jeudi 25 avril 2019

Siné Madame

...vient d'être enfanté. Par des femmes. En vente depuis mercredi 17 avril. Réjouissante nouveauté, merci vraiment.
Siné Madame. Le journal qui ne simule pas, se veut une publication satirique et sociétale, écrite et dessinée par une bande de filles —autrices, comédiennes, illustratrices, journalistes...— de tout âge, joyeuses, savantes, brindezingues et sans tabous, dirigée par Catherine Weil Sinet. Libre d'actionnaires vautours, libre d'annonceurs car libre de publicité, elle n’aura pas de pubs pour les crèmes...

Catherine Weil Sinet : Édito, Siné Madame, nº1, avril 2019, page 2.

Un journal qui a vocation a stimuler nos pensées, selon Isabelle Alonso (fille de réfugiés républicains espagnols). "Ni féministe ni féminin, il parlera des femmes comme on n’ose pas le faire, avec humour et engagement", précise Catherine Sinet. Cliquez ici pour accéder à son site.

La chance a voulu que je puisse m'en acheter le nº1 (avril 2019), historique, dans le kiosque de journaux de la gare de Saint-Pierre-des-Corps, lors d'un voyage éclair en France. Heureux qui comme moi font d'une pierre deux corps, cela va sans dire.


Vidéo de présentation de Siné Mensuel.


TV5 Monde Info - Juliette Arnaud et Isabelle Alonso font partie de l’aventure du premier numéro

C'est historique ! est une chronique de l'émission Debout les copains !


mercredi 24 avril 2019

7e Journal des infos dont on parle plutôt peu (2018-19)

...dont on parle plutôt peu. Car loin du psittacisme médiatique, il y a bon nombre d'événements qui nous interpellent autrement dont on ne parle que peu ou sous l'angle de la propagande unique. Nous essayons de repérer et de glaner des faits/sujets/positions en dehors de l'actu ou de l'éditocratie.

Voici notre septième et dernier sommaire de cette année scolaire, celui du 24 avril 2019.
Merci à mes élèves pour leurs contributions !



jeudi 11 avril 2019

Vivre tue et l'Économie y met du sien

Air pollution is the fifth leading risk factor for mortality worldwide. It is responsible for more deaths than many better-known risk factors such as malnutrition, alcohol use, and physical inactivity. Each year, more people die from air pollution–related disease than from road traffic injuries or malaria.
(State of Global Air/2019. A Special Report on Global Exposure to Air Pollution and its Disease Burden)

Vivre tue, mais l'Économie et sa maudite Sainte Croissance* accélèrent notre mort. Mis à part leur amour pour les guerres et autres casse-pipes, elles nous farcissent de produits toxiques de tout poil par la bouche et par le nez. Et nous n'avons pas de tuyaux d'échappement : nous serons tous des morts prématurés car la pollution de l'air extérieur et ses particules fines seraient à l’origine de 800 000 morts prématurées par an en Europe et de près de 9 millions à l’échelle de la planète, deux fois plus que ce qui était estimé jusqu'à présent. Des chiffres de guerre mondiale. En fait, plus nous polluons, le jour comme la nuit, plus nous devenons cons. Ça se voit. Et c'est logique, car la pollution réduit notre intelligence. Voilà ce qui pourrait expliquer notre dérive, au moins en partie.

Si l'humanité était capable de réduire la pollution de l'air aux niveaux acceptés par l'OMS, les enfants qui naîtraient désormais disposeraient d'une espérance de vie 20 mois supérieure à celle d'aujourd'hui. Ce serait la moyenne mondiale car le gain de vie serait encore plus considérable dans les pays dits en voie de développement (cf. carte ci-dessous).


Pour en savoir plus, vous n'avez qu'à lire (en anglais) le rapport État Global de l'Air 2019 (State of Global Air/2019), une étude que viennent de publier le Health Effects Institute (institution indépendante qui siège à Boston, aux États-Unis) et l'Institute for Health Metrics and Evaluation (dépendant de l'Université de Washington), en collaboration avec l'Université British Columbia (Canada).
Le 12 mars 2019, en castillan, La Vanguardia (Cristina Sáez) s'était déjà penchée sur ce désastre à partir d'une recherché menée par des scientifiques allemands et publiée dans la revue médicale European Heart Journal, sous le titre Cardiovascular disease burden from ambient air pollution in Europe reassessed using novel hazard ratio functions. Car il arrive que la pollution de l'air cause deux fois plus de décès prématurés par maladies cardio-vasculaires et crises cardiaques que par pathologies respiratoires.
Pour compléter le tableau, une étude inédite, publiée aujourd'hui dans la revue scientifique The Lancet Planetary Health, dont le but était d'évaluer le nombre de cas d’asthme imputables au trafic automobile, conclut que « la pollution de l’air générée chaque année par les véhicules automobiles est à l’origine de quatre millions de nouveaux cas d’enfants asthmatiques à travers le monde, soit 13% des cas d’asthme infantile diagnostiqués. » 90% d’entre eux surviendraient dans des grandes agglomérations. C'est ce que nous apprend une info de Stéphane Mandard dans Le Monde d'il y a quelques heures.
Ce travail permet aussi d'inférer que ces limites établies par l'OMS, que nous dépassons largement, ne nous protègent pas non plus :
 « Un des résultats importants de cette étude est d’apporter la preuve supplémentaire que les normes actuelles de l’OMS ne sont pas protectrices contre l’asthme infantile », commente le professeur Rajen Naidoo, de l’université de KwaZulu-Natal en Afrique du Sud.
Je rappelle à ceux qui ignorent cette réalité que les quintes de toux notamment nocturne d'un.e enfant ne sont pas du gâteau : ça déchire tout le monde. Elles sont dues souvent à des crises d'asthme ou des bronchites asthmatiformes et se reproduisent nuit après nuit, même sous traitement, surtout lorsqu'un rhume y met son grain de sel --ça dépend de beaucoup de variables. Donc, il est question ici de quantité comme de qualité de vie.
Ajoutons qu'UNICEF vient de publier également, en mars 2019, avec l'appui scientifique du Pr Jocelyne Just (AP-HP) et de la Fédération Atmo France (réseau des Associations Agréées de Surveillance de la Qualité de l'Air), un rapport intitulé Pour chaque enfant, un air pur. LES EFFETS DE LA POLLUTION DE L’AIR EN VILLE SUR LES ENFANTS. On y constate que certains droits fondamentaux que la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) proclame pour ceux-ci sont régulièrement bafoués un peu partout sur l'autel de l'Économie capitaliste :
L’article 3 pose le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant : « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale » ;
L’article 6 précise que « les États parties assurent dans toute la mesure possible la survie et le développement de l’enfant » ;
L’article 24 reconnaît « le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation. »

D'autres articles abordant la pollution de l'air sur ce blog :
L'agriculture et la vraie vie.
La pollution de l'air...
COP21, urgences planétaires et état d'urgence de l'État dans tous ses états.
92% de la population mondiale vit dans des lieux trop pollués.

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* Elles prennent toutes deux la majuscule qui correspond aux divinités les plus vénérées... et qui rendent le plus vénère.




mardi 9 avril 2019

Rétrospective de Balthus au Musée Thyssen-Bornemisza (Madrid)

Entrée exposition Balthus : La partie de cartes, 1948-50,
Musée National Thyssen-Bornemisza, Madrid
. PHOTO : Alberto Conde.



Du 19 février au 26 mai 2019, le musée Thyssen Bornemisza de Madrid présente une rétrospective consacrée à l'œuvre du peintre Balthasar Kłossowski de Rola (Paris 1908-Rossinière, canton de Vaud, en Suisse, 2001), artiste personnel et inclassable, religieux et bouleversant, contempteur de l'art contemporain, plus connu sous le nom de Balthus, déjà abordé sur ce blog. Elle est composée de 47 toiles majeures.


Sa veuve Setsuko Kłossowski de Rola participa à son vernissage le 19 février : cliquez ci-contre pour accéder à un reportage illustré du quotidien El País.

Cette exposition a été organisée en collaboration avec la Fondation Beyeler, qui siège à Riehen —près de Bâle, en Suisse— où elle fut exhibée de septembre 2018 à janvier 2019, sous le commissariat de Raphaël Bouvier, soutenu par Michiko Kono, avec la collaboration de Juan Ángel López-Manzanares à Madrid. Comme le rappelle le site de la Fondation Beyeler :
De son enfance à Berne, Genève et Beatenberg en passant par son mariage avec la suissesse Antoinette de Watteville et leurs séjours aussi bien en Romandie qu’en Suisse alémanique, jusqu’aux dernières décennies passées à Rossinière, authentique village de montagne, Balthus entretient une relation étroite et continue avec la Suisse.
Ce web nous propose également une biographie de Balthus. Il était le second fils d’Erich Kłossowski (1875-1949) et Else, puis Baladine Kłossowska, née Elisabeth Dorothea Spiro (1886-1969) :
Ses parents, un historien de l’art germano-polonais et une artiste juive allemande, font grandir leurs deux garçons dans un environnement empreint d’art et de culture. Pierre Kłossowski, le frère de Balthus, de trois ans son aîné, deviendra un écrivain et artiste célèbre.
Cette ambiance familiale aura une importance décisive dans la vie et l'œuvre de Balthus. Établis à Montparnasse en 1903, ses parents fréquentaient, par exemple, Rainer Maria Rilke et Pierre Bonnard, professeur de sa mère Baladine :
Le peintre Pierre Bonnard, qui était très ami avec mes parents, a dit un jour à mon père : surtout ne l’envoyez pas dans une école d’art, il y perdrait quelque chose. Je me suis donc fait mes écoles tout seul. En fait, j’ai appris mon métier comme on apprend à parler : en essayant de faire comme font les autres, en regardant travailler mon père et ma mère, en écoutant les conseils de Bonnard, de Maurice Denis, et plus tard d’André Derain. Et en pratiquant assidûment la copie. A l’époque, les jeunes peintres considéraient le Louvre comme un cimetière. Moi, j’y allais tout le temps. J’y ai beaucoup copié Poussin. J’aurais bien aimé pouvoir l’interroger sur sa touche, sur ses couleurs… Puis je suis allé copier Piero Della Francesca à Arezzo. "
Comme les Kłossowski étaient allemands, ils furent contraints de quitter la France en 1914, d'abord pour Zürich, puis pour Berlin. Mais le couple se sépara pendant cette première guerre mondiale, en 1917.
Alors, Baladine s'installa avec ses enfants en Suisse, concrètement quelques mois à Berne et à Beatenberg, puis à Genève en novembre. Balthus fut inscrit en 1919 au lycée Calvin.

Sa mère serait le dernier amour du poète Rainer Maria Rilke (1875-1926), sa Merline.  
Rilke, à son tour, apprécia sincèrement le jeune Balthus et ses dessins du chat Mitsou, réalisés à l'âge de 11 ans. Ils seraient publiés en 1921 dans un recueil intitulé Mitsou le Chat et préfacé par son mentor.

Tyto Alba : Balthus y el conde de Rola, Fundación Colección Thyssen-Bornemisza y Astiberri Ediciones, 2019 (1)

Disons que les lettres du poète au très jeune peintre, suivies de 40 images de Mitsou, sont disponibles en français. « Personne ne peut comprendre ce que représentent ces premiers dessins pour moi. Seul Rilke l'avait pressenti. », dit Balthus en 1998.
Au printemps 1921, sa mère, son frère et lui retournèrent à Berlin qu'ils quittèrent définitivement pour Beatenberg en mai 1923. C'est là qu'en 1924, Balthus ferait la connaissance d’Antoinette de Watteville, alors âgée de douze ans. Ils se marieront le 2 avril 1937. On a sauvé et publié quelque 240 lettres de leur correspondance amoureuse (1928-1937).



J'effectuai ma visite le vendredi 5 avril, à 18h, heure d'évacuation urbaine, ce qui opéra un miracle : je pus parcourir les différentes salles en (presque) toute tranquillité.
D'autre part, l'heureuse disposition strictement chronologique des tableaux me permit de suivre la vie de l'artiste, depuis les années 1920, et ses pulsions à chaque étape, à tel point peintures et curriculum vitae étaient étroitement liés, serrés, chez lui (cf. un peu plus bas).
Les commissaires ont conçu sept étapes vitales pour l'aménagement des œuvres :
1) Le développement d'un langage visuel. Œuvres de jeunesse. C'est la fin des années 1920 et ses toiles nous montrent la vie quotidienne de Paris, le Jardin du Luxembourg...
2) Provocation et transgression : première exposition de Balthus dans la galerie Pierre, en 1934, La Rue (1933) et six autres peintures, 7 pièces qui suscitèrent un grand tollé à cause de leur candeur teintée d'érotisme nonchalant.
3) Representation et intimité. C'est fin des années 1930 ; il y a des portraits, de Thérèse notamment, dont Thérèse rêvant.
4) II Guerre Mondiale : après l’invasion de la France par les Allemands, Balthus quitte Paris avec son épouse. Le couple se réfugie d’abord à Champrovent, en Savoie. L'exposition nous montre un beau contraste, des paysages bucoliques et des scènes d'intérieur avec des adolescentes. Sa Jeune fille endormie de 1943 me semble toujours une toile époustouflante.
Balthus : La jeune femme endormie (Dormeuse), 1943,
Exposition Balthus, Musée National Thyssen-Bornemisza, Madrid
. PHOTO : Alberto Conde
5) En 1946, retour à Paris sans sa famille et fréquentation de Pablo Picasso, Albert Camus, André Malraux. Il peint des toilettes, des jeux de cartes...
6) En 1953, il s'installe au château de Chassy entouré de sa campagne ample et sereine. Période aux couleurs dominantes pastel.
7) À partir de 1970, séjours à Rome et à Rossinière (Le chat au miroir).
Continuateur du Quatrocento —selon son frère, Pierre Kłossowski—, Balthus suivit un chemin opposé au développement des avant-gardes ; le commissaire de l'exposition nous rappelle qu'il avoua lui-même ses grandes influences picturales, de Masaccio (1401-28) ou Piero della Francesca (né entre 1412 et 1420-1492) au Caravage (Caravaggio, 1571-1610), Nicolas Poussin (1594-1665), Théodore Géricault (1791-1824), Gustave Courbet (1819-77) ou Pierre Bonnard (1867-1947). Sans oublier la prégnance de l'Ouvert (das Offene) dont parlait Rilke ou sa fascination évidente, très visible, tenace, pour d'autres sujets, tels les chats (sa chateté, si j'ose dire) ou Alice au pays des merveilles (1865), de Lewis Carroll —y compris son chat tigré du Cheshire, bien entendu. À ce propos, les Mémoires de Balthus dévoilent d'autres détails intimes significatifs :
Cette lumière et son innocence, je les ai aussi retrouvées alors que Harumi était encore petite fille : heureux moments, miraculeux, échappés au temps qui passe, que ces heures où préparions avec Setsuko, dans le plus grand secret, les anniversaires de notre fille unique. La comtesse a toujours aimé raconter des histoires dans la grande tradition de son pays, contes fantastiques et merveilleux où les dragons les plus terrifiants et les étoiles filantes côtoient les enfants, où l’extraordinaire devient si naturel comme dans les chères aventures d’Alice au pays des merveilles. Setsuko préparait les costumes des figurines de bois et de pâte qu’elle confectionnait et nous faisions de vraies séances de théâtre au grand plaisir d’Harumi. Je chantais, je racontais, nous mêlions les airs célèbres des opéras de Mozart aux personnages de la tradition japonaise, et tout cela semblait si simplement évident. Il y a des grâces toutes naïves qu’Harumi nous a apportées, quelque chose de fluide et de léger, de doux et de calme, comme la venue de la phalène dans la chambre de la dormeuse que j’ai peinte.
[Mémoires de Balthus, recueillis par Alain Vircondelet (éditeur scientifique), Chapitre 99, Les Éditions du Rocher, 2001.]
Un peu avant dans ces mêmes Mémoires, un autre épanchement de Balthus nous dispense de certaines conjectures ou interprétations :
Il y a certains de mes tableaux qui sont à eux seuls mon autobiographie et justifieraient que je cesse la rédaction de ces mémoires, persuadé que je suis depuis bien longtemps que je n’ai jamais tant dit de moi que dans ma peinture. Si je prends par exemple les paysages de Chassy ou de Montecalvello, je crois vraiment qu’ils résument ce que je suis et cette histoire intérieure à laquelle la peinture m’a permis de donner du sens. Je vois dans cette mathématique intérieure qu’accomplissent mes tableaux, la Chine et la peinture française, Poussin, la peinture des Song et Cézanne réunis : véritable acte sacré et magique qui unit les civilisations et les siècles. Je vois encore tant de facettes de mon être, farouche et violent, mais aussi à l’écoute des choses tendres. C’est-à-dire mon enfance, ma jeunesse voyageuse, et jusqu’à cette vie à Rossinière, que ma marche limite mais qui est vaste et infinie.
Ni l’âge ni le cours inlassable des saisons ne peuvent interrompre ce dialogue avec la peinture. La mort seule fera cesser mes visites quotidiennes dans l’atelier. Pour l’heure il y a une jouissance infinie à savourer l’herbe à Nicot tandis que je regarde le tableau en cours, à bien faire mon travail, et comme tout bon chrétien, accomplir ce pour quoi je suis fait.
(Mémoires de Balthus, Chapitre 97)
Mais s'il fallait puiser dans ces Mémoires un extrait manifeste vraiment révélateur, on pourrait choisir celui-ci :
J’insiste beaucoup sur cette nécessité de la prière. Peindre comme on prie. Par là même, accès au silence, à l’invisible du monde. Comme ce sont pour la plupart des imbéciles qui font ce qu’on appelle l’art contemporain, des artistes qui ne connaissent rien à la peinture, je ne suis pas certain d’être très suivi ou compris dans ce propos. Mais qu’importe ? La peinture se suffit à elle seule. Pour la toucher un tant soit peu, il faut l’appréhender, je dirais, rituellement. Saisir ce qu’elle peut donner comme une grâce. Je ne peux pas me défaire de ce vocabulaire religieux, je ne trouve rien de plus juste, de plus près de ce que je veux dire que par là. Par cette sacralité du monde, cette mise à disposition de soi, humble, modeste, mais aussi offerte comme une offrande, pour rejoindre l’essentiel.
Il faudrait toujours peindre dans ce dénuement-là. Fuir les mouvements du monde, ses facilités et ses vertiges. Ma vie a commencé dans la plus grande pauvreté. Dans l’exigence de soi. Dans cette volonté-là. Je me souviens de mes journées solitaires dans l’atelier de la rue de Furstenberg. Je connaissais Picasso, Braque que je voyais souvent. Ils éprouvaient beaucoup de sympathie pour moi. Pour ce jeune homme atypique que j’étais, différent, bohème et sauvage. Picasso me rendait visite. Il me disait : « Tu es le seul parmi les peintres de ta génération qui m’ait intéressé. Les autres veulent faire du Picasso. Jamais toi. » L’atelier était juché en haut du cinquième étage. Il fallait vouloir me visiter. C’était un lieu étrange, je vivais loin du monde, immergé dans ma propre peinture.
Je crois que j’ai toujours vécu ainsi. Dans la même exigence, oui, dans cette apparente nudité d’aujourd’hui. Je suis allongé sur la méridienne, le long des fenêtres du chalet qui reçoivent le soleil de quatre heures. Ma vue ne me permet pas de toujours discerner le paysage. L’état de la lumière seul me satisfait. Cette transparence qu’accroissent les neiges, éblouissante apparition. En retranscrire la traversée. (Mémoires de Balthus, Chapitre 4)
Pour accéder à un bon article de Veronique Bidinger sur Balthus, publié le jeudi 13 septembre 2018 sur le site de Bâle en français, cliquez ci-contre.

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(1) À la faveur de cette rétrospective, la fondation du musée Thyssen-Bornemisza et la maison d'éditions Astiberri ont décidé de publier ensemble une BD sur Balthus. C'est Tyto Alba qui a été chargé de concevoir et de dessiner cette biographie romancée et graphique qui vient de sortir, en castillan, en février 2019
Biographie ? En fait, il s'agit plutôt d'une dissection artistique et concentrée des idées et des pulsions de Balthus, une sorte de biopic idéologique, aux illustrations très soignées et bien adaptées, qui reproduit quelques dialogues de Balthus. Memorias (édition d'Alain Vircondelet, Lumen, 2002), traduction en castillan des Mémoires de Balthus citées plus haut.

jeudi 4 avril 2019

Curieux Voyageurs, Nicolas Bouvier et Gaël Métroz

Certains pensent qu'ils font un voyage, en fait,
c'est le voyage qui vous fait ou vous défait 
(Nicolas Bouvier) 



Curieux Voyageurs vient de fêter les 29, 30 et 31 mars son 40e anniversaire. Il s'agit d'un festival de films qui se tient à Saint-Étienne et qui se propose de conjuguer aventures, rencontres, découvertes, témoignages, émotions, poésie, traditions, passion, curiosité, jeunesse et folie, à en croire son clip bilan de cette année.
L’équipe du festival réunit des voyageurs passionnés amoureux de cinéma :
photographes, vidéastes ou carnettistes, les membres de CURIEUX VOYAGEURS rapportent de leurs voyages des moments pleins de couleurs et de musiques. D’autres voyageurs proposent leurs expériences à travers des créations : chaque année plus de 100 films ou expositions sont proposés en sélection et une quarantaine sont retenus qui font du festival CURIEUX VOYAGEURS une des plus prestigieuses manifestations françaises consacrées au document de voyage.
En chiffres, le festival comporte aujourd'hui 16 000 visiteurs, 2 salariées, 36 organisateurs et 80 bénévoles.
Voici le palmarès des films récompensés par le jury de Saint-Étienne cette année 2019 :
Grand Prix du festival : “Angkar” de Neary Adeline HAY
Mention spéciale du jury : “Le géographe et l’île” de Christine BOUTEILLER
Le prix Mention spéciale du jury exprime un “coup de cœur” ressenti par le jury
Prix Ulysse : “Aventure cyclobalkanique” de Jean-Hugues GOORIS
Le prix Ulysse valorise l’aventure vécue par une personne ou une équipe
Prix Terre des hommes : “Ka’apor, le dernier combat” de Nicolas MILLET
Le prix Terre des hommes valorise la démarche sociétale et/ou environnementale du film.
Prix Complicité sans frontière : “je n’aime plus la mer” d’Idriss GABEL.
Le prix Complicité sans frontière valorise les thématiques “rencontres”, “partage” et “authenticité”.
C'est Nomad's Land - Sur les traces de Nicolas Bouvier (24 juillet 2008) le film qui m'a permis de découvrir ce festival stéphanois car il a reçu son Grand Prix en 2010.
Gaël Métroz (Liddes, Valais, Suisse, 1978), son réalisateur, était tombé fasciné par L'usage du monde, le célèbre ouvrage-culte du genevois Nicolas Bouvier (1929-1998) paru en 1963, à la Librairie Droz
Dans l'entretien ci-dessous, Bouvier évoque ce récit qui retrace la première partie d'un voyage conçu pour respirer, pour sortir de l'abstraction des études, des murs d'une vie confortable et sédentaire, pour échapper au cadre qui vous détermine, pour devenir plus vulnérable et plus réceptif, dans le but de mieux comprendre la vraie vie humaine.
Il était parti à bord d'une petite Fiat Topolino avec son ami le peintre Thierry Vernet, auteur des illustrations du livre. Ses dessins et croquis d'une grande fidélité et d'une certaine rudesse mélangent le cocasse et le tragique, selon Bouvier. 
Puis après deux ans de voyage ensemble en Yougoslavie, en Turquie, en Iran, en Afghanistan, au Pakistan et jusqu'à la frontière avec l’Inde, le jeune Bouvier a continué tout seul, jusqu'au Japon. Il avait 23 ans au moment de leur départ, à l'été 1953, il était de retour en Suisse à 27 :


Métroz, donc, fasciné par le récit de Bouvier et l'expérience qu'il comportait (comme le photographe Frédéric Lecloux, qui s'est mis en marche en novembre 2004, est retourné plus d'un an plus tard et a publié un album L'usure du monde en février de cette même année 2008), a choisi de suivre ses traces tout seul et de raconter son périple en images :



C'est devenu finalement un hommage au nomadisme ; Métroz l'explique :



Gaël Métroz persiste et, en 2016, a signé et présenté un nouveau film, Sadhu, au Festival Curieux Voyageurs. Il fait le portrait d'un sadhu, Suraj Baba, qu'il a rencontré au cœur de l'Himalaya et qui est devenu son ami ; il l'a suivi pendant plus d’une année.
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Mise à jour du 18 mai 2020 :

Nicolas Bouvier était aussi devenu photographe, au Japon, dans les années 50, puis iconographe. Deux bouquins récents en témoignent.
Le premier est un recueil de textes qui montrent sa conception de la photographie :
Nicolas Bouvier, Du coin de l’œil. Écrits sur la photographie, Héros-Limite, Genève, 2019, 224 pages, 14 euros.
Résumé de la librairie Eyrolles :
Le présent recueil réunit les textes que Nicolas Bouvier a écrit sur la photographie entre 1965 et 1996. A de nombreuses occasions, l'auteur genevois avait parlé de son métier d'iconographe, notamment dans le petit livre Le hibou et la baleine, paru en 1993, mais sa réflexion sur l'acte photographique restait à découvrir. Jusqu'à ce jour, les écrits qu'il a dédié à ce sujet (préfaces, articles de presse, introductions à des catalogues d'exposition) restaient dispersés. Près de quarante textes se trouvent ainsi rassemblés ici. Parmis eux, certains relatent également son activité de "chercheur-traqueur d'images", qui aura été son gagne pain durant près de trente ans. Il nous a paru intéressant de les reprendre ici, d'autant plus que quelques-uns de ces textes sont totalement inconnus et n'ont jamais été republiés.
Photographe à ses débuts (par nécessité), portraitiste (par accident), chroniqueur ("aliboron") : la photographie est une constante dans le parcours de l'écrivain voyageur. Nicolas Bouvier s'intéresse à la photographie parce qu'il entretient un rapport passionnel à l'histoire de l'estampe. Les images qu'il affectionne n'appartiennent jamais à la "grande" peinture classique mais toujours à l'art populaire. Dans les textes qui composent ce recueil, il est beaucoup question de ses tâtonnements : l'important pour l'écrivain étant d'élaborer une esthétique de l'effacement puis de se "forger une mémoire iconographique". Il tirera son enseignement de ses nombreux voyages et des recherches infatigables dans les bibliothèques du monde entier.
Le second ouvrage vient d'être publié par l'historien de la photographie suisse et professeur de l'Université de Lausanne Olivier Lugon :
Olivier Lugon, Nicolas Bouvier iconographe, Infolio, Gollion (Suisse) - Bibliothèque de Genève, 2020, 160 pages, 26 euros.
Cliquez sur le lien ci-dessus pour accéder à un entretien avec Olivier Lugon.