jeudi 28 mars 2019

Vacuité libérale autosatisfaite ou le triomphe de la connerie


D’une manière générale, l’étude des idéologies gagnerait à une analyse
détaillée des procédures rhétoriques qu’elles mettent en œuvre. Car,
même si une idéologie ne se réduit jamais à des phénomènes de langage
ni à une langue, celle-ci en constitue cependant toujours le noyau.

Alain Bihr : La Novlangue néolibérale. La rhétorique du fétichisme capitaliste
note 3, Éd. Page deux, Lausanne, 2007, 237 pp. Collection : Cahiers libres.
2e édition revue et augmentée : Page deux - Éd. Syllepse,
Lausanne-Paris, mai 2017, 344 pages, 18 €.
 


El Roto, El verbo se hizo ruido y habitó entre nosotros.
(Détournement de Jean 1, 14)
Il y a plusieurs versions françaises du verset de Jean qui permettraient des détournements genre :
« La Parole s'est faite bruit, elle a habité parmi nous » (selon une interprétation traditionnelle) ou
« La Parole a pris bruit / parmi nous elle a planté sa tente »
(d'après la nouvelle traduction de l'Évangile de Jean de Bayard, signée par Florence Delay et Alain Marchadour).


Souhaitez-vous réfléchir à ces bourdes enchaînées que vous entendez souvent dans les bouches des grands gourous sans pour autant très bien comprendre ou assister à un grand spectacle présidentiel... dans le genre ? Si c'est oui, n'hésitez pas et continuez à lire, puis à voir-écouter...

Le jargon libéral est une prestidigitation cuistre destinée à épater les gogos. Elle fait partie essentielle de la panoplie du parfait moderne. Inutile d’y chercher du sens ou de l’humanité ; ça débite des faufils très faux culs de logomachies, bref, de conneries. De conneries aux sonorités très branchées constituant un enfumage destiné à masquer de grandes opérations de prédation viens, pille et vole, / petit, petit.
Justement, Thomas Klikauer vient de produire un texte là-dessus sur CounterPunch :


Corporate Bullshit


Business bullshit is about the meaningless language conjured up in schools, in banks, in consultancy firms, in politics, and in the media. This language drives thousands of business schools. It is this language that is handed down to MBAs. It releases MBAs happy to spread the managerial buzz-word language of business bullshit. When pro-business management academics, management writers, CEOs, and other upper level managers invent bullshit language, they fabricate something that gets in the way of businesses.
The historical origins of business bullshit and its pathological language came with Kroning and AT&T’s management guru, who was hired to change the AT&T corporation. According to Colvin’s Fortune Magazine obituary of Peter Drucker, Drucker once said a management guru is someone named so by people who can’t spell charlatan. In the case of AT&T’s business bullshit, it was the Russian mystic George Gurdjieff and his ideas that introduced an entire new set of bullshit language to management.
It might certainly be true that Kroning may have been killed off while Kronese has lived on. Management charlatans like Gurdjieff, even when changing just one company (AT&T), may have had an global impact. It contributed to managerial bullshit language. Bullshit language is part of an ideology that is used to legitimize and stabilize capitalism. Ideologies are not concerned with the truth. Instead, they are designed to eliminate contradictions and stabilize domination. Hence, the managerial bullshitter has a lack of connection or concern for the truth.
Needless to say, it is true that bullshitters are not concerned that their grand pronouncements might be illogical, unintelligible and downright baffling. All they care about is whether people will listen to them. Their jargon can become a linguistic barbed wire fence, which stops unfortunate amateurs from trespassing on territory already claimed by experts. Not surprisingly, one finds that many managerial practices are not adopted because they work, but because they are fashionable. And the bullshit merchant can find a lucrative trade in any large organization.
En lire plus.

J'avais déjà abordé sur ce blog cette vacuité/novlangue, le fait qu'Il faut se méfier des mots ou que Des nullités surévaluées nous emmènent à la Terre Gaste. En voici un exemple formidable (qui devrait donc faire peur, littéralement). Un Jupiter convoque à lui tout seul un Grand Débat Spectacle Faisant Diversion où il décide des sujets, de la formulation des questions et de leur glose. Il nous prévient, en plus : Nous ne reviendrons pas sur les mesures que nous avons prises en matière d'impôts. Son porte-parole Benjamin Griveaux avait déjà rassuré tout le monde en décembre 2018 :
Le grand débat, ce n'est pas rejouer la présidentielle de 2017, ce n'est pas non plus détricoter ce que le gouvernement et le Parlement ont mis en place depuis 18 mois mais c'est attendre des propositions concrètes" (...)
Il n'est pas plus envisagé de revenir sur les ordonnances réformant le code du travail, ou la réforme de la SNCF. "Le président de la République a souligné que les transformations que nous avons par ailleurs engagées vont se poursuivre", a aussi promis Benjamin Griveaux, excluant tout changement de cap et assurant que la réforme des retraites ou celle de l'assurance-chômage seront bien menées à leur terme.
Pompon de la mascarade : une grande messe avec des intellectuels faisant tapisserie car croyant aux présidences et aux panoplies. Un bon moment pour se rappeler un aphorisme de Jorge Wagensberg :
Cambiar de respuesta es evolución, cambiar de pregunta es revolución.
Sous le titre « Grand débat des idées » : un exploit pas commun, Là-bas si j'y suis vient de coudre en vidéo des extraits de ce très long acte (soliloque ?) prospectif de propitiation macronien, petit petit, un sacrifice-supplice qui en dit long.
Lundi 18 mars, Emmanuel Macron recevait à l’Élysée 65 intellectuels pour un « grand débat des idées », retransmis sur France Culture. Bien peu sont restés jusqu’à la fin, à 2h13 du matin, soit au bout de 8 heures, 13 minutes, 15 secondes. Parmi eux, le grand climatologue Jean Jouzel, reconnu pour son travail sur le réchauffement climatique. Jean Jouzel est resté assis 8 heures, 13 minutes, 15 secondes, en livrant une lutte héroïque contre le sommeil :



Bande son :

____________________________
Mise à jour du 3 avril 2019 :

Donc, tandis que ces camelots nous en mettent plein les oreilles, ils n'arrêtent pas de produire des « réformes » lourdes de retombées perverses : liquidation du code et durcissement des conditions du travail, fiscalité très coûteuse pour les finances publiques, assistanat pour les grandes fortunes et les grandes entreprises (y compris, verbi gratia, CarrefourDassault ou la presse sous perfusion s'évertuant à dénoncer l'assistanat —et hors fraudes et évasions fiscales), aggravation incontestable des inégalités de revenu et de patrimoine depuis 1980 (et pour cause !), bref, on constate un grand transfert de richesse (et de pouvoir et de narration) de la multitude vers ces « élites » qui, selon la petite philo de comptoir de France Inter, ne sont qu'un préjugé.
Au bout du compte, au delà du blabla, comme le dit Jean Gadrey, « Emmanuel Macron prétend qu’il n’y a pas d’argent magique, mais il semble bien que la magie opère quand il s’agit d’argent allant vers le haut. » D'ailleurs, Victor Hugo nous l'avait bel et bien expliqué dans L'Homme qui rit, par exemple :
« Les scarabées mangent les racines, et les panoplies mangent le peuple. Pourquoi pas ? Allons-nous changer les lois ? La seigneurie fait partie de l’ordre. Sais-tu qu’il y a un duc en Écosse qui galope trente lieues sans sortir de chez lui ? Sais-tu que le lord archevêque de Canterbury a un million de France de revenu ? Sais-tu que sa majesté a par an sept cent mille livres sterling de liste civile, sans compter les châteaux, forêts, domaines, fiefs, tenances, alleux, prébendes, dîmes et redevances, confiscations et amendes, qui dépassent un million sterling ? Ceux qui ne sont pas contents sont difficiles.
— Oui, murmura Gwynplaine pensif, c’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches. »
Victor Hugo : L’homme qui rit (1869), Livre Deuxième, chapitre XI, p. 266
C'est de l'enfer des pauvres qu'est fait le paradis des riches... Francisco de Goya le savait très bien qui nous avait déjà expliqué que “los pobres y clases útiles de la sociedad son los que llevan a cuestas a los burros o cargan con todo el peso de las contribuciones del estado" :

Résultat de recherche d'images pour "goya “los pobres y clases útiles de la sociedad son los que llevan a cuestas a los burros o cargan con todo el peso de las contribuciones del estado"
Francisco de Goya
, Tú que no puedes

 
Siné nº 85-Avril 2019-La vraie violence-P32

Bien entendu, les violentes réformes ne sauraient jamais être qu'économiques, loin de là ; un corollaire de violence physique (Voici du sang, accours, viens boire, / petit, petit), de diabolisation des récalcitrants (laissez faire, laissez casser), de tribunaux matraque et de répression très autoritaire des libertés fondamentales s'avère également essentiel pour saper toute résistance. Un cas de figure mélangeant répression et mensonges d'État ? Celui de la militante d'ATTAC Geneviève Legay grièvement blessée le 23 mars lors d'une charge de police sur la place Garibaldi à Nice ; suivez-en le fil : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
Entretemps, l'école, les collèges et les lycées se rebiffent :
Une vague de contestation balaye l’Education Nationale depuis plusieurs semaines. Après le mouvement de boycott des conseils de classe, attribution des 20/20, démission de professeurs principaux dans certains collèges et près de 600 lycées, c’est dans le primaire que les profs se mettent en branle contre « l’école de la confiance » avec des taux de grève qui sont allés jusqu’à 60% dans certaines académies mardi 19 mars.
____________________________
Mise à jour du 3 avril 2019 :

En même temps, côté pognon de dingue, la Cour des Comptes vient de rappeler (dans son Référé n° S2018-3520, du 12/12/2018, adressé à Madame Nicole Belloubet, Garde des sceaux et ministre de la justice, et à Monsieur Christophe Castaner, Ministre de l’intérieur) qu'il y a des vérités têtues et hors débat, au double sens :
La délinquance économique et financière est en progression significative. Bien que les méthodes de mesure ne soient pas harmonisées, on arrive à cette conclusion quelle que soit la source statistique retenue : infractions constatées par la police et la gendarmerie, affaires nouvelles enregistrées par les parquets, enquêtes de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE).
Selon les sources statistiques des services de police et de gendarmerie, fondées sur les dépôts de plaintes et les infractions constatées directement par ces services, les "escroqueries et infractions économiques et financières" (EIEF) ont augmenté de +24% entre 2012 et 2016. Cette hausse récente est comparable en "zone police" (+26%) et en "zone gendarmerie" (+22%). Elle est particulièrement sensible en région parisienne (+30% dans la petite couronne, +52% à Paris). Différenciée selon la nature des infractions, elle est globalement plus rapide que celle d’autres agrégats suivis par la police et la gendarmerie, tels que les atteintes aux biens et les atteintes à l’intégrité physique des personnes.
En lire plus.
Une délinquance de masse...

jeudi 21 mars 2019

6e Journal des infos dont on parle plutôt peu (2018-19)

...Car loin du psittacisme médiatique, il y a bon nombre d'événements qui nous interpellent autrement dont on ne parle que peu ou sous l'angle de la propagande unique. Nous essayons de repérer et de glaner des faits/sujets/positions en dehors de l'actu ou de l'éditocratie.

Voici notre sixième sommaire de cette année scolaire, celui correspondant au 20 mars 2019.
Merci à mes élèves pour leurs contributions !



Il comprend, entre autres, un billet de Jean Gadrey —sur son blog hébergé par Alternatives Économiques— au sujet des inégalités sexistes toujours révoltantes qui pénalisent constamment les femmes.
D'autre part, la Fédération française des associations de protection de la nature et de l'environnement, France Nature Environnement, a publié un communiqué de presse sur le naufrage du porte-conteneurs italien Grande America au large de La Rochelle :
Grande America : combien faut-il de naufrages à l'Etat pour agir ?
Le naufrage du Grande America au large des côtes de françaises est une sombre répétition du passé. Pour France Nature Environnement, ce tragique évènement sonne une nouvelle alerte pour l'État français. Il est capital que la France ait plus d'audace environnementale dans ses ambitions de politique maritime. Elle rédige justement actuellement cette politique au travers de ses documents stratégiques de façades - et ceux-ci se montrent bien trop timorés. France Nature Environnement porte plainte pour faire la lumière sur les responsabilités.
En lire plus.
Belle question, car on vérifie depuis toujours qu'en démocratie libérale, les extrêmement graves lois anti-casseurs ne concernent jamais les Grands Casseurs de tout, y compris de la planète.

Enfin, voici quelques extraits de notre journal au format vidéo :

1) Le Monde, publié le 28 mars 2018.
Jusque dans les années quatre-vingt-dix, au Cameroun, toute évocation du nom de Ruben Um Nyobè était interdite. Il a fallu attendre la loi de réhabilitation du 16 décembre 1991 pour briser ce silence. Pourtant l’ancien syndicaliste, fondateur de l’UPC (l’Union des Populations du Cameroun) a été l’objet, après son assassinat par l’armée française, d’une immense admiration populaire. Excellent orateur, il a parcouru le Cameroun pour transmettre les idées d’indépendance et de réunification du pays et est devenu au cours des années 1950 une des icônes internationales du tiers-mondisme naissant. Il a fini sa vie dans la clandestinité, tué en 1958 par l’armée française. Retour sur le parcours de l’un des plus importants nationalistes subsahariens, artisan de la réunification du Cameroun.



2)
Le Média, publié le 7 janvier 2019. Le journaliste indépendant David Dufresne recense les violences policières depuis le début du mouvement des gilets jaunes. Invité d'Aude Lancelin dans l'Entretien Libre, il revient sur l'intensité inédite de la répression policière subie par les gilets jaunes.



3)
Là-bas si j'y suis, publié le 14 mars 2019.
Un entretien de Jérémie Younes avec l'économiste David Cayla, à voir en intégralité sur le site Là-bas si j'y suis.



4)
Le Monde, publié le 13 décembre 2018.
De la production au lavage, l’industrie textile est devenue l’une des plus polluantes. Explications en vidéo. En 2016, plus de 100 milliards de vêtements ont été vendus dans le monde. En France, cela représente 9,5 kg par habitant. Et les consommateurs achètent toujours plus : + 60 % de vêtements qu’il y a quinze ans. Cette tendance a un nom : la fast fashion. C’est-à-dire une sorte de mode jetable qui se renouvelle en permanence. Ces habitudes de consommation ont des conséquences directes sur l’environnement. De la fabrication des matières premières, aux transports en passant par le lavage et le recyclage, le cycle de vie d’un vêtement génère une immense pollution et empoisonne parfois ceux qui les portent.

SOURCES : Rapport Greenpeace 2017, « Destination Zéro ».
Rapport Greenpeace, « Dirty Laundry ».
Rapport Greenpeace, « Dirty Laundry 2 : Hung Out to Dry ».
Rapport de l’Union des Industries Textiles, Chiffres Clés 2015-2016.
Rapport EcoTLC, « J’ai la fibre du tri ».
Rapport France Nature Environnement, « Réduisons le gaspillage textile », note de synthèse, octobre 2018.

5)
France 3 Centre-Val de Loire, publié le 7 septembre 2018.
Vidéo ajoutée pour illustrer un sujet proposé par María, celui des ignobles tests osseux, que vient de valider en France le Conseil Constitutionnel.
Une dizaine de manifestants se sont mobilisés jeudi devant un hôpital de Chartres pour dénoncer des tests osseux pratiqués sur de jeunes migrants, se présentant comme mineurs, pour déterminer leur âge. Une pratique très contestée.

lundi 18 mars 2019

Bourse de Travail de Paris, le 14 mars 2019

Au retour de la Sierra de Francia (Salamanca), j'apprends par une alerte que MACRON INVITE LORDON : C’EST PAS DU BIDON.
Je vois le reportage de Là-bas et il paraît que c'était vrai. Puis je retrouve sur Internet une vidéo, publiée le 15 mars, montrant son intervention dans son intégralité :

Intervention de Frédéric LORDON (économiste et philosophe) à la Bourse du Travail de Paris le 14 mars 2019 dans le cadre du colloque "Fin du grand débat, début du grand débarras ! "

On y voit que Lordon montre une invitation de l'Élysée —reçue cela faisait 15 jours— pour participer à un grand numéro de prestidigitation : le Président de la République souhaite avoir un Grand Débat (prospectif) avec des intellectuels le 18 mars en fin de journée.
En écoutant les rires, les sifflets et les huées d'une salle pleine à craquer, Lordon ne cache pas son sentiment : “Ça m’a fait à peu près le même effet. (...) Ces mecs nagent en pleine béatitude ou quoi ? Ou alors, ils sont au comble du désarroi. »
Dans la circonstance, il avoue que deux hypothèses lui sont venues à l'esprit : la première, celle du canular ; la seconde, qui ne serait pas la moins probable, celle du machiavélisme de sous-préfecture. Ça lui a semblé tellement loufoque que, au milieu du travail, le ménage et tout ça, il a « complètement oublié de répondre, ce qui n'est pas très urbain, et je m'en excuse. », dit-il.


Donc, il profite de cette soirée devant cette assemblée pour réparer ce manquement et lire sa réponse au Président, un peu à la manière vianesque. Voici son allocution à peu de détails près [c'est Candide qui intervient entre crochets] :
« Chez Monsieur Macron [Lordon se dit à lui même, en riant : “quel hypocrite !”],
vous comprendrez que, si c’est pour venir faire tapisserie le petit doigt en l’air au milieu des pitres façon BHL et Enthoven
[huées abondantes], ou des intellectuels de Cour comme Patrick Boucheron, je préfèrerais avoir piscine ou même dîner avec François Hollande.
Au moins votre invitation ajoute-t-elle un élément supplémentaire pour documenter votre conception du débat : savez-vous qu’à part les éditorialistes qui vous servent de laquais et répètent en boucle que la démocratie, c’est le débat, votre ‘grand débat’, personne n’y croit ? Vous-même, d'ailleurs, nous ne sommes pas certains que vous y croyiez.
Dans une confidence récente à des journalistes, qui aurait gagné à recevoir plus de publicité, vous avez dit ceci, je cite : « Je ressoude partout. Et dès que c'est consolidé, je réattaque »
.
C'est très frais : vous ressoudez et vous attaquez, c'est parfait, nous savons à quoi nous en tenir, nous aussi, nous viendrons avec le chalumeau.

En réalité, la manière dont vous utilisez le langage pour débattre, comme vous dites, nous sommes assez au clair depuis longtemps. C’est une manière particulière, dont on se souviendra, parce qu’elle aura fait entrer dans la réalité ce qu’un roman d’Orwell bien connu avait anticipé il y a 70 ans très exactement  –au moins, après la réussite de votre itinérance mémorielle, on ne pourra pas dire que vous n’avez pas le sens des dates anniversaires. C’est une manière particulière d’user du langage en effet parce qu’elle n’est plus de l’ordre du simple mensonge.
Bien sûr, dans vos institutions, on continue à mentir, grossièrement, éhontément. Vos procureurs mentent, la police ment, vos experts médicaux de service mentent –ce que vous avez essayé de faire à propos de la mémoire d’Adama Traoré par experts interposés, par exemple, c’est immonde (...). Mais, serais-je presque tenté de dire, c’est du mensonge tristement ordinaire.
Vous et vos sbires ministériels venus de la start-up nation, c’est autre chose : vous détruisez le langage. Quand Mme Buzyn dit qu’elle supprime des lits pour améliorer la qualité des soins ; quand Mme Pénicaud dit que le démantèlement du code du travail étend les garanties des salariés ; quand Mme Vidal explique l’augmentation des droits d’inscription pour les étudiants étrangers par un souci d’équité financière ; quand vous-même, vous présentez la loi sur les
fake news comme un progrès de la liberté de la presse, la loi anti-casseurs comme une protection du droit de manifester, quand vous nous expliquez que la suppression de l’ISF s’inscrit dans une politique de justice sociale, vous voyez bien qu’on est dans autre chose, dans autre chose que le simple mensonge. On est dans la destruction du langage et du sens même des mots.
Si des gens vous disent « Je ne peux faire qu’un repas tous les deux jours » et que vous leur répondez « Je suis content que vous ayez bien mangé », d’abord la discussion va vite devenir difficile, ensuite, forcément, parmi les affamés, il y en a qui vont se mettre en colère.
De tous les arguments qui justifient entièrement la rage qui s’est emparée de ce pays, il y a celui-ci qui, à mon avis, pèse beaucoup, à côté évidemment des 30 ans de violences sociales que vous avez portées à un point inouï et des 3 mois de violences policières à vous faire payer : il y a que, face à des gens comme vous, qui détruisent à ce point le sens des mots, donc qui ruinent la possibilité même de discuter, pensez-y, la seule solution restant, j'en suis bien désolé mais, c'est de vous chasser.

Il y a peu encore, vous avez déclaré, je vous cite :
Répression, violences policières, ces mots sont inacceptables dans un État de Droit.” [tour de passe-passe un peu forcé]
Mais, M. Macron, vous êtes irréparable, comment dire ?, dans un État de Droit, ce ne sont pas ces mots, ce sont ces choses qui sont inacceptables.
Avec un mort, plus exactement une morte, 22 éborgnés et 5 mains arrachées, vous vous repoudrez la perruque et vous nous dites, je cite encore : « Je n’aime pas le terme répression, parce qu’il ne correspond pas à la réalité ». La question –mais quasi-psychiatrique, j'en suis désolé– qui s’en suit, c’est de savoir dans quelle réalité demeurez-vous au juste.
Il y a quelques jours le
Gorafi nous a donné des éléments de réponse dans un article dont le titre était, je cite : « Le comité de médecine du ministère de l’intérieur confirme que le LBD est bon pour la santé ». On peut y lire ceci : « Christophe Castaner s’est réjoui des résultats des tests du comité de médecins et a aussitôt signé une ordonnance qualifiant de rébellion et outrage à agent toute personne qui mettrait en cause la fiabilité de cette étude ».
Mais Monsieur Macron, voyez-vous la minceur de l'écart qui vous tient encore séparé du Gorafi ?
Monsieur Macron, vous êtes la gorafisation du monde en personne. Sauf que normalement le Gorafi, c'est pour rire. En réalité, personne ne veut vivre dans un monde gorafisé. Si donc le macronisme est un
gorafisme, mais pour de vrai, vous comprendrez qu’il va nous falloir ajuster nos moyens en conséquence. Et si donc il est impossible de vous ramener à la raison, il faudra bien vous ramener à la maison.
Tous les glapissements éditorialistes du pays
sur votre légitimité électorale ne pourront rien contre cette exigence élémentaire et, somme toute, logique. En réalité, légitime, vous ne l’avez jamais été. Votre score électoral réel, c’est 10%. 10% c’est votre score au premier tour corrigé de l’abstention et, surtout, du vote utile puisque nous savons que près de la moitié de vos électeurs de premier tour ont voté, non par adhésion à vos idées, mais parce qu’on les avait suffisamment apeurés pour qu’ils choisissent l’option « ceinture et bretelles ».Mais quand bien même on vous accorderait cette fable de la légitimité électorale, il n'en reste plus rien au moment où vous avez fait du peuple l'ennemi de l'État, peut-être même un ennemi personnel. En tout cas, vous lui faites la guerre avec des armes de guerre et des blessures de guerre.
Mesurez-vous à quel point vous êtes en train de vous couvrir de honte internationale ? Le Guardian, le New-York Times, jusqu’au Financial Times, le Conseil de l’Europe, Amnesty International, l’ONU, tous sont effarés de votre violence. Même Erdoğan et Salvini ont pu s’offrir ce plaisir de gourmets de vous donner des leçons en matière de démocratie et de modération, c’est dire jusqu’où vous êtes tombé.
Mais de l’international, il n’arrive pas heureusement que des motifs de honte pour vous : également des motifs d’espoir pour nous. Les Algériens sont en train de nous montrer comment on se débarrasse d’un pouvoir illégitime. C’est un magnifique spectacle, aussi admirable que celui des Gilets Jaunes. Une pancarte, dont je ne sais si elle est algérienne ou si elle est française et ça n’a aucune importance, écrit ceci
[allusion à une pancarte récente des étudiants algériens de l'Université Paris 8] : « Macron soutient Boutef, les Algériens soutiennent les Gilets Jaunes, solidarité internationale. »
Et c’est exactement ça : solidarité internationale ; Boutef bientôt dégagé, Macron à dégager bientôt.
Dans le film de Perret et Ruffin
[J'veux du soleil, leur film sur les Gilets Jaunes], un monsieur qui a normalement plus l’âge des mots croisés que celui de l’émeute –mais on a, comme vous le savez, on a surtout l’âge de sa vitalité, bien davantage que celui de son état civil–, un monsieur à casquette, donc, suggère qu’on monte des plaques de fer de 2 mètres par 3 sur des tracteurs ou des bulls, et que ce soit nous qui poussions les flics plutôt que l’inverse. C’est une idée. C'est une idée.
Un autre dit qu’il s’est mis à lire la Constitution à 46 ans alors qu’il n’avait jamais tenu un livre jusqu'ici. M. Macron je vous vois d’ici vous précipiter pour nous dire que voilà, c’est ça qu’il faut faire, oui, lisez la Constitution et oubliez bien vite ces sottes histoires de plaques de fer. Mais vous savez, en réalité, ce sont deux activités très complémentaires. Pour être tout à fait juste, il faudrait même dire que l’une ne va pas sans l’autre : pas de Constitution avant d’avoir passé le bull.

C’est ce que les Gilets Jaunes ont très bien compris et c’est pourquoi ils sont en position de faire l’histoire. D’une certaine manière M. Macron, vous ne cessez de les y inviter. En embastillant un jeune homme qui joue du tambour, en laissant votre police écraser à coups de botte les lunettes d’un interpellé ou violenter des Gilets Jaunes en fauteuil roulanten fauteuil roulant ! –, vous fabriquez des images pour l’histoire, et vous appelez vous-même le grand vent de l’histoire.
Vous et vos semblables, qui vous en croyez la pointe avancée, il se pourrait que vous finissiez balayés par elle. C’est ainsi en effet que finissent les démolisseurs en général. Car c’est ce que vous êtes : des démolisseurs. Vous détruisez le travail, vous détruisez les territoires, vous détruisez les vies et vous détruisez la planète. Si vous, vous n’avez plus aucune légitimité, le peuple, lui, a entièrement celle de résister à sa propre démolition. Craignez-même que, dans l’élan de sa fureur, il ne lui vienne à l’idée de démolir ses démolisseurs.
Et comme en arriver là n’est souhaitable pour personne, il reste une solution simple, logique et qui préserve l’intégrité de tous : Monsieur Macron, il faut partir ! Monsieur Macron, rendez les clefs !
(Cris de Macron démission !)
J'en ai trouvé ensuite d'autres vidéos. Récapitulons : c'était donc à la Salle Croizat de la Bourse du Travail de Paris (3, rue du Château d'Eau), le jeudi 14 mars, dès 19h, lors d'un rassemblement intitulé Fin du grand débat, début du grand débarras ! qui a réuni plusieurs centaines de personnes.

Je lis que la rencontre avait été organisée par une petite équipe affinitaire constituée autour de Frédéric Lordon et des éditions Divergences [À propos]. Reporterre était de la partie et annonçait la table rectangulaire sur son site. La soirée a été retransmise en direct sur FB et Youtube.
On avait invité à y participer Hervé Kempf (fondateur et directeur de Reporterre), Youcef Brakni (Comité Adama) et quelques Gilets Jaunes : Jérôme Rodrigues, Priscillia Ludosky et Juan Branco, né à Estepona, proche des Gilets Jaunes et avocat de Maxime Nicolle, et Camille (lycéenne en grève pour le climat), qui est intervenue avant Lordon.

Today relaie en ligne la totalité de la séance, avec les interventions de Kempf, Brakni, Rodrigues, Branco, Ludovski, Camille et Lordon, dans une vidéo qui dure 1h 14' 35'' :  



__________________________________
Mise à jour du 19 mars :

Le lendemain du Grand Débat Prospectif avec le Président Macron (j'imagine un roman parallèle conçu par Michel Rio) et sous le titre Macron donne un cours magistral à 65 intellectuels sur France Culture, Là-bas,si j'y suis se penche sur l'événement et vous propose une intéressante surprise, en accès libre (cliquez sur le lien précédent).
Extrait :
(...) Seuls des intellectuels proches du pouvoir pouvaient valider un tel dispositif médiatique : deux minutes d’intervention chacun, encadrée à chaque fois par un quart d’heure de cours magistral donné par Macron. Une véritable opération de légitimation, où le grand oral du président devait recevoir l’onction des universitaires séculiers et de la chaine du savoir.
Noam Chomsky nous avait prévenus : « la majorité des intellectuels soutiennent le pouvoir ». Au lendemain de cet énième épisode du Grand Débat, nos amis Les Mutins de Pangée ont eu l’excellente idée d’isoler et de mettre en libre accès un extrait du film d’Olivier Azam et Daniel Mermet « Chomsky et le pouvoir », dans lequel Chomsky développe et explique les raisons de cette proximité entre pouvoir et intellectuels organiques du pouvoir. À voir et à revoir sans modération.

samedi 9 mars 2019

Samba-enredo da Mangueira em homenagem a Marielle Franco

Je viens de voir, le 6 mars, à Madrid, Jean-Marie-Gustave Le Clézio. Interrogé sur l'importance de son indignation dans sa littérature, il rebondit illico sur la violence machiste contre les femmes : ce fut l'exemple immédiat qu'il trouva pour évoquer un sujet majeur heurtant sa conscience morale.
Puis, hier, 8 mars, j'ai été témoin d'une manifestation féministe. Elle était énorme, festive, bourrée d'humour, d'imagination, et fermement déterminée contre le patriarcat —associé au clergé, aux machos et aux patrons.

Cibeles, Madrid, le 8 mars vers 20h/ALBERTO CONDE

Mais je voudrais oublier pour un instant le français et le castillan, et avoir recours au portugais, au portugais de la Escola de Samba da Mangueira, comme hommage à la lutte des femmes à l'occasion de ce dernier 8 mars, vu d'ailleurs qu'on est dominés, plus que jamais, par l'innommable. Et profitons pour donner une nota dez especial para a Cacá Nascimento, pura delícia. Viva a Mangueira per semper (mesmo sabendo que o para sempre, sempre acaba), bem-vinda Cacá Nascimento, vamos là com a revisão da História ! 
"Brasil, chegou a vez de ouvir as Marias, Mahins, Marielles, malês... Brasil, meu nego, deixa eu te contar a história que a história não conta..."


O samba-enredo da escola de samba Estação Primeira de Mangueira para 2019 será em homenagem à Marielle Franco, vereadora do Rio de Janeiro assassinada a tiros no dia 14 de março no Rio, junto com o motorista Anderson Gomes. A escolha ocorreu na madrugada deste domingo (14.out.2018) na quadra da escola, na zona norte do Rio de Janeiro. "História para ninar gente grande", o samba campeão da Mangueira (escola campeã do Carnaval 2019), é de autoria de Deivid Domênico, Tomaz Miranda, Mama, Marcio Bola, Ronie Oliveira e Danilo Firmino.
Brasil, chegou a vez
De ouvir as Marias, Mahins, Marielles, malês
De ouvir as Marias, Mahins, Marielles, malês...

Brasil, meu nego
Deixa eu te contar
A história que a história não conta
O avesso do mesmo lugar
Na luta é que a gente se encontra

Brasil, meu dengo
A Mangueira chegou
Com versos que o livro apagou
Desde 1500
Tem mais invasão do que descobrimento

Tem sangue retinto pisado

Atrás do herói emoldurado
Mulheres, tamoios, mulatos
Eu quero um país que não está no retrato
Brasil, o teu nome é Dandara (1)
E a tua cara é de cariri
Não veio do céu
Nem das mãos de Isabel, a liberdade
É um dragão no mar de Aracati


Salve os caboclos de Julho
Quem foi de aço nos anos de chumbo
Brasil, chegou a vez
De ouvir as Marias, Mahins, Marielles, malês

Mangueira, tira a poeira dos porões
Ô, abre alas,
Pros teus heróis de barracões

Dos Brasis que se faz um país de Lecis, Jamelões
São verde e rosa as multidões
__________________
(1) Marcelo D'Salete écrit en annexe d'Angola Janga, son excellente et très documentée BD sur l'histoire de la résistance du Quilombo de Palmares (Éd. Veneta, 2017), à la page 422 :
(...), uma personagem feminina popular na narrativa oral sobre os mocambos da serra é Dandara. Uma líder importante na obra ficcional de Cacá Diegues, o filme Quilombo, de 1984. Entretanto, essa personagem não é mencionada pelos principais pesquisadores sobre os mocambos da Serra da Barriga (Edson Carneiro, Décio Freitas, Ivan Alves Filho, Flávio Gomes, etc.). Conforme registrado por Clóvis Moura no seu Dicionário da Escravidão Negra no Brasil, o vulgo Dandará aparece em nossa história apenas na figura de um sacerdote da Revolta dos Malês em 1835, cujo nome real era Elesbão do Carmo.