lundi 27 octobre 2014

Chibanis, Chibanias


Source: chibanis.org

"Chibani" veut dire littéralement "cheveux blancs" en arabe populaire algérien. L'expression est respectueuse. Les Chibanis, les Chibanias au féminin, sont les vieux migrants maghrébins arrivés en France dans les années 1960 pour travailler. Ils étaient jeunes à l'époque, en quête d'un avenir meilleur. La France avait besoin de main-d'œuvre dans tous les secteurs d'activité économique : bâtiment, travaux publics, industrie, agriculture…
Deux journalistes de France 24, Assiya Hamza et Anne-Diandra Louarn, ont réalisé un webdocumentaire sur ces "petits vieux", en général des hommes de plus de 65 ans —représentant près de 350 000 personnes— qui sont restés en France : leur rêve du retour ne s'est pas exaucé pour des raisons variées et ils sont devenus d'"éternels exilés" en situation précaire. Parmi eux : 130 000 Algériens, 65 000 Marocains et 40 000 Tunisiens.

Ce reportage est un hommage à ses inconnus qui ont trimé toute une vie, mènent en général une existence détraquée et manquent de voix et de reconnaissance. Mis à part un glossaire final, voici ses parties et leurs introductions :

1. - Leur France :
Extraordinaire", "formidable", "très beau", "le froid", "la solitude", "les baraquements"... l'arrivée en France est un choc. Parfois à peine majeurs, ces jeunes travailleurs découvrent un autre pays, une autre culture, mais aussi une autre langue. Surtout, ils se retrouvent seuls, "sans parents", "sans famille". Très vite, la raison de leur exil les rattrape : le travail. Il faut "envoyer de l'argent" à ceux qui sont restés au pays. À l'époque, "les patrons viennent embaucher dans les cafés", on pouvait "changer de patron deux à trois fois par jour". Bâtiment, travaux publics, industrie, agriculture… Ces jeunes hommes, en pleine force de l’âge, ne rechignent pas à la tâche, qu’ils soient déclarés ou non. Travail physique, parfois au noir, accidents... leur vie professionnelle n’est pas de tout repos. (...)
2.- Des familles disloquées :
Les travailleurs immigrés sont arrivés seuls en France. Ces jeunes hommes, persuadés de n’être que de passage en France, ont fondé leur famille au pays, au gré de mariages arrangés. Car dans la plupart des cas, ils connaissaient à peine, voire pas du tout leur future femme. "C’est ma famille qui l’a choisie", nous confie ainsi Amar. "Je l’ai emmenée d’Algérie. Elle était un peu jeune pour moi et j’étais vieux", raconte Rabah. Pendant les premières années, ils ne voyaient leurs épouses que lorsqu’ils rentraient au pays. Certains ont eu la chance de bénéficier du regroupement familial pour faire venir femme et enfants à leurs côtés, d’autres vivent toujours loin des leurs. Une solitude encore plus pesante avec l’âge. (...)
3.- Le "mythe" du retour au pays :
Couler une douce retraite au pays auprès des leurs, les chibanis en ont rêvé. Ils en ont parfois l’envie mais, pour certains, cela reste impossible. Pour ceux qui ont eu la chance de faire venir leur famille en France, vivre ici est un choix. Les autres ont renoncé à leur terre natale faute d’une pension suffisante, d’une bonne santé ou plus simplement d’attaches dans leur pays d’origine. Ils finissent souvent leurs jours dans des foyers de travailleurs, inadaptés à leur âge ou à leur état de santé. (...)
4.- Les vieux jours solitaires :
Aujourd’hui, que reste-t-il de leur vie de labeur ? À l’heure de la retraite, des milliers d’entre eux se retrouvent confrontés à l’isolement, parfois même à une extrême précarité. Beaucoup de chibanis retraités touchent l’Aspa , l’allocation de solidarité aux personnes âgées. Cette aide, versée en complément à la retraite, leur permet de toucher l’équivalent du minimum vieillesse, soit 787,26 euros mensuels pour une personne vivant seule. Or, le versement de l’Aspa (comme de nombreuses prestations sociales) est soumis à l’obligation d’avoir une résidence "stable et régulière”, c'est-à-dire de résider en France au moins six mois par an (décret du 18 mars 2007). Une clause dont nombre d’entre eux ignoraient totalement l’existence.

À l’issue de contrôles de résidence ou de ressources, des milliers de chibanis se sont vus suspendre le versement de cette aide et réclamer le remboursement de la totalité des sommes perçues. Un drame pour ces migrants âgés, dont la grande majorité ne sait ni lire ni écrire. 
5.- D'autres histoires d'immigration
Voici le début du témoignage de Sabrina, 60 ans :
"Je suis arrivée en France en 1989 pour travailler avec ma famille. Je suis venue avec mon cousin, sa femme et ses enfants. Là-bas [en Algérie], il n’y avait pas de travail. Au début, je pleurais tout le temps car je ne connaissais personne. C’était dur. Après, j’ai rencontré des gens, des amis et ça commençait à être bien. Là, je me suis dit ‘c’est bien la France’.

J’ai été mariée. Aujourd’hui, je suis divorcée et je vis seule. J’ai rencontré mon mari dans un café. Au début, je n’étais pas amoureuse de lui mais je me suis dit que c’était peut-être quelqu’un de bien. Mais je ne me suis pas mariée avec lui pour les papiers. Je pensais que j’allais rester avec lui. Au bout de cinq ans, ça n’allait plus. Il a demandé le divorce parce qu’il avait rencontré quelqu’un d’autre. Je suis tombée enceinte à deux reprises mais j’ai avorté parce que j’avais peur. J’avais peur de ma famille là-bas, de ma mère parce que… il était français. J’avais peur que ma mère dise "c’est péché de faire un enfant avec un Français". Je me suis mariée sans dire qu’il n’était pas musulman. J’avais peur de perdre ma famille. C’était dur. Avec le temps, j’ai regretté d’avoir fait ces avortements. Maintenant, c’est trop tard.
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Mise à jour (24/03/2015) :

Plus de 800 cheminots marocains demandent « réparation » à la SNCF

Le Monde.fr avec AFP | • Mis à jour le
Mise à jour (22/09/2015) :
Mise à jour (31/01/2018) :
La SNCF a été condamnée mercredi 31 janvier [2018] en appel pour discrimination envers des cheminots marocains, a annoncé leur avocate après avoir eu connaissance d’une partie des jugements dans l’affaire des chibanis (« cheveux blancs ») poursuivant la compagnie ferroviaire.
Clélie de Lesquen-Jonas a brandi les mains en l’air en criant « c’est gagné », avant de préciser à la presse que les cheminots avaient en outre obtenu reconnaissance d’un « préjudice moral ». « C’est un grand soulagement, une grande satisfaction », a-t-elle commenté. Les premiers recours aux prud’hommes remontent à plus de douze ans.
« Il y a eu aujourd’hui la confirmation des condamnations [pour discrimination] obtenues en première instance en matière de carrière et de retraite et nous avons obtenu en plus des dommages et intérêts pour préjudice moral », a déclaré Me de Lesquen-Jonas à la cour d’appel de Paris, où une centaine d’anciens salariés s’étaient déplacés.

La SNCF se réserve le droit d’un pourvoi en cassation
(En lire plus sur le site du journal Le Monde, 31.01.2018)

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