vendredi 30 décembre 2011

Delacroix au CaixaForum de Madrid


Organisée par Sébastien Allard, conservateur en chef du département des Peintures du musée du Louvre, inaugurée le 19 octobre 2011, la rétrospective sur Eugène Delacroix (1798-1863) au CaixaForum Madrid (Paseo del Prado, 36) est la plus complète que l'on ait jamais réalisée à l'étranger autour de ce peintre et, malgré l'absence de "La Liberté guidant le Peuple"(1830), son tableau le plus célèbre, la plus pourvue depuis celle de 1963, montée à Paris à l'occasion du centenaire de sa mort.
Elle recueille plus de 130 œuvres provenant de toutes sortes de collections et on peut encore la visiter gratuitement jusqu'au 15 janvier 2012. Elle se rendra ensuite à Barcelone pour être contemplée à partir de février prochain à côté d'une autre rétrospective consacrée à Francisco de Goya (1746–1828).

Cette exposition est le dernier résultat parmi nous de l’accord de collaboration signé en 2009 entre l’Obra Social La Caixa et le musée du Louvre. Elle débute par deux autoportraits de Delacroix : le premier date de 1842 et appartient à la Galerie des Offices (Galleria degli Uffizi, Florence) ; le second, dit au gilet vert, fut peint en 1837 et est la propriété du musée du Louvre. Quant au reste du parcours, bien touffu, serré, je vous colle de longs extraits du dossier de presse que j'ai dégoté sur le site de l'Ambassade de France à Madrid. Je me suis permis d'y ajouter, en arial et entre crochets, les quelques notes de mon cru que j'ai prises sur un bout de papier au fil de ma seconde visite et des évocations qu'elle m'a suscitées. L'ensemble est varié et nutritif en couleurs, passion, expression et mouvement.
À tout hasard, La Caixa vous permet d'en faire un tour virtuel interactif : cherchez le lien au bas de ce billet.

« Quand j’ai fait un tableau, je n’ai pas écrit une pensée » (1). Eugène Delacroix remit en question le besoin d’un thème en peinture. Pour lui, ce qui, sur un tableau, provoquait une émotion, c’étaient ses valeurs plastiques — matière, lumière, couleur —, par-delà les scènes représentées. Révéler cette nouvelle facette de Delacroix, un peintre que l’on associe plutôt d’habitude à de grandes compositions à thème historique, pour dévoiler un révolutionnaire s’opposant aux inflexibles conventions de l’art néoclassique, voilà l’un des objectifs de l’exposition Delacroix (...).
Entre autres attraits, elle offre celui de pouvoir contempler des œuvres devenues des référents de notre culture visuelle, telles La Grèce expirant sur les ruines de Missolonghi (2), l’une des esquisses de la Mort de Sardanapale ou encore Femmes d’Alger dans leur appartement (exceptionnellement prêté par le musée du Louvre). Ce dernier tableau avait été peint par Delacroix suite au voyage qui l’avait conduit en Afrique du Nord en 1832, après des haltes dans plusieurs villes espagnoles. Ce voyage devait exercer sur lui une profonde influence, et l’exposition s’arrête aussi sur le lien existant entre Delacroix et l’Espagne. Aux côtés des grandes peintures à l’huile, elle montre des esquisses, des dessins, des aquarelles et des gravures qui témoignent de la vie intérieure de l’artiste et le rapprochent de la sensibilité contemporaine. (...)
« Tout Goya palpitait autour de moi » écrivit-il à son ami Pierret, manifestant son intérêt naissant envers l’art de la péninsule ibérique. De fait, Delacroix fut l’un des tout premiers à découvrir, en France, les Caprices de Goya. L’exposition aujourd’hui présentée par l’Œuvre sociale ”la Caixa” cherche à mettre un terme à cette situation, paradoxale si l’on prend en compte la puissante influence qu’a exercé l’œuvre de Goya sur l’art de Delacroix ou l’ascendant qu’a eu ce dernier sur le grand maître espagnol du XXe siècle, Pablo Picasso — qui l’honora par une série inspirée des Femmes d’Alger dans leur appartement. (...)
Cette grande rétrospective propose un passage en revue complet de l’œuvre de Delacroix et de l’évolution de sa peinture. Elle parcourt les différentes étapes de sa production, partant de ses premières œuvres, qui recherchent l’inspiration dans le musée, pour aboutir à sa maturité, pendant laquelle l’artiste reprend depuis une autre perspective les thèmes travaillés auparavant et s’attache plus particulièrement à ses œuvres historiques et à celles d’inspiration orientale. (...)
Outre les œuvres venues du musée du Louvre, l’exposition recèle de nombreux prêts d’institutions du monde entier – la Galerie des Offices (Florence), la National Gallery (Londres), le Metropolitan Museum of Art (New York), le musée d’Orsay (Paris), l’Art Institute of Chicago, le British Museum (Londres) ou le musée des Beaux-Arts (Bordeaux) – et de collections privées.
(...) Après la réédition du Journal de Delacroix en 2009, cette rétrospective propose une nouvelle vision de la production de l’artiste, fondée sur les dernières découvertes et sur des publications scientifiques. On y explore la façon dont Delacroix a posé la question du thème et de sa nécessité, et la façon dont a surgi l’idée d’une composition fondée sur son exécution. On y voit aussi que le peintre connaissait profondément la tradition de la peinture – celle des commandes officielles et des thèmes héroïques de l’histoire et de la religion –, ce qui lui permit de mieux la réinventer avant de la confronter à la révolution du Réalisme à compter du milieu du XIXe siècle. (...) 
LES VOLETS DE L’EXPOSITION 
Delacroix et le modèle
[Prégnance au fond de la salle d'un tableau de grandes dimensions au sujet à l'époque insolite, exotique : Jeune tigre jouant avec sa mère (1831). Je recommence : une Académie d’homme : modèle vivant masculin. Expression qui me semble toujours farfelue. Toile ensuite du Duc d’Orléans montrant sa maîtresse… à son chambellan, le Duc de Bourgogne. La femme est dénudée et allongée sur un lit tandis que son amant couvre sa poitrine et son visage avec le drap... car il arrivait que le voyeur était son mari à elle. 
Puis, après avoir contemplé 4 ou 5 tableaux, ma sœur m'évoque une technique picturale très ancienne, la vélature, le glacis, la superposition de couches de peinture transparente qui permet de créer des effets.] 
Du temps de Delacroix, le nu était la pierre angulaire de l’apprentissage artistique. Le cycle de Maria de Médicis peint par Rubens et exposé au Louvre, fournit au jeune peintre un modèle à suivre. Dans cette salle sont exposées plusieurs études qui témoignent de l’originalité de Delacroix, pour qui la fascination de la lumière et la couleur de la chair féminine l’emporte sur la précision anatomique.
Les trois versions du portrait d’Aspasie sont la preuve d’une recherche extraordinaire sur la couleur. Le défi consiste à reproduire la lumière et la texture veloutée de la peau de la mulâtresse. Pour y parvenir, Delacroix imprime un marron plus foncé à certaines parties du corps, comme les aisselles ou le dos de la main, habituellement négligées dans le nu académique. Et il s’attache au contraste entre le brun de la peau et le rouge intense des lèvres. Si l’on compare les trois portraits, on constatera que le visage et le corps dialoguent avec le fond coloré, qui va du rouge, dans la version la plus ancienne, au vert dans la plus récente.
Les illustrations de Faust
La littérature fut pour Delacroix une puissante source d’inspiration. Les dix-sept illustrations du Faust de Goethe (1828), dont elles proposent une lecture très personnelle, constituent l’une de ses principales œuvres lithographiques.
Delacroix s’éloigne du texte original, s’écarte des amours entre Faust et Marguerite pour s’attacher à la relation entre Faust et Méphistophélès, son double maléfique. À mesure que l’on avance dans la série, l’image de Faust ressemble de plus en plus à celle de son diabolique conseiller, au point qu’il se confond avec lui dans la scène de séduction de Marguerite. Ayant vu les lithographies de Delacroix. Goethe apprécie la nouveauté de son interprétation : « M. Delacroix est un artiste d’un talent d’élite, qui a précisément trouvé dans Faust la pâture qui lui convient. [...] Et si je dois avouer que, dans ces scènes, M. Delacroix a surpassé ma propre vision, combien, à plus forte raison, les lecteurs trouveront tout cela vivant et supérieur à ce qu’ils se figuraient » déclare-t-il à son ami Eckermann dans ses célèbres Conversations.
Le portrait et l’influence britannique
[Détails et insinuations, fonds dilués en général ; encore académique : Portrait de Louis-Auguste de SchwitterEnsuite un autre postérieur, exactement de la décennie suivante : l’excellent Portrait de Léon Riesener (1835). Léon était fils du peintre Henri-François Riesener, cousin germain de Delacroix et peintre lui aussi, en fait avant-coureur de l’Impressionisme.
Ébauches variées ; on remarque illico une forte influence de Goya dans l'Étude de costumes souliotes et de figures goyesques ou l'Ébauche pour l’assassinat de l’évêque de Liège (1827, Musée des Beaux-Arts). Une nouvelle paroi souligne l'influence des sujets byroniens : une Esquisse de la Mort de Sardanapale ; le Combat du Giaour et Hassan (1826)] 
De 1820 à 1830, l’œuvre de Delacroix dénote une forte influence de la peinture anglaise, que l’on décèle encore plus après son séjour à Londres de 1825 et sa rencontre avec le peintre Sir Thomas Lawrence.
Delacroix interprète le portrait britannique conformément à sa propre personnalité de peintre. L’œuvre la plus importante de cette période est le portrait du baron Schwitter (1826). Comme dans la plupart des portraits anglais de l’époque, celui-ci aspire à saisir le caractère du baron, qui est peint debout, dans un parc. Toutefois, au lieu de le représenter dans une attitude faussement détendue, Delacroix privilégie les aspects les plus formels et souligne l’allure aristocratique de son personnage au moyen des vêtements.
Son goût romantique du déguisement se manifeste notamment dans le portrait du baryton Barroilhet habillé en Turc ou encore dans son propre autoportrait où il se représente sous les traits d’Edgar Ravenswood, le héros du roman de Walter Scott, La Fiancée de Lammermoor (1819). Nous savons grâce à des témoignages de l’époque que Delacroix se rendait déguisé en Dante aux bals costumés.
L’inspiration littéraire
[À part bien d'autres, on remarque celle de Chateaubriand : Les Natchez] 
L’imagination de Delacroix avait besoin d’être stimulée. « Ce qu’il faudrait pour trouver un sujet, c’est ouvrir un livre capable d’inspirer et se laisser guider par l’humeur» écrit-il dans son Journal. De 1820 à 1830, c’est la littérature qui lui fournit ces stimulations. Toutefois, il ne se contente pas d’illustrer un récit. L’artiste transcrit les émotions que la lecture lui cause. Plus tard, la seule vision des couleurs de la palette lui suffira.
Delacroix fait irruption dans les salons de cette décennie avec des audaces stylistiques qui révolutionnent la peinture historique. En même temps qu’il exalte la matière de la peinture, il renouvelle ses thèmes grâce à ses lectures de littérature ancienne et moderne, où l’on trouve, outre Dante, Cervantès ou Milton, les romans à la mode de Chateaubriand et de Walter Scott. (...) Derrière Lord Byron, il prend parti pour l’indépendance de la Grèce, alors en guerre contre l’empire ottoman. (...)
Le drame de la Grèce
« Qui se mettra à la tête de tes enfants dispersés ? Qui te libèrera d’un esclavage auquel tu es trop habituée ? » écrit Lord Byron dans son poème narratif Le pèlerinage de Childe Harold (1812-1818), composé après son premier voyage en Grèce, en 1810. Les idées de Byron marquèrent profondément Delacroix, qui consacra plusieurs œuvres à la guerre d’indépendance grecque. Cette salle permet de contempler une aquarelle et une étude du Massacre de Chios (1824) qui évoque le massacre de 20 000 Grecs et les souffrances des femmes et des enfants survivants. En 1826, Delacroix peint La Grèce expirant sur les ruines de Missolonghi. Le tableau était destiné à figurer dans une grande exposition organisée au profit des révolutionnaires grecs. Il narre la résistance héroïque des habitants de Missolonghi. C’est, de plus, un hommage à Lord Byron, qui mourut dans cette ville en 1824.
La souffrance de la Grèce est représentée par la figure d’une femme au désespoir qui se résigne au sacrifice. Elle rappelle les Pietà de la Renaissance, tandis que la main qui surgit des décombres évoque Le radeau de la méduse de Géricault.
Souvenirs du voyage au Maroc
En 1832, Delacroix participe à une mission diplomatique française en Afrique du Nord. Il accompagne le duc de Mornay dans sa visite à Abd-Er-Rhaman, sultan du Maroc. Au cours de ce voyage, il fait escale dans plusieurs villes espagnoles : Cadix, Séville et Algésiras. [Et Cordoue]
Delacroix emplit son carnet de voyage de notes et de croquis du naturel, ce qui lui permet de perfectionner sa technique de l’aquarelle. Son périple en Afrique du Nord allait fournir à l’artiste un répertoire inépuisable de sujets et de motifs qu’il reprendra jusqu’à la fin de sa vie. Certaines œuvres de petit format, comme Une rue à Meknès, respirent la fraîcheur et l’immédiateté.
À partir de 1832, l’inspiration de Delacroix est renouvelée (3) par le choix des thèmes et le traitement de la couleur, qui devient la grande dominante de sa peinture. De 1834 à 1841, il expose dans les Salons quatre œuvres majeures, réunies dans cette salle : Femmes d’Alger dans leur appartement, Le Kaïd, chef marocain, Les Convulsionnaires de Tanger et La Noce juive au Maroc. [Où il ne manque que... la mariée, cher Einstein]
La grande décoration
Dans les années 1830, l’activité de Delacroix est décuplée. Il reçoit des commandes de l’État pour des édifices publics et réalise les grands décors du Salon du Roi et de la bibliothèque du Palais Bourbon, siège actuel de l’Assemblée nationale, et de la bibliothèque de la Chambre des Pairs.
En 1849, il réalise le plafond principal de la galerie d’Apollon au Louvre, dont nous présentons une esquisse. Il s’agissait de compléter les travaux commencés presque deux siècles plus tôt par Charles LeBrun, peintre de Louis XIV. Il est à l’apogée de sa carrière de peintre décorateur.
Médée et Saint Sébastien
À la fin des années 30, Delacroix retourne au classicisme et exécute de grandes peintures à l’huile à thèmes mythologique et religieux. Il peint ainsi plusieurs versions de Médée – où l’épouse de Jason est dépeinte dans une attitude farouche, le poignard à la main, juste avant d’assassiner ses enfants – et Saint Sébastien, tableau où le saint est montré inanimé tandis que sainte Irène retire les flèches du martyr. Ces deux tableaux montrent l’influence d’Andrea del Sarto, de Rubens et de Van Dyck.
À compter du début des années 1840, Delacroix aborde tous les thèmes, de l’histoire de l’Antiquité à l’actualité contemporaine, le portrait, la peinture décorative et religieuse, et il renouvelle constamment ses sources d’inspiration.
La solitude du Christ
Le sentiment religieux n’est pas prépondérant dans l’œuvre de Delacroix. Les critiques de son époque le lui reprochaient d’ailleurs. Cependant, la figure du Christ occupe une place prédominante dans sa production.
Delacroix voyait dans le personnage de Jésus crucifié l’individu faisant face au destin et à la mort. Ses Crucifixions sont centrées sur la solitude du Christ. Le peintre interprète la Passion comme un drame humain empreint de doutes, de souffrance et de résignation. Dans ses différentes versions du Christ à la colonne, Delacroix exclut tout élément narratif et expressionniste et invite le spectateur à méditer sur la douleur de l’Homme. Dans ses Pietà, le peintre met en scène la souffrance de la mère dont les bras grand ouverts évoquent le supplice de son Fils.
Séries et variations
En 1847, Delacroix reprend son journal, interrompu en 1824. Tandis qu’il travaille à différents projets de peinture décorative, il réfléchit à son œuvre et renoue avec des thèmes littéraires qu’il avait traités vingt ans plus tôt.
Il se montre désormais critique envers Byron, qui lui inspire néanmoins Le naufrage de Don Juan et La fiancée d’Abydos. Il exécute une série sur L’enlèvement de Rebecca, inspirée de l’Ivanhoé de Walter Scott, ainsi que plusieurs variations au dessin, à la peinture et en gravure à partir d’un thème shakespearien, Hamlet et Horatio au cimetière.
Le thème de l’enlèvement surgit aussi dans Les Pirates, alors que l’héroïne furieuse et violente donne lieu aux deux versions de La fiancée d’Abydos et à Desdémone maudite par son père. Thèmes et motifs se répondent d’une œuvre à l’autre, ce qui donne une unité à la prolifique production de cette période.
La Chasse au lion : le pouvoir de l’esquisse
L’Exposition universelle de Paris de 1855 porte Delacroix au sommet. Il accroche à ses cimaises une rétrospective de trente-cinq œuvres dont, notamment, un immense tableau, la Chasse au lion, par lequel il renoue avec ses recherches sur la peinture animalière. Cette toile s’inspire de Rubens : Delacroix souhaitait se présenter aux yeux du monde comme le successeur du maître flamand.
Nous présentons dans cette salle une extraordinaire étude préliminaire de la Chasse au lion. Elle compte parmi les meilleures de l’artiste. À cinquante-sept ans, Delacroix s’intéresse à l’inachevé et à sa capacité de conserver sur la toile la fraîcheur de l’esquisse. Dans ce chef-d’œuvre, les lignes tourbillonnantes et la puissance de la couleur transmettent la violence du combat entre l’homme et la bête. En avance sur la modernité, Delacroix fait primer la force de l’expression sur la perfection de la forme.
Le paysage, entre la matière et l’esprit
[Remarquable pré-impressionnisme technique et thématique. Des aquarelles montrant la côte normande —les falaises d’Étretat sur la Côte d’Albâtre, La Mer vue des hauts de Dieppe— avant Courbet ou Monet, mais presque trois décennies après celles de Bonington ou d'Eugène Isabey. Cf. le catalogue La Normandie, berceau de l'impressionisme 1820-1900, Éditions Ouest-France, de Jacques-Sylvain Klein]

La Mer vue des hauts de Dieppe
La tentation de la peinture pure est toujours présente dans l’œuvre de Delacroix. Comment un art aussi matériel peut-il arriver à l’âme du spectateur et lui procurer des émotions aussi profondes ? Dans ses écrits, l’artiste parle de « l’accord magique » qui permet à la peinture de s’emparer de celui qui la contemple.
À partir de 1850, paysages et études atmosphériques acquièrent de plus en plus d’importance, comme si le peintre éprouvait le besoin de comprendre et d’expliquer les phénomènes atmosphériques. Delacroix séjourne à plusieurs reprises à Dieppe, en Normandie. Le contact avec le paysage maritime lui permet d’expérimenter de nouvelles sensations et de les fixer sur la toile grâce à des ombres colorées et à des reflets qui annoncent la recherche de la lumière des Impressionnistes.
Dans ses compositions à thème historique, les personnages se fondent naturellement dans le paysage, comme dans Ovide chez les Scythes, exposé au Salon de 1859. Le poète exilé se réfugie dans un lieu écarté, parmi des hommes sauvages. La grandeur du paysage et l’éloignement des figures nous situent entre deux mondes, à l’instar de Delacroix, qui s’approche de la fin de sa vie. « C’est le fini dans l’infini. C’est le rêve ! » s’exclamera Baudelaire, enthousiasmé par le tableau.
Charles Baudelaire (1821-1867) s'engagea énormément vis-à-vis d'Eugène Delacroix. À propos des origines de cette passion, Marie-Christine Natta écrit :
« Baudelaire découvre Delacroix à 17 ans. En juillet 1838, dans le cadre d'une sortie scolaire au château de Versailles, il visite les galeries historiques, inaugurées l'année précédente par Louis-Philippe [d'Orléans, Louis-Philippe Ier, fils de Philippe Égalité et dernier roi de France]. En les traversant, l'adolescent est frappé par la froideur des tableaux de l'Empire, que l'on dit pourtant "fort beaux". Ces toiles, dont "les personnages sont souvent échelonnés comme des arbres ou des figurants d'opéra", font bien pâle figure à côté de la fougueuse Bataille de Taillebourg. Mais en s'adressant à sa mère et à son beau-père le colonel Aupick, il tempère respectueusement son jugement. "Je parle peut-être à tort et à travers, leur dit-il, mais je ne rends compte que de mes impressions : peut-être aussi est-ce le fruit des lectures de La Presse qui porte aux nues Delacroix ?", La Presse, c'est-à-dire Gautier, qu'il découvre aussi à cette occasion. »
(Marie-Christine Natta : Eugène Delacroix, Tallandier, 2010 ; page 418.)
Baudelaire situa sa première rencontre avec Delacroix en 1845 : ils avaient respectivement 25 et 50 ans. Dès les Salons de 1845 et surtout de 1846, il commentera ses grands tableaux avec délectation. Le 1er juin 1855, lors de la première publication des Fleurs du Mal dans La Revue des Deux Mondes, partielle car elle n'en faisait paraître que dix-huit poèmes, le public aura la possibilité de lire ces deux strophes, dans Les Phares concrètement :
(...)
Goya, cauchemar plein de choses inconnues,
De fœtus qu'on fait cuire au milieu des sabbats,
De vieilles au miroir et d'enfants toutes nues,
Pour tenter les démons ajustant bien leurs bas ;

Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges,
Ombragé par un bois de sapins toujours vert,
Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges
Passent, comme un soupir étouffé de Weber ;
(...)
L'Exposition universelle de Paris de 1855 se tint du 15 mai au 31 octobre. Baudelaire publia trois articles à l'égard de l'Exposition que l'on peut toujours lire dans son ouvrage posthume Curiosités esthétiques (1968). Grâce au visualiseur de Gallica, la bibliothèque numérique de la BNF, vous pouvez accéder à Curiosités esthétiques ; L'art romantique : et autres oeuvres critiques / Baudelaire, textes établis par Henri Lemaître (responsable de l'édition imprimée publiée par la collection Classiques Garnier en 1986). Voici une citation centrale de la III partie où Baudelaire soutenait avec ardeur la peinture de Delacroix :
« Par le premier et rapide coup d’œil jeté sur l’ensemble de ces tableaux, et par leur examen minutieux et attentif, sont constatées plusieurs vérités irréfutables. D’abord, il faut remarquer, et c’est très important, que, vu à distance trop grande pour analyser ou comprendre le sujet, un tableau de Delacroix a déjà produit sur l’âme une impression riche, heureuse ou mélancolique. On dirait que cette peinture, comme les sorciers et les magnétiseurs, projette sa pensée à distance. Ce singulier phénomène tient à la puissance du coloriste, à l’accord parfait des tons, et à l’harmonie (préétablie dans le cerveau du peintre) entre la couleur et le sujet. Il semble que cette couleur, qu’on me pardonne ces subterfuges de langage pour exprimer des idées fort délicates, pense par elle-même, indépendamment des objets qu’elle habille. Puis ces admirables accords de sa couleur font souvent rêver d’harmonie et de mélodie, et l’impression qu’on emporte de ses tableaux est souvent quasi musicale. »
Et là, Baudelaire s'impliquait pleinement et expliquait ses quatre vers dédiés à Delacroix car voici sa suite :
« Un poète a essayé d'exprimer ces sensations subtiles dans des vers dont la sincérité peut faire passer la bizarrerie:
Delacroix, lac de sang, hanté des mauvais anges,
Ombragé par un bois de sapins toujours vert,
Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges
Passent comme un soupir étouffé de Weber.
Lac de sang: le rouge; - hanté des mauvais anges: surnaturalisme; - un bois toujours vert: le vert, complémentaire du rouge; - un ciel chagrin: les fonds tumultueux et orageux de ses tableaux; - les fanfares et Weber: idées de musique romantique que réveillent les harmonies de sa couleur.
Du dessin de Delacroix, si absurdement, si niaisement critiqué, que faut-il dire, si ce n'est qu'il est des vérités élémentaires complètement méconnues; qu'un bon dessin n'est pas une ligne dure, cruelle, despotique, immobile, enfermant une figure comme une camisole de force; que le dessin doit être comme la nature, vivant et agité; que la simplification dans le dessin est une monstruosité, comme la tragédie dans le monde dramatique; que la nature nous présente une série infinie de lignes courbes, fuyantes, brisées, suivant une loi de génération impeccable, où le parallélisme est toujours indécis et sinueux, où les concavités et les convexités se correspondent et se poursuivent; que M. Delacroix satisfait admirablement à toutes ces conditions et que, quand même son dessin laisserait percer quelquefois des défaillances ou des outrances, il a au moins cet immense mérite d'être une protestation perpétuelle et efficace contre la barbare invasion de la ligne droite, cette ligne tragique et systématique, dont actuellement les ravages sont déjà immenses dans la peinture et dans la sculpture ? (...) »
En 1863, celui de la mort du peintre, Charles Baudelaire publiera son dernier hommage à Delacroix : L'œuvre et la vie d'Eugène Delacroix.

Cliquez sur les liens ci-dessous si vous souhaitez accéder à...
— La présentation en castillan de l'exposition sur le site de l'Œuvre sociale La Caixa.
— Une visite virtuelle interactive.
— Le dossier de presse complet : site de l'Ambassade de France ou site de LaCaixa.

(1) Note du prof : « Quand j’ai fait un beau tableau, je n’ai pas écrit une pensée. C’est ce qu’ils disent. Qu’ils sont simples ! Ils ôtent à la peinture tous ses avantages. L’écrivain dit presque tout pour être compris. Dans la peinture, il s’établit comme un pont mystérieux entre l’âme des personnages et celle du spectateur. Il voit des figures, de la nature extérieure ; mais il pense intérieurement, de la vraie pensée commune à tous les hommes. » Morceau extrait du Journal de Delacroix datant de 1822.

(2) Note du prof : où l'on voit que ce n'est pas la première fois... Quant au drame de la Grèce d'aujourd'hui, cliquez ci-contre (accès au blog de Pedro Olalla).

(3) Note du prof : Alain Daguerre de Hureaux écrit, dans son introduction au beau livre Delacroix. Voyage au Maroc. Aquarelles (Éditions Jardin Majorelle, Bibliothèque de l'Image, Paris 2000) :
Le 25 janvier 1832, peu après son débarquement [au Maroc], il écrit à son ami Pierret : « Nous avons débarqué au milieu du peuple le plus étrange. [...] Il faudrait avoir vingt bras et quarante-huit heures par journée pour faire passablement et donner une idée de tout cela. [...] Je suis dans ce moment comme un homme qui rêve et qui voit des choses qu'il craint de voir lui échapper. »
Annotés à la mine de plomb afin de préciser ici une indication de couleur, là une impression dont il souhaite conserver le souvenir, ces dessins sont souvent exécutés à l'aquarelle sur une rapide esquisse préparatoire au crayon noir. Ils apparaissent comme autant de notations fugitives qui constituent, au fil des mois, un extraordinaire album de voyage auquel le peintre fera régulièrement appel jusqu'à la fin de sa vie.

samedi 24 décembre 2011

Une presse passeuse de notes de presse

Au total, la SNCF aura versé à l'Etat plus de 600 millions sur les cinq dernières années.
Les Échos, 21/12/11

Bâillonnée, la presse indépendante ? Si au moins elle la fermait... Paresseuse ? Hélas, plutôt passeuse : elle n'est que la courroie de transmission des bonnes nouvelles (notes ou dossiers de presse) concoctées par les gendargents à l'appétit inépuisable, au point qu'on a presque envie de croire que la dictée a été supprimée dans nos écoles parce qu'elle est obligatoire dans les bureaux de rédaction des média. En voilà un exemple :
Le TER libéralisé
L'ouverture à la concurrence des TER (trains express régionaux) et des TET (trains d'équilibre du territoire, Corails, Intercités) a franchi une nouvelle étape : à partir de 2014, les régions qui le souhaitent pourront choisir un opérateur autre que la SNCF pour exploiter les trains régionaux de voyageurs, contrairement à aujourd'hui où le trafic régional est réglementé par des conventions signées entre l'Etat, les régions et la SNCF. Cette libéralisation vise à permettre une baisse des prix et une amélioration des services.  (Le Monde, 20/12/2011)
La liberté se porterait donc très bien, on ne penserait qu'à elle : TER libéralisé ; régions qui souhaitent et qui choisissent contrairement aux réglementations d'aujourd'hui ; libéralisation. Et puis elle nous rendrait la pareille car elle nous apporterait une baisse des prix et une amélioration des services : la totale ! Par conséquent, encore une fois, on serait tenté de dire que ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise; il fallait dire que tout est au mieux. Quitte, bien entendu, à y réfléchir un tant soit peu et se dire qu'on connaît la chanson, cette rengaine ressassée de la liberté guidant le business. Car il ne faut pas lire trop loin (1) pour se douter quelle pourrait être la source de tant d'amour pour l'émancipation :


La SNCF devrait verser 230 millions d'euros de dividendes à l'Etat en 2012

L'entreprise prévoit dans le projet de budget 2012 examiné demain en conseil d'administration le versement d'un dividende record à l'Etat. Selon la règle utilisée depuis 2007, ce dividende correspond à 30 % du résultat net récurrent de l'entreprise, hors résultats exceptionnels.

Alors que les assises du ferroviaire qui se sont achevées la semaine dernière ont mis en lumière les difficultés financières du rail français, la SNCF devrait afficher un très bel exercice 2011. En témoignent les dividendes en forte hausse que l'entreprise s'apprête à verser à l'Etat. Selon les informations recueillies par « Les Echos », le projet de budget 2012 de l'entreprise, qui doit être examiné en conseil d'administration demain, prévoit le versement d'un dividende de près de 230 millions d'euros à la puissance publique au titre de l'exercice 2011, un montant record depuis l'instauration de cette pratique sur l'exercice 2007.
La règle utilisée depuis cette date consiste à verser à ce titre 30 % du résultat net récurrent de l'entreprise (hors résultats exceptionnels). Cela laisse à penser que celui-ci a été estimé, sur la base des neuf premiers mois de l'année, aux alentours de 700 millions d'euros.
(...)
L'autre question est désormais de savoir ce que l'Etat fera de ces dividendes, alors que les assises du ferroviaire ont acté la nécessité de dégager au moins 1 milliard de ressources supplémentaires par an pour assurer la viabilité économique du réseau existant. La commission qui planchait sur ce thème, présidée par Nicolas Baverez, préconisait notamment de réinvestir les dividendes susceptibles d'être versés dans la rénovation du réseau, en les versant à Réseau Ferré de France, le gestionnaire des infrastructures. Mais cette attitude vertueuse semble loin d'être acquise, au moment où le gouvernement explore toutes les mesures pour tenir ses objectifs budgétaires globaux. Au total, la SNCF aura versé à l'Etat plus de 600 millions sur les cinq dernières années.
Par ailleurs, le projet de budget doit également entériner une poursuite de la baisse des effectifs dans la branche fret (- 1.232 postes), avec au total une diminution de 700 postes par rapport à 2011. L'effectif moyen envisagé en 2012 serait de 149.752 cheminots contre 176.500 il y a dix ans.

LIONEL STEINMANN



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Non, décidément libération et libéralisation (privatisation) recouvrent deux concepts bien différents, voire opposés. On dirait que bon nombre de journalistes tiennent à damer le pion aux économistes dont le travail consiste, dixit El Roto, "à faire que l'intolérable semble nécessaire". C'est grâce à ces oracles que les prescriptions ultralibérales passent en proverbe.

(1Les Échos, 21/12/2011.

mercredi 7 décembre 2011

Kepler 22-b : une exoplanète potentiellement habitable

Les différents média nous apprennent ces jours-ci que la NASA vient de découvrir une exoplanète potentiellement habitable. Le Monde publiait hier :
L'existence d'une nouvelle planète sœur de la Terre hors de notre système solaire a été confirmée lundi par l'agence spatiale américaine, ce qui porte à trois le nombre de planètes potentiellement habitables découvertes par la communauté scientifique internationale. C'est la première fois que la sonde américaine Kepler, lancée en mars 2009 et dotée d'un puissant télescope, confirme la présence d'une planète orbitant autour d'une étoile autre que le Soleil, dont les caractéristiques sont propices à l'apparition de la vie. Cette confirmation signifie que les astronomes de la NASA ont vu passer à trois reprises au moins l'exoplanète devant son étoile. Ils ne peuvent cependant pas dire si une certaine forme de vie s'y trouve, mais seulement que les conditions sont requises pour qu'elle puisse s'y développer. De telles planètes se trouvent à la bonne distance de leur étoile pour une éventuelle présence d'eau à l'état liquide. Par ailleurs, leur température et leur atmosphère sont propices à l'apparition de la vie et à son évolution. "Nous sommes certains qu'elle se trouve dans une zone habitable", a assuré à des journalistes William Borucki, expert de la NASA à propos de Kepler 22.
Celle-ci, 2,4 fois plus massive que la Terre, se trouve à une distance d'environ 600 années-lumière (1 année-lumière = 9 460 milliards de km) et tourne autour de son étoile en 290 jours. Les scientifiques ne savent cependant pas si elle est constituée de roches, de gaz ou de liquides. "Si elle dispose d'une surface, la température doit y être agréable", a souligné M. Borucki. Selon la NASA, la température près de la surface de l'exoplanète serait de 22 °C.
Si vous tenez à mieux connaître en français le fonctionnement du télescope spatial Kepler, voici une petite infographie que j'ai dénichée sur futura-sciences :
Ce n'est pas la première que ce blog s'occupe d'exoplanètes : cliquez ici pour en voir un autre exemple.

NOTE POSTÉRIEURE (du 21/12/2011) : Le journaliste scientifique Pierre Barthélémy commente dans son blog la découverte de deux planètes extrasolaires de taille comparable à celle de la Terre, trouvaille annoncée dans un article publié par une équipe internationale de chercheurs dans la revue Nature le 20 décembre 2011. Voici un extrait du texte de Barthélémy :
Ces deux objets appartiennent à un système à cinq planètes tournant autour de Kepler-20, étoile située à un peu moins de 1 000 années-lumière de nous et très semblable à notre Soleil, quoique légèrement moins massive, moins chaude et moins lumineuse que lui. Sur ces cinq astres, trois sont des mini-Neptune et deux des cousins de la Terre. Baptisés Kepler-20e et Kepler-20f, ceux-ci sont très proches en taille de notre planète bleue avec des rayons respectifs de 87 % et 103 % de celui de la Terre. "Pour la première fois de l'histoire de l'humanité, on peut se dire : "ça y est, on est capable de détecter une Terre autour d'une autre étoile". C'est même la première fois que l'on passe la barrière du plus petit que la Terre", résume François Fressin.
 Le blog de Barthélémy s'appelle Passeur de sciences | Petites et grandes nouvelles dans l'actualité des sciences et de l'environnement.

mardi 6 décembre 2011

Le site Web du Louvre rénové

Je viens d'apprendre par Le Monde que le site du musée du Louvre vient d'être entièrement rénové. Je vous relaie telle quelle l'information publiée aujourd'hui par le quotidien parisien :
Louvre.fr, le site du Louvre, fait peau neuve. Il était temps, car le plus grand musée du monde n'avait pas fait l'objet d'une refonte depuis six ans. L'émergence des réseaux sociaux sur la Toile a conduit l'équipe  chargée du chantier à s'adapter aux nouvelles attentes des internautes, aussi bien les néophytes que les érudits, notamment en optant pour un site plus visuel et agrémenté d'éléments vidéo. La grande innovation, c'est l'intégration d'une boîte à outils sur toutes les pages (située à droite de l'écran) facilitant l'accès vers les services les plus demandés (moteur de recherche, agenda, billetterie, etc.). Les requêtes ont été facilitées. Des modules pédagogiques et des sélections thématiques d'œuvres ont été conçus à la fois pour un public spécifique et pour de simples visiteurs, qu'ils soient collégiens, enseignants ou étudiants en histoire de l'art.
Espace personnel
Pour fidéliser le million de visiteurs mensuels, un espace personnel a été développé. Il permet d'enregistrer des œuvres du musée dans une bibliothèque virtuelle. Il n'entend pas se poser comme un concurrent de Facebook, mais plutôt comme un outil supplémentaire, inspiré de l'expérience "Communauté Louvre", site expérimental désormais fermé. Une équipe actualise quotidiennement le site pour mettre en avant tout ce qui a trait à la vie du musée : expositions, concert du jour, conférences, etc. Les dernières actualités de la recherche scientifique menées par les chercheurs du musée peuvent aussi être consultées.

lundi 5 décembre 2011

ARTE et les Indignés espagnols, grecs, français, italiens, allemands et israéliens

La chaîne de télévision publique franco-allemande ARTE propose en ligne sur son site, depuis le 15 novembre, le Web-reportage "Les Indignés", une « rencontre avec cette génération spontanée qui a décidé de s’élever contre l’injustice ». Comme on nous explique dans la présentation du reportage, il s'agit d'une immersion farcie de témoignages au sein des mouvements de contestation de six pays, à savoir, "los Indignados" ou le "15-M" ; les "Aganaktismeni" ("Αγανακτισμενοι" de la place Συνταγμα) ou les "Den plirono" ("Δεν πληρώνω" : "on ne paie plus") ; les "Indignés" français ; "il popolo viola" ("le peuple violet") ; "die Wutbürger" ("les citoyens en colère") ; la "révolution des tentes" :
« Indignez-vous », clame Stéphane Hessel. Les Espagnols l’ont entendu les premiers. Ils sont entrés en résistance au mois de mai et se sont baptisés « les Indignés». La crise économique est alors devenue sociale. Et politique. D’autres ont suivi, un peu partout dans le monde, et adopté le nom. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Quelles formes prennent leurs mouvements ? Que disent-ils de nos sociétés ? Immersion au sein des mouvements de contestation espagnols, grecs, français, italiens, allemands et israéliens.
En quoi consiste exactement ce projet de télévision sur internet ? :
A travers une série de reportages vidéo, de documents photographiques et sonores, nous vous proposons une immersion au sein de ces mouvements de contestation, en parcourant six pays aux problématiques singulières.
Ce voyage partira de la Puerta del Sol à Madrid, berceau du mouvement. Il nous emmènera en Italie, à la rencontre d’ « Il Popolo Viola », le peuple violet, association citoyenne dénonçant Berlusconi et le Berlusconisme. Nous nous arrêterons en France, où le mouvement porté par « Réelle Démocratie Maintenant » défend la préservation de l’Etat Providence, et en Allemagne, où l’écologie et la lutte contre le nucléaire sont les priorités. Le voyage fera une escale en Grèce, dont les mouvements sont plus violents, où le mot indignation semble trop léger. Enfin, dernière étape, Israël, qui, malgré un carnet de santé économique alléchant, a vu naître le plus important mouvement social de son histoire.
Voici l'intro à propos des "Indignados" de la Puerta del Sol... :
« Si vous ne nous laissez pas rêver, nous ne vous laisserons pas dormir », avaient-ils prévenu en installant leur village alternatif le 15 mai sur la place Puerta del Sol, au coeur de la capitale espagnole. Los Indignados ont campé durant quatre intenses semaines sur cette place madrilène devenue le symbole de la résistance contre le système politique et économique en place. Là, ils ont pris le temps de formuler leur contestation en élaborant un « Manifeste », point de départ d’une mobilisation qui dépasse désormais les frontières nationales.
Les origines du mouvement
La jeunesse espagnole, longtemps critiquée pour sa passivité et son conformisme en dépit de la grave crise économique, a su pérenniser une rébellion spontanée. Los Indignados sont considérés comme les précurseurs en Europe de ce type de manifestation pacifique. Leur nom, ils l’ont emprunté à Stéphane Hessel. Certains Indignés reconnaissent avoir été influencés par les révoltes du Printemps Arabe.

Dans les deux cas, on retrouve cette même volonté de dénoncer un système à bout de souffle : d’un côté des régimes dictatoriaux, de l’autre des démocraties gangrenées par la corruption et soumises au diktat des marchés financiers. Mais ce qui a déclenché ce mouvement, c’est surtout la crise économique et ses conséquences : les mesures d’austérité.
À l’origine, on compte en Espagne trois associations fondatrices : « Democracia real Ya » (Démocratie réelle maintenant), « Toma la plaza » (Occupe la place), ou « Juventud sin futuro » (Jeunesse sans futur). Aujourd’hui, le réseau serait alimenté par plus de cinq cents organisations et associations.

...ou la traduction de certains de leurs slogans...

Ce programme multimédia a été possible grâce à la collaboration de la Direction des nouveaux médias et de la rédaction d'ARTE Journal.


À propos d'Indignez-vous, de Stéphane Hessel.
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NOTE POSTÉRIEURE (octobre 2012): Le cinéaste Tony Gatlif a abordé ce sujet dans un nouveau film documentaire diffusé sur ARTE le mercredi 12 septembre 2012. C'est le manifeste en image. En voici l'info extraite du site d'ARTE :

"Indignez-vous !" : Tony Gatlif revient sur la genèse du film

« Très vite, je lis ce livre et tout de suite, je vois un film. Non pas un film pléonasme qui raconterait ce qui se passe dans l’ouvrage mais plutôt un film qui donne la parole à ceux qui n’en ont pas et qui n’ont ni l’habitude d’être filmés, ni d’être écoutés. » Tony Gatlif revient sur le choc ressenti à la lecture du livre de Stéphane Hessel et sur les étapes qui l'ont conduit faire à ce film.

Un soir d’automne, je suis invité à rencontrer le philosophe et écrivain Jean-Paul Dollé. Dès mon arrivée, je vois un livre parmi d’autres sur sa table basse, avec un titre qui me saute aux yeux : Indignez-vous !
Très vite, je lis ce livre et tout de suite, je vois un film.
En lire plus.
Découvrez une esquisse du film de Gatlif, un "storyboard" mélangeant dessins et textes qui est un pur délice, un cahier d'artiste où l'on voit bien qu'il a fait son scénario à dessein !
Le documentaire est désormais disponible en format DVD :

Langue audio : français, avec sous-titres pour sourds et malentendants
Durée total du film et du DVD : 72 min. Tous publics
Sortie le 11 septembre 2012
En vente sur ARTE Boutique
, 6 € TTC



Rappel : Tony Gatlif est le réalisateur de la trilogie Les Princes (1983), Latcho Drom (1993) et Gadjo Dilo (1997), ainsi que de Liberté (2010 ; Korkoro en romani), par exemple.
Après ce "manifeste en image" basé sur l'ouvrage d'Hessel, il vient de sortir en 2012 son dernier film, Indignados, « librement inspiré » d'Indignez-vous !, à ne pas confondre avec le précédent documentaire.

samedi 3 décembre 2011

Un regard pertinent sur l'emploi

« Il y a trois millions de personnes qui réclament du travail : ce n'est pas vrai, de l'argent leur suffirait. »
Coluche (1944-1986)

Quant à l'approche du capital ou des employeurs, cette foison de chômeurs sans le sou n'est que la garantie de la fongibilité des employés et, tant que leur contrat dure, de leur soumission désespérée.

samedi 26 novembre 2011

Les inégalités de patrimoine s’accroissent entre 2004 et 2010, selon l'Insee



"Crise", "scénario de risque récessif", "turbulences aux causes complexes", "soubresauts", "anxiété", "fragilité de la reprise"... ? On constate plutôt une évaporation préméditée, organisée du liquide et de toute ressource liquéfiable : au bout du compte, la plupart des solides fondent et c'est de fonds qu'il s'agit. Bien entendu, le flux d'évaporation se déplace toujours du bas vers le haut et les masses évaporées, intouchables, ont de plus en plus de mal à retomber : les Maîtres de l'univers ne font que leur beau temps. Enfin, causalité insolite, consécutivement à tant d'évaporation, les masses populaires et autres parias sont dans certaines latitudes de plus en plus en ébullition.

Laissons que la statistique vienne en aide de la physique stupéfiante. Voici des extraits éclairants de l'enquête Patrimoine 2010 de l'Insee (Institut national de la statistique et des études économiques), présentée par Hélène Chaput, Kim-Hoa Luu Kim, Laurianne Salembier et Julie Solard, de la Division Revenus et Patrimoine des Ménages. Vous comprendrez mieux pourquoi "les mieux dotés" s'évertuent à nous expliquer notre intérêt à privatiser d'urgence l'eau, voire les banques de sang, par exemple. Ah, les affres de la création de richesse... Bonne lecture (si vous avez hâte, vous pouvez jeter au moins un coup d'oeil sur le dernier paragraphe de ce rapport).

Résumé

Début 2010, selon la nouvelle enquête Patrimoine des ménages, la moitié des ménages vivant en France déclarent posséder plus de 150 200 euros de patrimoine brut et concentrent 93 % des avoirs. Les 10 % les mieux dotés ont au moins 552 300 euros de patrimoine brut et détiennent près de la moitié de la masse totale de celui-ci. Enfin, les 1 % des ménages les plus riches en termes de patrimoine détiennent chacun plus de 1,9 million d’euros d’avoirs. À l’opposé, les 10 % de ménages les moins dotés détiennent chacun moins de 2 700 euros de patrimoine et collectivement moins de 0,1 % de la masse totale.
Entre 2004 et 2010, les inégalités de patrimoine se sont accrues, le rapport entre le patrimoine moyen des 10 % de ménages les mieux dotés et celui des 50 % les moins dotés ayant augmenté de près de 10 %.

Sommaire

Le patrimoine des ménages
Le patrimoine est généralement défini comme l’ensemble des avoirs accumulés permettant à une personne ou à un ménage de disposer de ressources futures. L’enquête Patrimoine 2010 (source) permet d’appréhender une large partie des composantes du patrimoine des ménages : elle décrit de manière détaillée leurs actifs financiers, immobiliers et professionnels ; elle offre également une évaluation de leurs emprunts et permet d’estimer la valeur des biens durables, bijoux, œuvres d’art... qu’ils détiennent.

Des inégalités de patrimoine beaucoup plus marquées que celles des revenus
Début 2010, selon la nouvelle méthodologie d’enquête et d’estimation du patrimoine mise en œuvre (encadré), la moitié des ménages vivant en France déclarent un patrimoine brut global supérieur à 150 200 euros (tableau 1).
Les 10 % de ménages les mieux dotés en patrimoine possèdent au minimum 552 300 euros d’actifs (D9), alors que les 10 % les plus modestes en termes de patrimoine détiennent au maximum 2 700 euros ( D1) chacun, soit 205 fois moins. Les inégalités de patrimoine sont beaucoup plus marquées que celles des revenus. À titre de comparaison, le revenu disponible des 10 % de ménages les plus modestes est 4,2 fois moins élevé que celui des 10 % les plus aisés en 2009. Collectivement, les 10 % de ménages les mieux dotés concentrent 48 % de la masse totale de patrimoine brut. Les 5 % les mieux dotés en détiennent à eux seuls 35 % et les 1 %, 17 % (graphique). Les ménages de ce dernier centile possèdent chacun au moins 1 885 200 euros de patrimoine brut . À l’opposé, 50 % des ménages les moins dotés détiennent 7 % du patrimoine brut, et les 10 % les plus modestes n’en détiennent que 0,05 %.
Graphique - Répartition de la masse totale de patrimoine brut entre les ménages
Graphique : Répartition de la masse totale de patrimoine brut entre les ménages
Lecture : début 2010, les 10 % de ménages les mieux dotés en patrimoine détiennent 48 % de la masse totale de patrimoine, tandis que le reste des ménages détiennent 52 % de la masse totale.
Champ : ménages ordinaires résidant en France, y compris dans les DOM.
Source : Insee, enquête Patrimoine 2009-2010. 
(...)

Les inégalités de patrimoine s'accroissent entre 2004 et 2010

Conformément aux recommandations du rapport de 2007 du Conseil national de l’information statistique (Cnis) sur les niveaux de vie et les inégalités, l’Insee a apporté des améliorations méthodologiques à l’enquête Patrimoine réalisée fin 2009 - début 2010 (source).
Le champ de l’enquête a tout d’abord été élargi aux départements d’outre-mer, de manière à couvrir l’ensemble du territoire. Ensuite, les procédures d’échantillonnage ont été sensiblement modifiées, de façon à mieux représenter les catégories de ménages les mieux dotées en patrimoine et, ainsi, augmenter la précision des indicateurs. De plus, les procédures d’estimation ont été améliorées afin, notamment, de pouvoir prendre en compte des éléments du patrimoine du ménage, comme la voiture, l’équipement de la maison, les bijoux, les œuvres d’art... mais qui ne sont pas décrits en détail dans l’enquête. Enfin, la collecte des montants détenus sur chacun des actifs financiers a été améliorée : en 2004, on ne collectait pour ce type de produits que des montants par tranches, tandis qu’en 2010, on collecte le montant exact si le ménage le connaît. Si tel n’est pas le cas, le ménage peut se situer dans un système de tranches plus détaillé qu’en 2004.
Pour toutes ces raisons, les nouveaux indicateurs issus de l’enquête Patrimoine 2010 ne sont donc pas directement comparables à ceux des précédentes éditions de l’enquête et notamment celle de 2004. Cependant, ces innovations méthodologiques peuvent être en grande partie neutralisées, de manière à appliquer la méthodologie de 2004 aux données de 2010. Cela permet de préserver la comparabilité des indicateurs d’inégalités et d’étudier l’évolution du patrimoine sur la période.
À méthodologie comparable, on constate que les inégalités de patrimoine brut se sont accrues entre 2004 et 2010. Ainsi, le rapport interdécile D9/D1 a augmenté de plus de 30 % et le rapport interquartile Q3/Q1 de plus de 47 %. En 2010, le patrimoine moyen détenu par les 10 % des ménages les mieux dotés est 35 fois plus élevé que celui détenu par les 50 % de ménages les moins dotés. Ce rapport était de 32 en 2004. L’indice de Gini a augmenté de 1,4 % sur cette période. Ce creusement des inégalités observé sur l’ensemble de la population est amplifié parmi les ménages dont le patrimoine est supérieur au dernier décile. Ainsi, l’indice de Gini s’est accru de 13,9 % sur cette population.

NOTE POSTÉRIEURE
: Slate a publié le 19/01/2012 une infographie, mise à jour le lendemain, qui est un portrait des «1%» les plus riches de France.
Sommaire de l'étude :
Slate est un webzine ou magazine en ligne fondé par Jean-Marie Colombani, ancien directeur du Monde, Éric Leser, Johan Hufnagel et Éric Le Boucher, journalistes, et Jacques Attali.

mercredi 23 novembre 2011

Une série dénonce le contrôle au faciès

On est tricard à la figure
Même avec les deux passeports
(Magyd Cherfi)


Le délit de faciès a été déjà abordé sur ce blog dans plusieurs articles, ici ou , par exemple, que je vous suggère de lire si le sujet vous interpelle. J'y fais référence parce que nous apprenons ces jours-ci qu'il y a une nouvelle initiative pour dénoncer cette tendance tellement classe.

Disons d'abord que Les Indivisibles sont un groupe de militants de l'Égalité dont le but est de se battre contre le racisme ordinaire. Ils tentent, précisent-ils, de
(...) déconstruire, notamment grâce à l’humour et l’ironie, les préjugés ethno-raciaux et en premier lieu, celui qui nie ou dévalorise l’identité française des Français non-Blancs.
Ils font partie du collectif Stop Le contrôle au faciès qui souhaite :
(...) promouvoir une pratique du contrôle d’identité respectueuse des droits de chacun, et plus efficace dans la lutte contre la criminalité et la protection des citoyens sur le long terme.
Afin de dénoncer les contrôles pour cause de sale gueule, ce collectif mène à présent une campagne de sensibilisation moyennant Mon 1er contrôle d'identité, une série de courts épisodes de 5 minutes où dix-sept représentants du rap français dont Soprano, La Fouine, Oxmo Puccino ou Sexion d'Assaut racontent leurs pépins avec les keufs. Ils...
(...) font le récit du premier ou du pire contrôle d'identité qu'ils ont eu à subir. Sur un ton drôle ou un peu plus grave, ils nous font part de ce moment délicat qu'est le contrôle d'identité.
Etre contrôlé de manière répétitive uniquement à cause de son apparence est une problématique à laquelle doit faire face tout une partie de la population française. Selon une étude du CNRS ces contrôles abusifs sont subis prioritairement par ceux qui sont perçus comme « jeunes » (11 fois plus), « noirs » (6 fois plus que les « blancs »), ou « arabes » (8 fois plus).
Les stories « Mon 1er contrôle d'identité » mettent la lumière de façon originale et décalée sur une véritable question de société, et font la promotion d'une action nationale et inédite contre le contrôle au faciès.
En effet, ces témoignages prouvent que l'on est très loin d'une égalité de traitement face à la police : je vous insère le teaser officiel (bande-annonce à vocation aguichante) de la série dont on compte sortir un nouvel épisode chaque lundi et jeudi à 18h00 à partir du 21 novembre 2011.


Quant à l'enquête du CNRS évoquée, j'imagine qu'ils se rapportent à celle du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), menée sur 5 lieux parisiens (2 à Châtelet et 3 à Gare du Nord), qui a été publiée le 3 septembre 2009. En voici un extrait :
Les résultats obtenus indiquent un écart considérable entre la composition de la population contrôlée et la composition de la population présente sur les lieux. Cet écart concerne en premier lieu le sexe, les hommes étant bien plus contrôlés que les femmes. Les jeunes sont eux aussi surcontrôlés, quelle que soit leur part dans la population de départ. Enfin, l’écart est également patent en ce qui concerne les minorités visibles, quelle que soit leur part également dans la population disponible. Ainsi, si à la descente du Thalys on ne trouve que 7,5% de Noirs, la proportion de Noirs contrôlés y est de 31% de la population totale. A la Fontaine des Innocents, ils constituent 30% de la population de départ, mais 62% de la population contrôlée. Pour résumer, les Noirs ont plus de risques d’être contrôlés que les Blancs au regard de leur part dans la population disponible. Il en est de même pour les Maghrébins.
Les choses se compliquent à partir du moment où l’on considère l’apparence vestimentaire. Sans surprise, les tenues de ville ou de bureau (« business ») et les tenues « normales, décontractées » (« casual ») sont peu contrôlées au regard de leur part dans la population présente. En revanche, les « tenues jeune » type hip-hop, gothique, tektonik, etc. crèvent le plafond. Ces odds-ratios sont même supérieurs à ceux que l’on tire de la seule variable d'apparence physique.
Est-ce à dire que l’apparence vestimentaire est plus prédictive du contrôle d’identité que l’apparence raciale ? Il est difficile de le dire sur la foi de la seule comparaison odds-ratios par odds-ratios ou de l’emploi de techniques visant à neutraliser l’influence d’une des deux variables (techniques de régression logistique).
Il faut donc s’en tenir là : les policiers sur-contrôlent une population caractérisée par le fait qu’elle est masculine, habillée de manière typiquement jeune et issue de minorités visibles.

NOTE du 26 janvier 2012 : HRW publie aujourd'hui un rapport accablant au sujet des contrôles d'identité en France : France : Des contrôles d’identité abusifs visent les jeunes issus des minorités. Voici son texte :
La police française utilise certains pouvoirs trop étendus dont elle est investie pour procéder à des contrôles d’identité abusifs et non justifiés visant des garçons et de jeunes hommes noirs et arabes, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.
Le rapport de 62 pages, intitulé «La base de l’humiliation : Les contrôles d’identité abusifs en France», révèle que les jeunes issus des minorités, dont des enfants n’ayant pas plus de 13 ans, font fréquemment l’objet de contrôles comprenant des interrogatoires prolongés, des palpations portant atteinte à leur intimité, ainsi que des fouilles d’objets personnels. Human Rights Watch a constaté que ces contrôles arbitraires peuvent avoir lieu même en l’absence d’un signe quelconque d’infraction. Les propos insultants, voire racistes, ne sont pas rares, et certains contrôles donnent lieu à un usage excessif de la force par la police.

samedi 19 novembre 2011

Innovation

« Les hommes se trompent quand ils se croient libres ;
car cette opinion consiste en cela seul qu'ils sont
conscients de leurs actions et ignorants des causes
qui les déterminent » 
(Baruch Spinoza : Éthique, II, 35, scolie ;


En bon Candide, il me faut répéter que ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise ; il fallait dire que tout est au mieux. Voilà pourquoi la vie, non contente de nous faire cadeau de la fatuité ordinaire, nous accorde en prime celle au-delà de tout espoir. Et la langue et son lexique constituent un domaine privilégié où le flafla trouve à loisir de quoi s'épanouir : les mots d'ordre du désir-maître assurant le libre développement dans la parfaite contrainte.
Hier, j'avais faim à la mi-matin et pressé, je décidai de manger sur le pouce un sandwich au jambon ibérique dans un poste du marché de San Miguel, à Madrid, qui a été l'objet d'une rénovation tout ce qu'il y a de plus chic. Tellement chic que les patrons de ce poste-là, bien en phase avec l'air —ou les injonctions— du temps, avaient trouvé incontournable d'annoncer à leurs clients le gratin de leurs trésors sur un tableau noir, charmante présentation à l'ancienne dont le message étalait sans pudeur leur chichi disons ineffable :

INNOVACIÓN
DE LA SEMANA:
SALCHICHÓN
A LA PIMIENTA

Comme d'habitude, les palabres des maîtres sont tendance et on est porté à rappeler à l'obnubilé ignare et qui s'ignore : éveille-toi car tes tics sont pas tes tics.
Enfin, assiégé de part et d'autre par la Nouveauté, l'Innovation, la Qualité et autres Excellences, je me demande bien si ces yeux qui seront dévorés par les vers liront un jour, verbi gratia...

INNOVACIÓN DE EXCELENCIA
DE LA SEMANA:
BOCADILLO
AL CHORIZO (A LA BELLOTA)

mardi 15 novembre 2011

Hollande, Greenpeace et le nucléaire

L'organisation Greenpeace vient de préparer un vidéoclip touffu de chiffres sur le nucléaire à l'intention de François Hollande, le candidat du Parti Socialiste à l'élection présidentielle 2012. Le sujet intéresse énormément un pays où fonctionne une soixantaine de réacteurs nucléaires, notamment depuis que l’explosion d’un four sur le site nucléaire de Marcoule (Gard) a fait un mort et quatre blessés le 12 septembre dernier.
Invité au journal télévisé de 20h sur France 2, hier, le lundi 7 novembre, Hollande a déclaré qu'en matière d'énergie, il s'engageait à "préserver la construction d'un EPR" (réacteur nucléaire de troisième génération).


lundi 14 novembre 2011

La voiture, ses chiffres et la guerre

Selon la Check-List du journal Le Monde du 11/10/11,
21 876 130
C'est le nombre global de PV dressés en France en 2010, selon une étude sur le "comportement des usagers de la route". Il est en hausse de 5 % par rapport à 2009. L'évolution la plus spectaculaire concerne les contraventions pour franchissement de feux rouges équipés de radars : alors que près de 18 000 ont été établies en 2009, leur nombre a atteint plus de 287 000 en 2010, soit une augmentation de 1 500 %
Selon la Check-List du journal Le Monde du 11/11/11,
- 6,4 %
C'est le pourcentage de baisse du nombre de morts sur les routes françaises en octobre par rapport au même mois de 2010. 377 personnes ont ainsi péri le mois dernier. 3 980 personnes ont trouvé la mort sur la route entre le 1er novembre 2010 et le 31 octobre [2011], soit "le plus bas niveau depuis l'après-guerre", a annoncé jeudi le ministère de l'intérieur

Ou quand l’après-guerre fournit des chiffres de guerre.
Si vous savez multiplier, vous comprendrez maintenant pourquoi il y a quelques décennies, Agustín García Calvo avait utilisé l'expression "instrument de mort" à l'égard de la voiture. Ou pourquoi André Gorz avait doublement raison lorsqu'il écrivait que "la motorisation individuelle [est] un choix politique exécrable qui dresse les individus les uns contre les autres en prétendant leur offrir le moyen de se soustraire au lot commun." (André Gorz : Lettre à D. Histoire d'un amour. Éditions Galilée, 2006. Page 66 de mon édition Folio Gallimard)

mercredi 9 novembre 2011

Rencontre Le Forestier, Souchon, Clerc

Le nº 2451 du Nouvel Observateur (du 27 octobre au 2 novembre 2011, pp 76-81) propose une rencontre spéciale, celle de Julien Clerc, Alain Souchon et Maxime Le Forestier, trois chanteurs (et chansonniers) qui font partie de l'éducation sentimentale de nombreux francophones de partout. Ils étaient interviewés par Sophie Delassein, la journaliste qui en a eu l'initiative et qui introduisait ainsi la conversation :
Le 6 janvier 1969, le journaliste François-René Cristiani réunissait Jacques Brel, Georges Brassens et Léo Ferré. Cet entretien, désormais légendaire, fut alors publié dans Rock & Folk et diffusé sur RTL. Le 26 septembre 2011, le Nouvel Observateur a réuni les trois figures majeures de la chanson française actuelle : Julien Clerc, Maxime Le Forestier et Alain Souchon. Et ce au moment où le premier s'apprête à sortir Fou, peut-être, un album dont il a écrit les musiques, les paroles étant signées Gérard Manset, Gérard Duguet-Grasser, Charles Aznavour, Julien Doré, Mike Ibrahim ou Alex Beaupain... et Maxime Le Forestier.
Donc, cette initiative était une reprise de l'idée de François-René Cristiani qui réunit à Paris, dans l’appartement de sa belle mère, rien de moins que Georges Brassens, Jacques Brel et Léo Ferré, un trio autrement incontournable, et juste huit mois après les barricades de mai 68.
Ce projet a bénéficié du partenariat de France Inter qui a émis le samedi 29 octobre 2011 une soirée spéciale, que vous pouvez écouter ou podcaster en cliquant ici, avec la participation de Jérôme Garcin, chef du service culturel de l'Obs, pour tenter de coudre les deux rencontres.

Petit hommage à ces deux trios inégaux, je vous insère ici l'interprétation par Maxime Le Forestier de Fontenay-aux-roses, l'une de ses vieilles chansons, un chef-d'œuvre de subtilité goguenarde qui éclaire à merveille l'une des différences qu'il existe entre "tu" et "vous" en français :

vendredi 4 novembre 2011

La Planète des Singes, métaphore lucide

La Planète des Singes est un roman de Pierre Boulle que j'ai cité dans ce blog à plusieurs reprises [ici, et encore là], ce qui prouve que j'apprécie sa valeur de fable sagace et dystopique, donc son exemplarité à rebrousse-poil, toujours salutaire malgré les transformations sur Terre de ces dernières décennies, car l'ouvrage a été publié en 1963.
Afin d'illustrer ce récit de science-fiction et de vous inciter à sa lecture, je vous en copie ici un extrait passablement significatif. Il y est question des caractérisations de gorilles, orang-outans et chimpanzés, les trois races ou groupes sociaux composant la société simienne de la planète (Soror) imaginée par Boulle. La voix du narrateur correspond au personnage principal, Ulysse Mérou, un être humain :

La Planète des Singes, CHAPITRE V (pp 109-111 ; René Julliard, 1963) 

(…) Les singes ne sont pas divisés en nations. La planète entière est administrée par un conseil de ministres, à la tête duquel est placé le triumvirat comprenant un gorille, un orang-outan, un chimpanzé. (…)
En fait, cette division en trois races est la seule qui subsiste chez eux. (…)
D’une époque assez éloignée où ils régnaient par la force, les gorilles ont gardé le goût de l’autorité et forment encore la classe la plus puissante. Ils ne se mêlent pas à la foule ; on ne les voit guère dans les manifestations populaires, mais ce sont eux qui administrent de très haut la plupart des entreprises. Assez ignorants en général, ils connaissent d’instinct la manière d’utiliser les connaissances. Ils excellent dans l’art de tracer des directives générales et de manœuvrer les autres singes. Quand un technicien a fait une découverte intéressante, tube lumineux par exemple ou combustible nouveau, c’est presque toujours un gorille qui se charge de l’exploiter et d’en tirer tout le bénéfice possible. Sans être véritablement intelligents, ils sont beaucoup plus malins que les orang-outans. Ils obtiennent tout ce qu’ils veulent de ceux-ci en jouant de leur orgueil. (…)
Les gorilles qui n’occupent pas des postes d’autorité remplissent en général des emplois subalternes nécessitant de la vigueur. (…)
Ou alors, les gorilles sont des chasseurs. C’est une fonction qui leur est à peu près réservée. Ils capturent les bêtes sauvages et, en particulier, les hommes. J’ai déjà souligné l’énorme consommation d’hommes que nécessitent les expériences des singes. (…)
À côté des gorilles, j’allais dire en dessous, quoique toute hiérarchie soit contestée, il y a les orang-outans et les chimpanzés. Les premiers, de beaucoup les moins nombreux (…) : ils sont la science officielle. C’est en partie vrai, mais certains se poussent parfois dans la politique, les arts et la littérature. Ils apportent les mêmes caractères dans toutes ces activités. Pompeux, solennels, pédants, dépourvus d’originalité et de sens critique, acharnés à maintenir la tradition, aveugles et sourds à toute nouveauté, adorant les clichés et les formules toutes faites, ils forment le substrat de toutes les académies. Doués d’une grande mémoire, ils apprennent énormément de matières par cœur, dans les livres. (…)
Presque tous les orang-outans ont derrière eux un gorille ou un conseil de gorilles, qui les poussent et les maintiennent à un poste honorifique, s’occupant de leur faire obtenir des décorations dont ils raffolent ; cela, jusqu’au jour où ils cessent de donner satisfaction. Dans ce cas, ils sont impitoyablement congédiés et remplacés par d’autres singes de la même espèce.
Restent les chimpanzés. Ceux-ci semblent bien représenter l’élément intellectuel de la planète. (…) [Ils] écrivent la plupart des livres intéressants, dans les domaines les plus divers. Ils paraissent animés par un puissant esprit de recherche. J’ai mentionné la sorte d’ouvrages que composent les orang-outans. Le malheur, Zira (1) le déplore souvent, c’est qu’ils fabriquent ainsi tous les livres d’enseignements, propageant des erreurs grossières dans la jeunesse simienne. Il n’y a pas très longtemps, m’a-t-elle assuré, ces textes scolaires affirmaient encore que la planète Soror était le centre du monde, quoique cette hérésie eût été reconnue depuis longtemps par tous les singes de moyenne intelligence ; cela, parce qu’il a existé sur Soror, il y a des milliers d’années, un singe nommé Haristas dont l’autorité était considérable, qui soutenait de pareilles propositions et dont les orang-outans répètent les dogmes depuis lors. Je comprends mieux l’attitude de Zaïus (2) à mon égard, ayant appris que ce Haristas professait que seuls les singes peuvent avoir une âme. Les chimpanzés, heureusement, ont un esprit beaucoup plus critique. Depuis quelques années, ils semblent même mettre un acharnement singulier à battre en brèche les axiomes de la vieille idole.

(1) Une femelle chimpanzé qui est en bon rapport avec Mérou.
(2) Orang-outan ; ministre de la Science et gardien de la Foi.
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Mise à jour du 8 juin 2014 : En guise de lecture complémentaire aux vertus éclairantes, je vous suggère également un fragment tiré de Mon Utopie, essai-testament d'Albert Jacquard édité en 2006 par Stock (pp 47-48) :
Tout en explorant systématiquement des cheminements évolutifs multiples, les êtres vivants ont conservé quelques traits qui apportent la preuve de l'origine commune de leurs arbres généalogiques. L'argument le plus décisif en faveur de cette unité est le constat que le code génétique est le même pour tous ; ce code assure la liaison entre la succession des bases présentes sur la molécule ADN et la succession des acides aminés constituant les protéines. La correspondance qu'il effectue est arbitraire, elle pourrait être autre. On constate qu'elle est en fait identique pour toutes les espèces si éloignées soient-elles, qu'elles soient classées dans la catégorie des bactéries ou dans celle des primates.
L'histoire de l'ensemble du monde vivant est aujourd'hui assez bien connue. Les principales branches des arbres représentant leur filiation ont, dans un premier temps, été reconstituées en tenant compte des caractéristiques apparentes ; maintenant, elles le sont en fonction des dotations génétiques. La comparaison de celles-ci permet de calculer des « des distances génétiques », d'autant plus grandes que ces espèces se sont séparées depuis plus longtemps. On peut ainsi évaluer à cinq millions le nombre d'années écoulées depuis la séparation des lignées évolutives qui ont conduit l'une au chimpanzé l'autre à Homo, à dix millions d'années la séparation des gorilles et de Homo.

jeudi 3 novembre 2011

Pensée d'Einstein pour un jour de grève

Albert Einstein : Mi visión del mundo (Comment je vois le monde, Wie ich die Welt sehe), Tusquets, Coll. Fábula :
Es posible conseguir en menos horas de trabajo la cuota de alimentos y de bienes que la gente necesita. En cambio el problema de la distribución de esos bienes y del trabajo se ha vuelto más difícil. Todos sentimos que el libre juego de las fuerzas económicas, así como el desenfrenado afán de riqueza y poder por parte de los individuos no ofrecen salidas al problema. Es necesaria una planificación en la producción de los bienes, en la utilización de las fuerzas de trabajo y en el reparto de los bienes para evitar el empobrecimiento, así como el embrutecimiento de la mayor parte de la población.

Discours devant le congrès des étudiants pour le désarmement,
1930, juste après le krach de 1929.
Traduction en castillan de Sara Gallardo et Marianne Bübeck
Ce terme glissant de "travail" (Arbeit) à part, Einstein savait très bien que Die Produktion ist für den Profit da – nicht für den Bedarf. Es gibt keine Vorsorge dafür, dass all jene, die fähig und bereit sind, zu arbeiten immer Arbeit finden können. (« La production est là pour le profit - pas pour les besoins. Il n'est pas prévu que tous ceux qui sont capables et désireux de travailler puissent toujours trouver du travail. »)