mercredi 5 avril 2017

Pour la Guyane. Les Professeurs ont la parole

L'Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie (A.P.H.G.) dit d'elle-même que...
1) C’est une association relevant de la loi de 1901. Créée en 1910, reconnue d’intérêt général en 2016, elle regroupe des professeurs d’Histoire et de Géographie, de l’école primaire à l’université. Ce n’est ni un syndicat, ni une courroie de transmission du Ministère de l’Education nationale et de la Recherche, mais bien une association professionnelle responsable et reconnue.

2) Elle est porteuse depuis sa création de combats en faveur de ces deux matières, non pas dans un but corporatif de défense étroite d’intérêts catégoriels, mais dans une perspective citoyenne où les intérêts des élèves et des enseignants sont étroitement associés afin que les deux parties s’épanouissent au sein de la République.

Dans le contexte de la grève générale lancée en Guyane par les syndicats (la quasi-totalité des protestataires se sont regroupés autour du « collectif pou la Gwiyann Dekolé », « pour que la Guyane décolle », en créole guyanais), l'APHG a publié sur son site la tribune que voilà :

Pour la Guyane. Les Professeurs ont la parole Tribune de l’APHG Guyane

L’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie (APHG) forte de ses 26 Régionales, en Métropole comme en Outre-Mer, défend l’égalité des territoires. Elle publie ci-après une analyse de la situation en Guyane dans le contexte d’un mouvement de grève sans précédent. N’hésitez pas, cher(e)s collègues, à relayer cette tribune de conviction signée par le Bureau de l’APHG Guyane et sa Présidente, Jacqueline Zonzon.

Le constat de l’académie de Guyane est sévère. Tous les indicateurs pointent un retard structurel et mettent en exergue la situation dégradée de la région par rapport aux autres académies.
La population scolaire est en croissance continue suite à l’accroissement naturel d’une population jeune et des vagues continuelles d’immigrants : on constate une augmentation générale de la population entre 2009 et 2014 de +2.4% et la part des moins de 20 ans est de 42% de la population. 56% des jeunes scolarisés sortent du système éducatif sans diplôme ou ont un niveau Brevet des Collèges. Le nombre d’enfants en situation sociale défavorisée est largement majoritaire au regard des statistiques nationales.
La scolarité des élèves est partielle par manque d’établissements scolaires de proximité et par pénurie d’enseignants ; plusieurs milliers d’enfants en âge scolaire ne sont pas ou plus scolarisés. Le nombre de salariés dans l’Education Nationale pour mille jeunes de 3 à 19 ans est de 92 pour une moyenne nationale de 135,3 et c’est aussi l’une des deux académies les moins bien dotées en emplois d’enseignants. Le français, langue de scolarisation, n’est pas la langue maternelle de beaucoup d’entre eux, même s’ils maîtrisent d’autres langues.
Depuis sa création, la Régionale APHG Guyane milite pour une réelle intégration de l’histoire régionale dans l’enseignement en Guyane du primaire à l’université. Cette démarche nous semble essentielle pour contribuer à l’émergence d’une mémoire commune productrice de lien social indispensable à toute société, et aider à l’enracinement des élèves, dans le cadre d’une Guyane où les établissements scolaires accueillent de très nombreux élèves issus de l’Amérique du sud et de l’archipel de la Caraïbe. Dans le contexte de crise sociale actuelle, la revendication d’une meilleure connaissance des réalités historiques et géographiques est quotidienne et traverse toutes les couches de la société.
Les membres de la Régionale ont eu à cœur de fabriquer des outils permettant cet enseignement dans le cadre des programmes nationaux en publiant fichiers pédagogiques, manuels, cahiers d’exercice concernant l’histoire et la géographie de la Guyane pour les écoles, collèges et lycées [1] en organisant des colloques pour la formation des enseignants, en animant des formations et mettant en place depuis quatre ans un concours destiné aux scolaires sur l’histoire de la Guyane. [2]
Mais la diminution constante et drastique et presque totale de l’offre de formation initiale et continue, la mobilité incessante des enseignants, et pour faire face à la très forte croissance des élèves, l’importance numérique du recrutement d’enseignants non formés a provoqué un recul considérable sur cette question. Cela rend nécessaire aujourd’hui la mise en place d’un véritable plan de formation continue et initiale à l’histoire et géographie régionale et une implication forte des autorités éducatives dans la diffusion réelle des adaptations publiés au BO [3], soit une véritable politique éducative répondant aux ambitions réelles de la Guyane.
La jeunesse de Guyane a besoin d’urgence de connaissances et de réflexions sur sa région, à la fois pour se construire individuellement mais aussi pour envisager non seulement un avenir personnel mais aussi celui de la société à laquelle elle appartient. Que les élèves de Guyane ne se retrouvent pas du tout dans l’histoire enseignée constituerait une menace pour la société car ils se réfugieront dans un passé mythique sans fondement scientifique.

La société guyanaise, une société d’immigration en pleine recomposition, a besoin d’un cadre historique commun, de repères, de valeurs qui doivent consolider la conscience pour tous d’avoir une histoire en commun, une identité collective et la volonté de partager un même destin.

© Jacqueline Zonzon, Présidente de la Régionale APHG de Guyane - Tous droits réservés. Le 27 mars 2017.
Organisé par l’Association des Professeurs d’Histoire-Géographie de Guyane (APHG-G) et du Conseil de la Culture, de l’Éducation et de l’Environnement (CCEE) de Guyane, en partenariat avec la Région Guyane et le Rectorat de l’Académie de Guyane, ce concours veut donner l’occasion aux jeunes d’approfondir leurs connaissances sur les aspects fondamentaux de l’histoire de la Guyane.
© Les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes, 28/03/2017. Tous droits réservés.
Illustration en « une » : Couverture du Dossier pédagogique de la 2e édition du Concours du Jeune Historien Guyanais, Les résistances à l’esclavage en Guyane XVIIe-XIXe siècles, par Jacqueline Zonzon, Sarah Ebion, Lydie Ho Fong Choy Choucoutou.


Notes

[1Citons par exemple Les résistances à l’esclavage en Guyane XVIIe-XIXe siècles, 2014, disponible aux éditions Ibis Rouge, ici ou encore La Guyane et la Grande Guerre (1914-1918), même éditeur. NDLR.
[2Le « Jeune Historien Guyanais », voir l’article sur le site de l’APHG ici. Le Blog du concours, ici. NDLR.
[3Bulletin officiel, NDLR.

La Croix informe aujourd'hui que le mouvement social guyanais prend de l’ampleur et que le Centre spatial guyanais situé à Kourou a été occupé par les délégués des manifestants, qui réclament désormais une aide de 3,1 milliards d’euros. 
Le CSG renseigne, à son tour, que le lancement du vol de la fusée Ariane 236 est reporté à une date ultérieure à cause des "événements qui affectent la Guyane".