dimanche 22 janvier 2017

Lettre de Cédric Herrou au procureur de Nice

Le 8 janvier s'est constitué un Comité de soutien aux citoyens solidaires des Alpes-Maritimes. Pourquoi ? Laissons-les s'expliquer :
Le Comité de Soutien aux Citoyens Solidaires des Alpes-Maritimes s’est constitué en réponse à l’interpellation et aux poursuites judiciaires de citoyens ayant porté secours de manière désintéressée à des personnes en difficulté.
La condamnation des actes de solidarités citoyens se généralise en France et en Europe, particulièrement dans le cas de personnes de nationalités étrangères. Cela a été le cas dans la région de Calais et depuis plusieurs mois dans notre département, particulièrement dans la vallée de la Roya.
Les contrôles policiers et militaires mis en place dans le cadre de l’état d’urgence ont donné lieu à de nombreuses interpellations de personnes diverses, migrantes ou citoyens solidaires, souvent basées sur un délit de faciès instauré en règle. Ces pratiques menacent la paix de notre société et la liberté de chacun.
De nombreux procès sont en cours et de multiples interpellations ont eu lieu ces derniers mois. Pour cette raison, le site internet du comité de soutien aux citoyens solidaires du 06 a vocation à documenter les cas d’interpellations et de poursuites judiciaires passées et en cours dans les Alpes-Maritimes. Le comité entend également se constituer en réseau de solidarité dans le cadre de ces procédures afin de soutenir les personnes concernées par une mise en relation avec des avocats spécialisés, avec les associations existantes déjà mobilisées notamment sur les frais de justice.
Nous invitons les personnes concernées à nous contacter.
Au-delà des cas particuliers des personnes interpelées et/ou poursuivies, le comité de soutien entend défendre et promouvoir la solidarité, en tant que valeur et principe indispensable à la constitution et la pérennité du groupe social dans lequel nous voulons vivre. En effet, ces condamnations mettent en péril les fondements de notre société, les droits humains les plus essentiels tout comme les principes républicains de liberté, d’égalité et de fraternité qui constituent le socle de notre « vouloir vivre commun ».
Le comité est constitué de citoyens auxquels s’associent personnalités publiques et associations.
Nous invitons toutes personnes conscientes des dangers et des dérives potentielles de telles condamnations et partageant notre conviction que la solidarité doit primer dans notre société, à nous rejoindre en remplissant le formulaire accessible ici

Hier 21 janvier, le site Citoyens solidaires du 06, du Comité de soutien aux citoyens solidaires des Alpes-Maritimes, publie ce qui suit et que j'ai l'honneur de relayer :

Lettre de Cédric Herrou au Procureur de Nice Jean-Michel Prêtre

Suite à l’arrestation de Morgan, Lucille et Cédric, ce dernier écrit au procureur qui, après une intervention musclée, a libéré tous les prévenus sans aucune poursuite judiciaire malgré plus de 36h de garde à vue et d’énormes moyens mobilisés : près de 30 policiers casqués et armés, une mobilisation des militaires du dispositif « sentinelle », des lunettes infrarouges, des enquêteurs en civil ainsi qu’un drone. Le bilan de cette opération se réduirait à l’arrestation de ces 3 mineurs que Cédric avait pris en charge depuis plus d’un mois et pour qui il demandait aux pouvoirs publics une prise en charge. Ce bilan inclut aussi le traumatisme de l’infirmière de Médecins du Monde sur qui un policier a pointé son arme en hurlant, l’agression du journaliste de Libération plaqué au sol ayant subit par 2 fois une clé au bras et bien sur le choc vécu par ces enfants soudanais.

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Monsieur le procureur,
Vous avez fait pleurer ma mère, mon père.
Vous avez arrêté mon frère, mon amie.
Vous nous avez mis sous les verrous, traités comme des chiens, des malfrats.
Vous avez ordonné à une trentaine de gardes mobiles, armes aux poings, d’entrer sur mes terres, prendre ces trois enfants sans parents, qui attendent chez moi, depuis plus d’un mois d’être pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance.
Ces enfants ont connu la guerre, la torture, l’esclavagisme.
Ces enfants que je protège
Ces enfants qui m’ont donné leur confiance.
Vous avez au nom de votre France, violé les droits de l’Enfant!
Ils attendaient sécurité de la part de notre pays!
Vous me savez sensible aux personnes que j’aide, aux personnes que j’aime.
Vous savez que ma liberté ne s’arrêtera pas aux barreaux de vos prisons et vous tapez là où ça fait mal !!!
Sachez Monsieur le Procureur que je resterai fidèle à mes convictions, que ma France, que notre France, continuera à défendre les droits des hommes, des femmes, des enfants présents sur le sol français au nom de nos valeurs qui fondent la République Française.
Ne pensez pas que je suis seul, nous sommes des milliers, des millions!
Chacun son métier, le mien c’est agriculteur, le vôtre c’est de faire respecter la Loi. Loi qui protège et fait que le vivre ensemble soit la règle primordiale de notre démocratie.
Vive notre France
et …..celle que tu représentes
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MISE À JOUR du 8/09/2017 :

Pour mesurer la détermination absolue des Valeurs contre les récalcitrants qui, comme Cédric Herrou, s'opiniâtrent à secourir "les gens qui ne sont rien" (ou moins que rien, car étrangers sinistrés, réfugiés), voici deux liens renvoyant à deux sites qui observent de près les différents chapitres de cet acharnement pour l'exemple :
Suivi du Procès Cédric Herrou par Citoyens Solidaires.
Infos fournies par Mediapart sur l'affaire Herrou.
D'ailleurs, au mois d'août 2017, Cédric Herrou ayant été condamné par la cour d'appel d'Aix-en-Provence à 4 mois de prison avec sursis pour « démarche d’action militante en vue de soustraire des étrangers aux contrôles mis en œuvre par les autorités », Éric Fassin consacra (du 8 au 21 août) 4 billets de son blog sur Mediapart à ce délit de solidarité sous le titre Le procès politique de la solidarité. Cédric Herrou et la vallée de la Roya est son premier volet. Vinrent ensuite 2-Un dispositif xénophobe, 3-Les ONG en Méditerranée et 4-Emmanuel Macron et le couteau de Lichtenberg.


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MISE À JOUR du 14/09/2017 :

Le 11 septembre, nous avons appris la suite lamentable du procès Pierre-Alain Mannoni, un enseignant qui a été condamné pour avoir osé secourir trois femmes « apeurées, fatiguées, blessées, frigorifiées » qu'il repéra au bord de la route :
Relaxé en janvier par le tribunal correctionnel de Nice pour l’aide qu’il avait apportée à trois Erythréennes près de la frontière franco-italienne, Pierre-Alain Mannoni, un enseignant-chercheur, a été condamné, lundi 11 septembre, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence à deux mois de prison avec sursis.
En lire plus (sur Le Monde, 11/09/2017)
Justement, le 5 septembre, il venait de lancer un appel au don sur la plateforme gofundme.com pour subvenir à ses frais de justice. Voici son explication lorsqu'il attendait le verdict qui vient d'être rendu public :
J'ai 46 ans et je vis seul à Nice avec mes 2 enfants. En octobre 2016 j'ai recueilli 3 jeunes femmes érythréennes, migrantes et blessées, pour qu'elles se fassent soigner. Nous avons été arrêtés, j'ai été jugé et relaxé en première instance. Le parquet s'acharne et a fait appel souhaitant me faire condamner pour "transport de personnes en situation irrégulière". Les 3 jeunes femmes ont, quant à elles, vécu des situations difficiles à croire et à entendre.
J'attends le verdict qui sera rendu le 11/9/2017. Je risque 5 ans de prison et 30.000€ d'amende.
Je ne peux rien regretter de ce que j'ai fait car je ne peux que souhaiter un monde plus digne et plus humain pour mes enfants.
J'ai lancé cette cagnotte pour couvrir les frais de justice des procédures en cours mais aussi pour me défendre de plusieurs attaques diffamantes à mon égard.



Depuis ces événements et avec plus de 17 morts à moins de 30 km de chez moi, j'ai ouvert les yeux sur la situation de la dignité humaine. Le montant de cette cagnotte qui ne sera pas dépensé en frais de Justice ira directement aider les associations qui luttent pour la vie et la dignité de femmes, d'enfants et d'hommes, ici, à Nice.
Entretemps, la démocratie libérale continue à veiller à ce que ses vraies Valeurs s'accomplissent. Le 1er septembre, Le Monde nous le rappelait :

Le retour des superprofits pour les champions de l’économie française

Les 40 principaux groupes cotés à la Bourse de Paris (CAC 40) ont engrangé 51,6 milliards d’euros de bénéfice en six mois. Soit 25 % de plus qu’un an auparavant.
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Mise à jour du 9 janvier 2018 :

La répression de l'humanité en France est toujours en marche et "les horribles exactions subies sur les routes migratoires" se portent toujours à merveille en cynisme impeccable. Le quotidien Le Figaro a mis à jour hier, 8 janvier 2018, une information signée par Étienne Jacob selon laquelle une responsable d'Amnesty International est poursuivie pour aide aux migrants :
Martine Landry, 73 ans, qui aurait facilité la venue en France de deux mineurs isolés guinéens venus d'Italie, risque jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende. Elle devait comparaître ce lundi devant le tribunal correctionnel de Nice, mais le parquet a finalement demandé le renvoi de l'affaire au 14 février 2018.
Tout s'est passé deux jours après la mise en examen de Cédric Herrou pour aide à l'immigration clandestine. Le 28 juillet dernier, deux migrants guinéens, venus d'Italie, sont arrivés à la frontière franco-italienne pour rejoindre la France. Ces mineurs isolés, âgés de 15 et 16 ans, ont expliqué leur situation aux policiers italiens. Ces derniers les ont renvoyés, à pied, vers le poste frontière français. S'y trouvait alors Martine Landry, membre d'Amnesty International et de l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé).
Cette militante de 73 ans est accusée d'avoir «facilité l'entrée» de ces mineurs en situation irrégulière sur le sol français, selon l'acte d'accusation, consulté par Le Figaro. Elle les aurait «pris en charge et convoyés pédestrement du poste frontière côté Italie au poste frontière côté France», précise le document. (En lire plus)
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Mise à jour du 24 janvier 2018 :

Le quotidien Le Monde nous rappelle ces jours-ci ce que Jacques Derrida pensait en 1996 du « délit d'hospitalité »...
(...) Que devient un pays, on se le demande, que devient une culture, que devient une langue quand on peut y parler de « délit d’hospitalité », quand l’hospitalité peut devenir, aux yeux de la loi et de ses représentants, un crime ?
(…) Avec la violence qui accompagne cette politique répressive, ces manquements à la justice ne datent pas d’aujourd’hui, même si nous sommes à un tournant original et particulièrement critique de cette histoire. Ils datent d’au moins un demi-siècle, depuis la veille de la guerre, bien avant la fameuse ordonnance de 1945, quand les motifs d’un décret-loi de mai 1938, dans un langage qu’on retrouve aujourd’hui dans toutes les rhétoriques politiciennes, prétendait, je cite, « ne pas porter atteinte aux règles traditionnelles de l’hospitalité française ». Le même texte, simultanément, argumentait comme aujourd’hui, et de façon – j’y viendrai – aussi peu convaincante, pour rassurer ou flatter les fantasmes d’un électorat et déclarait, je cite (c’est en 1938, au moment de l’arrivée encombrante de certains réfugiés au faciès ou à l’accent jugés parfois caractéristiques, et que Vichy ne va pas tarder à envoyer dans les camps et à la mort que vous savez ; comme tous ceux qui leur ressemblent, ces discours nous rappellent aujourd’hui, dans leur anachronie même, à une sorte de veillée pré- « vichyste ») :
« Le nombre sans cesse croissant d’étrangers résidant en France impose au gouvernement (…) d’édicter certaines mesures que commande impérieusement le souci de la sécurité nationale, de l’économie générale du pays et de la protection de l’ordre public. »
Et, dans le même texte, où, encore une fois, l’on rassemble et fourbit toutes les armes auxquelles ont eu recours, dans leur guerre contre les immigrés, toutes les législations françaises, la même rhétorique tente de faire croire que ne sont frappés d’une répression légitime que ceux qui n’ont pas droit à la reconnaissance de leur dignité tout simplement parce qu’ils se seraient montrés indignes de notre hospitalité.
Je cite encore un texte qui préparait, en 1938 comme aujourd’hui, une aggravation du dispositif législatif dans une atmosphère de veille de guerre. Voici ce qu’il disait sous une forme de dénégation évidente, dans l’insolente forfanterie narcissique et patriotarde que nous reconnaissons bien : « Il convient d’indiquer dès l’abord (…) que le présent projet de décret-loi ne modifie en rien les conditions régulières d’accès sur notre sol ; (…) il ne porte aucune atteinte aux règles traditionnelles de l’hospitalité française, à l’esprit de libéralisme et d’humanité qui est l’un des plus nobles aspects de notre génie national. »
(...) Je lis ce texte de 1938 où l’on reconnaît déjà toute la logique et la rhétorique du pouvoir d’aujourd’hui :
« Cet esprit de générosité [le nôtre, bien sûr] envers celui que nous nommerons l’étranger de bonne foi trouve sa contrepartie légitime dans une volonté formelle de frapper désormais de peines sévères tout étranger qui se serait montré indigne de notre hospitalité (…). S’il fallait résumer, dans une formule brève, les caractéristiques du présent projet, nous soulignerions qu’il crée une atmosphère épurée autour de l’étranger de bonne foi, qu’il maintient pleinement notre bienveillance traditionnelle pour qui respecte les lois et l’hospitalité de la République, mais qu’il marque enfin, pour qui se montre indigne de vivre sur notre sol, une juste et nécessaire rigueur. »
Depuis l’époque où furent tenus ces propos d’une hypocrisie (d’une mauvaise foi, justement) qui serait comique si elle n’était terrifiante, juste avant la guerre, il y eut l’ordonnance de 1945 qui prévoyait déjà, au chapitre III, « Pénalités », de lourdes peines pour les étrangers en situation irrégulière (on ne disait pas encore sans-papiers à l’époque) ou pour quiconque aidait ces étrangers indésirables : au chapitre dit « De l’expulsion », toute une série de mesures préparaient celles qu’on est en train de renforcer ou de réactiver ; depuis cette époque, les conditions de l’hospitalité en France (immigration, asile, accueil des étrangers en général) n’ont cessé d’empirer et de ternir, jusqu’à nous faire honte, l’image dont feint de se réclamer le discours patriotique de la France des droits de l’homme et du droit d’asile. L’année dernière [en 1995], des observateurs neutres ont même pu parler d’une ­ « année noire » du droit d’asile en France.
(…) Il n’est pas de pays ou d’Etat-nation au monde aujourd’hui, et surtout dans les pays capitalistes riches, où ne se développe cette politique de fermeture des frontières, cette mise en hibernation des principes de l’asile, de l’hospitalité à l’étranger – bonne juste pour le moment où « ça va bien » et où « ça sert », c’est « bien utile » (entre l’efficacité, le service et le servage).
Au moment où, depuis quelques décennies, une crise sans précédent de l’Etat-nation jette sur les routes des millions de personnes en vérité déplacées, ce qui reste d’Etat-nation se crispe souvent dans une convulsion nationale-protectionniste, identitaire et xénophobe, une figure à la fois ancienne et renouvelée du racisme. Il y a un mot pour « sans-papiers » dans chaque culture Etat-nationale. Aux Etats-Unis, par exemple, on dit undocumented, et on organise des chasses aux illegal immigrants.
La politique à l’égard des sans-papiers et de l’immigration en général est une diversion électoraliste, une opération « bouc émissaire », une misérable manœuvre pour grappiller des voix, une petite et ignoble surenchère pour battre le Front national sur son propre terrain.
(…) Qu’il s’agisse du chômage croissant, qu’il s’agisse d’une économie de marché ou d’une spéculation dont la dérégulation est une machine à produire de la misère, de la marginalisation, qu’il s’agisse d’un horizon européen commandé par des calculs simplistes, par une fausse science économique et une folle rigidité monétariste, etc., par un abandon de pouvoir entre les mains des banques centrales, de tous ces points de vue, il faut savoir que la politique à l’égard des sans-papiers et de l’immigration en général est une diversion électoraliste, une opération « bouc émissaire », une misérable manœuvre pour grappiller des voix, une petite et ignoble surenchère pour battre le Front national sur son propre terrain.
Et n’oublions jamais que, si les premières victimes de cette stratégie de faillite sont nos amis, nos hôtes, les émigrés et les sans-papiers, ce qui est mis en place par le gouvernement est un système policier d’inquisition, de fichage, de quadrillage (sur les territoires français et européen). Cette machine menace toutes les libertés, les libertés de tous, celles des sans-papiers et celles des non-sans-papiers.
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Mise à jour du 17 mars 2018 :

Quand la police refuse l’accouchement à une femme… migrante

REPORTERRE - 13 mars 2018 / Benoit Ducos
Dans les Alpes, les réfugiés arrivant d’Italie bravent le froid et la neige. L’auteur de cette tribune raconte sa maraude de la soirée de samedi dernier. Venant en aide à une famille de migrants, il a vu sa voiture immobilisée par les douanes alors que la mère était sur le point d’accoucher.
Benoit Ducos se présente comme « un maraudeur en infraction ». Chaque soir depuis le début de l’hiver, des maraudes se déroulent aux cols de Montgenèvre et de l’Échelle (elles sont à l’arrêt pour ce dernier col, les conditions de passage étant trop dangereuses), à la frontière italienne. Elles sont effectuées par des bénévoles des associations Tous migrants et Refuges solidaires, à Briançon. Selon l’état de santé des migrants qu’ils croisent, les bénévoles les accompagnent à Briançon où ils sont hébergés quelques jours avant de reprendre leur voyage.

- Samedi 10 mars 2018, Montgenèvre (Hautes-Alpes), aux alentours de 21 h.
Une maraude ordinaire comme il s’en passe tous les jours depuis le début de l’hiver. Au pied de l’obélisque Napoléon de Montgenèvre, une famille de réfugiés marche dans le froid. La mère est enceinte. Elle est accompagnée de son mari et de ses deux enfants (2 et 4 ans). Ils viennent tout juste de traverser la frontière, les valises dans une main, les enfants dans l’autre, à travers la tempête. Nous sommes deux maraudeurs à les trouver, à les trouver là, désemparés, frigorifiés. La mère est complètement sous le choc, épuisée, elle ne peut plus mettre un pied devant l’autre. Nos thermos de thé chaud et nos couvertures ne suffisent en rien à faire face à la situation de détresse dans laquelle ils se trouvent. En discutant, on apprend que la maman est enceinte de 8 mois et demi. C’est l’alarme, je décide de prendre notre véhicule pour l’emmener au plus vite à l’hôpital. Dans la voiture, tout se déclenche. À notre arrivée au niveau de la Vachette (à 4 km de Briançon), elle se tord dans tous les sens sur le siège avant. Les contractions sont bien là… c’est l’urgence. J’accélère à toute berzingue. C’est la panique à bord. Lancé à 90 km/h, j’arrive à l’entrée de Briançon… et là, barrage de douane.
Il est 22 h. « Bon sang, c’est pas possible, merde, les flics ! » Herse au milieu de la route, ils sont une dizaine à nous arrêter. Commence alors un long contrôle de police. « Qu’est ce que vous faites là ? Qui sont les gens dans la voiture ? Présentez-nous vos papiers ? Où est-ce que vous avez trouvé ces migrants ? Vous savez qu’ils sont en situation irrégulière !? Vous êtes en infraction !!! »… Un truc devenu habituel dans le Briançonnais. Je les presse de me laisser l’emmener à l’hôpital dans l’urgence la plus totale. Refus ! Une douanière me lance tout d’abord : « Comment vous savez qu’elle est enceinte de 8 mois et demi ? » Puis, elle me stipule que je n’ai jamais accouché, et que par conséquent je suis incapable de juger de l’urgence ou non de la situation.
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Aujourd'hui, dans un autre article de Reporterre,  Philippe Desfilhes commente le documentaire « L’espace d’un homme » (2010), du documentaliste Hervé Nisic, film qui aborda la vie « hors du commun » d'Alexandre Grothendieck (1928-2014), « génie des mathématiques et écologiste radical », lorsque celui-ci était encore en vie.


À en juger par les remarques de Philippe Desfilhes, Alexandre Grothendieck fut aussi atteint par le délit de solidarité :
(...) Hervé Nisic fait découvrir un Alexandre Grothendieck radical dans sa pensée et dans ses actes, mais aussi très courageux. Le mathématicien Pierre Cartier, l’un de ses proches, raconte comment il s’engagea dans la guerre du Vietnam en partant seul travailler sous les bombes avec des mathématiciens Viet-Congs. Il revient aussi sur l’« histoire » du procès de Montpellier : pour avoir hébergé un moine bouddhiste japonais dont le visa venait d’expirer, Alexandre Grothendieck fut traduit en justice. Il réclama lors de son procès la peine maximale et ridiculisa la justice dans sa plaidoirie.(...)
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Mise à jour du 24 mars 2018 :

Torino, respinta al confine incinta migrante muore dopo parto

La donna, di origini nigeriane, era affetta da linfoma: il bimbo che portava in grembo dato alla luce con un parto cesareo. Pesa 700 grammi: «Un miracolo»

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Mise à jour du 26 avril 2018 :

Une « marche solidaire » aux migrants partira fin avril de Vintimille pour Calais

De la frontière franco-italienne à la frontière franco-britannique, les marcheurs veulent arpenter 1 400 kilomètres afin de plaider « pour un véritable accueil, contre le blocage des frontières et contre le délit de solidarité ».
Le Monde.fr avec AFP |
De Vintimille à Calais, 1 400 kilomètres et soixante étapes. Une « marche citoyenne et solidaire » s’élancera le 30 avril de la frontière franco-italienne pour rejoindre la frontière franco-britannique, afin de plaider « pour un véritable accueil, contre le blocage des frontières et contre le délit de solidarité », a annoncé, mardi 24 avril, François Guennoc, président de L’Auberge des migrants.
« Entre 30 et 100 personnes sont attendues sur chaque étape » avec des « moments forts » à Marseille, Lyon ou Paris, a ajouté M. Guennoc en espérant un « effet boule de neige ». Des personnalités telles que l’eurodéputé José Bové et Mgr Jacques Gaillot ont déjà fait savoir qu’ils seraient présents au départ du cortège.
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Mise à jour du 28.12.2019 :

Malheureusement, les affres de Pierre-Alain Mannoni (voir plus haut) se poursuivent. Le 22 décembre, il vient de mettre en ligne une information sur son cas et une nouvelle demande de soutien économique :
Délit de Solidarité : Je retourne au charbon ! 5e audience le 15/01/2020 à la Cour d'Appel de Lyon
 


Il y a plus de 3 ans j’ai été arrêté pour « aide aux migrants ». J’avais secouru dans la montagne de la Roya trois Érythréennes blessées. Je viens de recevoir la notification pour une nouvelle audience au tribunal. Ce sera la 5e…
Il y a eu un premier procès à Nice où j’ai été relaxé, puis le parquet a fait appel et j’ai été condamné à Aix en Provence à 2 mois avec sursis. Nous avons saisi le Conseil Constitutionnel qui m’a donné raison et a censuré une loi injuste.
L'Assemblée Nationale a rédigé un nouvel article et la Cour de Cassation a cassé ma condamnation contraire au principe de Fraternité désormais présent dans la loi. Mais la Cour de Cassation a demandé un nouveau procès à la lumière de la nouvelle loi.
C’est là où j’en suis maintenant : 3 ans et demi pour savoir s’il est légal de secourir des gens en détresse !!!!.... Bref je retourne au charbon à la Cour d’Appel de Lyon le 15 janvier 2020 à 13h30.
Les États ne respectent pas le droit et sont responsables de l'horreur aux frontières et en Méditerranée, mais j’en suis arrivé à comprendre que les derniers remparts à cette horreur, ce sont les actions citoyennes et la Justice. Mon affaire étant une des premières sur ce sujet, il est important d’aller au bout de la procédure judiciaire pour que cette question soit définitivement tranchée et qu’il y ait une jurisprudence de manière que ceux qui suivent ne puissent pas être attaqués avec les mêmes arguments.
Bien sûr les autorités en chercheront d’autres, mais c’est comme cela que le droit avance et tant que nous sommes dans une société de droit, il faut s’en servir ! Et puis un jour ces politiques seront condamnées.
Mais avec la Justice viennent les frais, le nerf de la guerre. Les avocats ont fait un super boulot et les 4 audiences précédentes ont consommé l'intégralité de la cagnotte. J’en relance donc une nouvelle pour le procès à venir. Si je gagne, ça s'arrête, sinon, on continue jusqu'à la Cour Européenne s’il le faut… gofundme.com/avecpierrealain
Nous sommes nombreux à croire en la dignité, nous sommes beaucoup plus que ce que l’on imagine ; c’est juste que la solidarité ne se crie pas sur les toits mais aujourd’hui je le sais et sachez le, elle est présente partout. Dans les villes et les villages, sur les plages et dans le camps, des petites et des grosses fourmis sauvent des vies et offre de l’humanité. Merci à eux

Merci pour votre soutien

Pierre-Alain

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Mise à jour du jeudi 1er avril 2021 (et ce n'est pas un poisson !) : Après 11 gardes à vues, 5 perquisitions, 5 procès et 5 ans de lutte...

Relaxe de Cédric Herrou : « La solidarité ne sera plus un délit »

L'Humanité, Jeudi 1 Avril 2021

La Cour de cassation a annulé, le 31 mars, le pourvoi du parquet général de Lyon, qui entendait condamner l'agriculteur Cédric Herrou pour avoir aidé des exilés à la frontière italienne.

«La relaxe de Cédric Herrou est désormais définitivement acquise et ne pourra plus être remise en cause. (…) Le principe de fraternité trouve aujourd’hui sa pleine application », s’est félicité Me Patrice Spinosi. Le conseil de l’agriculteur azuréen a réagi à l’annonce, ce mercredi 31 mars, de la non-admission par la Cour de cassation de la démarche du ministère public visant à faire annuler une décision de la cour d’appel de Lyon.

Un véritable camouflet

En mai 2020, elle avait relaxé le militant de toute poursuite à son encontre. « C’est le cas quand un pourvoi n’est à ce point pas sérieux qu’il ne nécessite aucune réponse motivée, explique l’avocat. Il est très rare qu’il en soit ainsi pour un pourvoi d’un parquet général. » En clair, c’est un véritable camouflet pour tous les détracteurs de la solidarité avec les étrangers en quête de refuge dans notre pays.

« Cette décision est l’aboutissement de près de cinq ans de guérilla judiciaire, ajoute encore Patrice Spinosi. Les juges ont su porter haut le principe de fraternité. Il est désormais définitivement acquis dans notre droit qu’aucune poursuite pénale ne peut être engagée à l’encontre d’une personne qui aura aidé de façon désintéressée, par humanisme ou par militantisme, un migrant en situation irrégulière. »

(...) EN LIRE PLUS.

 

samedi 21 janvier 2017

Tromelin, un cas incroyable d'esclavage, cruauté, solidarité et survie

Condamner l'esclavage reviendrait à condamner le Saint-Esprit
qui ordonne aux esclaves, par la bouche de Saint-Paul,
de demeurer en leur état et n'oblige pas le maître à les affranchir.
Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704), Avertissements aux Protestants,
5e avertissement, § 50. Œuvres complètes, t. 3, 1879, p. 610.

Paradoxalement, le Siècle des Lumières est
celui qui voit l'apogée de la traite négrière.
Sylvain Savoia, Les Esclaves oubliés de Tromelin, page 47,
Aire libre, Dupuis, 2015.

Malheur à la politique qui veut fonder la
prospérité d'un pays sur le désastre des autres,
et malheur à l'homme dont la fortune est
cimentée par les larmes de ses semblables !
Abbé Grégoire (1750-1831), De la Traite et de l'Esclavage des Noirs, 1815

(...)
Vil bétail, sous la main du superbe Pyrrhus,
Auprès d'un tombeau vide en extase courbée ;
(...)
Je pense à la négresse, amaigrie et phtisique,
Piétinant dans la boue, et cherchant, l'oeil hagard,
Les cocotiers absents de la superbe Afrique
Derrière la muraille immense du brouillard ;

A quiconque a perdu ce qui ne se retrouve
Jamais, jamais ! (...)

Je pense aux matelots oubliés dans une île.
Aux captifs, aux vaincus !... à bien d'autres encor !
Charles Baudelaire,  Le Cygne, Tableaux Parisiens, Les Fleurs du Mal, poème 89,  1857.


Le 17 janvier 2017, Le Point publiait cette information :
Qui gouvernera l'îlot Tromelin ? Cette question a une fois de plus été retoquée. L'accord de cogestion sur ce minuscule morceau de terre entre la France et l'île Maurice, contesté notamment par la droite et l'extrême droite mais aussi le Medef, a été retiré de l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, a-t-on appris mardi de sources parlementaires et gouvernementales. Le projet de loi visant à autoriser l'approbation de l'accord-cadre entre les deux gouvernements sur la cogestion économique, scientifique et environnementale de Tromelin et ses espaces maritimes environnants devait être débattu mercredi dans l'hémicycle, à quelques semaines de la fin de cette législature. Adopté au Sénat en 2012, puis en commission à l'Assemblée au printemps 2013, le texte avait déjà été retiré de l'ordre du jour de la séance publique en 2013, et n'avait jusqu'alors jamais été réinscrit.
Divers partis, notamment l'UDI et le FN, ou organisations avaient manifesté leur opposition ces derniers jours, entre autres au nom de la souveraineté française. Tromelin, bout de terre de 1 kilomètre carré, à 520 km au nord de La Réunion et découvert par un navigateur français en 1722, est actuellement géré par l'administration des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Il couvre 280 000 kilomètres carrés de domaine maritime. Tromelin est revendiqué par l'île Maurice depuis 1976. Depuis, la question de la souveraineté de l'île n'a cessé d'empoisonner les relations entre les deux pays. Pas moins de 20 années de négociations ont été nécessaires pour qu'un accord soit signé le 7 juin 2010, prévoyant une « cogestion » économique, scientifique et environnementale.
Tromelin ? Il n'y a pas longtemps, Le Monde diplomatique d'avril 2016 m'avait appris l'existence d'une BD bouleversante : Les Esclaves oubliés de Tromelin. Philippe Leymarie écrivait alors à son égard :
Dans Les Esclaves oubliés de Tromelin*, le dessinateur français Sylvain Savoia réussit quant à lui à combiner deux histoires : sous forme de bande dessinée, celle d’un équipage français et de ses esclaves malgaches échoués en 1761 sur ce minuscule îlot du sud-ouest de l’océan Indien ; et en parallèle, sous forme de carnet de voyage, celle de la quête d’une équipe d’archéologues passionnés. Ces derniers ont tenté de remonter le temps au fil de plusieurs missions sur cette terre désolée, et ils ont mis au jour de fragiles vestiges, constituant ainsi un lieu où la mémoire de l’esclavage s’est inscrite avec force. Car, déracinés, coupés du monde, les Malgaches naufragés ont utilisé les rares ressources disponibles pour survivre, puis pour reconstruire une minisociété : « Ils ont par là même recouvré, comme par défi, la dignité et l’humanité qui leur avaient été déniées », conclut l’ouvrage.

*Sylvain Savoia : Les Esclaves oubliés de Tromelin, Dupuis, coll. «Aire libre », Paris, 2015, 120 pages, 20,50 euros. D'après les recherches menées par Max Guérout (GRAN), Thomas Romon (INRAP) et leur équipe pluridisciplinaire (dépassant le dialogue entre sources historiques et vestiges archéologiques : géomorphologue, anthropologue, archéozoologue et ornithologue). ISBN 978-2-8001-5038-3.

Dupuis, la maison qui a édité cette bande dessinée, explique sur son site :
L'île des Sables, un îlot perdu au milieu de l'océan Indien dont la terre la plus proche est à 500 kilomètres de là... À la fin du XVIIIe siècle, un navire y fait naufrage avec à son bord une "cargaison" d'esclaves malgaches. Les survivants construisent alors une embarcation de fortune. Seul l'équipage blanc peut y trouver place, abandonnant derrière lui une soixantaine d'esclaves.
Les rescapés vont survivre sur ce bout de caillou traversé par les tempêtes. Ce n'est que le 29 novembre 1776, quinze ans après le naufrage, que le chevalier de Tromelin (1) récupérera les huit esclaves survivants : sept femmes et un enfant de huit mois.
Une fois connu en métropole, ce "fait divers" sera dénoncé par Condorcet et les abolitionnistes, à l'orée de la Révolution française.
Max Guérout, ancien officier de marine, créateur du Groupe de recherche en archéologie navale (GRAN), a monté plusieurs expéditions sous le patronage de l'UNESCO pour retrouver les traces du séjour des naufragés. Ses découvertes démontrent une fois de plus la capacité humaine à s'adapter et à survivre, en dépit de tout.
L'archéologue a invité le dessinateur à les rejoindre lors d'une expédition d'un mois sur Tromelin. De là est né ce livre : une bande dessinée qui entremêle le récit "à hauteur humaine" (on "voit" l'histoire du point de vue d'une jeune esclave, l'une des survivantes sauvées par le chevalier de Tromelin) avec le journal de bord d'une mission archéologique sur un îlot perdu de l'océan Indien. Après le succès international de Marzi, Sylvain Savoia offre à nouveau aux lecteurs une magnifique leçon d'humanité.

L'académie de Marine de Paris a décerné son Prix Bande Dessinée à cet album le 24 octobre 2016.
Sur la première page de sa BD, Savoia met deux citations en exergue :
"Transporter d'un point à un autre de la surface du globe, voilà toute l'activité de l'homme. [...] Mais de toute façon, la majorité des actions humaines ne sont pas faites pour être examinées aux yeux de la raison."
(Aldous Huxley, Tour du monde d'un sceptique, 1926)

"...Et ce qui sert à vos plaisirs est mouillé des pleurs et teint du sang des hommes." (Bernardin de Saint-Pierre, Esclaves dans les îles françaises, 1773)

La chair de poule : ces Malgaches kidnappés, esclavisés —ou esclavagés (mot moins usité) car l’on n’est point esclave par nature— et naufragés, plaqués sur une langue de sable au milieu de la mer, me semblent beaucoup plus inconcevables que le Robinson Crusoé de Daniel Defoe (ca.1660-1731), personnage probablement inspiré par l'histoire d'Alexander Selkirk, qui vécut tout seul sur son île de l'archipel Juan Fernández, au large du Chili, entre 1704 et 1709.
Ces esclavisés risquaient certainement d'avoir pensé au premier abord, le jour de leur enlèvement, le premier jour de leur captivité, que "rien ne pouvait être pire que leur capture"... car "l'imagination se limite aux champs de la connaissance". Quelle histoire...

"L'homme mauvais est comme une pierre
que l'on jette sur la pente d'un précipice,
il ne s'arrête qu'au fond de l'abîme."  
Page 52 et fin de la première partie de cette BD.

Je vérifie que le 17/10/2015, France 24 avait déjà présenté une information à leur sujet à l'occasion d'une exposition organisé dans le château des ducs de Bretagne, à Nantes.

Mais Internet nous fournit surtout une vidéo téléchargée un peu avant par l'Institut du Tout-Monde, dont le site vous propose, entre autres, des mémoires des esclavages. Elle contient un film réalisé par Emmanuel Roblin et Thierry Ragobert, et produit par TV5Monde, Carrimages 3 et Matin & Soir Films. Nous y apprenons que c'est grâce à l'entêtement passionné de Max Guérout, ancien capitaine de vaisseau de la marine française, archéologue et président du GRAN (Groupe de Recherche en Archéologie Navale), qu'on organisa une expédition en 2008 sur Tromelin et que nous connaissons cette épopée incroyable très en détail —bien qu'il s'agisse d'un récit encore inachevé :


  INSTITUT DU TOUT-MONDE, 23/03/2013

Laurent Hoarau, historien réunionnais indépendant, spécialisé dans la recherche en Histoire hors du circuit universitaire, collabora très activement, avec Jean-François Réberot, dans la logistique de cette expédition du GRAN et participa aux travaux des fouilles sur Tromelin. Expédition formée par historiens, anthropologues, archéologues... et notre dessinateur : Sylvain Savoia.
Dans le film, Hoarau explique qu'en 1848, on libéra les 62.000 esclaves qu'il y avait à l'île de la Réunion (nouveau nom de l'île Bourbon après 1793). Pourtant il n'y a aucun musée, aucune trace matérielle, aucun cimetière, aucun objet, aucun vestige palpable de l'esclavage à la Réunion. Les Histoires officielles n'ont pas l'habitude de s'occuper des damnés de la terre. Les rues et les places, les plaques, les statues, les collèges, lycées et universités... portent traditionnellement les noms de leurs bourreaux. Savoia écrit à propos de Laurent Hoarau que ses projets de recherche lient Histoire, Patrimoine et Identité et qu'il est "capable de sauver une mission avec un élastique et un trombone".
Le film recueille aussi les témoignages de l'historien Sudel Fuma et de la journaliste et politologue Françoise Vergès. Sudel fit également partie de l'expédition sur l'île ; Savoia le présente ainsi : "Sudel, malgache d'origine, professeur d'Histoire à l'Université de Saint-Denis, directeur de la Chaire UNESCO de la Réunion, ancien athlète et homme politique. Aucune casquette n'est trop grande pour lui." Et il publia sa BD à sa mémoire car Sudel décéda en 2014.

Quant à la radio, France Culture nous propose toujours sur son site un entretien, réalisé en décembre 2013 par universcience.tv, avec Max Guérout dont le récit hérisse toujours poils et plumes...


Esclaves oubliés de l'île Tromelin par universcienceTV

Encore une occasion de réfléchir à la honteuse Histoire de notre civilisation.
Morale ? : l'Utile (2) méprise la vie humaine et finit toujours par naufrager causant d'épouvantables dommages collatéraux. Alors que la solidarité est autrement utile. Peut-on encore larguer que la société n'existe pas ("There is no such thing as society", Margaret Thatcher dixit), qu'il n'y a que l'individu...? Dans Vendredi ou les limbes du Pacifique, Robinson écrit dans son Log-book (oui, le blog marin de l'époque), page 116 de mon édition Folio :
—Je sais maintenant que si la présence d'autrui est un élément fondamental de l'individu humain, il n'en est pas pour autant irremplaçable. (...)
Il est vrai que ce Robinson nuance ensuite son propos mais, quand j'écoutais Max Guérout et avalais ma salive, je pensais que si Michel Tournier avait eu vent des 15 ans d'existence sur Tromelin de ce groupe de Vendredis issus des Hauts-Plateaux de Madagascar, forcés, naufragés et oubliés, il aurait peut-être substitué, comme source d'inspiration, cette vraie histoire à celle de Defoe et rédigé un roman intitulé, par exemple, Les esclavisés clandestins et sans nom ou les limbes de l'Indien...

Sur France Culture, on peut aussi écouter l'émission Le Salon noir du 31/10/2015 (29 min.) qui, sous le titre Les Robinsons de Tromelin découverts par l'archéologie, interviewe Max Guérout.

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(1) Jacques Marie Boudin de Lanuguy de Tromelin (1751-1798), commandant de la corvette La Dauphine. Cf. la page 113 de l'ouvrage de Sylvain Savoia :


(2) Tel était le nom benthamien du navire négrier naufragé, une flûte de 136 pieds de long, environ 45 mètres, et de 600 tonneaux de jauge.
Construite à Bayonne par la Compagnie des Indes Orientales, elle échoua le 31 juillet 1761, après avoir heurté en pleine nuit un récif "situé au 15e degré 52 minutes de latitude au Sud & au 52e degré 45 minutes de longitude à l'Orient de Paris". Avec les débris de l'épave, les naufragés construisirent une embarcation de fortune et réussirent à quitter, moins de deux mois après l'échouage, l'île des Sables, cet îlot aujourd'hui de Tromelin où l'on avait du mal à jouer des flûtes. Tous prirent le large... sauf les 60 esclavisés malgaches encore en vie, abandonnés à leur sort. On leur promit de les envoyer chercher, mais on connaît la suite.
Quant à la Compagnie française des Indes Orientales, elle fut fondée en 1664 par Jean-Baptiste Colbert et avait pour but de "procurer au royaume l'utilité du commerce [d'Asie] et d'empêcher que les Anglais et les Hollandais n'en profitassent seuls comme ils l'avaient fait jusqu'alors". Il s'agissait donc de prendre part à l'Utile. C'est pour cela qu'elle se réserverait le monopole du commerce des esclaves dans l'océan Indien, ce qui rapporta gros. Mais au fil des années, la traite échapperait au contrôle de la Compagnie et, à partir de 1740, elle serait "détournée et asservie à l'enrichissement personnel des employés de la Compagnie des Indes". Ce qui explique l'histoire concrète de l'Utile.

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MISE À JOUR DU 22.02.2019 :

Le 16.02.2019, Le Monde a publié une information d'Hervé Morin à ce sujet qui fait état de l'hommage que le Musée de l’Homme rend du 13.02 au 03.06.2019 aux Malgaches abandonnés en 1761 sur l'île de Tromelin. Voici des extraits de l'article de Morin :
(...)
Cette terrible fortune de mer est retracée dans une exposition présentée au Musée de l’Homme à Paris. On est frappé d’emblée par la masse de données de toutes sortes, notamment écrites, qui témoignent de l’entreprise commerciale conduite par les Français. Chaque lingot ou pièce de zébu est consigné, la vie à bord puis le naufrage minutieusement décrits par l’écrivain du bord. Le contraste est saisissant avec les esclaves malgaches anonymes, dont l’expérience extrême ne peut guère être exhumée que par l’archéologie.
L’exposition est le fruit de quatre expéditions scientifiques conduites sur place à l’initiative de Max Guérout, animateur du Groupe de recherche en archéologie navale (GRAN), avec Thomas Romon, spécialiste de l’esclavage à l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). Les fouilles sous-marines ont d’abord confirmé la présence de l’épave de L’Utile, dont un morceau de la cloche figure dans l’exposition.
(...)
Des dessins et des planches d’une bande dessinée signés de Sylvain Savoia, qui a participé à l’une des expéditions archéologiques, évoquent aussi la dignité et la force d’âme des oubliés de l’île de Sable. Après avoir été présentée à Nantes, Lorient et Bordeaux, qui ont construit une part de leur prospérité sur l’esclavage, l’exposition s’inscrit dans une saison consacrée aux droits de l’homme par le musée du même nom.
Le site du Musée de l'Homme précise :
Le parcours de l'exposition vous propose de naviguer entre l'histoire et l'archéologie :
  • une partie historique présente la traite négrière et la navigation dans l'océan Indien au XVIIIe siècle, les histoires croisées des Malgaches et des Français jusqu'au naufrage du navire l'Utile à Tromelin ;
  • une partie archéologique, conçue à partir des fouilles opérées par l’Inrap et le Muséum, sur la survie, la vie et la mort des naufragés sur l'îlot, les témoins de leur alimentation, de leur artisanat, de leur organisation sociale, jusqu'à leur sauvetage ;
  • une partie mémorielle évoque la résonance de l'événement sur les mentalités au sujet de l'esclavage.
Commissaires scientifiques : Max Guérout et Thomas Romon
Pour en savoir plus vous trouverez une multitude d'informations, de photos et de liens dans le dossier en ligne réalisé par l'INRAP :
Consulter le dossier sur l'île de Tromelin réalisé par l'INRAP

mardi 17 janvier 2017

La cigale, le corbeau et les poulets (sortie du film)

On nous annonce pour demain 18 janvier la sortie en salles, en France, de la fable La cigale, le corbeau et les poulets, le nouveau film de l'équipe de Merci Patron ! Il a été réalisé par Olivier Azam et produit par Les Mutins de Pangée, espiègle coopérative audiovisuelle et cinématographique de production et d'édition (DVD, VOD) créée en 2005.
Les Mutins nous avancent :
L’histoire Toutes les polices de France sont aux trousses de la mystérieuse « Cellule 34 » qui menace de mort le président de la République. 150 policiers dont la brigade antiterroriste débarquent dans un petit village de l’Hérault. Qui sont ces dangereux papys accusés d’être le corbeau ? 
C’est l’histoire invraisemblable d’une farce juridique qui aura inquiété jusqu’à l’Elysée et fait débouler l’élite de la police antiterroriste dans un petit village de l’Hérault où une bande de villageois aux gabarits plutôt Obélix qu’Astérix résistent. Ces drôles de zouaves ont très bien compris que la démocratie ne s’use que si l’on ne s’en sert pas. Une fable de la France d’aujourd’hui.



Sur le site de Là-bas, force auxiliaire de cette malice, mis à part l'info essentielle... :
L’HISTOIRE. Ils se rassemblent à La Cigale, un bureau de tabac. Ils publient une gazette, La Commune. Des balles de 9 mm et des lettres de menaces sont envoyées au président de la République. Ils sont accusés d’être le corbeau. Ils sont poursuivis par tous les poulets anti-terroristes de France. Mais pourquoi eux ? 
un film de Olivier AZAM
réalisé avec la complicité de Laure GUILLOT
produit et distribué par Les Mutins de Pangée
en partenariat avec LÀ-BAS SI J’Y SUISL’HUMANITÉ et LES AMIS DU MONDE DIPLOMATIQUE
sortie nationale au cinéma le mercredi 18 janvier 2017


..., on nous fournit aussi deux réécoutes :
À (RÉ)ÉCOUTER 
- le reportage de François RUFFIN qui a inspiré le film, dans notre émission du 16 septembre 2009. 
- notre émission en direct depuis la Fête de l’Huma 2016, avec l’équipe du film : le réalisateur Olivier AZAM, et deux des acteurs de cette histoire, Pierre BLONDEAU et Jean OREGLIA :

jeudi 12 janvier 2017

3e Journal des infos dont on parle plutôt peu


Loin de l'actu surexposée et ressassée des grands média, il y a bon nombre d'événements qui nous interpellent autrement dont on ne parle que peu ou presque jamais. Nous avons commencé à passer internet au peigne fin afin d'y repérer et choisir des faits ou sujets hors actu qui vont constituer la matière de notre journal des infos dont on ne parle que plutôt peu. En voici notre troisième sommaire (20.12.16) et merci beaucoup à mes élèves pour leurs contributions :


(Impossible de mettre un accent circonflexe sur un mot faisant partie du nom d'un tableau de Pinterest -donc, sur son adresse URL- si l'on veut insérer celui-ci dans un billet de blog)

2e Journal des infos dont on ne parle que plutôt peu

Loin de l'actu surexposée et ressassée des grands média, il y a bon nombre d'événements qui nous interpellent autrement dont on ne parle que peu ou presque jamais. En classe de NA2, nous avons commencé à passer internet au peigne fin afin d'y repérer et choisir des faits ou sujets plutôt hors actu qui vont constituer la matière de notre Journal des infos dont on ne parle que plutôt peu. En voici notre second sommaire (24.11.16) et merci à mes élèves pour leurs contributions ! :


(Impossible de mettre un accent circonflexe sur un mot faisant partie du nom d'un tableau de Pinterest -donc, sur son adresse URL- si l'on veut insérer celui-ci dans un billet de blog)

1er Journal des infos dont on ne parle que plutôt peu

Loin de l'actu surexposée et ressassée des grands média, il y a bon nombre d'événements qui nous interpellent autrement dont on ne parle que peu ou presque jamais. En classe de NA2, nous avons commencé à passer internet au peigne fin afin d'y repérer et choisir des faits ou sujets plutôt hors actu qui vont constituer la matière de notre Journal des infos dont on ne parle que plutôt peu. En voici notre premier sommaire (27.10.16) et merci à mes élèves pour leurs contributions !


(Impossible de mettre un accent circonflexe sur un mot faisant partie du nom d'un tableau de Pinterest -donc, sur son adresse URL- si l'on veut insérer celui-ci dans un billet de blog)

dimanche 1 janvier 2017

Bourdieu sur Tietmeyer

Le Monde diplomatique nous rappelle, à l'heure de la mort de Hans Tietmeyer, un article à son égard publié en 1997 par Pierre Bourdieu ; une analyse simple et claire de la langue interlope qui nous accable et réussit néanmoins à bourrer moult crâne...

Le maître allemand de la monnaie et grand architecte de l’euro Hans Tietmeyer est mort le 27 décembre à l’âge de 85 ans. En 1997, il se confiait malgré lui à Pierre Bourdieu 
Ce texte est la transcription d’une conférence qui a suscité et suscite encore beaucoup de discussions en Allemagne, donnée par Pierre Bourdieu, aux rencontres culturelles franco-allemandes tenues à Fribourg, en octobre 1996.