mercredi 23 novembre 2011

Une série dénonce le contrôle au faciès

On est tricard à la figure
Même avec les deux passeports
(Magyd Cherfi)


Le délit de faciès a été déjà abordé sur ce blog dans plusieurs articles, ici ou , par exemple, que je vous suggère de lire si le sujet vous interpelle. J'y fais référence parce que nous apprenons ces jours-ci qu'il y a une nouvelle initiative pour dénoncer cette tendance tellement classe.

Disons d'abord que Les Indivisibles sont un groupe de militants de l'Égalité dont le but est de se battre contre le racisme ordinaire. Ils tentent, précisent-ils, de
(...) déconstruire, notamment grâce à l’humour et l’ironie, les préjugés ethno-raciaux et en premier lieu, celui qui nie ou dévalorise l’identité française des Français non-Blancs.
Ils font partie du collectif Stop Le contrôle au faciès qui souhaite :
(...) promouvoir une pratique du contrôle d’identité respectueuse des droits de chacun, et plus efficace dans la lutte contre la criminalité et la protection des citoyens sur le long terme.
Afin de dénoncer les contrôles pour cause de sale gueule, ce collectif mène à présent une campagne de sensibilisation moyennant Mon 1er contrôle d'identité, une série de courts épisodes de 5 minutes où dix-sept représentants du rap français dont Soprano, La Fouine, Oxmo Puccino ou Sexion d'Assaut racontent leurs pépins avec les keufs. Ils...
(...) font le récit du premier ou du pire contrôle d'identité qu'ils ont eu à subir. Sur un ton drôle ou un peu plus grave, ils nous font part de ce moment délicat qu'est le contrôle d'identité.
Etre contrôlé de manière répétitive uniquement à cause de son apparence est une problématique à laquelle doit faire face tout une partie de la population française. Selon une étude du CNRS ces contrôles abusifs sont subis prioritairement par ceux qui sont perçus comme « jeunes » (11 fois plus), « noirs » (6 fois plus que les « blancs »), ou « arabes » (8 fois plus).
Les stories « Mon 1er contrôle d'identité » mettent la lumière de façon originale et décalée sur une véritable question de société, et font la promotion d'une action nationale et inédite contre le contrôle au faciès.
En effet, ces témoignages prouvent que l'on est très loin d'une égalité de traitement face à la police : je vous insère le teaser officiel (bande-annonce à vocation aguichante) de la série dont on compte sortir un nouvel épisode chaque lundi et jeudi à 18h00 à partir du 21 novembre 2011.


Quant à l'enquête du CNRS évoquée, j'imagine qu'ils se rapportent à celle du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), menée sur 5 lieux parisiens (2 à Châtelet et 3 à Gare du Nord), qui a été publiée le 3 septembre 2009. En voici un extrait :
Les résultats obtenus indiquent un écart considérable entre la composition de la population contrôlée et la composition de la population présente sur les lieux. Cet écart concerne en premier lieu le sexe, les hommes étant bien plus contrôlés que les femmes. Les jeunes sont eux aussi surcontrôlés, quelle que soit leur part dans la population de départ. Enfin, l’écart est également patent en ce qui concerne les minorités visibles, quelle que soit leur part également dans la population disponible. Ainsi, si à la descente du Thalys on ne trouve que 7,5% de Noirs, la proportion de Noirs contrôlés y est de 31% de la population totale. A la Fontaine des Innocents, ils constituent 30% de la population de départ, mais 62% de la population contrôlée. Pour résumer, les Noirs ont plus de risques d’être contrôlés que les Blancs au regard de leur part dans la population disponible. Il en est de même pour les Maghrébins.
Les choses se compliquent à partir du moment où l’on considère l’apparence vestimentaire. Sans surprise, les tenues de ville ou de bureau (« business ») et les tenues « normales, décontractées » (« casual ») sont peu contrôlées au regard de leur part dans la population présente. En revanche, les « tenues jeune » type hip-hop, gothique, tektonik, etc. crèvent le plafond. Ces odds-ratios sont même supérieurs à ceux que l’on tire de la seule variable d'apparence physique.
Est-ce à dire que l’apparence vestimentaire est plus prédictive du contrôle d’identité que l’apparence raciale ? Il est difficile de le dire sur la foi de la seule comparaison odds-ratios par odds-ratios ou de l’emploi de techniques visant à neutraliser l’influence d’une des deux variables (techniques de régression logistique).
Il faut donc s’en tenir là : les policiers sur-contrôlent une population caractérisée par le fait qu’elle est masculine, habillée de manière typiquement jeune et issue de minorités visibles.

NOTE du 26 janvier 2012 : HRW publie aujourd'hui un rapport accablant au sujet des contrôles d'identité en France : France : Des contrôles d’identité abusifs visent les jeunes issus des minorités. Voici son texte :
La police française utilise certains pouvoirs trop étendus dont elle est investie pour procéder à des contrôles d’identité abusifs et non justifiés visant des garçons et de jeunes hommes noirs et arabes, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.
Le rapport de 62 pages, intitulé «La base de l’humiliation : Les contrôles d’identité abusifs en France», révèle que les jeunes issus des minorités, dont des enfants n’ayant pas plus de 13 ans, font fréquemment l’objet de contrôles comprenant des interrogatoires prolongés, des palpations portant atteinte à leur intimité, ainsi que des fouilles d’objets personnels. Human Rights Watch a constaté que ces contrôles arbitraires peuvent avoir lieu même en l’absence d’un signe quelconque d’infraction. Les propos insultants, voire racistes, ne sont pas rares, et certains contrôles donnent lieu à un usage excessif de la force par la police.

«Il est choquant que des jeunes noirs et arabes puissent être, et soient, obligés de se mettre contre un mur et soient malmenés par la police en l’absence de réelles preuves d’infraction», a souligné Judith Sunderland, chercheuse senior sur l’Europe occidentale à Human Rights Watch. «Mais en France, si vous êtes jeune et que vous vivez dans certains quartiers, cela fait partie de la vie
Le rapport se fonde sur des dizaines d’entretiens réalisés avec des citoyens français appartenant à des groupes minoritaires, dont 31 enfants, à Paris, Lyon et Lille.
La loi française confère à la police de vastes pouvoirs pour effectuer des contrôles d’identité même en l’absence de soupçons d’acte délictueux, entre autres dans des centres de transport et dans tout lieu désigné par un procureur. Ces contrôles ne sont pas systématiquement consignés dans un rapport de police, et les personnes contrôlées ne se voient remettre aucun document écrit expliquant ou rendant compte de la procédure. La plupart des personnes interrogées par Human Rights Watch n’avaient jamais été informées des motifs des nombreux contrôles qu’elles avaient subis. En raison du manque de données enregistrées, il est difficile d’évaluer l’efficacité ou la légalité des contrôles, a affirmé Human Rights Watch.
Les témoignages publiés dans le rapport viennent s’ajouter aux preuves statistiques et autres récits qui indiquent que la police française a recours au profilage ethnique—c’est-à-dire qu’elle prend la décision d’opérer des contrôles en se fondant sur l’apparence, entre autres la race et l’appartenance ethnique, plutôt que sur le comportement réel des personnes ou sur des soupçons raisonnables d’infraction.
Farid A., un jeune de 16 ans habitant Sainte-Geneviève-des-Bois, en région parisienne, a expliqué que lui et cinq amis avaient été contrôlés à trois reprises près de la Tour Eiffel. «On sort du métro, contrôle. On marche 200mètres, autre contrôle. On marche 200 mètres, et autre contrôle. Il y avait tout le monde, mais ils ont contrôlé que nous
Une étude publiée en 2009 par l’Open Society Justice Initiative et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a établi qu’en France, comparativement aux Blancs, les probabilités de contrôle étaient six fois plus élevées pour les Noirs, et près de huit fois plus élevées pour les Arabes. Bon nombre de personnes interrogées par Human Rights Watch étaient convaincues que leur ethnicité, conjuguée à une tenue vestimentaire associée aux banlieues, jouait un rôle important.
«Contrôler les gens à cause de leur couleur de peau revient à gaspiller les ressources de la police et engendre du ressentiment à l’égard des policiers», a fait remarquer Judith Sunderland. «Les opérations de police devraient s’appuyer sur des preuves et des renseignements, pas sur des stéréotypes
Lors des contrôles, les jeunes issus des minorités doivent souvent subir des palpations humiliantes et une fouille de leurs objets personnels. Les palpations peuvent porter atteinte à leur intimité – Saïd, un jeune homme de 25 ans de Lyon, nous a confié, «Ils nous touchent de plus en plus les parties intimes» – et bon nombre de jeunes interrogés s’en sont plaints. Les membres des forces de l’ordre justifient les palpations en les présentant comme une mesure de sécurité nécessaire, mais leur utilisation, pourtant systématique, n’est pas clairement réglementée par la loi française.
Human Rights Watch a également recueilli des témoignages inquiétants de violence lors de contrôles d’identité. Des personnes ont notamment déclaré avoir été giflées, frappées à coups de pied ou visées par une arme à décharge électrique.
Ismaël Y., un jeune de 17 ans habitant en banlieue sud de Paris, a été contrôlé par la police en compagnie d’un groupe d’amis devant la gare de banlieue de Sainte-Geneviève-des-Bois début 2011. «Lorsqu’on était avec les mains contre le mur, je me suis tourné vers lui [le policier qui le fouillait] et il m’a frappé la tête. J’ai dit quelque chose comme ‘pourquoi vous me frappez’, et il m’a dit ‘ferme ta gueule, tu veux un coup de gazeuse [lacrymogène] ou quoi?’»
Le refus d’obtempérer lors d’un contrôle d’identité, ainsi que le fait de poser trop de questions ou de protester contre la manière d’être traité peuvent déboucher sur des plaintes administratives ou pénales telles qu’ «outrage à agent». Cela ajoute une dimension coercitive aux contrôles d’identité et dissuade les gens de faire valoir leurs droits, a expliqué Human Rights Watch.
Yassine, un jeune de 19 ans de Lille, a déclaré que lors d’un contrôle d’identité, des policiers lui avaient asséné des coups de pied après qu’il leur avait prouvé où il avait passé la soirée. Il avait ensuite passé 15 heures en garde à vue pour outrage à agent avant que les charges ne soient abandonnées et qu’il soit libéré.
Les contrôles d’identité abusifs ont un impact profondément négatif sur les relations entre la police et les communautés, a souligné Human Rights Watch. La colère refoulée face aux abus de la police, entre autres face aux contrôles d’identité musclés, a joué un rôle significatif dans les émeutes dont la France a été le théâtre en 2005, et semble être à la base d’innombrables conflits de moindre intensité entre la police et les jeunes des zones urbaines défavorisées partout dans le pays.
Human Rights Watch a fait remarquer que les expériences de contrôles répétés tout au long d’une journée ou le fait d’être choisi pour un contrôle au milieu d’une foule d’autres personnes renforcent le sentiment qu’ont les jeunes issus des minorités d’être pris pour cible.
Le comportement irrespectueux de la police, entre autres l’usage habituel du tutoiement et d’insultes, accentue ce ressentiment. Certaines personnes interrogées en vue du rapport ont déclaré avoir été traitées de «sale bougnoule» ou de «bâtard d’Arabe». Un jeune de 19 ans habitant Lille a signalé qu’il avait été traité de «sale bougnoule» tant de fois que «ça nous choque plus, c’est normal».Un garçon de 13 ans d’Évry, en région parisienne, a confié qu’un policier l’vait traité de «sale négro».
Le droit international et le droit français interdisent la discrimination, l’ingérence injustifiée dans l’exercice du droit à la vie privée, ainsi que les violations de la dignité et du droit à l’intégrité physique. Les normes nationales et internationales exigent également que la police traite les gens avec respect.
Human Rights Watch a appelé le gouvernement français à reconnaître les problèmes posés par les pouvoirs conférés à la police pour les contrôles d’identité, et à adopter les réformes juridiques et politiques nécessaires pour prévenir le profilage ethnique et les mauvais traitements lors des contrôles. Tous les contrôles d’identité et palpations devraient être fondés sur des soupçons raisonnables et individualisés. Toute personne contrôlée devrait se voir remettre une preuve écrite de l’interpellation, reprenant des informations pertinentes telles que ses données personnelles, les noms des agents ayant procédé au contrôle, ainsi que la base juridique de celui-ci.
La police devrait également consigner tous les contrôles dans un registre interne, et le gouvernement devrait publier régulièrement des données ventilées à ce sujet. Toute discrimination de la part de membres des forces de l’ordre devrait être explicitement interdite.
«Franchement, les relations entre la police et les minorités sont déplorables en France, et tout le monde le sait», a conclu Judith Sunderland. «L’adoption de mesures concrètes visant à prévenir les contrôles d’identité abusifs – l’une des principales sources de tension – constituerait un véritable pas en avant et apporterait un réel changement dans la vie quotidienne des gens.»

Témoignages tirés du rapport :

Ouamar C., 13 ans, Paris :
« J’étais avec mes amis assis dans un coin... et ils sont venus nous contrôler. Je n’ai pas parlé car si tu parles, tu es embarqué. Ils ont ouvert ma sacoche. Ils ont aussi cherché sur mon corps. Ça se passe comme ça chaque fois. Ils n’ont rien trouvé sur moi. C’est la première fois que ça se passe devant l’école. Ils disent «Mettez-vous contre le mur», ils fouillent, à la fin ils disent merci et ils s’en vont... Ça fait peur au début quand on me contrôle. Maintenant je commence à m’habituer. »
Haroun A., 14 ans, Bobigny :
« J’étais dans le centre commercial avec des copains en train de s’amuser. Ils [les policiers] viennent avec leurs armes et ils nous braquent. Il y avait trois policiers. Ils nous ont dit ‘contrôle d’identité’. Deux avaient dans les mains les flash-balls [armes qui utilisent des balles de caoutchouc]. J’étais avec cinq ou six amis. On ne faisait rien. Tout le temps ils nous contrôlent comme ça. Quand on est en groupe tout de suite ils nous contrôlent. Ils ont demandé si on avait des trucs. Ils nous mettent contre un mur, ils nous fouillent même dans les chaussettes et les chaussures. Ils n’ont rien trouvé. Les papiers ils demandent, mais pas tout le temps. »
Halim B., 17 ans, Lille :
« Le bus s’arrête et la police monte. J’étais assis au fond. C’était à 7h20 du matin. Le bus était rempli... Ils ont désigné un mec et lui ont dit, «tu te lèves et tu descends avec nous». Je regardais, je croyais que c’était un criminel, et ils m’ont désigné aussi pour descendre. Trois personnes sont descendues, et il y avait deux Arabes sur trois. Le bus était rempli, il y avait plein de monde debout. Il y avait plus de Français [Blancs] dans le bus (...) Les contrôles, ils [les policiers] ont le droit de les faire autant de fois qu’ils veulent mais franchement, j’étais gêné. Je me suis senti comme si j’étais un cambrioleur, un délinquant poursuivi. J’avais peur quand ils m’ont désigné pour descendre. Je me demandais ce que j’avais fait. Quand je suis descendu [du bus], ils ont dit ‘contrôle, est-ce que vous avez rien d’illicite sur vous, videz vos poches’. Ils ont fouillé mon sac, puis je suis parti. Je suis arrivé un peu en retard à l’école. Franchement, j’étais pas mal habillé ou quoi, j’allais à l’école. »


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