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dimanche 19 mai 2019

On n'a cadoter sa biblio.web.thèque de bons dicos

Voici un peu de lexicographie. Elle va nous aider à comprendre, d'ailleurs, la variété lexicale de la 5e langue planétaire par le nombre de ses locuteurs, après le mandarin, l'anglais, le castillan et l'arabe.
Ma collègue Alicia a eu la gentillesse de nous rappeler l'existence du Journal des Idées, une émission radiophonique réalisée par son oncle Jacques Munier à Paris, sur France Culture, du lundi au vendredi, à 6h40. Merci beaucoup, chère Alicia.
Sa remarque est intervenue à la faveur de la diffusion d'une chronique qu'elle a trouvée particulièrement intéressante, celle du 16 mai, car elle portait sur la nouvelle édition du dictionnaire Le Petit Robert. Elle s'intitulait Ce que les mots nous disent :


La nouvelle édition du Petit Robert paraît aujourd’hui [16 mai]. Parmi les mots qui ont fait leur entrée dans le dictionnaire : infox, jober, et – pour ceux qui se réveillent – latte, un café nappé de mousse de lait chaud…
Jober nous vient de Belgique, il conviendra aux milléniaux – autre mot nouveau, désormais francisé – à l’heure où les embauches en CDI se raréfient et les petits jobs se multiplient. Dans sa présentation, Alain Rey évoque le mot infox, qui permet d’éviter l’américanisme fake news. « Dans infox, on entend fox », comme pour « nous méfier du renard qui nous ment ». Le lexique de la communication numérique est bien représenté parmi les entrants : scroller, de l’anglais scroll – rouleau, manuscrit – signifie « faire défiler un contenu sur un écran informatique ». N’en déplaise à ceux qui lui préfèreront le mot données, data est désormais intronisé dans le Petit Robert comme un vocable français, en version invariable ou au pluriel. Blockchain, cyberharcèlement, ou vidéoverbalisation aussi, lequel évoque un univers orwellien – nouvel entrant – pour désigner la verbalisation effectuée à l’aide de caméras de surveillance. La politique n’est pas en reste : démocrature, ou encore transpartisan – c’est d’actualité pour dépasser les clivages…
En lire/écouter plus.
Je viens donc d'écouter Ce que les mots nous disent —par ce temps de malversation de mots et de détournement de titres de presse, où l'on a vivement besoin d'émissions sur Ce que les mots nous camouflent ou sur La manière dont on nous abuse à grand renfort de mots totem : vous aurez remarqué qu'en Blablaland, les remèdes sont toujours pires que les mots ou qu'aux grands mots succèdent toujours les grandes (contre-)réformes de choc.
Quand, au milieu de sa lecture, Jacques Munier a prononcé le mot « cadeauter » (curiosité lexicale [qui] nous vient d'Afrique, dit-il), il m'a renvoyé mentalement à ce temps révolu de nos périssables existences (les années 1980) où Internet n'existait pas et qu'il fallait s'évertuer à dégoter quelques magazines étrangers dans les kiosques pour être au courant des infos internationales ainsi que de l'évolution des langues qu'on pouvait lire.
Parmi les magazines francophones que j'achetais à l'époque, il y avait, par exemple, Actuel, un mensuel très branché, très à la coule, qui publiait des articles comme celui très illustratif de Patrick Rambaud que je vous colle ci-dessous, avec des notes de mon cru comme aide à la compréhension. Petite machine à remonter le temps, il date de 1989, malgré son ras-le-bol des bras de fer :
Emoyé par la cuscute en cuissette, le vibreur trouve porte de bois. Mais il tient son bout ...

Vous avez compris ? Émoyé signifie ému au Nouveau Brunswick. À l'île Maurice, une cuscute est une personne plutôt entortilleuse. Les Suisses enfilent des cuissettes en guise de culottes de sport. Un vibreur est un Sénégalais qui sort beaucoup en boîte de nuit. Trouver porte de bois signifie pour un Belge que la porte est close. Enfin, en Louisiane[1], un homme qui tient son bout indique seulement qu'il persévère. C'est comme ça. Le français n'appartient pas seulement à la France mais aux deux cents millions de francophones qui le parlent aux quatre coins du monde. Tous inventent une langue moderne et vivante. Apprenez-la.

J'ai un mal de chien à suivre de bout en bout un journal télévisé ou à lire en entier un quotidien. En une semaine, pendant les grèves, j'ai relevé soixante-seize fois l'expression bras de fer (entre le gouvernement et les syndicats). L'expression est imagée, elle a de la gueule, mais sa répétition épuise. Il n'y a plus d'imagination dans le vocabulaire officiel. À force d'être répétés, les mots perdent leur sens et forment un discours soporifique. Bref, le français que nous subissons devient horriblement pauvre. Lorsque Mirabeau écrivait des textes licencieux, il avait à sa disposition une palette de mots sonores et concrets pour décrire par le détail l'émotion et la main au cul. C'est fini. À qui la faute ?
Il y a quinze ans, le grand écrivain Jacques Lacarrière traversait la France à pied, des Vosges aux Corbières. Ce voyage se termina en livre, Chemin faisant, qui eut un succès pour une fois très mérité. Aux étapes, dans les villages, dans les fermes, franchi l'obstacle de ces chiens hargneux que les marcheurs libres affrontent au détour d'un chemin creux, Lacarrière, philosophe nourri de grec, écoutait et lisait des brochures locales. Il a ainsi collectionné une tapée de ces mots usuels dont les dictionnaires ne rendent plus compte. Pourtant il ne s'agit pas de patois, mais d'un français enrichi par les saveurs locales. Des noms qui servent à décrire des choses quotidiennes, des noms pratiques, imagés, forts. Ils évoquent les montagnes, l'herbe, les saisons, les casseroles pendues dans la cuisine. Rien de savant là-dedans, rien d'emprunt hors frontières, juste des mots solidement plantés, avec des sonorités paysannes : bétoire[2], capitelle, fleurine, rindoul, varaigne[3]... Les haies, dans le Morvan[4], ce sont des bouchures, parce qu'elles bouchent peut-être la vue, et les passages dans ces murs de feuilles, ce sont des échalliers[5]. C'est du français que les académies oublient sottement.
En Haute-Savoie, la première fois que mon complice Burnier m'a demandé où j'avais mis la panosse, j'ai bien été obligé de prendre mine de parfait ahuri. Panosse[6], ça vient du latin pannus, qui signifie morceau d'étoffe, et cela représente simplement un chiffon propre qui sert à essuyer une table couverte de miettes. On s'y habitue vite. À Paris, quand j'ai demandé à mon boucher favori du rondin pour le pot-au-feu, il m'a demandé si j'étais savoyard. Le rondin, c'est du gîte. J'ai tendance à préférer rondin, plus proche de cette viande ronde.
Eh oui, mes bons amis, les mots ressemblent à la cuisine. Tenez: le pot-au-feu, ça n'existe pas. Rien qu'en France on en dénombre une centaine de sortes. À Toulon, c'est le revesset, on y flanque du rouget, du turbot, des épinards, des côtes de bettes. En Artois, c'est caudière, et le bouillon de boudin en Saintonge, le mourtayrol en Auvergne, la cotriade du Morbihan, le hochepot à la flamande, la potée berrichonne, la marmite albigeoise...(...)
Chez Belin, éditeur, il y a une collection intelligente, "Le français retrouvé". On y relève, au hasard du catalogue, des bouquins forcément sublimes: Les noms des villes et des villages, Les mots du vin et de l'ivresse, Les mots d'origine gourmande, Le français écorché, Les étymologies surprises. Toute une bibliothèque pour se faire plaisir. Là, sous mon nez, j'ai Les mots de la francophonie de Loïc Depecker: au Sénégal, en Algérie, à Saint-Vincent[7], à la Guadeloupe, au Vietnam, en Guyane, le français menacé reste vivace et inventif. Au Québec, on tombe en amour, au Bénin on se toilette, les Belges mal logés sont des taudisards et les demi-muets des taiseux. Au Liban, le polygame est un garde du corps...
On imagine bien que le français se modifie quand on le parle sous les tropiques ou dans les forêts du Canada. Dans les années soixante-dix, à Paris, on découvrait avec exaltation le cinéma du Québec. J'étais sorti tout ému d'une projection des Mâles de Gilles Carles. Les expressions, l'accent que nous connaissions encore mal, celui d'ailleurs de Louis XIV, du bourguignon filtré au Nouveau Monde, rajoutait une distance et de l'humour à une situation presque banale. Et puis ça a été l'invasion des films québécois, jusqu'à Denys Arcand, jusqu'au patois sous-titré[8]. Pourtant, ô savants lecteurs et joyeuses lectrices, les Canadiens français nous donnent une sacrée leçon. Plus menacés que nous par l'américain courant, qui n'est même pas de l'anglais, ils se défendent en enrichissant leur langue. Ils ne disent pas hot-dog comme nous, mais carrément chien-chaud, les flippers deviennent des machines à boule. D'autres francophones nous donnent la même leçon: en belge, une antisèche est un copion, au Cameroun la femme facile est une tu-viens, au Sénégal le sandwich est un pain-chargé, en Louisiane le chewing-gum est une chique de gomme et, au Niger, on ne bat pas un record mais on le casse. J'aime bien cette vigueur. Un traversier, c'est plus joli qu'un ferry-boat.
Les francophones, plus de cent [deux cents, j'imagine] millions parsemés dans le monde, abrègent, transforment, détournent, empruntent, améliorent. Au Canada, une expression anglaise, to talk through one's hat, devient parler à travers son chapeau : dire des bêtises. Bien sûr, quand un Suisse vous dit: « Je péclote », il y a intérêt à traduire par "je ne vais pas bien", et il faut savoir qu'au Québec une personne exceptionnelle est un handicapé[9]. Et qu'un pikafro, au Mali, est un peigne. Parfois, les sonorités vous abusent. Si un Zaïrois vous explique qu'il a zondomisé son voisin, ne poussez pas de cris affreux: le mot vient de Zondomio, un président de l'Assemblée nationale qui mourut, dit-on, empoisonné. Zondomiser, c'est éliminer un rival de façon musclée[10].
La plupart du temps on comprend sans avoir besoin de traduire. On saisit plutôt bien que des cuissettes, en Suisse, sont des shorts, et qu'un digaule, au Bénin, désigne un homme grand de taille, comme de Gaulle: « Elle est toute menue, et elle sort avec un digaule ».
Les francophones nous mitonnent une nouvelle littérature française, loin des grands débats d'école (...) Relisez les pages bariolées, volcaniques, touffues, toutes entières consacrées aux odeurs des corps, ou au goût d'une peau, du splendide Espace d'un cillement du Haïtien Jacques Stephen Alexis, ou encore les textes pétris de créole et de leitmotiv, à la manière des écrivains latino-américains de l'Antillais Baghio'o, pour vous persuader que ce français-là invente une littérature truculente et belle. (...) Dans des cafés bien parigots, j'ai entendu des Ivoiriens dire « Tu me sciences » pour tu me plais, « poudre de démarreur » pour aphrodisiaque. Un Sénégalais crie « Arrête de dallaser » pour critiquer les frimeurs (du feuilleton « Dallas »), un Zaïrois affirme que « c'est jazz » pour dire « c'est faux », et un Togolais parle de « cadeauter », devinez pour quoi...

Patrick Rambaud.
ACTUEL  Février 1989.

[1] Pour mieux connaître la réalité et les parlers cadjins, voir Mots de Louisiane et Cadjins et Créoles en Louisiane, de Patrick Griolet. Un grand pas vers le bon Dieu, roman de Jean Vautrin, en est une illustration intéressante.
[2] Aven.
[3] Ouverture par laquelle l'eau de mer entre dans un marais salant.
[4] En Bourgogne.
[5] Sorte d'échelles permettant de franchir une haie.
[6] Cf. le castillan tauromachique pañosa.
[7] La Dominique, Sainte-Lucie, La Grenade, St-Vincent : Windward Islands, des îles anglophones situées entre la Guadeloupe et Tobago; elles ont toutes accédé à l'indépendance après avoir été sous souveraineté britannique.
[8] Le mot joual est employé au Québec pour désigner globalement les traits (écarts selon les puristes) du français populaire canadien.
[9]...ou que les gosses sont les couilles...
[10] Rambaud, trouve-t-il la sodomie affreuse au point de lui préférer l'élimination musclée de quelqu'un ?
C'est donc à la fin de ce texte que je relus le verbe « cadeauter », dérivé de « cadeau », que j'avais trouvé quelques années auparavant chez Flaubert sous une autre variante graphique :
Cependant, Hussonnet, accroupi aux pieds de la Femme-Sauvage, braillait d'une voix enrouée, pour imiter l'acteur Grassot :
—Ne sois pas cruelle, ô Celuta ! cette petite fête de famille est charmante ! Enivrez-moi de voluptés, mes amours ! Folichonnons ! folichonnons !
Et il se mit à baiser les femmes sur l'épaule. Elles tressaillaient, piquées par ses moustaches ; puis il imagina de casser contre sa tête une assiette, en la heurtant d'un petit coup. D'autres l'imitèrent ; les morceaux de faïence volaient comme des ardoises par un grand vent, et la Débardeuse s'écria :
—Ne vous gênez pas ! Ça ne coûte rien ! Le bourgeois qui en fabrique nous en cadote !

Gustave Flaubert : L'Éducation sentimentale, 1869
(p. 145 de l'édition de Folio imprimée en 1979).
Dans la nouvelle édition augmentée de son Dictionnaire historique de la Langue Française (octobre 2016), Alain Rey date en 1844 le premier usage repéré de ce verbe en principe transitif :
CADEAUTER v. tr. (1844) « gratifier qqn de qqch. », d'usage rare et familier en dehors de l'Afrique où il est normal et courant pour « donner en prime, en supplément ». On trouve les variantes graphiques cadoter, cadotter chez Flaubert.
Voici les précisions du CNRTL (Centre national de Ressources textuelles et lexicales) pour son entrée cadeauter :
Cadeauter, cadot(t)er (cadoter, cadotter) (graphie de ce dernier p. plaisant.), v. trans. Synon. de gratifier* (qqn de qqc.). S'il vous plaît de m'honorer de votre compagnie, de me gratifier de votre présence, de me cadotter de votre conversation (Flaubert, Correspondance, 1844, p. 158). Lui-même, parce qu'il était beau de visage, grand et fort, avait été cadeauté par les femmes du sobriquet de Jeanin Bouquet (A. de Châteaubriant, La Brière, 1954, p. 94 dans Rheims 1969). Orth. cadotter dans Flaubert, supra ; cadoter ds Flaubert, L'Éducation sentimentale, t. 1, 1869, p. 159; cadeauter dans Flaubert, Correspondance, 1876, p. 313. 1reattest. 1844, supra ; dér. de cadeau étymol. 3, dés. -er avec consonne d'appui. Les formes en -o- par déformation plaisante. Fréq. abs. littér. : 1.
BBG. − Gohin 1903, p. 293. − Goug. Mots t. 1 1962, p. 193. − Ritter (E.). Les Quatre dict. fr. Rem. lexicogr. B. de l'Inst. nat. genevois. 1905, t. 36, p. 365. − Waringhien (G.). Géol. ling. Vie Lang. 1952, pp. 250-253.



mercredi 28 février 2018

La belle époque cubaine en Afrique, par Binetou Sylla

Binetou Sylla est directrice de Syllart Records, un label de musiques africaines et afro-latines basé à Paris, créé par Ibrahima Sylla en 1978. Elle décrypte pour Le Monde Afrique les nouvelles tendances musicales africaines et nous fait redécouvrir les artistes emblématiques du continent.
Le 23 février 2018, elle nous a proposé une playlist extrêmement intéressante. Chronique dans laquelle Binetou rend hommage à Médoune Diallo, le chanteur sénégalais et grand pilier de l'afro-salsa qui vient de nous quitter (cf. RFI) et qui s'est rendu célèbre d'abord au sein de l'Orchestre Baobab, puis dans le groupe Africando, qui nous a tant de fois émus.

La playlist de Binetou : la belle époque cubaine en Afrique




Durée : 05:13.

Dans les années 1960, la jeunesse africaine admire et s’identifie aux stars de la musique cubaine et latine, comme Celia Cruz ou l’Orchestra Aragon, avec lesquelles elle partage un patrimoine culturel, rythmique et même religieux. La révolution cubaine de Fidel Castro fait écho aux combats menés pour les indépendances africaines.
Les musiciens africains s’inspirent des rythmes cubains, ce qui permet l’émergence de nouveaux genres musicaux qui deviennent rapidement populaires. C’est à cette époque que naît la rumba congolaise et que les salseros et les orchestres sénégalais, guinéens et maliens connaissent le succès. Retour en images sur « la belle époque cubaine » en Afrique.
Retrouvez sur Spotify les 20 titres de l’année qui évoquent cette révolution, sélectionnés par Binetou Sylla.


lundi 4 décembre 2017

Macron, Mbembé, Sarr et Tsimi

Le premier et récent voyage éclair en Afrique (quelque trois jours au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Ghana) du président français Emmanuel Macron comporta, juste avant son discours à Ouagadougou (Burkina Faso), une réaction écrite co-signée par Achille Mbembé (historien et philosophe politique camerounais, auteur de Critique de la raison nègre) et Felwine Sarr (économiste et musicien sénégalais), publiée par Le Monde le 27 novembre.
Cet appel entraîna, à son tour, le lendemain, l'acide réponse de Charles Tsimi (de race curieuse, athée de conviction, diplômé en Sciences Politiques) sur son blog hébergé par Mediapart.
J'ai le plaisir de vous copier-coller les deux textes en question afin que vous puissiez peser et penser ce contraste...

« Africains, il n’y a rien à attendre de la France que nous ne puissions nous offrir à nous-mêmes ! »

Avant le discours du président Macron à Ouagadougou, les philosophes Achille Mbembé et Felwine Sarr estiment que la France reste un problème pour le continent.

Tout d'abord, lecteurs de Mediapart, il faut savoir qu'il y a le Monde et le Tiers-Monde. Il y a l'ONU et  la Communauté internationale. Il y a lemonde.fr et lemonde.fr/afrique. A ne pas confondre. Certes, il s'agit du même groupe, mais comme indiqué, ce n'est pas le même monde, enfin si, mais disons qu'ils ont jugé là-bas, que l'Afrique avait besoin d'un peu d'intimité. Ou alors, c'est simplement qu'il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes. L'un est effectivement destiné au Monde, on y parle de Trump, du CETA, des Rohingyas, de l'Union Européenne, du Qatar, de Daesh, des choses sérieuses quoi! et l'autre est destiné à l'Afrique. Unique continent qui bénéficie, de la part du grand groupe de presse, de cette attention délicate. 
Les mauvais esprits croiront qu'il s'agit d'un apartheid,  ou tout au moins, d'une discrimination POSITIVE. Personnellement, je crois que le Monde est un journal qui aime l'Afrique. C'est de notoriété publique. La Francophonie c'est sacré! Et quand on aime, on le prouve. C'est fait. 
Sur lemonde.fr/afrique donc, la parole est régulièrement donnée à certains intellectuels "africains", lesquels s'amusent  à parler, à penser au nom des "africains", pour les "africains" aux officiels du Monde, de l'Occident. Parmi ces intellectuels, figurent deux noms désormais célèbres, deux pourvoyeurs attitrés de la "pensée africaine", deux diseurs de ce qu'il faut faire, deux prescripteurs, deux censeurs, deux archevêques, deux think-thankers, deux compagnons: l'historien camerounais Achille Mbembe et l'économiste sénégalais Felwine Sarr. Ils dirigent  l'un et l'autre Les Ateliers de la pensée de Dakar, une sorte de kermesse intellectuelle qui réunit les Afro-consort éparpillés dans le monde.

Felwine Sarr et Achille Mbembe: les doux panseurs 
Ils ont donc publié, à l'occasion de la visite du président Emmanuel Macron en Afrique, une tribune: Africains, il n’y a rien à attendre de la France que nous ne puissions nous offrir à nous-mêmes !  sur le site lemonde.fr/Afrique. Bien! 
Vu les auteurs, en vérité, j'aurais pu ne pas lire l'article. Mais, comme j'ai été apostrophé par un vocable des plus insignifiants :"Africains,"....il me fallait, au moins par curiosité imbécile, lire la suite : "il n’y a rien à attendre de la France que nous ne puissions nous offrir à nous-mêmes ! ".  Leur histoire a commencé très mal, très très mal, me suis-je dit. Qui attend quoi de la France? Les africains ? Qu'est-ce cette manière d’infantiliser, d'essentialiser des millions de Femmes, d'Hommes ? Ma pauvre mère, retraitée, ne connait pas ces deux messieurs, et elle  n'attend et n'a jamais rien attendu de la France, et des gens comme elles sont légions en Afrique, alors un peu de considération chers messieurs, pour ces anonymes légions qui ne vous ont pas sonnés. La fin de ce début de titre catastrophique : "...que nous ne puissions nous offrir à nous-mêmes!". Bref.... le titre de l'article m'a paru, très vite abscons et con, hélas, j'ai quand même décidé de poursuivre ma lecture. 
J'ai lu la tribune, sans émotion particulière, sans interrogation subite....je m'ennuyais presque. A un moment donné, des mots, des bouts de phrases, quelques arguments ont commencé à m'agacer terriblement. Je ne comprenais pas comment deux têtes aussi illustres pouvaient se complaire dans une pensée aussi molle, futile, et s'octroyer le beau rôle de m'interpeller moi, africain, de la "nouvelle génération". 
Ne pouvant  commenter tout l'article, car je le fais à titre gratuit, je vais juste m'attaquer à quelques arguments, bouts de phrases, paragraphes, éminemment ridicules de nos deux panseurs africains.  Que disent-ils: 
-  "Dans la poursuite de ses intérêts en Afrique, la France a, depuis l’époque coloniale, clairement choisi ses alliés locaux. En règle générale, il s’agit non pas des peuples eux-mêmes ou encore des sociétés civiles, mais de potentats souvent cruels et sanguinaires. Entourés d’une caste servile déterminée à se reproduire indéfiniment au pouvoir, il s’agit, dans la plupart des cas, de tyrans disposés à traiter les leurs comme des captifs de guerre"
L'Histoire n'est pas avare de potentats cruels et sanguinaires, de véritables tyrans. ça ne sert à rien d'affubler l'Afrique de mots extravagants, alors que celle-ci souffre déjà, simplement, pour ce qu'elle est. Des dirigeants qu'on peut faire et défaire depuis l'étranger, des dirigeants que de petites associations étrangères peuvent poursuivre en justice, des dirigeants dont on peut bloquer des comptes et saisir quelques biens à l'étranger, des dirigeants soumis aux "droits de l'homme" et à la "démocratie", des dirigeants qui ont peur de leur population ...hé bien, pour moi, c'est autre chose que des potentats (souverain absolu d'un grand Etat)
Il n'existe pas de potentats en Afrique (peut-être le Roi du Maroc, et encore!). Pourquoi utiliser donc ce mot qui ne rend compte de rien? Dans l'optique de bien se faire voir. Et cruels? La cruauté des dirigeants africains est surtout une cruauté de médiocrité, d'impuissance, de cupidité. Ils ne sont pas cruels au sens des grands massacres qui jonchent l'Histoire... l'Afrique compte les dirigeants les moins criminels de toute l'Histoire de l'humanité. Ils sont ceux qui ont le moins massacré leurs peuples, et les peuples étrangers. Ce qui ne veut pas dire qu'ils sont les plus vertueux, ni que cela constitue un mérite particulier. C'est simplement un fait qui peut se comprendre trop aisément:  moins criminels, car  moins puissants, moins conquérants. Si les conditions  étaient réunies, ils auraient été, sans nul doute, aussi cruels que Caligula, Bismarck, Napoléon, Léopold II, Ferry, Pol-Pot, De Gaulle, Bush, Sarkozy... je passe sur le cas d'Hitler et de Staline. Sanguinaires? Là aussi, on peut faire le décompte, et on verra qu'en litre de sang versé, les dirigeants africains sont de petits joueurs. Véritables tyrans? Archi faux! Ce sont surtout de médiocres tyrans. Là encore, on peut convoquer l'Histoire... Et la tyrannie, c'est autre chose que vivre au Cameroun, au Zimbabwe, en Angola. Je ne le dis pas parce que je suis défenseur d'un quelconque régime famélique en Afrique, bien au contraire, soucieux de bien nommer le mal qui mine ces pays, je refuse d'utiliser des mots qui se baladent d'une bouche à l'autre, sans qu'on ne cherche à comprendre ce qui se cache derrière, et pourquoi on l'utilise. 
- "L’un des procès les plus significatifs intentés contre la France par les nouvelles générations d’Africains est d’avoir lié son sort à celui de classes dirigeantes ..." 
 Qu'est ce que ce charabia? nouvelles générations d’Africains, une réalité trop imprécise et trop confuse. Cela dit, 41% de la population en Afrique a moins de 15 ans, et les jeunes de moins de 25 ans représentent 65% de la population. Ces jeunes sont très peu politisés, ils sont surtout confrontés aux problèmes d’accès à l’éducation, d’emploi et de soins de santé. Où est ce que nos deux panseurs ont vu "ces nouvelles générations qui intentent des procès significatifs à la "France"?  Ne confond-on pas ici les jeunes issus de l'immigration vivant à l'étranger,  et la "jeunesse africaine"? Il y a une différence spectaculaire entre la jeunesse urbaine de Douala (ou de Malabo, Abidjan...) et son rapport à la politique et la jeunesse africaine vivant à l'étranger. Tout comme il y a une différence entre la jeunesse urbaine de Douala et la jeunesse rurale de Mbandjock, au Cameroun. La jeunesse urbaine d'Abidjan et la jeunesse rurale de Côte d'Ivoire. Et les jeunes ruraux viennent, de plus en plus, dans les villes, non pour se liguer contre les pouvoirs en place ou contre la France, mais pour vivre plus confortablement. Ils échappent, à l'heure d'internet, à l'ennui des villages et regagnent nos étroites capitales, des pétaudières, pour se connecter avec le "monde". 
-"Ne pas se tromper de diagnostic signifie aussi ne point faire de la France le bouc émissaire de tant de malheurs que nous aurions pu éviter, mais que, plus que de coutume, nous nous auto-infligeons."  
C'est Achille Mbembe et Felwine Sarr qui font semblant de croire qu'il y a assez de gens stupides pour se tromper de diagnostic. Et qu'il faudrait leur bonne parole à eux, pour nous guider vers le droit chemin. Aucun parti politique en Afrique ne prospère sur la base d'un anti impérialisme. Contrairement en France, où on voit des hommes politiques jouer avec la corde de l’immigration par exemple, pour des raisons "démocratiques". Il n'y a pas une opinion dominante, en Afrique en tout cas, qui fait de la France un quelconque bouc-émissaire...Dans les marchés, les lieux populaires, les gens ne se mettent pas du matin au soir, sous le soleil, pour raconter que c'est à cause de la France qu'ils sont ce qu'ils sont. Dans les bars, ça ne cause pas esclavage, colonisation...
Au Cameroun, pays africain je rappelle, il y a quelques années, un activiste très anti français, André Blaise Essama vandalisait quelques sites qui portaient la trace de la présence française à l'époque coloniale. Ce dernier, aux yeux de l'opinion, avait plus l'air d'un fou que d'un activiste. Il n'était suivi, acclamé par personne. C'était une espèce de Kemi Séba, mais en plus authentique, qui n'intéressait personne... même pas mes camarades d'alors, en faculté de Sciences Juridiques et Politiques de Yaoundé II. Même pas par l'UPC, ce parti nationaliste qui a combattu les envahisseurs. 
- "Mais, par-dessus tout, les nouvelles générations ont pris conscience que les rapports franco-africains postcoloniaux reposent sur très peu de valeurs que la France et l’Afrique auraient en partage. Dans un contexte de tarissement des rentes de la circulation, cette vacuité morale et le défaut de légitimité qui s’ensuit expliquent, plus qu’on ne l’a laissé entendre, le recul de l’influence française en Afrique." 
Encore leur vague truc de "nouvelles générations". Et pour le reste, je ne comprends rien. 
- "Plus que leurs aînés, les jeunes Africains savent que la survie de l’Afrique ne dépend pas de la France, tout comme la survie de la France ne devrait guère dépendre de l’Afrique. Elles ont compris que le fait d’avoir eu, à un moment donné, un passé en commun ne nous condamne pas à envisager un futur ensemble, surtout si ce futur doit se construire à notre détriment.

Sur quoi repose de telles affirmations? Leurs aînés, c'est à dire Quelle génération? Les "nouvelles générations", celles qui représentent plus de la moitié du continent sont surtout à éduquer, à soigner. Depuis leurs écrans de télévision, leurs smartphones pour ceux qui en ont, leur ordinateur, la France veut surtout dire le bien-être. Ils constatent les conditions matérielles d'existence qui diffèrent.  Ces "nouvelles générations" contrairement à ce que prétendent nos deux prescripteurs, n'ont pas davantage compris ce qu'ils appellent passé en commun et futur ensemble, faute d'intellectuels présents avec eux. 
- "Emmanuel Macron est arrivé au pouvoir à un moment où le processus de décolonisation de l’imaginaire africain est en phase d’accélération...."

Quels doux rêveurs! Quelle bêtise!  Le désir d'occident (voir Alain Badiou)  n'a jamais été aussi violent en Afrique et dans le monde. Partout les gens aspirent à vivre comme en Occident.  Et ce désir d'Occident est la preuve que s'il y a bel et bien un lieu qui est loin d'être en pleine décolonisation, c'est l'imaginaire.  Partout en Afrique on aspire à la "DEMOCRATIE" (notez les guillemets), une fascination extrêmement béate des élections de Macron ou de Trump. Là encore, c'est la preuve  que le processus de décolonisation de l'imaginaire est loin d'avoir commencé. Si nos deux faiseurs de tribune étaient assez dans le réel, ils se rendraient compte que l'élection française passionne en Afrique subsaharienne, plus que n'importe quel autre élection locale. 
N'appelle t-on pas déjà, au Cameroun, un candidat aux prochaines élections présidentielles en 2018, le Macron camerounais?  N'a t-on pas vu la jeune diaspora gabonaise supplier l'ultra démocrate François Hollande, pour qu'il aille chasser  Ali Bongo du pouvoir?  Il n'y a pas de processus de décolonisation de l'imaginaire entamé, c'est l'inverse, en sa phase d’accélération. 
- "Les structures fondamentales de cette décolonisation se donnent le mieux à voir dans la production artistique et esthétique et dans le renouveau de la pensée critique" 
N'importe quoi! Production artistique? Intéressons-nous donc à cette production. Prenons la musique urbaine. Au Nigéria, au Cameroun, et en Côte d'Ivoire....elle n'est rien d'autres que la reproduction tiers-mondisée de ce qui se passe aux USA. Il suffit de regarder les clips. Les techniques utilisées. L'habillement. On parle Cinéma? Théâtre? Arts vivants? Littérature? Achille Mbembe et bien d'autres écrivains noirs, si ils sont connus et jouissent d'une réputation en Afrique, c'est grâce à la France ou disons à l'Occident. La majeur partie des
grands intellectuels et des
grands écrivains africains re-connus en Afrique le sont parce qu'ils ont été proclamés comme tel depuis les instances européennes. Il n'y a pas d'écrivains publiés au Cameroun dont la popularité dépasse le seul cadre de sa famille ou de son village. J'exclus les quelques oeuvres au programme scolaire. 
Quant au renouveau de la pensée critique, franchement, quelle imposture! Là encore, je demande à nos deux savants de faire le tour des universités en Afrique subsaharienne, de regarder le niveau de la recherche...et de nous dire s'il y a de quoi bomber le torse. Renouveau ? mais où? Quelles sont donc les revues scientifiques africaines qui bousculent le monde du savoir? 
- "Les arts du XXIe siècle seront africains" 
Tel est le titre d'un de leurs paragraphes. Alors qu'ils énoncent des conneries, rappelons à nos tranquilles intellectuels que, pendant que l'on vendait des migrants à 400 euros la pièce, en plein XXIe siècle, un tableau de la Renaissance, Salvator Mundi de Léonard De Vinci, s'est vendu à 450 millions de dollars à New York. 
Que dire par ailleurs de la production artistique et de la création esthétique ? Puisque les arts du XXIe siècle seront africains, comment ne pas s’en servir pour faire éclore , ensemble, de nouvelles virtualités ? 
On ne sait pas toujours, pourquoi et à partir de quoi ces messieurs déclarent que les arts du XXIe siècle seront africains...les chinois ne sont pas créatifs j'imagine, et les argentins des bons à rien, et les iraniens trop nuclérairés pour briller dans l'art, et les turcs pas assez démocrates pour inventer.... D'où ça leur sort que l'Afrique serait au XXIe siècle le continent par excellence de l'art?  "comment ne pas s’en servir pour faire éclore , ensemble, de nouvelles virtualités ?"...Se servir de quoi exactement? ce qui n'existe pas encore? Quelles virtualités? bref....pathétique! 
- "La réinvention des rapports entre la France et l’Afrique n’a de sens que si ces rapports contribuent à une nouvelle imagination du monde et de la planète. La grande question philosophique, esthétique et culturelle, mais aussi politique et économique du siècle en cours est celle de la mutualité, de la mobilité et de la circulation." 
Tout porte à croire qu'avec les Etats-Unis, avec la Chine, le Japon, l'Inde, la Russie...l'Afrique a d'excellents rapports. Ne reste plus que la France.  En outre, cette histoire de nouvelle imagination du monde et de la planète est assez risible. On est dans un monde capitaliste. Qu'ils continuent d'imaginer.... Et puis, la réinvention, ça tombe du ciel? ou alors, sont-ils vraiment convaincus qu'à la suite des élections libres et transparentes en Afrique, ils auront ce "nouveau monde et cette nouvelle planète"?  N'est-ce pas d'une naïveté proche de l'ignorance?  
Ils disent, ils osent dire: La grande question philosophique, esthétique et culturelle, mais aussi politique et économique du siècle en cours est celle de la mutualité, de la mobilité et de la circulation. Alors qu'on sait depuis peu que Le patrimoine cumulé des 1 % les plus riches du monde a dépassé l’an dernier celui des 99 % restants.  Alors qu'on vit tous les jours l'expérience d'un monde cruellement injuste et inégalitaire, alors que l'Afrique piétine et reste le théâtre d'affrontements étrangers, alors que des populations entières vivent de l'aide humanitaire, nos deux Africains déclarent que LA GRANDE QUESTION PHILOSOPHIQUE...est celle de la mutualité. La mobilité. La circulation. LA GRANDE QUESTION ESTHÉTIQUE... POLITIQUE... LA GRANDE QUESTION ECONOMIQUE... CULTURELLE.  Quelle médiocrité! 
Mutualité. Mobilité. Circulation ne sont pas de grandes questions.....Elles n'ont strictement rien de politique. Et d'ailleurs, ce monde-ci est déjà mutuel, mobile et circulaire. A moins donc, de vouloir, aller plus ou moins loin, se poser la question de la mutualité, la mobilité, la circulation est sans intérêt. 
- "Réinventer la relation avec l’ex-puissance coloniale exige de remplacer le colonialisme par de nouveaux rapports de mutualité, de réciprocité et d’égalité." Qui réinvente? Les Etats? a t-on déjà vu les Etats réinventer quoi que ce soit si ce n'est leurs intérêts nationaux? Alors balancer comme réinventer la relation ...n'a pas de sens. Cette réinvention n'aura pas lieu. Parce que l'Histoire politique est une histoire de rapports de force, de luttes, de conquêtes. Ce n'est pas deux démocrates qui vont aller se mettre à table et  convenir, parce que ayant lu Mbembe et Felwine, que le colonialisme c'est pas bon, place donc à l'égalité, à la réciprocité. 
- "Au-delà des jeux de puissance, la seule discussion d’avenir avec la France, le seul débat philosophique digne d’intérêt avec ce pays qui a significativement contribué à la vie de l’esprit, c’est celui-là : comment assurer la durabilité de ce monde, le seul que nous avons en partage." 
Ces deux naïfs parlent comme si l'Afrique était un pays. Ils font comme si l'avènement d'une unité politique du continent était une affaire de claquement de doigts. Ils affirment arrogamment: "la seule discussion d’avenir avec la France, le seul débat philosophique digne d’intérêt avec ce pays qui a significativement contribué à la vie de l’esprit, c’est celui-là : comment assurer la durabilité de ce monde, le seul que nous avons en partage". C'est donc ça? Assurer la durabilité de ce monde...Le monde est très bien comme il est. Il faut simplement "assurer" qu'il dure toujours comme il est. 
L'historien et l'économiste veulent une chose et son contraire. Ils veulent imaginer un nouveau monde, et en même temps ils veulent "assurer" à "ce monde" une durabilité. A quoi renvoie "ce monde" si ce n'est le monde capitaliste régit par les intérêts, l'exploitation, les guerres? Ou alors, ils sont en train de nous dire que la seule discussion qui vaut le coup avec la France est celle de l'écologie? C'est du n'importe quoi. Après nous avoir posé leur GRANDE QUESTION PHILOSOPHIQUE de l'année, ils nous imposent la SEULE DISCUSSION d'AVENIR: durabilité. Pendant ce temps, 100 congolais peuvent mourir dans le silence complet de la communauté internationale et quand un français meurt, c'est l'humanité entière qui pleure. 
Comment peuvent-ils, au vu des conditions d'existence des millions d'Africains, dire que la seule discussion possible est "d'assurer". Et pourquoi se limitent-ils à la France? On croyait pourtant qu'ils étaient fraîchement et impeccablement décolonisés. 
- "Cette durabilité exige la redistribution la plus équitable possible du droit universel à la mobilité et à la circulation". 
J'avoue, en lisant ceci, j'ai éprouvé un peu de la colère. De mépris.  Est-ce pour ça que ces messieurs ont interpellé les Africains? Un monde juste repose t-il d'abord et fondamentalement sur la mobilité et la circulation? Qu'est ce que cette histoire de mobilité et de circulation dans ce qui se passe actuellement au Soudan, en Somalie, en Érythrée, au Somaliland, au Swaziland?  Ignore t-on sur quoi repose le privilège de ceux qui, aujourd'hui peuvent tranquillement circuler dans la surface du globe?   Va t-on dans un monde aussi horriblement gouverné par l'argent commencer à réfléchir sagement sur le droit universel à la mobilité, à la circulation, et donc à se porter soi même en esclavage, pour ceux qui n'ont rien et qui croiront aller trouver ailleurs quelque chose. 
- "Cette politique de la circulation planétaire, il nous revient d’en imaginer les fondements éthiques, à l’heure où le rêve d’apartheid semble s’être à nouveau emparé du monde." 
Pur charabia. Quelle pensée maigrichonne! Lorsque Marx demandait aux prolétaires de tous les pays de s'unir, il n'exigeait pas au préalable un droit universel de la circulation. Il existe déjà un droit universel à la santé, à l'éducation....et pourtant! Alors un droit universel de la circulation, c'est aussi imbécile que la fermeture des frontières. Car, dans un cas, comme dans l'autre, l'Homme circule... depuis ses origines. Et il y a une circulation qui doit nous interpeller, celle des migrants. Et ce qu'elle révèle, ce n'est pas tant qu'il nous faut un droit d'aller et venir, c'est surtout que le monde se résume un peu à l'Occident. Qu'un blanc c'est pas tout à fait un noir... Qu'un riche c'est pas tout à fait comme un pauvre... Qu'un anglais c'est pas comme un nigérian. 
La question de l'égalité est la question de l'Humanité par excellence. Il faut travailler à son avènement, de façon explicite et déterminée, ou sinon on travaille contre-elle, comme nos deux pauvres savants.

jeudi 24 octobre 2013

Notre résistance (grève du 24 octobre 2013) et le Rwanda



Journée d'appel à la grève générale à tous les niveaux du système éducatif espagnol. Et ce ne sont pas les raisons qui manquent. J'en profite pour recommander un nouvel ouvrage sur le génocide rwandais. Après les bouquins de Colette Braekman, Radouane Bouhlal / Kalisa Placide et autres Jean Hatzfeld sur la tragédie rwandaise, c'est au tour de Renaud Duterme de publier Rwanda. Une histoire volée. Dette et génocide, Éd. Tribord, coll. « Flibuste », Mons (Belgique), 2013, 110 pages.


Renaud Duterme, né en 1986, est agrégé en Sciences du Développement de l'Université Libre de Bruxelles et enseigne la géographie dans un lycée. Il collabore avec l'admirable Comité pour l'annulation de la dette du Tiers Monde (CADTM).
L'introduction de son essai étant suffisamment éloquente, je me permets de vous la relayer dans son intégralité :
L'idée de ce livre découle d'un double sentiment, faisant suite dès ma "découverte" du génocide et éprouvé aujourd'hui encore. L'incompréhension tout d'abord, quant à l'horreur dans sa plus effroyable expression ; l'indignation ensuite, de par les causes et les diverses complicités internationales ayant permis cette tragédie.
Car si le génocide de 1994 est souvent présenté comme un évènement interne au Rwanda, il ne peut se comprendre qu'au sein d'un contexte géopolitique international, miné par de nombreuses ingérences étrangères.
Instrumentalisation des ethnies par le pouvoir colonial, soutien à la dictature d'Habyarimana, politiques néolibérales et antisociales, commerce des armes, complicité dans le génocide, ponctions dans le budget national par le biais de la dette sont quelques unes des responsabilités de puissances étrangères dans l'effondrement de la société rwandaise de 1994.
Ce livre se propose donc de (re)visiter l'histoire contemporaine du Rwanda, sous l'angle des ingérences étrangères. Cette histoire, volée à la population rwandaise, constitue un triste cas d'école pour qui veut comprendre les difficultés que traversent nombre de pays du tiers monde, causées par les politiques impérialistes.
En outre, loin d'avoir disparu, ces influences néocoloniales perdurent et jouent encore un rôle essentiel dans les difficultés que connaît le Rwanda, ainsi que la région des grands lacs, d'aujourd'hui. Un panorama de la situation politique et socio-économique du pays ponctue ainsi ce livre, toujours replacé dans un contexte mondialisé.
Et en quoi tout cela pourrait bien nous regarder ? À part le vieil et incontournable adagio de Térence nihil a me alienum puto, tout cela nous concerne beaucoup plus que d'aucuns ne le pensent.
Je me suis permis de piller quelques extraits du texte de Duterme (qu'il veuille bien me le pardonner, mais je les accapare et les détourne au profit de tous) dans le but d'illustrer des vérités autrement plus générales ; voici le résultat de cette appropriation destinée à nous faire réfléchir à notre condition dans cette journée de résistance (pourquoi pas toutes... ?) :

La Finance internationale gouverne la planète de manière indirecte, c'est-à-dire par l'intermédiaire de chefs locaux plus déWERTgondés les uns que les autres, ce qui lui permet d'établir une administration coloniale dévouée à moindre coût et un tant soit peu dissimulée. Le Capital s'allie toujours aux classes dominantes indigènes (qui risquent d'être considérées comme "nos fils de pute" par les vrais seigneurs) —quoiqu'il soit de bon ton de laisser croire qu'un "ascenseur social" existe.
D'ailleurs, ce sont ces autorités proconsulaires qui portent à chaque fois le poids du mécontentement populaire que provoquent les contraintes de la déprédation de la Finance inassouvissable. Les portes giratoires facilitent leur recyclage ainsi que la rémunération des services rendus à la Chimère de l'Argent.
Quant aux braves gens, il suffit de les diviser pour mieux se sucrer sur leur dos. Le pouvoir narratif des Grands Média en place détourne l'attention des différences qui existent réellement entre les classes et les groupes sociaux et de tout ce qui a un caractère politique, la primauté revenant à des considérations techniques élitistes.


Bonne grève.
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Quelques liens en rapport avec la RDC, le Rwanda et le Burundi :

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Mise à jour du 25/10/2013 :

Un reportage en français sur la journée de grève, avec photos et vidéos à l'appui.

Mise à jour du 27/10/2013 :

Entretien en castillan avec Camilla Croso, brésilienne, Présidente de la Campagne mondiale pour l’éducation (CME) et coordinatrice de la Campagne latino-américaine pour le droit à l'éducation (CLADE).

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Mise à jour du 8/05/2024 :


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dimanche 13 janvier 2013

Caducité délibérée et d'autres gaspillages et destructions

Tous nos produits sont adultérés pour en faciliter l'écoulement et en
abréger l'existence. Notre époque sera appelée l'âge de la falsification (...).
Paul Lafargue : Le Droit à la paresse, ch. III, 1881.


Longue époque, cher Paul...
Les Amis de la Terre est une association de protection de l’Homme et de l’environnement, créée en 1970, qui mène des campagnes sur les changements climatiques, la protection des forêts tropicales, la responsabilité des acteurs financiers et des entreprises, l’agriculture et les OGM.

Les Amis de la Terre ont publié en décembre 2012 un rapport pour dénoncer l'Obsolescence programmée des produits de haute technologie, c'est-à-dire, leur caducité préméditée, leur désuétude planifiée. Ou Comment les marques limitent la durée de vie de nos biens. Ce rapport est disponible en pdf sur le lien précédent. On y apprend, par exemple, qu'environ 100 000 tonnes de déchets électriques et électroniques "sont dus à l'absence de chargeur universel".

Production, consommation et fin de vie des objets "high-tech", "vite achetés, vite jetés", sont décortiquées par Les Amis de la Terre dans un portail ad-hoc intitulé Les dessous de la HighTech où vous trouverez données, explications, vidéos et liens pour en savoir plus :


Métaux
Métaux

Destructions
Destructions

Travailleurs
Travailleurs

Surconsommation
Surconsommation

Innovation

Obsolescence
Obsolescence

Incinération
Incinération

Exportation
Exportation

Stockage
Stockage

LIMITONS LA CASSE
EntretienEntretien2ème vie2e vie



Source : Les dessous de la HighTech, par Les Amis de la Terre

Donc, en vue de doper les ventes, la durée de vie des appareils des technologies de pointe tend à se réduire : "les producteurs de produits high-tech ont (...) développé différentes stratégies pour réduire techniquement la durée d'usage de leurs appareils", souvent difficilement réparables ou rapidement obsolètes pour des raisons logicielles. Ainsi "Apple a été le premier à mettre sur le marché un produit avec une batterie intégrée". Les Étasuniens "se sont sentis trompés car leur iPod avait une durée de vie limitée à celle de sa batterie, c'est-à-dire 18 mois". Où le mot usure exhibe impudiquement son double sens...
Voyons, usure provoquée ? dégradation volontairement accélérée ? Rappelons que les dictionnaires associent la détérioration volontaire d'édifices ou monuments publics ou des objets d'utilité publique au vandalisme, tout simplement. Donc, toute dégradation programmée industriellement serait une manière de vandalisme à l'échelle industrielle --doublé, comme on va voir, d'un vandalisme humain et écologique de première importance.
En effet, la surconsommation rend idiot (il y a beaucoup de "consommateurs" qui pensent qu'ils n'ont pas payé leur portable) et entraîne énormément d'exploitation humaine et de destruction environnementale.
Côté humain, la dégradation est évidente, surtout dans les pays où les protections légales sont plus faibles pour les travailleurs : cadences infernales, heures supplémentaires non payées, humiliations, salaires ridicules..., suicides. En outre, la forte demande de coltan a par exemple financé pendant des années une guerre en République démocratique du Congo. Et l'exploitation du lithium, dont l'extraction comporte d'autres dégâts pour le milieu naturel, est une horreur pour les populations locales concernées en Argentine, au Chili ou en Bolivie, car elle se traduit souvent par un conflit autour de l'usage de l'eau dans des régions qui sont déjà très arides.
Quant à l'aspect purement écologique, les émissions de CO2 liées au cycle de vie de ces nouveaux gadgets, toujours plus nombreux et plus utilisés, sont globalement en hausse. En France, verbi gratia, "la consommation énergétique des produits high-tech est évaluée à 13,5 % du total de la consommation électrique, soit 5 % des émissions de gaz à effet de serre. La demande d'énergie de ces produits en raison de l'augmentation du nombre de produits (smartphones, tablettes, ordinateurs) et de l'usage plus intensif qu'il en est fait ne cesse d'augmenter, cette croissance est de l'ordre de 5 à 10 % par an". Sans compter les risques relatifs à l'exposition humaine et animale aux champs électromagnétiques émis par nos équipements et nos multiples installations.
En matière de substances dangereuses, Jeff Gearhart, directeur de recherches à l’Ecology Center, affirme que « chaque téléphone testé contient au moins un de ces produits toxiques dangereux : plomb, brome, chlore, mercure et cadmium ».
En plus, le recyclage de ces appareils a commencé très tard et son taux est encore trop bas : figurez-vous qu'en 2009, il n’était que de 10 % pour les téléphones portables. En même temps, l'exportation illégale de déchets technologiques se poursuit, notamment vers l’Afrique de l’Ouest et l’Asie.
Le rapport des Amis de la Terre se termine par une conclusion...
Au final, les innovations sont uniquement orientées vers la vente de nouveaux produits et non vers l'allongement de la durée de vie et la gestion de la fin de vie des produits. La concurrence entre les différents acteurs de la high-tech ne peut justifier un tel choix dans un contexte où les ressources s’épuisent et le renouvellement fréquent de nos appareils impliquent davantage d’impacts négatifs.
...et des recommandations :
Aux pouvoirs publics :
  • Adopter une loi contre l'obsolescence programmée
    1. créant un délit d’obsolescence programmée pour que le consommateur puisse se retourner contre les pratiques abusives de certaines entreprises ; 
    2. allongeant la durée de garantie de 2 à 10 ans pour inciter les producteurs à produire durable et les consommateurs à faire réparer leurs produits ;
    3. donnant des informations substantielles du consommateur quant aux possibilités de réparation (durée de disponibilité des pièces détachées, informations sur le caractère réparable des produits, etc.).
  • Mesurer l’utilisation des ressources nécessaires à la production et adopter des objectifs de réduction
Aux entreprises :
  • Mettre sur le marché des produits réparables et durables.
  • Etendre la durée de garantie contractuelle.
  • Publier la liste des matières premières, notamment des métaux dans les produits, et leur origine.
Aux citoyens :
  • Faire pression sur les députés et sénateurs (en France via le site dessousdelahightech)
  • Allonger la durée de vie de ses produits pour réduire l’impact de vos consommations 
  • Prendre connaissances des impacts environnementaux de ses produits high-tech en allant sur les sites www.produitspourlavie.org et www.dessousdelahightech.org
Une trublione très consciente de ce genre de problèmes les aborde régulièrement dans un blog qui pourrait bien vous intéresser. Son dernier post porte, par exemple, sur notre incroyable gaspillage alimentaire. À cet égard, comme le rappellent presque tous les média francophones —en relayant une dépêche d'agence du 11 janvier—, les êtres humains disposent chaque année de 4 milliards de tonnes de nourriture mais, selon une étude de l'Institut du génie civil basé à Londres, "sur ces quatre milliards, 1,2 à deux milliards ne seront jamais consommés, soit près de la moitié. Les causes de ce gaspillage : des récoltes mal faites, des problèmes dans le stockage et le transport et l'irresponsabilité des distributeurs et des consommateurs".

La connaissance, est-elle inutile ? Pensons sérieusement aux retombées de nos choix ou ça va barder vraiment sur la planète. Bien entendu, il nous faudra un double effort, collectif —et cela concerne les règles du jeu— et individuel.