mardi 29 septembre 2020

Juliette Gréco ne croyait pas à la mort et pourtant...

En effet, on dirait qu'elle est toujours là, on peut l'entendre, on l'entend très volontiers, voix et présence, présence et voix. Oui, faites-vous plaisir et ne ratez surtout pas ce podcast (accessible sur le site actuel de Là-bas si j'y suis) —on dirait de l'au-delà, tellement les temps sont à l'opprobre—, voix, sens, échos et musique.

Au milieu des années 1980, les auditeurs retrouvaient Daniel Mermet sur une station de radio publique, France Inter, du lundi au vendredi —en 1983-1984 entre 14h45 et 15h— avec son émission « Si par hasard au piano-bar ». Cet entretien avec Gréco eut lieu en 1984, quand les libéraux n'étaient pas encore omnipotents et que l'on pouvait encore discuter dans les média ; les gens n'étaient pas forcément frappés d'écholalie, les formules et leurs tendances n'avaient pas encore enseveli la musique et la chanson, la radio était une compagnie incontournable... Un pur régal. Merci Mermet (et ses pairs).


JULIETTE GRÉCO dans l’émission de Daniel Mermet « Si par hasard au piano bar » (1984) [PODCAST : 59’20]

« À part chanter, que faites-vous dans la vie ? » « L’amour. »

Là-bas, si j’y suis. Le

(...)

En 1984, sur France Inter, j’étais à la recherche de mon père, Charlie, musicien volage et baroudeur. Il était quelque part, mais où ? Et qui était-il au juste ? L’émission s’intitulait « Si par hasard au piano bar », réalisée par l’excellent Gilles Davidas. Chaque jour, un invité, artiste ou voyageur, venait me parler de Charlie, mon père. Juliette Gréco l’avait rencontré au temps de Saint-Germain-des-Prés. Une occasion de parler de lui (un peu) et d’elle (surtout) qui avait fait de sa vie un roman. Trente six ans après nous avons retrouvé cette émission dans les archives. Voici la preuve que la mort n’effacera jamais sur le sable les pas des amoureuses insoumises.

Daniel Mermet

 

Elle est toujours là, mais en même temps, les journaux signalent que Juliette Gréco est décédée ce dernier mercredi 23 septembre, à 93 ans.
À cette occasion, de mémoire, L'INA se rappelle son interprétation de "Si tu t'imagines", chanson de Queneau/Kosma. Et combien je déteste l’usage profane de ce mot de muse (lire ci-dessous) appliqué à une souveraine de la liberté, de la vie et des inflexions bouleversantes...

 

Juliette Gréco s'est éteinte ce mercredi à l'âge de 93 ans. La chanteuse a interprété de nombreux poètes dont Raymond Queneau et son célèbre poème "Si tu t'imagines".

Le 13 juillet 1962, dans l'émission Gros plan, Juliette Gréco interprétait Si tu t'imagines, un poème de Raymond Queneau sur l'impermanence de la jeunesse, mis en musique par Joseph Kosma et créé par Juliette Gréco en 1947 sur les conseils Jean-Paul Sartre.

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Ce texte, à l'instar du "carpe diem" latin appelle à profiter de la jeunesse, qui comme les roses, ne dure qu'un instant. Queneau s'amuse dans ces strophes par une liberté de ton et d'écriture. Cette liberté si chère à la muse de Saint-Germain-des-Prés et qu'elle contribuera largement à diffuser à travers son répertoire.

Si tu t'imagines, si tu t'imagines, fillette fillette,
Si tu t'imagines xa va xa va xa va durer toujours
La saison des za saison des za saison des amours
Ce que tu te goures, fillette fillette, ce que tu te goures.
Si tu crois, petite, si tu crois ah ah que ton teint de rose
Ta taille de guêpe, tes mignons biceps, tes ongles d'émail
Ta cuisse de nymphe et ton pied léger.
Si tu crois xa va xa va xa va durer toujours
Ce que tu te goures, fillette fillette, ce que tu te goures

Les beaux jours s'en vont, les beaux jours de fête
Soleils et planètes tournent tous en rond
Mais, toi, ma petite, tu marches tout droit
Vers c’que tu vois pas ; très sournois s'approchent
La ride véloce, la pesante graisse, le menton triplé
Le muscle avachi... Allons, cueille cueille, les roses les roses
Roses de la vie et que leurs pétales soient la mer étale
De tous les bonheurs, de tous les bonheurs.
Allons, cueille cueille, si tu le fais pas

Ce que tu te goures, fillette fillette, ce que tu te goures


Dans un entretien avec Grégoire Leménager —publié par Le Nouvel Observateur (nº 2451, le 27 octobre 2011)—, Michelle Vian, première femme de Boris Vian, livrait des souvenirs du Saint-Germain-des-Prés du temps des zazous, ces jeunes oiseaux de nuit, élégants et pétulants, qui adoraient les livres et le jazz...

Saint-Germain-des-Prés

« On a fait Saint-Germain en y important le jazz. Comme il y avait des gens très intelligents qui fréquentaient le café de Flore, les Deux-Magots et Lipp, c’était un carrefour formidable. Boris et moi y allions pour retrouver l’équipe des «Temps Modernes», Sartre et les autres.
Quand on voulait du jazz, on allait au Lorientais l’après-midi, puis on continuait au Tabou. Je surveillais les entrées avec Anne-Marie Cazalis et Juliette Gréco, nous étions les psychologues de service. Les types qui ne nous plaisaient pas, on leur disait «Vous n’entrez pas». Mais on laissait entrer des types qui n’avaient pas un rond quand ils étaient intéressants, c’est-à-dire quand ils avaient un livre sous le bras: on exigeait des livres. Les étrangers aussi, on les acceptait. A condition qu’ils soient un peu littéraires. C’est comme ça que le Tabou s’est formé, peu à peu. C’était ouvert et c’était fermé. On ne laissait pas entrer n’importe qui, et en même temps, les gens qui entraient étaient n’importe qui. Je crois qu’on y voyait les types sympas.
C’étaient Anne-Marie Cazalis et Juliette Gréco qui avaient trouvé, rue Dauphine, ce café qui fermait très tard parce qu’il était fréquenté par les types des Messageries. Gréco avait eu l’idée de demander leur cave. Il n’y avait pas de salle pour les zazous, c’est pour ça qu’ils sont allés dans les caves. Ce n’est pas seulement à cause du bruit, c’est parce qu’il n’y avait rien. Les types ont dit d’accord. Il a fallu enlever le charbon, c’était humide, dégueulasse. Cazalis et Gréco ont entraîné là ceux qui, les premiers, ont fait le Tabou ; c’est-à-dire Merleau-Ponty et Queneau. »