mercredi 24 septembre 2014

Les travailleurs de la mer, par l'université Rennes-II


Tel est le titre du webdocumentaire conçu par l'université Rennes-II consacré au vigoureux et sensible roman de Victor Hugo Les Travailleurs de la mer (1866), une pure générosité sur tous les plans, un ouvrage dont le livre premier s'intitule De quoi se compose une mauvaise réputation...
Il s'agit d'une production multimédia riche des splendides illustrations de Victor Hugo, car en vrai architecte, il dessina les différents éléments de son édifice ; puis il fit même relier son manuscrit (images et textes en rapport mutuel dans le même volume).
Cette production pleine d'intérêt comporte plusieurs vidéos explicatives. On aborde l'œuvre manuscrite (le manuscrit, l'intrigue, le titre), l'œuvre graphique (encres et pigments, clair obscur, instruments -le crayon de graphite, la barre lithographique, le fusain, l'encre, les plumes...-, l'art au sommet : Victoria Tébar Ávila s'exprime en castillan) et Pierre Georgel, Victoria Tébar Ávila et Jean-Pierre Montier font l'analyse des dessins.
Comme l'abordage à tous ces matériaux est libre, la marque d'une puce bleue sur la vidéo X indique que vous l'avez déjà vue. Il y a aussi, en prime, des lectures d'extraits du roman. Témoin Les Douvres.

Voici l'à propos de ce bel effort :
Si le grand public n’ignore plus, depuis les grandes rétrospectives qui ont été depuis vingt ans consacrées à son œuvre graphique, que Victor Hugo fut aussi un dessinateur exceptionnel, en revanche, dans le domaine de la recherche universitaire, ses dessins demeurent le plus souvent soigneusement distincts de la production de l’homme de Lettres. Or, comment ne pas être frappé des parentés étroites existant entre le geste de la plume à l’encre qui, dans le même temps, trace les signes de l’écriture et imprègne le papier de figures tantôt réalistes, tantôt hallucinées ?
Le manuscrit que Victor Hugo avait réalisé pour les Travailleurs de la Mer fut, de cette remarquable symbiose, la manifestation éclatante. S’il est impossible de le reconstituer (la Bibliothèque nationale, à laquelle il fut légué, a dû le démembrer pour les besoins de la conservation des documents), toutefois ce web documentaire se donnera pour ambition de retrouver l’esprit d’une démarche artistique complexe, dans laquelle poésie et roman, écriture et dessin, méditation humaine et création divine (par l’entremise de la figure mythique de la Mer) communient étroitement sous l’espèce d’un même sens du Verbe.
Ce webdocumentaire, dont le titre reprend une phrase écrite par Victor Hugo sur l’un de ses dessins, est conçu de manière à conjuguer les intérêts du public scolaire et universitaire en Littérature et en Art.
Jean-Pierre Montier
Voici un extrait du roman, la présentation de Gilliatt, son héros :
Gilliatt, nous l'avons dit, n'était pas aimé dans la paroisse. Rien de plus naturel que cette antipathie. Les motifs abondaient. D'abord, on vient de l'expliquer, la maison qu'il habitait. Ensuite, son origine. Qu'est-ce que c'était que cette femme ? et pourquoi cet enfant ? Les gens du pays n'aiment pas qu'il y ait des énigmes sur les étrangers. Ensuite, son vêtement qui était d'un ouvrier, tandis qu'il avait, quoique pas riche, de quoi vivre sans rien faire. Ensuite, son jardin, qu'il réussissait à cultiver et d'où il tirait des pommes de terre malgré les coups d'équinoxe. Ensuite, de gros livres qu'il avait sur une planche, et où il lisait.
D'autres raisons encore.
D'où vient qu'il vivait solitaire ? Le Bû de la Rue était une sorte de lazaret; on tenait Gilliatt en quarantaine, c'est pourquoi il était tout simple qu'on s'étonnât de son isolement, et qu'on le rendît responsable de la solitude qu'on faisait autour de lui.
Il n'allait jamais à la chapelle. Il sortait souvent la nuit. Il parlait aux sorciers. Une fois on l'avait vu assis dans l'herbe d'un air étonné. Il hantait le dolmen de l'Ancresse et les pierres fées qui sont dans la campagne çà et là. On croyait être sûr de l'avoir vu saluer poliment la Roque qui Chante. Il achetait tous les oiseaux qu'on lui apportait et les mettait en liberté. Il était honnête aux personnes bourgeoises dans les rues de Saint-Sampson, mais faisait volontiers un détour pour n'y point passer. Il pêchait souvent, et revenait toujours avec du poisson. Il travaillait à son jardin le dimanche. Il avait un bag-pipe, acheté par lui à des soldats écossais de passage à Guernesey, et dont il jouait dans les rochers au bord de la mer, à la nuit tombante. Il faisait des gestes comme un semeur. Que voulez-vous qu'un pays devienne avec un homme comme cela ?
N'hésitez plus : plongez dans cette mer inoubliable de l'un des vrais grands monstres de la littérature de tous les temps.

Aucun commentaire: