont entre les mains d’une poignée de milliardaires. Dans quel intérêt ? Leurs intérêts. Celui qui paie l’orchestre choisit la musique. Et souvent hélas, les médias publics perdent le sens de leur mission et se mettent dans leur sillage. Comme il y a une malbouffe, il y a une mal info. L’info industrielle pour gaver les poulets en batterie, leur faire peur, les passer à l’eau de javel, les rendre impuissants et résignés. Voilà pourquoi nous continuons le combat.
Notre équipe d’une dizaine d’équivalents temps plein a trouvé à s’installer depuis cet été au bord du bassin de la Villette à Paris, loin des beaux quartiers. Nous nous sommes équipés de matériel léger pour enregistrer et diffuser en radio partout en extérieur. Nous développons aussi la vidéo et surtout nous ne sommes pas peu fiers de notre super studio – conçu par l’équipe – et que nous venons d’inaugurer. Tout cela va nous permettre enfin de décrocher la lune.

Nous nous sommes embarqués sur la toile depuis un an, mais ce n’est ni un refuge ni une revanche
Là-bas si j’y suis a démarré il y a plus d’un quart de siècle sur France Inter. Avec des centaines de reportages à travers le monde et plus de cinq mille émissions, ceux qui ont fait LÀ-BAS ont toujours été précurseurs sur la forme et sur le fond avec un grand succès populaire et toujours d’excellents scores d’audience. Nous ne croyons pas au journalisme neutre qui neutralise, ni aux postures vertueuses qui dissimulent une soumission à l’ordre établi. Nos engagements ont toujours été le résultat de nos reportages et d’un travail journalistique rigoureux et respectueux des faits.
Mais il est vrai que nous avons toujours été plus près des jetables que des notables, plus près des routiers que des rentiers. Après bien des croche-pieds et des pressions, en juin 2014, Radio France a fini par supprimer brusquement cette « anomalie ». Mais aussitôt nous avons été poussés par une énorme vague de soutiens. Confrères, syndicats, auditeurs, pour tous il s’agissait bien là d’une atteinte au pluralisme des médias. Il fallait faire taire des voix dissidentes. Pour Christiane Taubira, ministre de la Justice, c’était une « pensée mutilée ». Voilà ce qui nous a poussés de la trappe à la toile, fidèles au grand principe : affliger les satisfaits et satisfaire les affligés.

Faites un tour sur notre site
En moins d’un an, nous avons produit des dizaines d’heures d’émissions et de reportages en radio et en images. Mais en novembre, en quelques jours, les temps ont changé.
Suite au drame du 13 novembre, nous vivons un coup d’état d’urgence qui cache un tas d’urgences. Pour déjouer la haine et le repli, c’est d’abord à cette peur d’État qu’il faut résister en recherchant les causes de la tragédie. Un autre journalisme est possible, indépendant, rigoureux, populaire, inventif, joyeux, engagé, modeste et génial.
Nous glissons dans des temps étranges moitié chien et moitié loup. Il faut d’autres contre feux, d’autres ripostes, le temps presse [3].

Daniel Mermet

Pour le Lieu-Dit

Nous publions un texte mis en ligne sur Facebook par les éditions La Fabrique, signé par Frédéric Lordon et Éric Hazan, qui en appellent à la générosité et à la solidarité pour sauver le Lieu Dit, en proie à des difficultés financières. Bar, restaurant, lieu de rencontres et de débats, le Lieu Dit accueille régulièrement à Paris des rendez-vous associatifs, artistiques et/ou politiques, parmi lesquels les rencontres que nous organisons chaque trimestre lors de la sortie de notre magazine Médiacritique(s) (Acrimed).
Depuis 12 années, le LIEU DIT tient à Ménilmontant, rue Sorbier, un double rôle. D’un côté, c’est un restaurant, plus amical que beaucoup, mais qui n’est pas seul de cette espèce dans le quartier. De l’autre, c’est un lieu de rencontres autour de livres, de figures d’une gauche qu’on dit radicale pour ne pas dire révolutionnaire, de débats, de projections de films, de concerts.
Ce rôle-là est devenu essentiel au fil des années : le LIEU DIT est plus que nécessaire dans le contexte politique actuel, il est indispensable. C’est là que nous nous retrouvons les soirs où « il se passe quelque chose », là que nous avons pu voir débattre, discuter parfois âprement des individus tels qu’Alain Badiou, Daniel Bensaïd, les Pinçon-Charlot et bien d’autres.
Mais ce double rôle n’est pas sans créer des difficultés pour le LIEU DIT. L’activité rémunératrice – le restaurant – est handicapée par les réunions politiques qui occupent plusieurs fois par semaine une grande partie de la place des dîneurs. Pour cette raison, Hossein, qui tient tout sur ses épaules, éprouve en ce moment de sérieuses difficultés financières.
L’existence du LIEU DIT est menacée, et nous ne pouvons pas nous en passer. C’est pourquoi nous faisons appel à vous pour que cette aventure unique puisse continuer à nous rassembler et à nous instruire, dans le climat d’amitié qui la rend si précieuse.

Frédéric Lordon et Éric Hazan
Envoyez vos dons à l’ordre de ASSOCIATION DES AMIS DU LIEU DIT, 6, rue Sorbier 75020 Paris.
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Mise à jour postérieure :

Le mensuel de critique et d'expérimentation sociales CQFD (en kiosque le premier vendredi du mois) a mis en ligne, le 8 février 2016, cette page de soutien :

Pour que le Lieu-Dit vive

paru dans CQFD n°140 (février 2016), rubrique , par Mathieu Léonard, illustré par - mis en ligne le 08/02/2016 - commentaires
C’est dans l’adversité qu’on reconnaît ses amis, paraît-il. Depuis l’annonce d’une menace de fermeture pour raisons économiques, le Lieu-Dit, bar-restaurant de Ménilmontant et espace pluriel de réunions politiques, a su susciter une vague de solidarité remarquable en ces temps propices au repli.
Au départ, c’est un appel lancé mi-janvier sur Internet par l’éditeur Éric Hazan et le philosophe Frédéric Lordon qui sonne l’alarme : «  L’existence du Lieu-Dit est menacée, et nous ne pouvons pas nous en passer. » Ouvert en 2004, ce bar-restaurant est venu remplacer une agence immobilière sur les hauteurs de Ménilmontant. «  Pour une fois que ça se fait dans ce sens-là », s’amuse Hossein, le taulier de l’endroit. L’objectif premier était de créer un lieu de rencontres et de débats qui puisse se financer parallèlement par une activité économique, sans subvention aucune. »
Trois à quatre fois par semaine, la salle est mise à disposition pour des soirées-débats. La rue Sorbier est vite devenue un lieu de rendez-vous incontournable, où se réunissent aussi bien les séminaires de Pierre Dardot et Christian Laval, les Amis du Monde diplomatique, les AMG de Là-bas si j’y suis, la société Louise-Michel, la revue Ballast ou encore le Petit Salon du livre politique qui réunit, depuis neuf ans, une vingtaine d’éditeurs indépendants au mois de mai (Agone, La Fabrique, L’Échappée, Les Liens qui libèrent, Les Prairies ordinaires, Le Passager clandestin, Libertalia, Rue des Cascades, Syllepse, etc.). La crème de la gauche radicale parisienne en quelque sorte : « On accueille aussi bien le Parti de gauche que des libertaires, le collectif Attac ou les gens de Tarnac, précise Hossein. Je n’irai pas jusqu’à dire que ça fédère tous ces gens, mais l’espace réunit modestement les conditions d’une rencontre. »

Par Martin Barzilai. {JPEG}

Mais le resto n’est pas qu’un agrégat œcuménique de sensibilités, comme le rappelle Rémy Toulouse, éditeur à La Découverte : «  Le Lieu-Dit est un lieu ami, un lieu central, où échangent les tendances les plus diverses de la “gauche de gauche” ; un lieu qui témoigne d’une activité persistante de ces milieux et qui est en même temps – faut-il le regretter ? –, le signe d’un reflux considérable de la vitalité des organisations et des lieux d’accueil politiques traditionnels. La figure exceptionnelle d’Hossein est évidemment pour beaucoup dans cette vie “alternative”, mais il est indispensable que celles et ceux qui en font usage commencent à considérer qu’il s’agit d’un lieu “commun”, qui échappe largement à la sphère marchande. »
Même témoignage d’attachement avec la copine Charlotte Dugrand, des éditions Libertalia, lesquelles organisent régulièrement les présentations de leurs parutions dans l’endroit : « À l’heure où le Paris populaire et les lieux alternatifs sont en train de véritablement disparaître, le Lieu-Dit offre encore un espace de rencontre accessible, gracieusement mis à la disposition des organisateurs. C’est un lieu fédérateur où diverses tendances sont amenées à se côtoyer, à boire un verre et à refaire le monde le temps d’une soirée. Hossein est à l’opposé des patrons de bar qui veulent rentabiliser la salle en faisant deux ou trois services en une soirée. Il la prête pour les débats, il est donc important de le soutenir en retour, pour garder cet espace de discussion, digne des clubs du XIX e siècle ! »
Comme l’ensemble du secteur de la restauration, le Lieu-Dit a commencé à sentir les effets de la crise en 2010-2011. De surcroît, la place prise par les causeries impactait sur l’activité économique : « On a vite constaté que beaucoup de gens qui viennent aux débats, surtout les étudiants, n’avaient pas les sous pour profiter du restaurant, constate Hossein. Depuis 2013, les recettes ne sont plus suffisantes pour maintenir un équilibre financier et payer à la fois l’Urssaf, les salaires des six employés, le loyer, les fournisseurs. Le déficit s’est creusé. À la rentrée 2015, la situation était insoluble et angoissante, je n’avais pas d’autre solution que d’envisager de mettre un terme à cette expérience – aussi sympa soit-elle – et de revendre, de payer les dettes et de passer à autre chose. En même temps, symboliquement, je sentais que le Lieu-Dit n’appartenait pas qu’à moi. Hazan et Lordon m’ont finalement convaincu de lancer cet appel en soutien. »
Un article sur le site des Inrocks a donné suite à l’appel et a apparemment suscité la curiosité de nouveaux clients, qui ont la chance de découvrir la tarte tatin aux oignons rouges caramélisés avec son fromage de chèvre fondant et sa purée de patates douces. Sur les réseaux sociaux, l’appel en soutien a fonctionné et les réseaux militants ont assez spontanément pris l’initiative d’organiser une soirée de soutien le mercredi 27 janvier, où des centaines de personnes se sont serrées dans les lieux. « Mon parti, c’est le Lieu-Dit ! », a déclaré l’économiste Cédric Durand au cours de la soirée. « Il faut rendre au Lieu-Dit ce qu’il nous donne ! », a entonné la metteuse en scène Judith Bernard, présidente de l’asso de soutien.
« Depuis que cet appel a été lancé, je mesure combien il y a de sympathie pour ce lieu. C’est intense et enthousiasmant et je ne suis pas habitué à ça, confie Hossein en riant. Je suis même débordé par la charge émotionnelle de la chose. L’afflux de solidarité est aussi réjouissant par rapport aux idées qui sont défendues dans ce lieu. C’est vraiment pas rien. »