mercredi 3 décembre 2014

La Loi Bâillon et la mauvaise Réputation

La délégation du gouvernement espagnol en Estrémadure a imposé une amende de 331€ à un retraité pour chanter "La mauvaise réputation" de Georges Brassens (1921-81) —lors d'une manifestation pour le revenu de base à Merida, chef-lieu de la région. Chantait-il si affreusement ? Était-il un émule d'Assurancetourix ?

Les libéraux —aussi bien dans les monarchies que dans les républiques— ne se contentent pas de piller le trésor public, spolier la classe ouvrière, saccager et polluer la nature, réchauffer la planète ou détruire la biodiversité. Ils savent que pour y parvenir, il est essentiel de contrôler les esprits, d'humilier les insoumis et de semer la trouille —car une population qui subit leurs sévices risque de vouloir en découdre.

Candide a déjà cité sur ce blog le dominicain Henri-Dominique Lacordaire (1802-61) :

« Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit », 52e Conférence de Notre-Dame, 1848.

Voilà pourquoi nos libéraux préfèrent déréglementer en amont et décréter en aval, déréguler dans le domaine économique (tout en renflouant à nos dépens les grands spéculateurs financiers) et légiférer sans complexes en matière de « sécurité citoyenne ». Autrement dit, ils ont une volonté de répression et d'intimidation envers les contestataires et autres récalcitrants qui ne va pas fléchir facilement, si bien que Manolo Pineda, notre cher retraité estrémègne, n'est pas le seul Espagnol à en bénéficier. Nous y avons tous droit, mieux vaut ne pas se leurrer là-dessus :



Oui, cette loi libérale espagnole a été unanimement baptisée "Loi Bâillon". Nous l'avons lu, par ci...  
« Alors que l’Espagne vit une crise humanitaire sans précédent, le mouvement social subit une répression constante d’un régime qui a peur du changement et protège ses intérêts.  »
...par là... ou encore par là...
« (...) le Conseil [de l'Europe] critique l’usage disproportionné de la force policière contre des manifestations anti-austérité qui se sont déroulées en Espagne.  »
Dans son Discours sur la liberté de la presse, prononcé à la Société des Amis de la Constitution, le 11 mai 1791, Maximilien Robespierre argumentait néanmoins ce qui suit :
« Si ceux qui font les lois ou ceux qui les appliquent (...) ne sont que des hommes, s'il est absurde que la raison d'un homme soit, pour ainsi dire, souveraine de la raison de tous les autres hommes, toute loi pénale contre la manifestation des opinions n'est qu'une absurdité.  »
Et il ajoutait un peu plus loin :
« Qui ne voit combien le combat est inégal entre un citoyen faible, isolé, et un adversaire armé des ressources immenses que donne un grand crédit et une grande autorité? Qui voudra déplaire aux hommes puissants, pour servir le peuple, s'il faut qu'au sacrifice des avantages que présente leur faveur, et au danger de leurs persécutions secrètes, se joigne encore le malheur presque inévitable d'une condamnation ruineuse et humiliante ?  »
Candide soutient Manolo Pineda, lui et sa liberté d'expression. On veut l'intimider et ruiner sa réputation. À cet égard-ci, il est bien probable qu'il s'en fiche, vu qu'il comprend la chanson qu'il prend plaisir à chanter. Et puis, après ses 43 ans de travail... je me souviens d'une anecdote racontée par Chamfort, la numéro 908 de mon édition :
« On appela à la cour le célèbre Levret, pour accoucher la feue dauphine. M. le Dauphin lui dit : "Vous êtes bien content, M. Levret, d'accoucher Madame la Dauphine ? cela va vous faire de la réputation. — Si ma réputation n'était pas faite, dit tranquillement l'accoucheur, je ne serais pas ici.  »
Quant aux censeurs de Manolo Pineda et à leur valetaille zélée, rappelons la chanson aux 331€ à leur souvenir car, comme on pouvait s'en douter, dans cet hymne apatride à la mauvaise réputation, tout est bon, comme dans le cochon :




NOTE du 1er juillet 2015 (à lire en castillan) :

Los siete derechos fundamentales que limita la 'Ley Mordaza', par Raquel Pérez Ejerique, eldiario.es.


mardi 28 octobre 2014

Courts métrages en français dans le festival ALCINE 44

Le jeudi 13 novembre, nous nous déplaçons à Alcalá pour notre rendez-vous annuel avec ALCINE, le Festival de Cine de Alcalá de Henares, qui nous invite à voir les courts métrages francophones de sa section "Idiomas en corto". Notre séance aura lieu à 17h30 dans le Teatro Salón Cervantes.
Au programme...

» LE PREMIER PAS [+]. Réalisé par Jonathan Comnène en 2012.
Avec Julian Donica, Mélissa Ganem, Grigori Manoukov. Fiction. Durée : 19' 30''.
La chanson « Mon Manège à moi » est chantée par Etienne Daho.

Prix Spécial du Jury du Cinema Jove - Festival International de Film de Valence, 2013.
Fiche d'activités pour la classe.
Sacha, douze ans, fait du patinage artistique en solo. Son père l'entraîne avec ferveur. Mais Sacha est amoureux et n'a qu'une envie, danser sur la glace avec Rebecca.
... Où l'amour pousse à danser en couple et une balafre ne semble pas pouvoir entamer la certitude d'une première passion.

 
» Mademoiselle Kiki et les Montparnos [+] 
Mademoiselle Kiki et les Montparnos en Alcine 
Réalisé par Amélie Harrault et sorti en France en 2012. Dessin animé.
Kiki de Montparnasse était la muse infatigable des grands peintres avant-gardistes du début du XXe siècle. Témoin incontestable d'un Montparnasse flamboyant, elle s'émancipera de son statut de simple modèle et deviendra reine de la nuit, peintre, dessinatrice de presse, écrivain et chanteuse de cabaret.
... Où les dessins s'amusent à prendre corps en suivant l'histoire et ses personnages.


» Argile [+]
Argile en Alcine
Réalisé par Michaël Guerraz. Drame - 18’30’’ - HD – 2,40 - Couleur - Dolby SR – France 2012
Alex pose. Une vieille dame sculpte. Une situation normale... si la dame en question n'était pas une aveugle et n'avait pour "voir" que ses mains. Des mains ridées qu'elle pose sur le corps nu de son jeune modèle. Alex va connaître une séance de pose inhabituelle.
... Où l'argent (le besoin) démollit les défenses de l'habitus et le cannabis facilite la disposition. C'est ainsi que les mains trouvent l'occasion de s'épanouir et que l'envoûtement improbable s'accomplit. Sans prénom et sans suite...




» à la française [+] 
 en Alcine 
Réalisé par Morrigane Boyer, Julien Hazebroucq, Ren-Hsien Hsu, Emmanuelle Leleu, William Lorton. Produit par Supinfocom Arles. Genre(s) : Animation - Durée : 7 min. Année de production : 2012.
C'est une après-midi à Versailles, du temps de Louis XIV...
... Où la cour, en devenant basse-cour, se montre telle qu'elle est. Le paradis chic n'est qu'un poulailler cocasse. Et puis évidemment, ces coqs et poules en pâte sont bien gaulois...



lundi 27 octobre 2014

Chibanis, Chibanias


Source: chibanis.org

"Chibani" veut dire littéralement "cheveux blancs" en arabe populaire algérien. L'expression est respectueuse. Les Chibanis, les Chibanias au féminin, sont les vieux migrants maghrébins arrivés en France dans les années 1960 pour travailler. Ils étaient jeunes à l'époque, en quête d'un avenir meilleur. La France avait besoin de main-d'œuvre dans tous les secteurs d'activité économique : bâtiment, travaux publics, industrie, agriculture…
Deux journalistes de France 24, Assiya Hamza et Anne-Diandra Louarn, ont réalisé un webdocumentaire sur ces "petits vieux", en général des hommes de plus de 65 ans —représentant près de 350 000 personnes— qui sont restés en France : leur rêve du retour ne s'est pas exaucé pour des raisons variées et ils sont devenus d'"éternels exilés" en situation précaire. Parmi eux : 130 000 Algériens, 65 000 Marocains et 40 000 Tunisiens.

Ce reportage est un hommage à ses inconnus qui ont trimé toute une vie, mènent en général une existence détraquée et manquent de voix et de reconnaissance. Mis à part un glossaire final, voici ses parties et leurs introductions :

1. - Leur France :
Extraordinaire", "formidable", "très beau", "le froid", "la solitude", "les baraquements"... l'arrivée en France est un choc. Parfois à peine majeurs, ces jeunes travailleurs découvrent un autre pays, une autre culture, mais aussi une autre langue. Surtout, ils se retrouvent seuls, "sans parents", "sans famille". Très vite, la raison de leur exil les rattrape : le travail. Il faut "envoyer de l'argent" à ceux qui sont restés au pays. À l'époque, "les patrons viennent embaucher dans les cafés", on pouvait "changer de patron deux à trois fois par jour". Bâtiment, travaux publics, industrie, agriculture… Ces jeunes hommes, en pleine force de l’âge, ne rechignent pas à la tâche, qu’ils soient déclarés ou non. Travail physique, parfois au noir, accidents... leur vie professionnelle n’est pas de tout repos. (...)
2.- Des familles disloquées :
Les travailleurs immigrés sont arrivés seuls en France. Ces jeunes hommes, persuadés de n’être que de passage en France, ont fondé leur famille au pays, au gré de mariages arrangés. Car dans la plupart des cas, ils connaissaient à peine, voire pas du tout leur future femme. "C’est ma famille qui l’a choisie", nous confie ainsi Amar. "Je l’ai emmenée d’Algérie. Elle était un peu jeune pour moi et j’étais vieux", raconte Rabah. Pendant les premières années, ils ne voyaient leurs épouses que lorsqu’ils rentraient au pays. Certains ont eu la chance de bénéficier du regroupement familial pour faire venir femme et enfants à leurs côtés, d’autres vivent toujours loin des leurs. Une solitude encore plus pesante avec l’âge. (...)
3.- Le "mythe" du retour au pays :
Couler une douce retraite au pays auprès des leurs, les chibanis en ont rêvé. Ils en ont parfois l’envie mais, pour certains, cela reste impossible. Pour ceux qui ont eu la chance de faire venir leur famille en France, vivre ici est un choix. Les autres ont renoncé à leur terre natale faute d’une pension suffisante, d’une bonne santé ou plus simplement d’attaches dans leur pays d’origine. Ils finissent souvent leurs jours dans des foyers de travailleurs, inadaptés à leur âge ou à leur état de santé. (...)
4.- Les vieux jours solitaires :
Aujourd’hui, que reste-t-il de leur vie de labeur ? À l’heure de la retraite, des milliers d’entre eux se retrouvent confrontés à l’isolement, parfois même à une extrême précarité. Beaucoup de chibanis retraités touchent l’Aspa , l’allocation de solidarité aux personnes âgées. Cette aide, versée en complément à la retraite, leur permet de toucher l’équivalent du minimum vieillesse, soit 787,26 euros mensuels pour une personne vivant seule. Or, le versement de l’Aspa (comme de nombreuses prestations sociales) est soumis à l’obligation d’avoir une résidence "stable et régulière”, c'est-à-dire de résider en France au moins six mois par an (décret du 18 mars 2007). Une clause dont nombre d’entre eux ignoraient totalement l’existence.

À l’issue de contrôles de résidence ou de ressources, des milliers de chibanis se sont vus suspendre le versement de cette aide et réclamer le remboursement de la totalité des sommes perçues. Un drame pour ces migrants âgés, dont la grande majorité ne sait ni lire ni écrire. 
5.- D'autres histoires d'immigration
Voici le début du témoignage de Sabrina, 60 ans :
"Je suis arrivée en France en 1989 pour travailler avec ma famille. Je suis venue avec mon cousin, sa femme et ses enfants. Là-bas [en Algérie], il n’y avait pas de travail. Au début, je pleurais tout le temps car je ne connaissais personne. C’était dur. Après, j’ai rencontré des gens, des amis et ça commençait à être bien. Là, je me suis dit ‘c’est bien la France’.

J’ai été mariée. Aujourd’hui, je suis divorcée et je vis seule. J’ai rencontré mon mari dans un café. Au début, je n’étais pas amoureuse de lui mais je me suis dit que c’était peut-être quelqu’un de bien. Mais je ne me suis pas mariée avec lui pour les papiers. Je pensais que j’allais rester avec lui. Au bout de cinq ans, ça n’allait plus. Il a demandé le divorce parce qu’il avait rencontré quelqu’un d’autre. Je suis tombée enceinte à deux reprises mais j’ai avorté parce que j’avais peur. J’avais peur de ma famille là-bas, de ma mère parce que… il était français. J’avais peur que ma mère dise "c’est péché de faire un enfant avec un Français". Je me suis mariée sans dire qu’il n’était pas musulman. J’avais peur de perdre ma famille. C’était dur. Avec le temps, j’ai regretté d’avoir fait ces avortements. Maintenant, c’est trop tard.
_________________________________
Mise à jour (24/03/2015) :

Plus de 800 cheminots marocains demandent « réparation » à la SNCF

Le Monde.fr avec AFP | • Mis à jour le
Mise à jour (22/09/2015) :
Mise à jour (31/01/2018) :
La SNCF a été condamnée mercredi 31 janvier [2018] en appel pour discrimination envers des cheminots marocains, a annoncé leur avocate après avoir eu connaissance d’une partie des jugements dans l’affaire des chibanis (« cheveux blancs ») poursuivant la compagnie ferroviaire.
Clélie de Lesquen-Jonas a brandi les mains en l’air en criant « c’est gagné », avant de préciser à la presse que les cheminots avaient en outre obtenu reconnaissance d’un « préjudice moral ». « C’est un grand soulagement, une grande satisfaction », a-t-elle commenté. Les premiers recours aux prud’hommes remontent à plus de douze ans.
« Il y a eu aujourd’hui la confirmation des condamnations [pour discrimination] obtenues en première instance en matière de carrière et de retraite et nous avons obtenu en plus des dommages et intérêts pour préjudice moral », a déclaré Me de Lesquen-Jonas à la cour d’appel de Paris, où une centaine d’anciens salariés s’étaient déplacés.

La SNCF se réserve le droit d’un pourvoi en cassation
(En lire plus sur le site du journal Le Monde, 31.01.2018)

mardi 14 octobre 2014

Foucault et Chomsky sur la violence obscure des institutions et la nature humaine

La perception de tous nos conditionnements sociaux contre une crédulité nuancée ? À vous d'en juger...
En 1971, à l'université d'Amsterdam, dans le cadre de l'International Philosophers Project, Michel Foucault et Noam Chomsky discutent de la nature humaine, des institutions, du pouvoir, de la violence institutionnelle, de la justice...
Voici leur débat complet émis à l'époque par la télévision hollandaise.


vendredi 10 octobre 2014

Modiano Nobel 2014

Candidat habituel au Nobel, Patrick Modiano vient de remporter ce prix célèbre et phénoménal. « Pour cet art de la mémoire avec lequel il a fait surgir les destins les plus insaisissables et découvrir le monde vécu sous l'Occupation. »
Il a été traduit parmi nous par plusieurs traducteurs, dont moi même, mais surtout par Maite Gallego. En Allemagne, son premier traducteur fut Peter Handke.
En France, Le Monde publia hier :
L'auteur français Patrick Modiano a été récompensé par le prix Nobel de littérature « pour son art de la mémoire avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde de l'Occupation », selon les jurés, qui ont dit à la télévision publique suédoise que l'Académie n'avait pas réussi à joindre le lauréat avant d'annoncer sa victoire.
En même temps, on pouvait lire sur le site du Nouvel Observateur un entretien avec Antoine Gallimard, son éditeur et ami, qui démarrait comme cela :
La carrière littéraire de Patrick Modiano a débuté en 1968 chez Gallimard, avec la publication de «la Place de l’Etoile». Ce jeudi 9 octobre, quarante-six ans plus tard, l’auteur de «Dora Bruder» a reçu le prix Nobel de littérature.
Patrick Modiano est une vieille connaissance littéraire. Un jour, Constantino Bértolo, critique littéraire et éditeur, me confia la traduction pour Debate de Des Inconnues (Gallimard, 2000), un ensemble très cohérent de trois récits harmonieux. C'est drôle car nous avions eu une dizaine d'années auparavant notre première discussion littéraire à propos justement de Modiano et de son roman Dimanches d'Août.
Ma version, Las Desconocidas, parut en 2001. Article, pas d'article, quel article dans le titre en castillan... ? Coup de cœur ou flair d'éditeur et lecteur éprouvé, Constantino proposa une volte-face car il trouva l'article défini féminin et pluriel "las" plus adéquat, plus narratif, disait-il, ce "des" renvoyant vraiment à "toutes". D'ailleurs, et sur ce point nous étions tous d'accord, il fallait éviter la conversion du substantif français en adjectif en castillan, risque encouru en cas d'absence d'article. J'y pense encore.
Puis je traduisis La Petite Bijou (Gallimard, 2001). Joyita parut en 2003.




Il suffit de lire ces deux ouvrages pour comprendre la volonté de Patrick Modiano de revendiquer les êtres anonymes (sans nom), plus concrètement (nouveauté chez lui), les (jeunes) femmes anonymes dont le cadre social, économique et atmosphérique que nous subissons ne fait qu'une bouillie. Modiano nous rappelait que les parias non seulement existent mais constituent paradoxalement la majorité, les vies communes.
Les gens du commun font des rêves mais sont régulièrement exclu(e)s du banquet des grands. Sans nom, ils font partie du nombre... C'est comme cela qu'on existe, par exemple, dans un Centre d'Internement pour Étrangers (CIE) en Espagne, où l'on accorde un numéro aux captifs. Ils n'y ont pas droit à leur nom. C'est ce numéro qu'il faut mentionner aux policiers si l'on veut être autorisé à rendre visite à un de ces innocents "retenus" par le système libéral.

Je ne crois pas aux prix, mais je respecte et apprécie Patrick Modiano. Mémoire du passé et du présent.
Bonne journée à tous.

______________________________
Demain, samedi 11 octobre, France Culture consacrera à Patrick Modiano ses émissions de 14 heures à minuit. Cliquez ici pour accéder au programme prévu. Il y aura même un spécial Modiano et la chanson à 19h sur Continent musiques.

samedi 27 septembre 2014

Dire, ne pas dire, selon l'Académie

C'est la rentrée et bien des étudiants de français se demandent quel dictionnaire utiliser, gratuitement si possible. Pour ceux qui recherchent un outil monolingue, normatif et gracieux, je rappelle que le site de l'Académie française (fondée par Richelieu en 1635) dispose de deux rubriques qui pourraient bien vous aider à l'heure de vos consultations : la Langue française et le dictionnaire.
Sous cette dernière se déplient quatre possibilités :
La Langue française, elle, s'ouvre sur quatre onglets :
Dire, ne pas dire est un service de consultation existant depuis 2011 et qui fait office d'une sorte de dictionnaire des difficultés ou des doutes. Il se déploie en sept pages :
Dire... ne pas dire... L'idée des immortels est claire : doit-on dire luxurieux ou luxuriant ? D'ailleurs ou par ailleurs ? Par contre ou en revanche ? Cela ressortit à mes attributions ou Cela ressort de mes attributions ? (Mais bien sûr qu'on dit aussi ce qu'ils ne veulent pas qu'on dise ! À quoi bon cette dichotomie académique "On dit" vs "On ne dit pas", comme si on ne disait pas ce que l'on dit et que l'on entend souvent un peu partout ? Un peu de rigueur, quand même !)
Bref, à travers le courrier des internautes, vous lancez votre interrogation et l'Académie (les académiciens et les linguistes du Quai Conti) répond. Ainsi lit-on aujourd'hui la question suivante :
Peut-on dire « s’engager à » suivi d’un nom et non d’un verbe ? Exemple : « s’engager à une action ».

L’Académie répond :

S’engager à est le plus souvent suivi d’un infinitif : Il s’engage à venir ; il est parfois suivi d’une subordonnée introduite par ce que : Il s’engage à ce que les travaux soient faits.
On le trouve enfin avec plus que ; Il s’engage à plus qu’il ne peut tenir ou, à la forme négative, avec rien. Il ne s’engage à rien.
Mais s’engager à ne peut être suivi d’un nom que si ce verbe est employé dans le sens de se lier, s’enrôler, s’inscrire : S’engager au service de quelqu’un, S’engager au mariage, S’engager à une épreuve de natation.
Le succès du site a permis la publication récente d'une anthologie imprimée ; selon Le Monde :
Le site connaissant un vif succès, un florilège de ces échanges vient de paraître dans un livre, Dire, ne pas dire. Du bon usage de la langue française, paru aux éditions Philippe Rey. Deux académiciens, membres de la commission du dictionnaire, Dominique Fernandez et Yves Pouliquen, ont ainsi sélectionné deux cents entrées pour cet ouvrage, qui relève les fautes et les tics de langage les plus fréquemment observés dans le français contemporain. Quels mots, quelles tournures choisir, retenir ou rejeter parmi ce qui s'entend et se dit ? Sabler ou sabrer le champagne ? Courbatu ou courbaturé ? Tout à coup ou tout d'un coup ? Quand employer débuter ou démarrer ? Irrévocable ou irréversible ? Autant de questions qui trouvent leurs réponses dans ce livre instructif et souvent drôle, ou à l'adresse academie-francaise.fr/dire-ne-pas-dire. On y trouve aussi, par exemple, l'origine de l'expression "c'est du gâteau" ou "c'est pas de la tarte".
La catégorie "bonheur - surprises" vous présente des curiosités intéressantes. En voilà une :

Tout de go

Le 09 septembre 2014
Contrairement à ce que l’on croit parfois, la locution adverbiale tout de go, « directement, sans préparation, sans précaution », n’est pas liée au verbe anglais to go, « aller ». Tout de go est la forme simplifiée de l’expression ancienne avaler tout de gob.
Cette forme ancienne gob est issue du gaulois *gobbo, « bec, bouche ». C’est d’elle encore qu’est dérivé l’ancien français gobet, « bouchée, gorgée », puis « pièce, morceau ». De ce dernier sens, on est passé à celui de « motte de terre ». Ainsi le français écobuage, qui désigne une méthode de fertilisation des sols, n’a-t-il rien à voir avec le préfixe éco- mais bien avec cette racine gob-, puisqu’il vient du poitevin gobuis, qui désignait la terre où l’on se prépare à mettre le feu.
Mais il suffit de lire les exemples qui illustrent le bon usage du terme crise (dont on reconnaît quand même les extensions de sens abusives) pour comprendre qu'il va falloir toujours se battre contre "la langue légitime". Non, le salut ne vient pas d'en haut. En matière de critère, il ne faut surtout pas fléchir...

mercredi 24 septembre 2014

Les travailleurs de la mer, par l'université Rennes-II


Tel est le titre du webdocumentaire conçu par l'université Rennes-II consacré au vigoureux et sensible roman de Victor Hugo Les Travailleurs de la mer (1866), une pure générosité sur tous les plans, un ouvrage dont le livre premier s'intitule De quoi se compose une mauvaise réputation...
Il s'agit d'une production multimédia riche des splendides illustrations de Victor Hugo, car en vrai architecte, il dessina les différents éléments de son édifice ; puis il fit même relier son manuscrit (images et textes en rapport mutuel dans le même volume).
Cette production pleine d'intérêt comporte plusieurs vidéos explicatives. On aborde l'œuvre manuscrite (le manuscrit, l'intrigue, le titre), l'œuvre graphique (encres et pigments, clair obscur, instruments -le crayon de graphite, la barre lithographique, le fusain, l'encre, les plumes...-, l'art au sommet : Victoria Tébar Ávila s'exprime en castillan) et Pierre Georgel, Victoria Tébar Ávila et Jean-Pierre Montier font l'analyse des dessins.
Comme l'abordage à tous ces matériaux est libre, la marque d'une puce bleue sur la vidéo X indique que vous l'avez déjà vue. Il y a aussi, en prime, des lectures d'extraits du roman. Témoin Les Douvres.

Voici l'à propos de ce bel effort :
Si le grand public n’ignore plus, depuis les grandes rétrospectives qui ont été depuis vingt ans consacrées à son œuvre graphique, que Victor Hugo fut aussi un dessinateur exceptionnel, en revanche, dans le domaine de la recherche universitaire, ses dessins demeurent le plus souvent soigneusement distincts de la production de l’homme de Lettres. Or, comment ne pas être frappé des parentés étroites existant entre le geste de la plume à l’encre qui, dans le même temps, trace les signes de l’écriture et imprègne le papier de figures tantôt réalistes, tantôt hallucinées ?
Le manuscrit que Victor Hugo avait réalisé pour les Travailleurs de la Mer fut, de cette remarquable symbiose, la manifestation éclatante. S’il est impossible de le reconstituer (la Bibliothèque nationale, à laquelle il fut légué, a dû le démembrer pour les besoins de la conservation des documents), toutefois ce web documentaire se donnera pour ambition de retrouver l’esprit d’une démarche artistique complexe, dans laquelle poésie et roman, écriture et dessin, méditation humaine et création divine (par l’entremise de la figure mythique de la Mer) communient étroitement sous l’espèce d’un même sens du Verbe.
Ce webdocumentaire, dont le titre reprend une phrase écrite par Victor Hugo sur l’un de ses dessins, est conçu de manière à conjuguer les intérêts du public scolaire et universitaire en Littérature et en Art.
Jean-Pierre Montier
Voici un extrait du roman, la présentation de Gilliatt, son héros :
Gilliatt, nous l'avons dit, n'était pas aimé dans la paroisse. Rien de plus naturel que cette antipathie. Les motifs abondaient. D'abord, on vient de l'expliquer, la maison qu'il habitait. Ensuite, son origine. Qu'est-ce que c'était que cette femme ? et pourquoi cet enfant ? Les gens du pays n'aiment pas qu'il y ait des énigmes sur les étrangers. Ensuite, son vêtement qui était d'un ouvrier, tandis qu'il avait, quoique pas riche, de quoi vivre sans rien faire. Ensuite, son jardin, qu'il réussissait à cultiver et d'où il tirait des pommes de terre malgré les coups d'équinoxe. Ensuite, de gros livres qu'il avait sur une planche, et où il lisait.
D'autres raisons encore.
D'où vient qu'il vivait solitaire ? Le Bû de la Rue était une sorte de lazaret; on tenait Gilliatt en quarantaine, c'est pourquoi il était tout simple qu'on s'étonnât de son isolement, et qu'on le rendît responsable de la solitude qu'on faisait autour de lui.
Il n'allait jamais à la chapelle. Il sortait souvent la nuit. Il parlait aux sorciers. Une fois on l'avait vu assis dans l'herbe d'un air étonné. Il hantait le dolmen de l'Ancresse et les pierres fées qui sont dans la campagne çà et là. On croyait être sûr de l'avoir vu saluer poliment la Roque qui Chante. Il achetait tous les oiseaux qu'on lui apportait et les mettait en liberté. Il était honnête aux personnes bourgeoises dans les rues de Saint-Sampson, mais faisait volontiers un détour pour n'y point passer. Il pêchait souvent, et revenait toujours avec du poisson. Il travaillait à son jardin le dimanche. Il avait un bag-pipe, acheté par lui à des soldats écossais de passage à Guernesey, et dont il jouait dans les rochers au bord de la mer, à la nuit tombante. Il faisait des gestes comme un semeur. Que voulez-vous qu'un pays devienne avec un homme comme cela ?
N'hésitez plus : plongez dans cette mer inoubliable de l'un des vrais grands monstres de la littérature de tous les temps.

jeudi 18 septembre 2014

La peau dure des fois induites

(Texte conçu-entamé en mai 2014 et pondu-publié aujourd'hui)

La lecture des deux derniers billets de Frédéric Lordon sur son blog, La pompe à phynance, intitulés Les entreprises ne créent pas l’emploi et Les évitements visibles du « Parlement des invisibles », m'a poussé à rebouquiner au lit un conte d'Edgar Allan Poe, La lettre volée (1844), intelligente métaphore sur l'évidence qu'on ne voit pas. J'en gardais nettement dans mon esprit les grandes lignes mais avais oublié les brillantes et sectaires réflexions de Dupin, son personnage principal.
« (...) Bryant, dans sa très-remarquable Mythologie, mentionne une source (...) d’erreurs, quand il dit que, bien que personne ne croie aux fables du paganisme, cependant nous nous oublions nous-mêmes sans cesse au point d’en tirer des déductions, comme si elles étaient des réalités vivantes. Il y a d’ailleurs chez nos algébristes, qui sont eux-mêmes des païens, de certaines fables païennes auxquelles on ajoute foi, et dont on a tiré des conséquences, non pas tant par une absence de mémoire que par un incompréhensible trouble du cerveau. (...) »
Ma foi, oui, nous savons très bien que la mémoire et la connaissance sont fréquemment inutiles, stériles : trouble du cerveau ? peur ? intériorisation de la soumission par un dressage ancestral ? asthénie ? fatigue face aux pouvoirs multiples des puissances d'argent ? haine de soi ?
Quant à l'absence de mémoire, elle n'est pas forcément absolument néfaste —car on peut disposer quand même d'un jugement disons lucide et juste et n'avoir aucun penchant pour la cruauté— mais contribue souvent à rendre vraisemblables, crédibles, et donc soutenir, certaines fables et croyances fort nuisibles et parfaitement démenties par les sciences expérimentales, les modestes constatations personnelles ou l'Histoire.
C'est là un des points où je diffère de Jean Bricmont et de son ouvrage La République des censeurs, L'Herne, 2014, essai par ailleurs remarquable et que je conseille vivement. À la fin de son livre, Bricmont s'aventure à « suggérer que le devoir de mémoire n'est souvent que le nom actuel de ce qu'on aurait appelé jadis l'entretien des haines du passé, qui peut en fait créer des craintes imaginaires et des conflits artificiels ». Oserait-il défendre cette position devant les Palestiniens, la masse des Noirs pauvres de l'Afrique du Sud ou les Espagnols en quête des os de leurs proches républicains fusillés par les Franquistes ? Je sais bien que Bricmont a oublié d'être con, ne dit pas n'importe quoi en général et emploie ici l'expression « devoir de mémoire » au lieu de mémoire pour de bon, mais son juste plaidoyer contre « le devoir de mémoire » s'attaque un peu trop à mes yeux à la simple mémoire, et je trouve donc son approche plutôt dangereuse. À l'heure de réfuter le topique « ceux qui ignorent leur histoire sont condamnés à la répéter », il nous rappelle que « (...) la plupart des peuples au cours des siècles ont ignoré leur propre histoire ». Justement ; ce qui explique en partie, selon moi, leurs fois incroyables. Et puis "l'enseignement systématique" de l'Histoire est et a toujours été foncièrement partisan, y compris dans des pays soi-disant "démocratiques" comme les États-Unis, Israël ou l'Espagne : il s'agit toujours de l'histoire rédigée par les vainqueurs. Témoin Howard Zinn, Ilan Pappé —ou moi-même. Les manipulations historiques (y compris le passage sous silence des épisodes gênants que l'on veut vouer à l'oubli, au devoir d'oubli) ont toujours fait partie essentielle des différentes propagandes.
Nous ne renonçons pas à la connaissance et à la justice pour des prunes et cette double ambition nécessite une correcte reconstruction des faits, sans quoi on risque de mettre agresseurs/voleurs et victimes/volés sur un pied d'égalité.

Revenons à Lordon ; dans Les entreprises ne créent pas l’emploi, il écrivait exactement :
Il est vrai (...) que le capital a pour lui tous les privilèges de la lettre volée d’Edgar Poe, et que sa prise d’otages, évidente, énorme, est devenue invisible à force d’évidence et d’énormité. Mais par un effet de cécité qui en dit long sur le pouvoir des idées dominantes, pouvoir de faire voir le monde à leur manière, en imposant leur forme au réel, et en rendant invisible tout ce qui pourrait les contredire, par cet effet de cécité, donc, la plus massive des prises d’otages est devenue la moins remarquée, la plus entrée dans les mœurs.
L'invisibilité de l'évidence et la visibilité de l'irréel : le triomphe du mythe et des chambres à Gattaz. C'est un sujet qui me hante car il me sidère et m'enquiquine : j'en rage. La spoliation perpétuelle de la masse du peuple par ses élites opérerait un effet de mithridatisation et d'insensibilisation (an-esthésie) de bon nombre d'esprits par accoutumance, par routine. D'ailleurs, non seulement on est régulièrement dépouillé et on s'y habitue, mais on confie son salut aux vampires qui vous sucent le sang par-dessus le marché ! « Ô chimères ! dernières ressources des malheureux ! » (Rousseau dixit ; cf. Julie ou la Nouvelle Héloïse). Ce sont les (très) mauvaises conséquences de la bonne foi.

Voilà pourquoi nous sommes contraints de répéter des évidences qui sont loin d'être généralement perçues. Merci donc à Frédéric Lordon et Bertrand Méheust, par exemple, pour leurs analyses démystifiantes.
Au sujet de Bertrand Méheust, disons qu'il a publié il y a cinq ans un essai bien écrit et succinct qui aborde tout de même les grands maux déclenchés par la prédation humaine (sociale et planétaire, méchante et inconsciente) —que l'on tient à nous dissimuler à travers les grands mots, oxymoriques, du système qui nous assomme. Une quintessence ou compendium à l'usage de ceux qui souhaiteraient se rattraper en la matière et dont la bibliographie citée est excellente. Il s'agit de La politique de l'oxymore, ou Comment ceux qui nous gouvernent nous masquent la réalité du monde, Les Empêcheurs de penser en rond, Éd. La Découverte, Paris 2009.



« Pour l'essentiel, ces pages ont été écrites pendant l'automne et l'hiver 2007. Je n'ai pas cru, à quelques remarques près, devoir les ajuster à l'actualité, qui s'est chargée de confirmer mes craintes », écrit l'auteur pour clore son avant-propos.

Oxymore est un terme qui provient du grec ὀξύμωρον (oxumôron), de ὀξύς (oxus) « aigu » et μωρός (môros) « sot, fou ».
Ce bouquin se divise en deux parties : la première s'intitule très spinoziennement Toute société cherche à persévérer dans son être ; la seconde, Politique de l'oxymore, décrit le phénomène mais n'en fait pas la collection à fond. Ce n'est pas son but, bien entendu. Il présente néanmoins une belle liste de contradictions de la société libérale dans la deuxième partie. Et je dois dire que cela fait longtemps qu'elle me tente, l'idée de faire un bon inventaire des oxymores des libéraux, ces grands professionnels de la langue interlope, de la fraude expressive...
Bref, pour l'instant, je me borne à recueillir ci-dessous quelques extraits, choisis à la va-vite, de La Politique de l'oxymore (les notes et les liens hypertextes sont de mon cru. Attention, ma sélection néglige, malheureusement, bien des développements les plus juteux de la démonstration de Méheust) :
— (...) nous n'avons pas encore assimilé la dimension collective nouvelle de l'éthique exigée par la crise écologique.
— (...) les forces libérées par le couplage du marché et de la technoscience semblent incompatibles à terme avec la « permanence d'une vie authentiquement humaine sur terre », selon la fameuse formule de Hans Jonas, (...) l'on ne peut pas agresser très longtemps la biosphère sans en subir les conséquences.
— (...) un univers mental cherche toujours à persévérer dans son être et ne renonce jamais de lui-même à lui-même si des forces extérieures considérables ne l'y contraignent pas.
— La mondialisation peut (...) être caractérisée comme le moyen qu'à trouvé la civilisation libérale pour répondre à la saturation locale de ses systèmes et pour différer encore et encore la saturation finale.
(...) Mais, comme nous vivons dans un monde fini, sa saturation globale est inéluctable, et plus on aura déployé d'ingéniosité pour le prolonger, plus les effets différés seront dévastateurs.
— (...) la démocratie du futur, telle qu'on la voit se dessiner, risque fort de devenir une « barbarie molle » d'un genre inédit, une barbarie froide et raisonnée, disposant de moyens de contrôle mental sans précédent.
— La démocratie telle qu'on la voit se mettre en place aujourd'hui est le système à travers lequel s'achèvera l'appropriation de la nature (et de la nature humaine) par la rationalité instrumentale.
— (...) on compte sur des découvertes nouvelles pour réparer les dégâts des technologies précédentes, (...). Ce raisonnement (...) est inacceptable moralement, et insoutenable logiquement.
— (...) le formatage auquel nous sommes soumis nous éloigne de la nature et nous rend indifférents, entre autres choses, à [la mort des rivières].
— (...) rien n'est moins spontané que la doctrine libérale.
— La mentalité consumériste façonnée par le système continuera pendant longtemps de freiner les modifications psychiques et culturelles qui seules pourraient rendre possible à long terme la mutation requise par la crise [écologique].
Le pacte implicite qui lie l'opinion au système -un confort matériel toujours accru, en échange d'un vide de sens toujours plus effrayant- ce pacte empêchera longtemps encore que l'on diminue de façon sensible la pression de confort (...).
— Comme l'a montré l'exemple de l'amiante, comme le montre celui des pesticides, comme le montreront sans doute les effets différés des téléphones portables, jamais on ne peut arrêter immédiatement une production létale, une technologie dangereuse, même si leurs dangers sont prouvés ou probables.
[Note candide - La voiture et ses effets : pollution, guerres du pétrole, saturation, morts directes, blessés... ; les médicaments...]
— La cirrhose néolibérale est incurable.
— Une société d'endettés est prisonnière du futur, elle ne peut plus prendre de risques, se battre pour ses droits, ou envisager de vivre autrement. Et c'est d'ailleurs pourquoi Sarkozy souhaite que tous les Français deviennent propriétaires de leur maison : endettés jusqu'au cou pour un demi-siècle, ils seront définitivement prisonniers du système.
[Note candide - N'oublions pas les étudiants]
— Encore un signe qui ne trompe pas : aujourd'hui, l'élite des mathématiciens ne va plus à la physique, à la cosmologie, à la recherche fondamentale, elle va à la finance, et se met au service des maîtres du monde. Platon doit se retourner dans sa tombe.
[Voir la note de ce billet-ci]
— Aujourd'hui, on assiste à une multiplication vertigineuse des normes et des règlements qui sont en train de nous étouffer comme un véritable corset. En même temps, la fonction de ces lois devient de plus en plus répressive, elles visent à prévenir et à traquer la déviance, on entre dans le Surveiller et punir prémonitoire de Michel Foucault. Ainsi, à mesure que l'activité économique et le travail sont dérégulés, la vie quotidienne est sur-régulée, sur-encadrée.
[Note candide : Russie, Genève, Égypte, Espagne, un peu partout...]
— Le « déchet moderne » (...) tend à s'évanouir : il devient invisible, (...) -mais il envahit tout l'espace physique, et sous sa forme publicitaire tout l'espace mental. « Les animaux -écrit [Michel] Serres- s'approprient certes leurs gîtes par leur saleté, mais de manière physiologique et locale. Homo s'approprie le monde physique global par ses déchets durs et [...] le monde humain global par les déchets doux. » Le « déchet dur » en question est évacué chez les pauvres, il termine sa course dans les océans, dans les déserts africains, dans les mangroves. Le « déchet doux » est psychique, il est destiné à l'humanité toute entière, ses formes les plus agressives sont tournées vers les classes inférieures, ses formes les plus élaborées sont réservées aux classes aisées et cultivées. Mais, chez les riches comme chez les pauvres, il s'insinue partout.
— En moins d'un siècle, le marché, couplé à la technologie, en instrumentalisant et en artificialisant les désirs, aura stérilisé tout ce qui donnait aux hommes le goût de vivre depuis des millénaires. (...) C'est chez des auteurs comme George Orwell, Aldous Huxley, Stanislas Lem ou Philip K. Dick que l'on trouvera des évocations prémonitoires du psychisme qui monte.
— (...) la civilisation libérale est la culture de la sortie de la culture.
— « Développement durable », « croissance négative », « marché civilisationnel », « financiarisation durable », « flexisécurité », « moralisation du capitalisme », « offre d'emploi raisonnable », « vidéoprotection », « décélération de la décroissance », « mal propre », etc. La montée des oxymores constitue un des faits marquants et révélateurs de la société contemporaine.
[Note candide : Méheust et moi, nous savons que ce répertoire serait vraiment interminable. Il faudrait même inclure le patron de l'Espagne, Saint-Jacques Occit-Maures, oxymore particulièrement affreux !!!]
— Les « cohérences antagonistes » étudiées par [Gilbert Durand] se sont mises en place spontanément à travers les âges, (...) tandis que, dans les sociétés contemporaines (...), elles sont de plus en plus souvent forgées artificiellement par des idéologues pour justifier et maintenir un ordre, avec la complicité de certains intellectuels et le relais des moyens contemporains. Loin de favoriser l'équilibre des individus et de la société, les oxymores ainsi utilisés peuvent alors favoriser la déstructuration des esprits, devenir des facteurs de pathologie et des outils de mensonge.
— Par de nombreux points essentiels, le nazisme préfigure notre modernité.
Les nazis étaient fascinés par la technologie de pointe (...). Leur eugénisme a diffusé, sous des formes banalisées, dans les pratiques médicales contemporaines. Ils ont inventé les autoroutes, les fusées, les avions à réaction, la voiture pour tous, la propagande de masse par les médias modernes, la politique spectacle, les grandes messes sportives, les voyages organisés, l'exaltation narcissique du corps, qui éclate dans les films de Leni Riefenstahl (...). Ils ont anticipé la « modernisation » de la langue, en ayant recours de façon systématique aux sigles et aux euphémismes destinés à masquer les réalités dérangeantes. Ils ont appliqué aux Juifs et aux Tziganes les méthodes de l'élevage et de l'abattage industriels qui commençaient à se développer dans le secteur agro-industriel.
Ils ont même inventé la guerre spectacle. (...)
[Note candide - Cette liste mériterait certaines nuances compte tenu de l'existence des États-Unis]
— On a remarqué que les oxymores se mettent à proliférer dans les sociétés soumises à de fortes tensions, comme le montre le cas exemplaire du régime de Vichy, un gouvernement qui se réclame de la patrie, mais qui est installé et maintenu par une armée d'occupation ; une politique de soumission, qui est présentée comme une entreprise de régéneration nationale ; un éloge de la vie champêtre, dans un régime à la solde de l'industrie lourde allemande ; enfin, et c'est sans doute le comble, une exaltation des vieilles valeurs chrétiennes, au service d'une entreprise fondamentalement antichrétienne et néopaïenne...
[Note candide - Nos très chrétiens et très libéraux notables —qui prônent donc les bienfaits de la liberté et de l'initiative individuelle— diabolisent, maltraitent et expulsent les Africains, les Roms, les pauvres...]
— [Pour notre système], Il s'agit de durer, coûte que coûte, en démultipliant les fantasmes, en faisant, en faisant des technologies du mensonge raisonné une branche importante du savoir et un secteur vital de l'économie.
— (...) la thèse de Hobbes est une prophétie autoréalisatrice : ce n'est pas au commencement que l'on assiste à la guerre de tous contre tous, mais au terme. Quand les hommes n'auront plus le choix, ils voudront le Léviathan, mais il sera trop tard.
— Un chantier titanesque attend les générations futures, un chantier tellement énorme qu'il ne peut guère être qualifié qu'à travers des expressions tirées de la mythologie. Il faudra nettoyer les écuries d'Augias. Il faudra, si c'est encore possible, décontaminer la planète, la transformer en une véritable Arche de Zoé (le terme devant être pris ici dans son sens littéral) [Note candide : en grec Ζωή, qui veut dire "vie"] pour préserver et relancer les espèces vivantes, réparer et recréer la biosphère. Pour cela, il faudra d'abord décontaminer les esprits.
— (...) il y a un hiatus fatal entre la profondeur de champ de l'économie et de la politique, et celle de la cosmologie et de la paléo-anthropologie contemporaines (...). L'homme que dévoilent la cosmologie et la paléo-anthropologie n'est pas un être fixe, mais un processus dont le développement se joue sur des centaines de milliers, voire sur des millions d'années. (...) C'est précisément au nom d'une conception élargie de l'histoire et du progrès qu'il faut refuser par tous les moyens la marchandisation du monde.

jeudi 4 septembre 2014

ARTE Cinéma

Je reproduis presque intégralement une dépêche du Monde d'aujourd'hui sur un nouveau service d'ARTE consacré au cinéma :

Une plate-forme consacrée au cinéma pour Arte
Depuis le 1er septembre, la chaîne franco-allemande Arte propose sur la Toile sa nouvelle plate-forme consacrée au cinéma, à partir de son offre TV. Accessible en streaming gratuit, Arte Cinema (disponible sur cinema.arte.tv/fr) propose aussi aux cinéphiles de retrouver les films diffusés par la chaîne sur Arte +7  (qui permet de visionner les contenus vidéo en intégralité pendant sept jours) ainsi que des courts-métrages. La plate-forme propose aussi chaque semaine une sélection de cycles de rares longs-métrages regroupés dans la section Europa Film Treasures, fruit d'un partenariat entre Arte et Lobster Films (qui détient les droits des films mis à disposition par les cinémathèques européennes). Les amateurs du 7e art pourront en outre être redirigés vers l'offre VOD payante de la chaîne grâce à un lien. Arte Cinéma est aussi un espace où les internautes pourront retrouver les magazines en ligne habituels ("Blow Up", "Les leçons de cinéma"... ), ainsi que des articles, des entretiens, des making-of et une sélection des sorties en salles réalisée en partenariat avec Allociné/ Filmstarts. Au programme cette semaine, un cycle Leos Carax (avec Holy Motors, puis Les Amants du Pont-Neuf à partir du 8 septembre), ainsi que la possibilité de revoir le téléfilm de Guillaume Nicloux L'Enlèvement de Michel Houellebecq.

mardi 2 septembre 2014

Brésil, un portrait en musique

La série Brésil, un portrait en musique, proposée du lundi 7 au vendredi 11 juillet par Continent musiques, sur France Culture, constitue une manière de découvrir un peu le Brésil à partir de sa musique et en français.
Continent musiques est une émission estivale produite par Véronique Mortaigne, Maylis Besserie, Amaury Chardeau, Jérôme Sandlarz, Florent Mazzoleni, Virginie Bloch-Lainé, Simon Rico, Elodie Maillot. Elle explore en musique les cinq continents.

Voici l'introduction au premier volet de Brésil, un portrait en musique, série que nous devons à Véronique Mortaigne :
Le Brésil accueille la Coupe du Monde de football. Le pays est pourtant mal connu en profondeur. Attrayant, joyeux, turbulent, le géant sud-américain a mis la musique au cœur de son quotidien. De Rio à Manaus, elle y est profondément aimée. Au-delà des refrains d’ascenseur et des leitmotivs carnavalesques, la musique populaire brésilienne (MPB) dit beaucoup sur la construction de cette identité brésilienne parfois opaque, une fois dépassé le stade des évidences. Samba, bossa-nova, tropicalisme rock, pop ou funk : la MPB est une suite inventive, continue, de déstructurations artistiques et  de révolutions sociales
Véronique Mortaigne, responsable des musiques actuelles au journal Le Monde, auteur d'une dizaine d'ouvrages, dont Cesaria Evora, la voix du Cap-Vert (Actes Sud), Manu Chao, nomade contemporain (Don Quichotte), a vécu plusieurs années au Brésil, et s'est attachée à décrire les aller-retour entre l'Afrique et les Amériques.

Playlist du jour :
Pais Tropical (Générique), Wilson Simonal
Refavela, Angelique Kidjo et Gilberto Gil, Bonus track de Black Ivory Soul, version brésilienne
Mulemba Xangola, Extrait de Onda Sonora Red Hot+Lisbon, Bonga, Marisa Monte, Carlinhos Brown
Sinha, Chico, Chico Buarque
Carinhoso, Yamandú Costa, BO du film Brasileirinho de Mika Kaurismaki
Peça de albene, Acerto de contas, Paulo Vanzolini, Pii
Luz Negra, Nelson Cavaquinho
BrigitteBardot, Jorge Veiga
Fado tropical, Calabar, o elogio da traiçao, Chico Buarque
Canoa Canoa, Clube da Esquina 2, Milton Nascimento
Tremzinho caipira, Danças dos escravos, Egberto Gismonti
Rio de Lágrimas, Feitiço Caboclo, Dona Onete
Aboio, Aboio e embolada do Nordeste, Trad.
Reza, Rita Lee.
Brésil, un portrait en musique (2/5)
Brésil, un portrait en musique (3/5)
Brésil, un portrait en musique (4/5)
Brésil, un portrait en musique (5/5)

mercredi 27 août 2014

Psittacismes de Manuel

Le Monde nous explique :
François Hollande et Manuel Valls ont composé hier un nouveau gouvernement excluant les ministres qui réclamaient un virage à gauche afin de mettre en œuvre la politique social-démocrate voulue par l'exécutif, dans la "dignité" et la "cohérence". Le premier ministre, qui a défendu sur France 2 (...) les choix faits pour constituer la nouvelle équipe, s'est dit convaincu d'obtenir une majorité à l'Assemblée lors d'un vote de confiance qui aura lieu en septembre ou en octobre. François Hollande a créé la surprise avec la nomination de son ex-conseiller Emmanuel Macron, qui prend l'économie, où il remplace le trublion Arnaud Montebourg, et symbolise le cap économique du chef de l'Etat. "Il y a une seule ligne et les membres du gouvernement ne peuvent pas se donner en spectacle", a dit Manuel Valls, pour qui cette nomination fait partie "des beaux symboles". "Et alors, on ne peut pas dans ce pays être entrepreneur, banquier, commerçant, artisan ?" a-t-il fait mine de s'étonner.
Hervé Le Tellier nuance :
Il était temps. Les Français, après n'avoir pas vu s'appliquer la politique pour laquelle ils avaient voté, voient commencer le second temps du quinquennat : on va enfin appliquer celle pour laquelle ils n'ont pas voté.
Candide glose :

Le PS fait vallser 90% des Français et Maquereau-n, "beau symbole", prend l'économie en France ! De Manuel.
Le fait que les banquiers (et autres agioteurs) soient les artisans de notre détresse ne saurait autoriser quiconque à mettre banquiers et artisans sur un pied analytique d'égalité. Sauf psittacisme de Manuel.

Le Régime libéral n'admet point la dissidence ni le pluralisme, penche donc pour la censure des non-godillots. Les grands média, aussi bien publics que privés, ne doivent transmettre que la Sacrée Pensée Unique, d'où découlent les lois iniques que nous subissons partout en Europe.
Le Parti Socialiste, l'une des deux ailes de cet avion-Régime, qui remplit sans complexes sa tâche sur les grands dossiers du moment (privatisations, renflouage des banques et des grandes entreprises privées avec de l'argent public, coupes dans les services publics, coupes des droits sociaux et du travail, soutien à tout prix d'Israël et du sionisme,...), agit sans vergogne également en matière de propagande et de contrôle médiatique —c'est-à-dire, de censure, son corollaire. Il faut bâillonner toute voix (au chapitre) qui soit “ plus près des jetables que des notables. ” C'est ainsi qu'on vient de supprimer l'émission radiophonique Là-bas, si j'y suis sur France Inter ; Val ou Valls, quelle importance ? Ça sent de toute façon l'eau rance, et l'eau rance bloque la liberté d'expression :
"Là-bas si j’y suis" c’est fini,
Daniel Mermet ne sera plus à l’antenne en septembre, et l’équipe est suspendue.
Le vendredi 26 juin, au lendemain de la dernière émission de la saison, Laurence Bloch, la nouvelle directrice de France Inter, mettait brutalement un terme à l’une des émissions la plus populaire, la plus originale et la plus engagée de la radio.
Madame Bloch assure que l’audience baisse, alors que LÀ-BAS a apporté plus de 350 000 auditeurs à France Inter sur un horaire difficile. Ceci est facilement vérifiable. Madame Bloch n’a jamais beaucoup aimé Là-bas.
Madame Bloch dit à Daniel Mermet qu’il est trop vieux, alors que la moyenne d’âge de l’équipe est de 37 ans et que Mermet a convenu de passer la main avec son équipe. De plus, étant engagé sous contrat en CDD, Mermet n’est pas concerné par la limite d’âge. Les arguments de la direction sont donc grossièrement fallacieux.
Depuis longtemps le pouvoir tentait de faire taire la voix beaucoup trop dissidente de cette émission. La nouvelle direction l’a fait. À l’intérieur de la radio comme parmi les auditeurs, la stupéfaction a fait place à la colère.
« C’est une erreur et une faute », dit le comédien François Morel.
De partout, sur tous les réseaux, circulent des pétitions et des dizaines de milliers de messages consternés ou rageurs.
« J’ai 30 ans, j’ai grandi avec les reportages, j’ai appris à tendre l’oreille, j’ai appris à réfléchir plutôt qu’à recevoir. C’est l’ouverture à la pensée critique (à la pensée tout court ?) que l’on flingue aujourd’hui. Mais on touche aussi à un petit bout de moi, à une bande de potes, là, dans le poste.
J’ai les boules et je le ferai savoir.
On ne lâche rien. »
POUR QUE LÀ-BAS CONTINUE !
Paris, le 27 Juin 2014.

Signez la pétition


Télérama, le 27/08/2014 à 18h41 - Mis à jour le 27/08/2014 à 19h21 :

Daniel Mermet envisage un “Là-bas si j'y suis” sur le Web
Remercié par France Inter en juin dernier, l'animateur compte reprendre son émission sur Internet. Il profitera de la prochaine Fête de L'Humanité pour mettre en place une campagne de souscriptions. Objectif : lancer son pure player le 21 janvier prochain.

Arrêt sur images.

— LA-BAS SI J’Y SUITE : La conférence de presse du 27 août 2014 par Mutins sur Vimeo.

jeudi 31 juillet 2014

« Ma vie, mon œuvre, mon cul » 8, par Siné

 « En 2003, avant d’attaquer le numéro 8, harassé d’avance par l’effort à fournir, je décidai de m’octroyer une pause bien méritée… Elle fut beaucoup plus longue que je ne l’avais imaginée. Cette procrastination inexplicable aura duré onze ans. »  (Siné)

Mais, voilà, il y a trois mois, Siné avait finalement sorti le huitième tome de ses mémoires « Ma vie, mon oeuvre, mon cul », sous forme de hors-série de son Siné Mensuel. Il couvre la période d’octobre 1961 au printemps 1965.
Invité par L'Invité de TV5 Monde, il s'expliqua. Vous verrez que Siné cure pour de bon.
Merci, Siné, et que la révolte te tienne toujours en joie...

mercredi 30 juillet 2014

Ilan Pappé et la langue pour dire vrai - Conférence à Stuttgart 2010

"¡Señor, protégeme de mis amigos! Si uno posee la voluntad necesaria,
encontrará en estos dos volúmenes pruebas de lo que Hitler, Goebbels
y Rosenberg alegan contra los judíos, no se necesita una enorme
habilidad para interpretar y distorsionar los hechos."  
Viktor Klemperer, après lecture des écrits sionistes
et du premier volet des journaux de Theodor Herzl.
 version castillane de Adan Kovacsics. Éd. Minúscula, Barcelona, 2001.


Face à l'horreur, il y a encore des gens dont les mots et l'attitude nous encouragent et nous font respirer. C'est toujours le cas, admirable, d'Ilan Pappé, un exemple insurmontable d'honnêteté intellectuelle et de décence humaine. Prenez le temps de l'écouter ; il s'agit d'une conférence tenue à Stuttgart en novembre 2010 mais qui reste pertinente. Il parle en anglais ; sur la vidéo, il y a des sous-titres en portugais et, un peu plus bas, je vous propose un lien renvoyant sur le site de Silvia Cattori, qui nous apporte une traduction française.

Pappé est historien et, en tant que chercheur et analyste, il se connaît en colonialisme, nettoyage ethnique ou recherche de pureté ethnique (racisme), mais il vous apprendra aussi beaucoup sur une matière qui nous intéresse ici particulièrement : la corruption du langage. Cet « antisioniste pour la paix » vous apprendra que dans une situation de colonialisme, ce n’est pas la paix qui est importante, mais la fin du colonialisme. Ou, avec Edward Said (cf. son article Permission to narrate), en ce qui concerne la narration historique académique, que les victimes peuvent au moins gagner cette bataille, c'est-à-dire, l’emporter sur la narration des conquérants, de la puissance occupante, nettoyante et purifiante : on sait bien aujourd’hui que la narrative israélienne n’est qu’une pure propagande.



En voici des extraits (je préviens que les liens hypertextes sont de mon cru) :

- Je pense que c’est bien l’essentiel de l’histoire sioniste de ne pas permettre aux gens de mener une vie normale, de ne pas leur permettre d’être des amis normaux, et de les obliger à passer par toutes ces difficultés pour satisfaire cette aspiration humaine élémentaire qui est de vivre ensemble.

- Imaginez qu’à l’époque de l’apartheid en Afrique du Sud, vous n’ayez pas été autorisé à manifester contre l’apartheid sud-africain, mais seulement contre le massacre de Soweto ! Cela est encore un grand succès israélien.

- (...) pour la plupart d’entre nous, nous n’utilisons pas encore le bon langage. Nous, la plupart d’entre nous, n’utilisons pas encore le genre de vocabulaire que nous devrions utiliser pour faire passer le message au sujet du problème dont nous nous occupons.
Parce que l’un des plus grands paradoxes de ce qui se passe en Israël et en Palestine, est que, d’une part, ce n’est pas une histoire compliquée ; c’est une histoire que l’on a déjà vue : des colons européens qui arrivent pour, soit liquider, soit expulser le peuple autochtone
(...) Si vous dites que le sionisme est du colonialisme, vous êtes l’étudiant le plus jeune et le plus à jour que j’aie rencontré. Quiconque tenterait de vous décourager en disant que c’est anachronique, que ce n’est pas utile, que c’est de l’antisémitisme ... est lui-même anachronique ; il vit sur la lune ou sur Mars, (...)

- En fait, si vous connaissez l’hébreu, vous savez que toute la langue hébraïque, de 1882 jusqu’à aujourd’hui, qui a été construite pour décrire ce que le mouvement sioniste est en train de faire en Palestine, utilise, encore et encore, les mots [« yiddishmutt, yignaphalutt »] ; et la seule façon de traduire ces mots est COLONISER. Il n’y a pas d’autre traduction.
Ainsi le mouvement sioniste, à la fin du 19ème siècle, époque où le colonialisme disposait de très bonnes relations publiques, utilisait très volontiers le mot coloniser. Mais, par la suite, les sionistes ont appris que le colonialisme n’était pas si populaire, alors ils l’ont traduit différemment, ils ont trouvé le mot « settlement » [« implantation »], qui signifie quelque chose d’autre en anglais ; et ils ont trouvé cette réponse : « Oui, c’est coloniser, mais ce n’est pas comme “coloniser”, c’est une chose différente ».
(...) vous avez affaire au dernier projet colonialiste et, aussi bizarre que cela puisse paraître, même au XXIème siècle, ce projet colonialiste emploie les mêmes tactiques que le colonialisme du XIXème siècle.

- (...) ils vont vous considérer comme antisémite même si vous soutenez la solution de deux États parce que cela signifie que vous ne soutenez pas la solution de deux États comme ils l’entendent. Parce que vous ne comprenez pas le problème ; vous pensez que la solution de deux États consiste en un État souverain et indépendant sur la Cisjordanie et la bande de Gaza, non, vous ne comprenez pas. L’État pour les Palestiniens, c’est deux Bantoustans, divisé par douze en Cisjordanie, et clôturé comme un camp de concentration à Gaza, qui n’a pas de connexion entre les deux, et qui a une petite municipalité à Ramallah que l’on appellera gouvernement ; voilà l’État.

- Quiconque a vécu en Israël assez longtemps, comme c’est mon cas, sait que la principale corruption subie par les gens au cours du service militaire est la totale déshumanisation des Palestiniens. C’est pourquoi, quand il voit un bébé palestinien, un soldat israélien ne voit pas un bébé, il voit un ennemi potentiel. Entre chasser le bébé de la maison à coups de pieds, et tuer le bébé, la route n’est pas très longue. Et je pense que le message à transmettre touchant la purification ethnique est un message de criminalisation, non des politiques de l’État d’Israël, mais de criminalisation de l’État d’Israël. Et c’est ce que nous devrions faire.

- Parfois l’État représente la pire chose qui puisse arriver à un pays. Et la pire chose qui soit arrivée à la Palestine, c’est l’État d’Israël.

- (...) Israël a le pouvoir d’éliminer des États, pas nous. Ce que nous avons, c’est le pouvoir moral de dire aux gens : le type d’État que vous avez fondé, et le type d’État que vous soutenez, est en train de détruire le pays dans lequel vous vivez. La création de cet État a conduit, en 1948, à l’expulsion de la moitié de la population indigène de la Palestine. Montrez-moi n’importe quelle autre situation où la communauté internationale viendrait dire, sous le slogan de la paix : pour faire de ce pays un endroit paisible, il fallait expulser la moitié des gens qui y vivaient.

- Vous connaissez l’histoire du jugement de Salomon ? Vous connaissez cette histoire du bébé et des deux mères [qui se le disputent], et que c’est la véritable mère qui refuse que le bébé soit coupé en deux. Nous savons qui est la véritable mère dans le cas d’Israël et de la Palestine. Nous savons qui est tout le temps prêt, soi-disant, à le couper.

- Avec le projet sioniste, ils ont corrompu le sens commun de tout le vocabulaire que nous avions en Occident à la fin des années 1940 et au début des années 1950. C’est ainsi que vous établissez une démocratie ? En expulsant la population autochtone, de sorte que vous puissiez avoir une majorité juive ? (...) Le fait que la majorité doit être maintenue en permanence par le nettoyage ethnique, par des massacres, par la colonisation, par l’emprisonnement [des Palestiniens] dans de grands ghettos comme Gaza, n’est jamais évoqué comme faisant partie de la démocratie israélienne.

- (...) ce qui est important pour Israël n’est pas l’autodétermination pour le peuple juif, ce qui est important pour Israël est de s’assurer que ce ne soit pas un État arabe.

- (...) si la base d’analyse de la situation est la « real » politique – comme le fait Uri Avnery, comme le fait Noam Chomsky, et beaucoup d’autres, et ce n’est pas cyniquement que je dis « nos bons amis », ils sont mes bons amis mais je suis, sur ce point, en total désaccord avec eux – cela signifie que c’est l’équilibre des forces qui détermine votre attitude.
Eh bien, si c’est l’équilibre des forces – comme nous l’avons entendu hier, entre la plus grande et la plus puissante armée du Moyen-Orient, et les plus faibles forces militaires du monde – qui détermine notre attitude, nous ne devrions même pas être réunis aujourd’hui. Nous devrions céder aux diktats israéliens. Nous savons que les Israéliens sont très clairs au sujet de ce qu’ils veulent : ils veulent autant de territoire palestinien que possible, avec aussi peu de Palestiniens que possible ; c’est ce qu’ils voulaient en 1882, et c’est ce qu’ils veulent en 2010. Cela n’a pas changé. Les moyens ont changé, les circonstances historiques ont changé, mais la vision de ce qui serait une florissante et prospère société israélienne, à savoir une société avec aussi peu d’Arabes que possible, et autant de territoire palestinien que possible, cela n’a pas changé.

- (...) quand vous soutenez le droit au retour [des réfugiés palestiniens], vous ne soutenez pas seulement, ce que nous faisons tous, le droit des personnes expulsées à revenir si elles le veulent. Vous ne reconnaissez pas seulement le crime de nettoyage ethnique de 1948, vous n’adhérez pas seulement aux résolutions des Nations Unies qui soutiennent très clairement le droit au retour, vous dites en plus un très simple NON au racisme. C’est cela que vous faites. Vous dites NON au seul État raciste du Moyen-Orient.

- Nous n’avons pas de très jolis régimes au Moyen-Orient, je suis d’accord ; les régimes politiques du Moyen-Orient ne sont guère inspirants, je ne recommanderais pas aux futures sociétés de s’en inspirer pour construire leurs politiques ; mais aucun d’eux n’est raciste. Le seul État raciste est l’État juif d’Israël. Un des seuls moyens de s’en prendre à cet État raciste est de le contester sur la question du droit au retour des réfugiés. Non pas parce qu’il serait praticable ou pas praticable, mais parce qu’il touche au code génétique de l’État juif. L’idée que vous pouvez coloniser n’est pas nouvelle. Mais l’idée que vous pouvez, au XXIème siècle, maintenir cette colonisation en maintenant ouvertement un État raciste, ne devrait pas être considérée comme acceptable, surtout [en Allemagne].



P.-S. : "Tagmul" est un mot hébreu qui veut dire "représailles". Il foisonne dans le discours sioniste car son concept est l'alibi destiné à justifier les crimes israéliens : c'est donc un pilier essentiel de la hasbara (expression signifiant « explication » ou « éclaircissement »), la propagande sioniste. Néanmoins, Ilan Pappé nos explique dans son livre Le nettoyage ethnique de la Palestine que depuis même 1948, le mot hébreu “Tihur” (épuration, pureté ou nettoyage, selon les versions que j'ai trouvées en français et castillan) revient régulièrement dans les ordres transmis par le haut-commandement aux unités sur le terrain afin de galvaniser les soldats chargés de détruire villages et villes arabes. Cette idée de "Tihur" était de manière expresse le premier objectif de David Ben Gurion. D'autres termes employés par les dirigeants sionistes pour décrire leurs objectifs furent “nikkuy” ou “bi’ur”, qui ont des sens analogues à celui de “Tihur”. Cette envie de nettoyage de l'Arabe, cette arabophobie, constitue un cas d'école d'antiSEMitisme. En cas de doute, pour simplifier, cherchez sémite* dans Le Robert. Puis, profitez-en et cherchez antisémitisme** : ça vous aidera à saisir une impeccable manipulation sémantique qui est devenue la "norme" :
* Sémite :   de Sem, nom d'un fils de Noé  Se dit des différents peuples provenant d'un groupe ethnique originaire d'Asie occidentale et parlant des langues apparentées ( sémitique). Les Arabes, les Éthiopiens, les Juifs sont des Sémites.
** Antisémite :  Racisme dirigé contre les Juifs.

À voir aussi...

- « Comment Israël expulsa les Palestiniens (1947-1949) », de Dominique Vidal. (Ilan Pappé, ou le chemin solitaire, chapitre X)
- L'Histoire sioniste (The Zionist History, Israël, 2009. Langue : anglais), documentaire indépendant, artisanal et émouvant que nous devons, merci mille fois, à Renen Berelovich (dont le surnom est Berek Joselewicz). La qualité du film est d'ailleurs remarquable.
- La révolution palestine, par Rodolfo Walsh (quotidien Noticias, 1974).
Les Palestiniens dans les manuels scolaires israéliens (Comment on fabrique la déshumanisation d'un peuple), par Nurit Peled-Elhanan, qui s'exprime en anglais (sous-titrage en portugais). Pour un sous-titrage en castillan, cliquez ici.
- This is My Land... Hebron, en français Ceci est ma terre (Hébron), par Giulia Amati and Stephen Natanson (Documentaire, Italie, 2010)
- An open letter for the people in Gaza [Une lettre ouverte pour le peuple de Gaza], The Lancet, par Paola Manduca, Iain Chalmers, Derek Summerfield, Mads Gilbert, Swee Ang, représentant 24 signataires. Publiée en ligne le 22 juillet 2014.
- Info-Palestine 
- La terre parle arabe, 2007, de Maryse Gargour, avec la collaboration historique de Sandrine Mansour Mérien et les commentaires de l'historien Nur Masalha (St. Mary's College, University of Surrey). Maryse Gargour naquit à Jaffa en Palestine et est diplômée de l'Institut Français de Presse. Elle a travaillé à l'Unesco (Paris) auprès du Conseil International du Cinéma et de la Télévision. Elle a écrit et réalisé 5 films documentaires sur la Palestine : Une Palestinienne face à la Palestine (1988, durée : 28'), Jaffa la mienne (1998, co-réalisé avec Robert Manthoulis), Loin de Falastine (1999), Le Pays de Blanche (2001, durée : 28') et La Terre parle arabe.



 

 
Naji Al-Ali, Nous reviendrons..., Al Qabas, Koweït, 12/03/1987. 
 
_______________________________________
Mise à jour du 17/09/2014 :

Gaza : le silence tue, la désinformation rend complice



Une chanson pour Gaza : le Crif pour la censure ? (vendredi 2 novembre 2012), par Alain Gresh


Mise à jour du 28/09/2016 :


Ilan Pappé et Michel Collon présentent La Propagande d'Israël,
essai de Pappé à ce sujet, préfacé et édité par Michel Collon/Investig'Action en juin 2016.