Le Français dans le Monde - Mai-juin 2007 - N°351
Point didactique : Le blogue en classe de langue
Du journal intime aux réseaux sociaux
Le blogue est un outil très à la mode, il reste pourtant encore obscur pour certains. Voici des éclaircissements nécessaires pour qu’enfin ce dernier né du multimédia révèle tout son potentiel pédagogique.
L’Office québécois de la langue française (OQLF) définit le blogue comme « un site web ayant la forme d’un journal personnel, daté, au contenu antéchronologique (ordre chronologique inverse) et régulièrement mis à jour, où l’internaute peut communiquer ses idées et ses impressions sur une multitude de sujets, en y publiant, à sa guise, des textes informatifs ou intimistes, généralement courts, parfois enrichis d’hyperliens, qui appellent les commentaires du lecteur ». Un certain nombre de termes sont également utilisés pour parler de cette réalité : carnet web, cybercarnet, weblog, blog, journal web, webjournal, joueb, jourel et bloc-notes.
Même si, comme la définition le dit, d’un point de vue visuel et technique, un blogue n’est en fait qu’un site internet, il y a une approche à la fois technique et philosophique qui va bien au-delà. En opposition à cette définition originelle et reconnue, qui ne tient compte en fait que de l’aspect individuel inhérent au journal intime, nous souhaitons montrer que les blogues aujourd’hui ont pris une dimension « pronétaire » (voir infra) et communautaire remarquable.
Le blogue répond avant tout à un certain besoin d’exister. Cependant, exister sur internet n’est pas suffisant, il faut être reconnu et intégré dans une communauté virtuelle. Bloguer n’est pas uniquement parler de soi, de sa vie, donner son opinion, c’est aussi et surtout interagir avec les autres internautes, créer quelque chose à plusieurs, échanger et partager ce qui a été créé. L’espace privé du début s’est transformé en espace d’échange. Les diaristes du début, auteurs de journaux intimes, continuent bien sûr à écrire publiquement leur vie. Les deux modes d’expression coexistent et correspondent à des besoins différents.
Agir ensemble : l’esprit communautaire
Le Cadre européen définit ce que l’on nomme une perspective communicationnelle et actionnelle (pour reprendre l’expression de Daniel Coste), qui met sur le devant de la scène l’agir social, l’action commune pour parvenir à un but partagé dans un contexte précis. Selon De Rosnay, le fait marquant de ces dernières années est l’explosion de la « création collaborative ou intercréative » qui « fait appel à des réseaux d’intelligence collective et non plus à des organisations humaines pyramidales ». Les blogues des jeunes sont le ferment de ce nouvel esprit. Les blogues communautaires constituent ainsi un contexte particulièrement favorable à cet agir communicationnel et actionnel qui nous intéresse pour les langues.
Le besoin social de l’homme, celui de faire partie d’un groupe existe sans aucun doute, qu’il soit exprimé explicitement ou pas. Une communauté virtuelle est avant tout un groupe interagissant sur internet. Ce qui caractérise plus fondamentalement la communauté virtuelle, comme tout type de communauté, c’est le fait d’avoir un but ou des intérêts communs (Dillenbourg, 2003). Construire collectivement une expérience, partager des émotions ensemble, est une quête qui vaut la peine d’être vécue. À partir de ces éléments, il n’est pas difficile de reconnaitre comment cette intelligence collective se développe, ni de comprendre pourquoi on voit apparaitre à une allure phénoménale tous ces artefacts, outils cognitifs virtuels, nécessaires à ces communautés.
On peut, de ce fait, parler de communauté d’apprentissage informel, brisant ainsi la frontière entre action et apprentissage. Le blogue offre à la communauté un espace peu hiérarchisé avec des outils d’interaction et de partage faciles à utiliser, invitant même à l’apprentissage. Les interactions et échanges suivent une « forme narrative et ouverte », fortement contextualisée et chargée émotionnellement, permettant ainsi une co-construction de savoirs, savoir-faire et savoir-faire sociaux.
Les nouveaux atouts du blogue communautaire
Le génie technologique des blogues, qui leur a assuré un succès universel (blogues de jeunes, blogues de citoyens, blogues des politiques…), repose sur une recette simple : ils sont faciles à créer, à utiliser et offrent la possibilité d’arriver rapidement à un très joli site internet performant, qui permet à tous ceux qui le souhaitent d’interagir. Toutes les formes d’expression sont aujourd’hui possibles et font des blogues de fabuleux outils multimédia : écrit, vidéo, audio, photo, dessin. L’important est de libérer l’expression et la fantaisie de Monsieur tout le monde à travers un nouveau média de masse ouvert et gratuit qui s’oppose aux mass médias traditionnels fermés et payants (De Rosnay, 2006).
L’atout majeur est l’interactivité que l’on trouve dans le système des billets. La valeur et la réputation d’un blogue se fait généralement par la popularité, illustrée par le nombre de commentaires et de visites. Le deuxième atout est assuré par la technique de la syndication, ce qu’on appelle les fils rss intégrés au blogue et qui permettent aux lecteurs de s’abonner comme s’ils s’abonnaient à un journal. Il est de ce fait possible de récupérer automatiquement, et dès leur parution, les contenus recherchés. Les blogues constituent ainsi un vaste réseau social de publication et de distribution de contenus.
Une autre prouesse technique est la facilité de classification, d’archivage et de navigation. Les blogues récents ont adopté une nouvelle philosophie de classement des billets, à savoir par mots-clés intuitifs (tags). Cette indexation populaire (on parle de folksonomie) permet une représentation graphique sous forme de nuage de tags hyperliens qui rend possible une navigation thématique, et non plus uniquement chronologique. Cette navigation a ceci de remarquable qu’elle ouvre la possibilité d’entrer en relation avec d’autres internautes en utilisant le même tag. Ce système a fait tache d’huile et est utilisé par la plate-forme d’archivage de photos (Flickr), mais bien d’autres encore, comme par exemple la plate-forme d’archivage de signets (del.icio.us.).
Enfin, les blogues facilitent l’intégration d’extensions (plugins), mais aussi l’intégration directe de photos (Flickr - application de gestion de photos en ligne), de vidéos (Youtube - application de gestion de vidéo en ligne). Il est également facile de télécharger et d’écouter des podcasts. Les blogues intègrent aussi les services de communication comme le chat communautaire et le téléphone (meebo, skype…).
La révolte du pronétariat
La blogosphère est devenue en peu de temps un territoire de communication, d’échange, d’inventivité, de créativité, unique en son genre. Ce réseau social communautaire a pris la place du système de production et de diffusion capitalistique classique. De Rosnay parle de « révolte du pronétariat ». Ainsi, grâce au blogue, l’autopublication est aujourd’hui une réalité. Nul besoin de rechercher un éditeur. La publication est immédiate, gratuite, sans frein ou obstacle éditorial. Il serait faux, et vain, d’intenter un mauvais procès ès qualité en jugeant négativement ces contenus. Cette tentative existe et a touché le frère jumeau du blogue, le wiki. L’encyclopédie gratuite Wikipédia se voit régulièrement dénigrer toute qualité scientifique. Or, le contrôle de la qualité existe et se fait en réseau, sous des formes diverses dont les commentaires et autres appréciations ou votations. Tout se publie, la sélection se fait naturellement au sein même de la blogosphère et non pas par élimination préalable ou financière. On retrouve, comme dans l’édition classique, des valeurs sûres, des effets de mode et des doués du marketing.
Écrire à plusieurs mains
Dans un blogue du journal Le Monde (http://argoul.blog.lemonde.fr), l’auteur se pose la question de « l’écriture blog ». Ce blogueur, plutôt classique, a créé son blogue et reconnait être prêt, dans son carnet de voyages, à tenter l’expérience de l’écriture blogue qu’il définit de la manière suivante :
« J’ai dans l’idée (sic) d’augmenter la part des photos, de rédiger des textes plus courts, de centrer chaque note sur un seul thème. Telle une mosaïque, la suite des notes prendra alors sa dimension. Elle perdra ce côté "construit", "trop rédigé" qui indispose certains. Peut-être. Après tout, un blog n’est pas "gravé dans le marbre", mais demeure une trace éphémère qui doit inciter aux liens, à l’avancée - toujours - de la pensée, même embryonnaire… Parfois, il suffit de si peu de choses. »
L’écriture blogue n’est pas construite comme le texte académique et littéraire que l’école cherche à transmettre. Le texte est court et ressemble à une suite agréable de notes, mais pas trop formalisée.
Certaines règles de publication sont indispensables à la popularité1 et à la renommée d’un blogue. Gaetano, (http://www.expressions.be/index.php?Ecrire-pour-les-blogs) explique de manière très claire le métier d’écrivain de blogue. On retiendra trois points : écrire régulièrement, choisir un titre qui accroche, inviter les lecteurs à participer. Gaetano va plus loin et explique comment garder sa renommée malgré les fils rss et autres extensions qui permettent de lire sans aller sur les sites... Le chapitre 3 de Gaetano est particulièrement intéressant puisqu’il explique l’importance des tags qui permettent l’ouverture et le partage dans toute la blogosphère et la toile. « Le but étant, in fine, qu’en taggant mon article "voiture de sport", il se retrouve agrégé avec tous les autres articles publiés par d’autres auteurs qui auront, eux aussi, taggé un article "voiture de sport". »
Mais, l’écriture blogue c’est avant tout une écriture collective, solidaire, à plusieurs mains, un brouillon partagé qui ne vise aucune finalisation (voir Boudroux sur l’écriture collective, http://www.cndp.fr/dossiersie/45/acrobat/06206311.pdf). L’écriture collective n’est pas facile à définir. J’ai trouvé sur un blogue un commentaire qui explique le but de cette écriture particulière et le plaisir d’écrire à plusieurs :
« Juste le plaisir d’échanger autour de mots et voir avec surprise comment un même texte peut amener des univers si différents. Pour ceux qui écrivent, j’en fait (sic) partie, cela permet de désacraliser l’acte d’écriture. Non, l’écriture (sic) n’est pas le domaine réservé des écrivains qui nous enchantent tant. Il peut être également un espace de jeu et de plaisir sans autres finalités que celles-ci. »
(http://blogauteurs.typepad.com/le_blog_des_blogs_littrai/2006/05/les_blogs_decri.html)
On pense souvent que le blogue est limité à son seul auteur responsable et créateur, comme dans le journal personnel. Or, il est de plus en plus possible, comme pour le wiki, d’inviter d’autres auteurs qui partagent la responsabilité des billets. Mais l’écriture collective ne se limite pas aux auteurs responsables, les lecteurs en réagissant peuvent devenir de véritables contributeurs. Ils renvoient souvent à leurs propres réflexions sur leurs blogues et proposent des liens vers d’autres réflexions et contributions. L’écriture collective des blogues n’est de ce fait pas linéaire, mais spatiale. Chacun doit s’adapter aux choix énonciatifs des autres, aux contraintes imposées par le blogue et sa communauté. Il ne suit pas les règles scolaires de l’écriture de groupe, ne suit pas de schéma narratif précis. Et la frontière entre auteur et lecteur disparait dans la mesure où on peut être contributeur, mais aussi auteur de son propre blogue. Une fois le billet posté on acquiert un nouveau statut, d’autres peuvent réagir, l’auteur/lecteur se voit de l’extérieur et, en sachant que le contenu est public, il ne peut que réfléchir à ce qu’il vient d’écrire.
L’écriture collective ressemble ainsi à un kaléidoscope de reflets d’opinions, de pensées. Une pensée collective se construit par touches infimes et éphémères, jusqu’à ce que le tour de la question soit provisoirement fait et l’éventail d’opinions ainsi créé se fige un moment. L’ensemble, billets, commentaires et liens inter-blogues, constitue une unité réflexive qui n’aurait pas la même valeur et richesse de langue, d’optique, si l’auteur était unique. Le blogue permet de garder la trace de tout cela dans les archives, vaste mémoire collective de la blogosphère. Il est loin d’être un simple journal intime, il est un véritable réseau social.
Claude Springer, directeur du Dpt de didactique des langues/FLES, Université Marc Bloch de Strasbourg et Anna Koenig-Wisniewska, doctorante, Université de Poznan (Pologne)/Université de Strasbourg
1. La popularité est actuellement calculée par les citations et par le classement de Google. Pour des conseils sur la popularité, consultez : http://www.webdeux.info/8-astuces-pour-crire-des-articles-pour-un-blog
Références
Boudroux, E., Écritures hypertextuelles, Du carnet individuel à l’écriture collective, http://www.cndp.fr/dossiersie/45/acrobat/06206311.pdf, Dillenbourg.
Rosnay, J. et Revelli, C., La révolte du pronétariat, 2006, http://www.pronetariat.com
Vie palpitante d’un prof de ZEP, http://perso.orange.fr/notules/
Web 2.0, blogue de Jean-François Ruiz : http://www.webdeux.info/8-astuces-pour-crire-des-articles-pour-un-blog
Fugues & fougues : http://argoul.blog.lemonde.fr
Expressions.be, blogue de Gaetano : http://www.expressions.be/index.php?Ecrire-pour-les-blogs
Clic : http://www.clic.ntic.org/cgi-bin/aff.pl?page=article&id=1001
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