mardi 20 octobre 2009

L'Armée du crime

« Je trouvais leur histoire tellement belle et héroïque que j'avais un peu peur de la raconter », dit Robert Guédiguian à l’AFP, après avoir présenté au 62e Festival de Cannes son film L'armée du crime, un hommage à un groupe des Francs-tireurs et Partisans (FTP), issu de la Main-d’œuvre immigrée (la MOI, qui avait aussi des Français) et composé de jeunes résistants communistes immigrés, juifs, hongrois, arméniens, polonais, espagnols, roumains ou italiens, qui combattait le nazisme à Paris. Le groupe était dirigé par Missak Manouchian, ouvrier et poète.

L’expression « l’armée du crime » fut créée par la propagande nazi-collabo ; une affiche rouge montrait les membres du groupe sous le slogan : « Des libérateurs ? La Libération ! Par l'armée du crime »

Je n’ai pas encore eu l’occasion de voir le film de Guédiguian, sorti en salles le 16 septembre. On peut visiter son site web qui dispose de surcroît d’un espace enseignant muni de ressources pédagogiques à télécharger (en partenariat avec le musée de la Résistance nationale et avec le soutien de l'Association des Professeurs d'Histoire et Géographie). Parmi les différents commentaires déclenchés par cette reconstruction historique —dont le budget a atteint 9 millions d’euros—, j’ai retenu des extraits de la critique de Mehdi Benallal publiée par Le Monde diplomatique :
La première scène du film est l'une des plus belles. Dans l'ombre du fourgon de police qui les conduit vers la torture et la mort, Missak Manouchian et ses camarades, serrés comme des sardines, menottés, regardent passer les Parisiens, hommes, femmes et enfants, libres dans la douce lumière d'une journée ensoleillée. Bouleversant contraste car, en réalité, le responsable des Francs-tireurs et partisans de la main-d'oeuvre immigrée de Paris et ses amis ont choisi d'être libres jusqu'au bout, alors que Paris est une prison à ciel ouvert.
(...) L'Armée du crime insiste sur l'idée de contradiction. Contradiction, par exemple, entre l'organisation et les militants de base : ceux-ci sont sommés de sacrifier leur vie familiale, amoureuse, en souffrent et le disent. Contradiction aussi entre l'obligation de tuer et l'amour de la vie qui anime ces « terroristes ». Quand il jette une grenade sur une patrouille nazie, Manouchian revient sur les lieux, regarde les corps, et son visage exprime la plus profonde amertume.
(...) Ainsi Manouchian pouvait écrire à Mélinée, sa femme, le 21 février 1944, jour de son exécution : « Au moment de mourir, je proclame que je n'ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit. »
Décidément, Robert Guédiguian s'éloigne comme toujours de l'actualité pour lui préférer la vie réelle, celle des gens en chair et en os, que ce soit à travers l'intrahistoire (cf. Marius et Jeannette, La Ville est tranquille, etc.) ou une Histoire plus célèbre, comme dans L'Armée du crime. Si vous le souhaitez, cliquez dessus pour voir sa Bande-annonce.

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Mise à jour du 6.08.2018 :

Dans les pages du Monde, dans un long et soigné article, Dominique Buffier fait état de la disparition d'Arsène Tchakarian (Sabandja, Empire Ottoman, 1916), dernier survivant, dernier témoin, du groupe résistant dirigé par Missak Manouchian. Historien, il habitait à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) et s'est éteint à l’hôpital Paul-Brousse, à Villejuif, le samedi 4 août, à l'âge de 101 ans.
Lorsqu’il commentait cette période [de la résistance], Arsène Tchakarian disait :
« Nous n’étions pas des hérosIl ne faut pas croire que nous n’avions pas peur. Nous avons résisté parce que nous en avions la possibilité : pas de famille, pas de travail. Et parce que nous aimions la France. Elle nous avait adoptés. »
«La France c’était le pays des libertés, mais on se battait aussi par anti-fascisme», racontait Arsène Tchakarian à l’AFP en 2011.
Le Monde nous rappelle également qu' à l’occasion de l’inauguration de la rue du Groupe-Manouchian, dans le 20e arrondissement de Paris, Louis Aragon écrivit le poème Strophes pour se souvenir. Ces vers seraient publiés en 1956 dans Le Roman inachevé (Gallimard), puis mis en musique et interprétés par Léo Ferré en 1959 sous le titre L’Affiche rouge, composition qui fait partie de son album Les Chansons d’Aragon (1961).


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