samedi 27 septembre 2014

Dire, ne pas dire, selon l'Académie

C'est la rentrée et bien des étudiants de français se demandent quel dictionnaire utiliser, gratuitement si possible. Pour ceux qui recherchent un outil monolingue, normatif et gracieux, je rappelle que le site de l'Académie française (fondée par Richelieu en 1635) dispose de deux rubriques qui pourraient bien vous aider à l'heure de vos consultations : la Langue française et le dictionnaire.
Sous cette dernière se déplient quatre possibilités :
La Langue française, elle, s'ouvre sur quatre onglets :
Dire, ne pas dire est un service de consultation existant depuis 2011 et qui fait office d'une sorte de dictionnaire des difficultés ou des doutes. Il se déploie en sept pages :
Dire... ne pas dire... L'idée des immortels est claire : doit-on dire luxurieux ou luxuriant ? D'ailleurs ou par ailleurs ? Par contre ou en revanche ? Cela ressortit à mes attributions ou Cela ressort de mes attributions ? (Mais bien sûr qu'on dit aussi ce qu'ils ne veulent pas qu'on dise ! À quoi bon cette dichotomie académique "On dit" vs "On ne dit pas", comme si on ne disait pas ce que l'on dit et que l'on entend souvent un peu partout ? Un peu de rigueur, quand même !)
Bref, à travers le courrier des internautes, vous lancez votre interrogation et l'Académie (les académiciens et les linguistes du Quai Conti) répond. Ainsi lit-on aujourd'hui la question suivante :
Peut-on dire « s’engager à » suivi d’un nom et non d’un verbe ? Exemple : « s’engager à une action ».

L’Académie répond :

S’engager à est le plus souvent suivi d’un infinitif : Il s’engage à venir ; il est parfois suivi d’une subordonnée introduite par ce que : Il s’engage à ce que les travaux soient faits.
On le trouve enfin avec plus que ; Il s’engage à plus qu’il ne peut tenir ou, à la forme négative, avec rien. Il ne s’engage à rien.
Mais s’engager à ne peut être suivi d’un nom que si ce verbe est employé dans le sens de se lier, s’enrôler, s’inscrire : S’engager au service de quelqu’un, S’engager au mariage, S’engager à une épreuve de natation.
Le succès du site a permis la publication récente d'une anthologie imprimée ; selon Le Monde :
Le site connaissant un vif succès, un florilège de ces échanges vient de paraître dans un livre, Dire, ne pas dire. Du bon usage de la langue française, paru aux éditions Philippe Rey. Deux académiciens, membres de la commission du dictionnaire, Dominique Fernandez et Yves Pouliquen, ont ainsi sélectionné deux cents entrées pour cet ouvrage, qui relève les fautes et les tics de langage les plus fréquemment observés dans le français contemporain. Quels mots, quelles tournures choisir, retenir ou rejeter parmi ce qui s'entend et se dit ? Sabler ou sabrer le champagne ? Courbatu ou courbaturé ? Tout à coup ou tout d'un coup ? Quand employer débuter ou démarrer ? Irrévocable ou irréversible ? Autant de questions qui trouvent leurs réponses dans ce livre instructif et souvent drôle, ou à l'adresse academie-francaise.fr/dire-ne-pas-dire. On y trouve aussi, par exemple, l'origine de l'expression "c'est du gâteau" ou "c'est pas de la tarte".
La catégorie "bonheur - surprises" vous présente des curiosités intéressantes. En voilà une :

Tout de go

Le 09 septembre 2014
Contrairement à ce que l’on croit parfois, la locution adverbiale tout de go, « directement, sans préparation, sans précaution », n’est pas liée au verbe anglais to go, « aller ». Tout de go est la forme simplifiée de l’expression ancienne avaler tout de gob.
Cette forme ancienne gob est issue du gaulois *gobbo, « bec, bouche ». C’est d’elle encore qu’est dérivé l’ancien français gobet, « bouchée, gorgée », puis « pièce, morceau ». De ce dernier sens, on est passé à celui de « motte de terre ». Ainsi le français écobuage, qui désigne une méthode de fertilisation des sols, n’a-t-il rien à voir avec le préfixe éco- mais bien avec cette racine gob-, puisqu’il vient du poitevin gobuis, qui désignait la terre où l’on se prépare à mettre le feu.
Mais il suffit de lire les exemples qui illustrent le bon usage du terme crise (dont on reconnaît quand même les extensions de sens abusives) pour comprendre qu'il va falloir toujours se battre contre "la langue légitime". Non, le salut ne vient pas d'en haut. En matière de critère, il ne faut surtout pas fléchir...

mercredi 24 septembre 2014

Les travailleurs de la mer, par l'université Rennes-II


Tel est le titre du webdocumentaire conçu par l'université Rennes-II consacré au vigoureux et sensible roman de Victor Hugo Les Travailleurs de la mer (1866), une pure générosité sur tous les plans, un ouvrage dont le livre premier s'intitule De quoi se compose une mauvaise réputation...
Il s'agit d'une production multimédia riche des splendides illustrations de Victor Hugo, car en vrai architecte, il dessina les différents éléments de son édifice ; puis il fit même relier son manuscrit (images et textes en rapport mutuel dans le même volume).
Cette production pleine d'intérêt comporte plusieurs vidéos explicatives. On aborde l'œuvre manuscrite (le manuscrit, l'intrigue, le titre), l'œuvre graphique (encres et pigments, clair obscur, instruments -le crayon de graphite, la barre lithographique, le fusain, l'encre, les plumes...-, l'art au sommet : Victoria Tébar Ávila s'exprime en castillan) et Pierre Georgel, Victoria Tébar Ávila et Jean-Pierre Montier font l'analyse des dessins.
Comme l'abordage à tous ces matériaux est libre, la marque d'une puce bleue sur la vidéo X indique que vous l'avez déjà vue. Il y a aussi, en prime, des lectures d'extraits du roman. Témoin Les Douvres.

Voici l'à propos de ce bel effort :
Si le grand public n’ignore plus, depuis les grandes rétrospectives qui ont été depuis vingt ans consacrées à son œuvre graphique, que Victor Hugo fut aussi un dessinateur exceptionnel, en revanche, dans le domaine de la recherche universitaire, ses dessins demeurent le plus souvent soigneusement distincts de la production de l’homme de Lettres. Or, comment ne pas être frappé des parentés étroites existant entre le geste de la plume à l’encre qui, dans le même temps, trace les signes de l’écriture et imprègne le papier de figures tantôt réalistes, tantôt hallucinées ?
Le manuscrit que Victor Hugo avait réalisé pour les Travailleurs de la Mer fut, de cette remarquable symbiose, la manifestation éclatante. S’il est impossible de le reconstituer (la Bibliothèque nationale, à laquelle il fut légué, a dû le démembrer pour les besoins de la conservation des documents), toutefois ce web documentaire se donnera pour ambition de retrouver l’esprit d’une démarche artistique complexe, dans laquelle poésie et roman, écriture et dessin, méditation humaine et création divine (par l’entremise de la figure mythique de la Mer) communient étroitement sous l’espèce d’un même sens du Verbe.
Ce webdocumentaire, dont le titre reprend une phrase écrite par Victor Hugo sur l’un de ses dessins, est conçu de manière à conjuguer les intérêts du public scolaire et universitaire en Littérature et en Art.
Jean-Pierre Montier
Voici un extrait du roman, la présentation de Gilliatt, son héros :
Gilliatt, nous l'avons dit, n'était pas aimé dans la paroisse. Rien de plus naturel que cette antipathie. Les motifs abondaient. D'abord, on vient de l'expliquer, la maison qu'il habitait. Ensuite, son origine. Qu'est-ce que c'était que cette femme ? et pourquoi cet enfant ? Les gens du pays n'aiment pas qu'il y ait des énigmes sur les étrangers. Ensuite, son vêtement qui était d'un ouvrier, tandis qu'il avait, quoique pas riche, de quoi vivre sans rien faire. Ensuite, son jardin, qu'il réussissait à cultiver et d'où il tirait des pommes de terre malgré les coups d'équinoxe. Ensuite, de gros livres qu'il avait sur une planche, et où il lisait.
D'autres raisons encore.
D'où vient qu'il vivait solitaire ? Le Bû de la Rue était une sorte de lazaret; on tenait Gilliatt en quarantaine, c'est pourquoi il était tout simple qu'on s'étonnât de son isolement, et qu'on le rendît responsable de la solitude qu'on faisait autour de lui.
Il n'allait jamais à la chapelle. Il sortait souvent la nuit. Il parlait aux sorciers. Une fois on l'avait vu assis dans l'herbe d'un air étonné. Il hantait le dolmen de l'Ancresse et les pierres fées qui sont dans la campagne çà et là. On croyait être sûr de l'avoir vu saluer poliment la Roque qui Chante. Il achetait tous les oiseaux qu'on lui apportait et les mettait en liberté. Il était honnête aux personnes bourgeoises dans les rues de Saint-Sampson, mais faisait volontiers un détour pour n'y point passer. Il pêchait souvent, et revenait toujours avec du poisson. Il travaillait à son jardin le dimanche. Il avait un bag-pipe, acheté par lui à des soldats écossais de passage à Guernesey, et dont il jouait dans les rochers au bord de la mer, à la nuit tombante. Il faisait des gestes comme un semeur. Que voulez-vous qu'un pays devienne avec un homme comme cela ?
N'hésitez plus : plongez dans cette mer inoubliable de l'un des vrais grands monstres de la littérature de tous les temps.

jeudi 18 septembre 2014

La peau dure des fois induites

(Texte conçu-entamé en mai 2014 et pondu-publié aujourd'hui)

La lecture des deux derniers billets de Frédéric Lordon sur son blog, La pompe à phynance, intitulés Les entreprises ne créent pas l’emploi et Les évitements visibles du « Parlement des invisibles », m'a poussé à rebouquiner au lit un conte d'Edgar Allan Poe, La lettre volée (1844), intelligente métaphore sur l'évidence qu'on ne voit pas. J'en gardais nettement dans mon esprit les grandes lignes mais avais oublié les brillantes et sectaires réflexions de Dupin, son personnage principal.
« (...) Bryant, dans sa très-remarquable Mythologie, mentionne une source (...) d’erreurs, quand il dit que, bien que personne ne croie aux fables du paganisme, cependant nous nous oublions nous-mêmes sans cesse au point d’en tirer des déductions, comme si elles étaient des réalités vivantes. Il y a d’ailleurs chez nos algébristes, qui sont eux-mêmes des païens, de certaines fables païennes auxquelles on ajoute foi, et dont on a tiré des conséquences, non pas tant par une absence de mémoire que par un incompréhensible trouble du cerveau. (...) »
Ma foi, oui, nous savons très bien que la mémoire et la connaissance sont fréquemment inutiles, stériles : trouble du cerveau ? peur ? intériorisation de la soumission par un dressage ancestral ? asthénie ? fatigue face aux pouvoirs multiples des puissances d'argent ? haine de soi ?
Quant à l'absence de mémoire, elle n'est pas forcément absolument néfaste —car on peut disposer quand même d'un jugement disons lucide et juste et n'avoir aucun penchant pour la cruauté— mais contribue souvent à rendre vraisemblables, crédibles, et donc soutenir, certaines fables et croyances fort nuisibles et parfaitement démenties par les sciences expérimentales, les modestes constatations personnelles ou l'Histoire.
C'est là un des points où je diffère de Jean Bricmont et de son ouvrage La République des censeurs, L'Herne, 2014, essai par ailleurs remarquable et que je conseille vivement. À la fin de son livre, Bricmont s'aventure à « suggérer que le devoir de mémoire n'est souvent que le nom actuel de ce qu'on aurait appelé jadis l'entretien des haines du passé, qui peut en fait créer des craintes imaginaires et des conflits artificiels ». Oserait-il défendre cette position devant les Palestiniens, la masse des Noirs pauvres de l'Afrique du Sud ou les Espagnols en quête des os de leurs proches républicains fusillés par les Franquistes ? Je sais bien que Bricmont a oublié d'être con, ne dit pas n'importe quoi en général et emploie ici l'expression « devoir de mémoire » au lieu de mémoire pour de bon, mais son juste plaidoyer contre « le devoir de mémoire » s'attaque un peu trop à mes yeux à la simple mémoire, et je trouve donc son approche plutôt dangereuse. À l'heure de réfuter le topique « ceux qui ignorent leur histoire sont condamnés à la répéter », il nous rappelle que « (...) la plupart des peuples au cours des siècles ont ignoré leur propre histoire ». Justement ; ce qui explique en partie, selon moi, leurs fois incroyables. Et puis "l'enseignement systématique" de l'Histoire est et a toujours été foncièrement partisan, y compris dans des pays soi-disant "démocratiques" comme les États-Unis, Israël ou l'Espagne : il s'agit toujours de l'histoire rédigée par les vainqueurs. Témoin Howard Zinn, Ilan Pappé —ou moi-même. Les manipulations historiques (y compris le passage sous silence des épisodes gênants que l'on veut vouer à l'oubli, au devoir d'oubli) ont toujours fait partie essentielle des différentes propagandes.
Nous ne renonçons pas à la connaissance et à la justice pour des prunes et cette double ambition nécessite une correcte reconstruction des faits, sans quoi on risque de mettre agresseurs/voleurs et victimes/volés sur un pied d'égalité.

Revenons à Lordon ; dans Les entreprises ne créent pas l’emploi, il écrivait exactement :
Il est vrai (...) que le capital a pour lui tous les privilèges de la lettre volée d’Edgar Poe, et que sa prise d’otages, évidente, énorme, est devenue invisible à force d’évidence et d’énormité. Mais par un effet de cécité qui en dit long sur le pouvoir des idées dominantes, pouvoir de faire voir le monde à leur manière, en imposant leur forme au réel, et en rendant invisible tout ce qui pourrait les contredire, par cet effet de cécité, donc, la plus massive des prises d’otages est devenue la moins remarquée, la plus entrée dans les mœurs.
L'invisibilité de l'évidence et la visibilité de l'irréel : le triomphe du mythe et des chambres à Gattaz. C'est un sujet qui me hante car il me sidère et m'enquiquine : j'en rage. La spoliation perpétuelle de la masse du peuple par ses élites opérerait un effet de mithridatisation et d'insensibilisation (an-esthésie) de bon nombre d'esprits par accoutumance, par routine. D'ailleurs, non seulement on est régulièrement dépouillé et on s'y habitue, mais on confie son salut aux vampires qui vous sucent le sang par-dessus le marché ! « Ô chimères ! dernières ressources des malheureux ! » (Rousseau dixit ; cf. Julie ou la Nouvelle Héloïse). Ce sont les (très) mauvaises conséquences de la bonne foi.

Voilà pourquoi nous sommes contraints de répéter des évidences qui sont loin d'être généralement perçues. Merci donc à Frédéric Lordon et Bertrand Méheust, par exemple, pour leurs analyses démystifiantes.
Au sujet de Bertrand Méheust, disons qu'il a publié il y a cinq ans un essai bien écrit et succinct qui aborde tout de même les grands maux déclenchés par la prédation humaine (sociale et planétaire, méchante et inconsciente) —que l'on tient à nous dissimuler à travers les grands mots, oxymoriques, du système qui nous assomme. Une quintessence ou compendium à l'usage de ceux qui souhaiteraient se rattraper en la matière et dont la bibliographie citée est excellente. Il s'agit de La politique de l'oxymore, ou Comment ceux qui nous gouvernent nous masquent la réalité du monde, Les Empêcheurs de penser en rond, Éd. La Découverte, Paris 2009.



« Pour l'essentiel, ces pages ont été écrites pendant l'automne et l'hiver 2007. Je n'ai pas cru, à quelques remarques près, devoir les ajuster à l'actualité, qui s'est chargée de confirmer mes craintes », écrit l'auteur pour clore son avant-propos.

Oxymore est un terme qui provient du grec ὀξύμωρον (oxumôron), de ὀξύς (oxus) « aigu » et μωρός (môros) « sot, fou ».
Ce bouquin se divise en deux parties : la première s'intitule très spinoziennement Toute société cherche à persévérer dans son être ; la seconde, Politique de l'oxymore, décrit le phénomène mais n'en fait pas la collection à fond. Ce n'est pas son but, bien entendu. Il présente néanmoins une belle liste de contradictions de la société libérale dans la deuxième partie. Et je dois dire que cela fait longtemps qu'elle me tente, l'idée de faire un bon inventaire des oxymores des libéraux, ces grands professionnels de la langue interlope, de la fraude expressive...
Bref, pour l'instant, je me borne à recueillir ci-dessous quelques extraits, choisis à la va-vite, de La Politique de l'oxymore (les notes et les liens hypertextes sont de mon cru. Attention, ma sélection néglige, malheureusement, bien des développements les plus juteux de la démonstration de Méheust) :
— (...) nous n'avons pas encore assimilé la dimension collective nouvelle de l'éthique exigée par la crise écologique.
— (...) les forces libérées par le couplage du marché et de la technoscience semblent incompatibles à terme avec la « permanence d'une vie authentiquement humaine sur terre », selon la fameuse formule de Hans Jonas, (...) l'on ne peut pas agresser très longtemps la biosphère sans en subir les conséquences.
— (...) un univers mental cherche toujours à persévérer dans son être et ne renonce jamais de lui-même à lui-même si des forces extérieures considérables ne l'y contraignent pas.
— La mondialisation peut (...) être caractérisée comme le moyen qu'à trouvé la civilisation libérale pour répondre à la saturation locale de ses systèmes et pour différer encore et encore la saturation finale.
(...) Mais, comme nous vivons dans un monde fini, sa saturation globale est inéluctable, et plus on aura déployé d'ingéniosité pour le prolonger, plus les effets différés seront dévastateurs.
— (...) la démocratie du futur, telle qu'on la voit se dessiner, risque fort de devenir une « barbarie molle » d'un genre inédit, une barbarie froide et raisonnée, disposant de moyens de contrôle mental sans précédent.
— La démocratie telle qu'on la voit se mettre en place aujourd'hui est le système à travers lequel s'achèvera l'appropriation de la nature (et de la nature humaine) par la rationalité instrumentale.
— (...) on compte sur des découvertes nouvelles pour réparer les dégâts des technologies précédentes, (...). Ce raisonnement (...) est inacceptable moralement, et insoutenable logiquement.
— (...) le formatage auquel nous sommes soumis nous éloigne de la nature et nous rend indifférents, entre autres choses, à [la mort des rivières].
— (...) rien n'est moins spontané que la doctrine libérale.
— La mentalité consumériste façonnée par le système continuera pendant longtemps de freiner les modifications psychiques et culturelles qui seules pourraient rendre possible à long terme la mutation requise par la crise [écologique].
Le pacte implicite qui lie l'opinion au système -un confort matériel toujours accru, en échange d'un vide de sens toujours plus effrayant- ce pacte empêchera longtemps encore que l'on diminue de façon sensible la pression de confort (...).
— Comme l'a montré l'exemple de l'amiante, comme le montre celui des pesticides, comme le montreront sans doute les effets différés des téléphones portables, jamais on ne peut arrêter immédiatement une production létale, une technologie dangereuse, même si leurs dangers sont prouvés ou probables.
[Note candide - La voiture et ses effets : pollution, guerres du pétrole, saturation, morts directes, blessés... ; les médicaments...]
— La cirrhose néolibérale est incurable.
— Une société d'endettés est prisonnière du futur, elle ne peut plus prendre de risques, se battre pour ses droits, ou envisager de vivre autrement. Et c'est d'ailleurs pourquoi Sarkozy souhaite que tous les Français deviennent propriétaires de leur maison : endettés jusqu'au cou pour un demi-siècle, ils seront définitivement prisonniers du système.
[Note candide - N'oublions pas les étudiants]
— Encore un signe qui ne trompe pas : aujourd'hui, l'élite des mathématiciens ne va plus à la physique, à la cosmologie, à la recherche fondamentale, elle va à la finance, et se met au service des maîtres du monde. Platon doit se retourner dans sa tombe.
[Voir la note de ce billet-ci]
— Aujourd'hui, on assiste à une multiplication vertigineuse des normes et des règlements qui sont en train de nous étouffer comme un véritable corset. En même temps, la fonction de ces lois devient de plus en plus répressive, elles visent à prévenir et à traquer la déviance, on entre dans le Surveiller et punir prémonitoire de Michel Foucault. Ainsi, à mesure que l'activité économique et le travail sont dérégulés, la vie quotidienne est sur-régulée, sur-encadrée.
[Note candide : Russie, Genève, Égypte, Espagne, un peu partout...]
— Le « déchet moderne » (...) tend à s'évanouir : il devient invisible, (...) -mais il envahit tout l'espace physique, et sous sa forme publicitaire tout l'espace mental. « Les animaux -écrit [Michel] Serres- s'approprient certes leurs gîtes par leur saleté, mais de manière physiologique et locale. Homo s'approprie le monde physique global par ses déchets durs et [...] le monde humain global par les déchets doux. » Le « déchet dur » en question est évacué chez les pauvres, il termine sa course dans les océans, dans les déserts africains, dans les mangroves. Le « déchet doux » est psychique, il est destiné à l'humanité toute entière, ses formes les plus agressives sont tournées vers les classes inférieures, ses formes les plus élaborées sont réservées aux classes aisées et cultivées. Mais, chez les riches comme chez les pauvres, il s'insinue partout.
— En moins d'un siècle, le marché, couplé à la technologie, en instrumentalisant et en artificialisant les désirs, aura stérilisé tout ce qui donnait aux hommes le goût de vivre depuis des millénaires. (...) C'est chez des auteurs comme George Orwell, Aldous Huxley, Stanislas Lem ou Philip K. Dick que l'on trouvera des évocations prémonitoires du psychisme qui monte.
— (...) la civilisation libérale est la culture de la sortie de la culture.
— « Développement durable », « croissance négative », « marché civilisationnel », « financiarisation durable », « flexisécurité », « moralisation du capitalisme », « offre d'emploi raisonnable », « vidéoprotection », « décélération de la décroissance », « mal propre », etc. La montée des oxymores constitue un des faits marquants et révélateurs de la société contemporaine.
[Note candide : Méheust et moi, nous savons que ce répertoire serait vraiment interminable. Il faudrait même inclure le patron de l'Espagne, Saint-Jacques Occit-Maures, oxymore particulièrement affreux !!!]
— Les « cohérences antagonistes » étudiées par [Gilbert Durand] se sont mises en place spontanément à travers les âges, (...) tandis que, dans les sociétés contemporaines (...), elles sont de plus en plus souvent forgées artificiellement par des idéologues pour justifier et maintenir un ordre, avec la complicité de certains intellectuels et le relais des moyens contemporains. Loin de favoriser l'équilibre des individus et de la société, les oxymores ainsi utilisés peuvent alors favoriser la déstructuration des esprits, devenir des facteurs de pathologie et des outils de mensonge.
— Par de nombreux points essentiels, le nazisme préfigure notre modernité.
Les nazis étaient fascinés par la technologie de pointe (...). Leur eugénisme a diffusé, sous des formes banalisées, dans les pratiques médicales contemporaines. Ils ont inventé les autoroutes, les fusées, les avions à réaction, la voiture pour tous, la propagande de masse par les médias modernes, la politique spectacle, les grandes messes sportives, les voyages organisés, l'exaltation narcissique du corps, qui éclate dans les films de Leni Riefenstahl (...). Ils ont anticipé la « modernisation » de la langue, en ayant recours de façon systématique aux sigles et aux euphémismes destinés à masquer les réalités dérangeantes. Ils ont appliqué aux Juifs et aux Tziganes les méthodes de l'élevage et de l'abattage industriels qui commençaient à se développer dans le secteur agro-industriel.
Ils ont même inventé la guerre spectacle. (...)
[Note candide - Cette liste mériterait certaines nuances compte tenu de l'existence des États-Unis]
— On a remarqué que les oxymores se mettent à proliférer dans les sociétés soumises à de fortes tensions, comme le montre le cas exemplaire du régime de Vichy, un gouvernement qui se réclame de la patrie, mais qui est installé et maintenu par une armée d'occupation ; une politique de soumission, qui est présentée comme une entreprise de régéneration nationale ; un éloge de la vie champêtre, dans un régime à la solde de l'industrie lourde allemande ; enfin, et c'est sans doute le comble, une exaltation des vieilles valeurs chrétiennes, au service d'une entreprise fondamentalement antichrétienne et néopaïenne...
[Note candide - Nos très chrétiens et très libéraux notables —qui prônent donc les bienfaits de la liberté et de l'initiative individuelle— diabolisent, maltraitent et expulsent les Africains, les Roms, les pauvres...]
— [Pour notre système], Il s'agit de durer, coûte que coûte, en démultipliant les fantasmes, en faisant, en faisant des technologies du mensonge raisonné une branche importante du savoir et un secteur vital de l'économie.
— (...) la thèse de Hobbes est une prophétie autoréalisatrice : ce n'est pas au commencement que l'on assiste à la guerre de tous contre tous, mais au terme. Quand les hommes n'auront plus le choix, ils voudront le Léviathan, mais il sera trop tard.
— Un chantier titanesque attend les générations futures, un chantier tellement énorme qu'il ne peut guère être qualifié qu'à travers des expressions tirées de la mythologie. Il faudra nettoyer les écuries d'Augias. Il faudra, si c'est encore possible, décontaminer la planète, la transformer en une véritable Arche de Zoé (le terme devant être pris ici dans son sens littéral) [Note candide : en grec Ζωή, qui veut dire "vie"] pour préserver et relancer les espèces vivantes, réparer et recréer la biosphère. Pour cela, il faudra d'abord décontaminer les esprits.
— (...) il y a un hiatus fatal entre la profondeur de champ de l'économie et de la politique, et celle de la cosmologie et de la paléo-anthropologie contemporaines (...). L'homme que dévoilent la cosmologie et la paléo-anthropologie n'est pas un être fixe, mais un processus dont le développement se joue sur des centaines de milliers, voire sur des millions d'années. (...) C'est précisément au nom d'une conception élargie de l'histoire et du progrès qu'il faut refuser par tous les moyens la marchandisation du monde.

jeudi 4 septembre 2014

ARTE Cinéma

Je reproduis presque intégralement une dépêche du Monde d'aujourd'hui sur un nouveau service d'ARTE consacré au cinéma :

Une plate-forme consacrée au cinéma pour Arte
Depuis le 1er septembre, la chaîne franco-allemande Arte propose sur la Toile sa nouvelle plate-forme consacrée au cinéma, à partir de son offre TV. Accessible en streaming gratuit, Arte Cinema (disponible sur cinema.arte.tv/fr) propose aussi aux cinéphiles de retrouver les films diffusés par la chaîne sur Arte +7  (qui permet de visionner les contenus vidéo en intégralité pendant sept jours) ainsi que des courts-métrages. La plate-forme propose aussi chaque semaine une sélection de cycles de rares longs-métrages regroupés dans la section Europa Film Treasures, fruit d'un partenariat entre Arte et Lobster Films (qui détient les droits des films mis à disposition par les cinémathèques européennes). Les amateurs du 7e art pourront en outre être redirigés vers l'offre VOD payante de la chaîne grâce à un lien. Arte Cinéma est aussi un espace où les internautes pourront retrouver les magazines en ligne habituels ("Blow Up", "Les leçons de cinéma"... ), ainsi que des articles, des entretiens, des making-of et une sélection des sorties en salles réalisée en partenariat avec Allociné/ Filmstarts. Au programme cette semaine, un cycle Leos Carax (avec Holy Motors, puis Les Amants du Pont-Neuf à partir du 8 septembre), ainsi que la possibilité de revoir le téléfilm de Guillaume Nicloux L'Enlèvement de Michel Houellebecq.

mardi 2 septembre 2014

Brésil, un portrait en musique

La série Brésil, un portrait en musique, proposée du lundi 7 au vendredi 11 juillet par Continent musiques, sur France Culture, constitue une manière de découvrir un peu le Brésil à partir de sa musique et en français.
Continent musiques est une émission estivale produite par Véronique Mortaigne, Maylis Besserie, Amaury Chardeau, Jérôme Sandlarz, Florent Mazzoleni, Virginie Bloch-Lainé, Simon Rico, Elodie Maillot. Elle explore en musique les cinq continents.

Voici l'introduction au premier volet de Brésil, un portrait en musique, série que nous devons à Véronique Mortaigne :
Le Brésil accueille la Coupe du Monde de football. Le pays est pourtant mal connu en profondeur. Attrayant, joyeux, turbulent, le géant sud-américain a mis la musique au cœur de son quotidien. De Rio à Manaus, elle y est profondément aimée. Au-delà des refrains d’ascenseur et des leitmotivs carnavalesques, la musique populaire brésilienne (MPB) dit beaucoup sur la construction de cette identité brésilienne parfois opaque, une fois dépassé le stade des évidences. Samba, bossa-nova, tropicalisme rock, pop ou funk : la MPB est une suite inventive, continue, de déstructurations artistiques et  de révolutions sociales
Véronique Mortaigne, responsable des musiques actuelles au journal Le Monde, auteur d'une dizaine d'ouvrages, dont Cesaria Evora, la voix du Cap-Vert (Actes Sud), Manu Chao, nomade contemporain (Don Quichotte), a vécu plusieurs années au Brésil, et s'est attachée à décrire les aller-retour entre l'Afrique et les Amériques.

Playlist du jour :
Pais Tropical (Générique), Wilson Simonal
Refavela, Angelique Kidjo et Gilberto Gil, Bonus track de Black Ivory Soul, version brésilienne
Mulemba Xangola, Extrait de Onda Sonora Red Hot+Lisbon, Bonga, Marisa Monte, Carlinhos Brown
Sinha, Chico, Chico Buarque
Carinhoso, Yamandú Costa, BO du film Brasileirinho de Mika Kaurismaki
Peça de albene, Acerto de contas, Paulo Vanzolini, Pii
Luz Negra, Nelson Cavaquinho
BrigitteBardot, Jorge Veiga
Fado tropical, Calabar, o elogio da traiçao, Chico Buarque
Canoa Canoa, Clube da Esquina 2, Milton Nascimento
Tremzinho caipira, Danças dos escravos, Egberto Gismonti
Rio de Lágrimas, Feitiço Caboclo, Dona Onete
Aboio, Aboio e embolada do Nordeste, Trad.
Reza, Rita Lee.
Brésil, un portrait en musique (2/5)
Brésil, un portrait en musique (3/5)
Brésil, un portrait en musique (4/5)
Brésil, un portrait en musique (5/5)