mercredi 13 juin 2012

CAC alternatif pour un audit citoyen de la dette publique

Dans Le Monde diplomatique de juin 2012, un article de l'économiste Jean Gadrey aborde le sujet de La dette. Quelle dette ? Voilà, c'en est justement le titre.
Gadrey y écrit :
(...) Depuis l’été 2011, l’appel national « Pour un audit citoyen de la dette publique », rassemblant vingt-neuf associations, organisations non gouvernementales (ONG) et syndicats, et bénéficiant du soutien de diverses formations politiques, a été signé par près de soixante mille personnes. Plus de cent vingt comités d’audit citoyen (CAC) se proposant de « remplacer les agences de notation » ont été créés depuis l’automne 2011. Comment expliquer un tel engouement ?
L’un des animateurs de cette campagne, le philosophe Patrick Viveret, rappelle que le mot « désir » — ici, celui de s’impliquer dans une mobilisation — provient de « dé-sidérer » : « La sidération a ceci de caractéristique que même les victimes pensent qu’il n’est pas possible de faire autrement. La sidération, c’est, sur le plan économique, ce qu’on pourrait appeler la pensée TINA [“There is no alternative”] de Margaret Thatcher : un état où l’on dit juste “Oui, c’est catastrophique” et “Non, on ne peut pas faire autrement”. » Il s’agirait en somme d’un « blocage de l’imaginaire », de l’indignation et de la critique. Or, au sein des CAC, les choses se décoincent lorsque les participants font certaines découvertes, qui les laissent en général incrédules :
– Comment? Les dépenses de l’Etat français, en pourcentage de la richesse totale produite, n’auraient pas progressé depuis vingt ans ? Elles auraient même un peu baissé, passant de 24 % du produit intérieur brut (PIB) au milieu des années 1980 à 22 % au milieu des années 2000 ? En êtes-vous certain ?
– Vous dites que les recettes de l’Etat ont quant à elles perdu quatre points de PIB, passant de 22 % à 18 % sur cette période ? « Ils » ont donc fait le choix de priver l’Etat de recettes ?

– Les cadeaux fiscaux décidés au cours des années 2000 représentent-ils vraiment un manque à gagner de 100 milliards d’euros par an ?
– De nombreux grands pays du monde, comme les Etats-Unis et le Royaume-Uni, auraient une banque centrale qui prête directement à l’Etat à des taux proches de zéro, et pas nous ?

– Si la Banque centrale européenne (BCE) avait accepté de prêter directement aux pays de la zone euro comme elle le fait pour les banques, c’est-à-dire à 1 %, aucun ne serait désormais confronté à une dette jugée « insupportable », c’est bien cela ?
– On pourrait refuser de payer une dette publique quand on l’a contractée ? Mais est-ce que cela a déjà été fait ?
(...)
Toutes ces questions ont des réponses positives... Si l'importunité du créditeur vous fâche, commencez par visiter le site de notre CAC, qui n'est surtout pas le CAC40 mais, comme vous venez de le lire, le Collectif pour un audit citoyen de la dette publique ; il contient infos, citations, vidéos, agenda, etc. Dans leur présentation, ils lancent une espèce de manifeste ; le voilà :
Pour un audit citoyen de la dette !
... et le lancement d'un vaste débat démocratique.

Écoles, hôpitaux, hébergement d'urgence… Retraites, chômage, culture, environnement... nous vivons tous au quotidien l'austérité budgétaire et le pire est à venir. « Nous vivons au-dessus de nos moyens », telle est la rengaine que l'on nous ressasse dans les grands médias.
Maintenant « il faut rembourser la dette », nous répète-t-on matin et soir. « On n’a pas le choix, il faut rassurer les marchés financiers, sauver la bonne réputation, le triple A de la France ».
Nous refusons ces discours culpabilisateurs. Nous ne voulons pas assister en spectateurs à la remise en cause de tout ce qui rendait encore vivables nos sociétés, en France et en Europe.
Avons-nous trop dépensé pour l’école et la santé, ou bien les cadeaux fiscaux et sociaux depuis 20 ans ont-ils asséché les budgets ?
Quant aux vidéos, elles contribuent à mieux connaître les dessous puants de la politique et de la finance qui ravagent nos vies et nos sociétés au nom de conneries incommensurables ; en voilà un échantillon :


Quant à la citation du jour, elle date de 1936...
« Nous avons à lutter contre les vieux ennemis de la paix – le business et les monopoles financiers, la spéculation, les banques déchaînées. »
F. D. Roosevelt.

lundi 11 juin 2012

Voyage en Bourgogne - Jour I, le soir - Dijon

Deuxième volet de cette histoire. Quant au premier, vous pouvez cliquer ci-contre : Vol et arrivée à Dijon.

Donc, le 10 mai 2012, après installation à l'hôtel, nous entamâmes la visite à pied du centre-ville de Dijon : place Darcy, l’Arc de Triomphe, rue de la Liberté, rue Mably, la Poste et la place Grangier, rue Musette, Les Halles : le marché couvert du centre-ville fut construit par l’entreprise Eiffel en 1868. Tout autour, il y avait une glorieuse ambiance d'oisiveté nonchalante, rudement improductive, grâce notamment aux terrasses des cafés et des restaurants. Parmi les voyageurs, il y en eut qui en profitèrent pour acheter leur pique-nique du lendemain, y compris des fraises gariguette qui sont bien à point en mai !

Bistrot Quentin

 Coluche sur un mur de la Ruelle - rue Musette

Ensuite nous continuâmes sous le soleil bourguignon vers l’église Notre-Dame, dont les gargouilles de la façade occidentale —et l'horloge, et son Jacquemart— attirèrent longtemps notre attention.

Gargouilles de la façade occidentale - Église Notre-Dame de Dijon

 Triforium et rosace - Église Notre-Dame de Dijon

Puis l’Hôtel de Vogüé, la rue Verrerie, le square des Ducs, le palais des Ducs de Bourgogne, avec sa tour de Philippe Le Bon, et finalement, la place de la Libération et ses ruelles adjacentes. Bref, le Dijon des photos de tous les touristes.

 Palais des Ducs de Bourgogne: aile du Musée des Beaux-Arts - Dijon

 Tour Philippe Le Bon vue de la rue Vauban - Dijon

Nous prîmes un pot tous ensemble aux Grands Ducs. Puis, il fallut s’éparpiller pour trouver où dîner.
La Bourgogne invite à s'épanouir en la matière. Quant à moi, ce premier dîner, je me tapai une demi-bouteille de Les Coteaux sous La Roche, Santenay 2009, un blanc sec, légèrement fumé, dont le Gault et Millau nous précise : le minéral à fleur de peau, un nez qui transpire la craie humide, avec quelques touches florales et un boisé subtil. La bouche est fluide, légère, avec une tension rare sur ce millésime.
Je choisis aussi le plateau de trois frometons du restaurant, composé d'Époisses, de Brillat-Savarin et de l'incontournable St.-Marcellin, la célèbre appellation dauphinoise.
Époisses est une ancienne place forte édifiée entre les XIVe et XVIIIe siècles qui se trouve à 12 km à l’ouest de Semur. La Marquise de Sévigné (1626-96) y allait souvent se reposer. L'Époisses, cistercien affiné au marc, fut considéré par Brillat-Savarin le roi des fromages, comme m'expliqua un voisin de table, presque convive —à tel point l'espace est précieux dans les restaurants français.
Ce que B.-S. ignorait, c'est qu’on allait en élaborer un autre qui porterait son nom. Selon Wikipédia, il fut créé par la famille Dubuc, dès 1890, près de Forges-les-Eaux (Seine-Maritime), sous le nom d’« Excelsior » ou « Délice des gourmets ». Dans les années 1930, il serait renommé par Henri Androuët en l’honneur de l’auteur de La Physiologie du Goût. Ce fromage est un triple crème, doux au palais, qui se mange jeune et bien frais. Il est produit en Normandie et en Bourgogne à base de lait de vache, à pâte molle à croûte fleurie, admirable euphémisme dont on dispose en français quand la croûte du fromage développe des moisissures en surface lors de son affinage —12 jours dans ce cas. Comme sa période de dégustation optimale s’étale d’avril à octobre, on peut dire que j’étais servi. Tournée du patron, à la fin de mon dîner, j’eus droit à un marc de Bourgogne qui purifia mes intestins et remua mes souvenirs.

Église St.-Michel, vue nocturne.

Plus tard, après la prise tranquille de quelques photos nocturnes, paisible promenade jusqu'au Vieux Léon, une vieille taverne dont la cave propose de petits concerts de chanson française ; près du zinc, on voit un portrait de Georges Brassens aux cheveux roux punk ; drôle de mélanges dans cette France si noble, si duché de Bourgogne et si faubourienne. Sur les tables de l’extérieur, on fumait grave, comme dans les bons vieux temps.

 Au Vieux Léon - Rue Jeannin, Dijon


samedi 9 juin 2012

Le Chef de l'État et les éléphants

Gilbert Laffaille, ancien professeur de français au nom tectonique, avait cru pertinent de composer une fable chantable où il était question des probes proboscidiens d'une brousse et d'un président qui était allé y voir.
C'était 1977 et Laffaille évoquait forcément les réjouissances africaines du président Giscard d'Estaing, mais tout texte risque d'avoir plusieurs emplois surtout quand il ne présente pas de faille et qu'il ne trompe pas. Au bout du compte, il peut y avoir toujours d'autres clans d'Estaing contribuant à la disparition de sages vies venant du fond des âges tout en occupant la présidence d'honneur d'organisations écologistes internationales résolument indépendantes. Faut-il mettre un chef d'État dans tous ses états hors d'état de nuire ? Écoutons cette chansonnette innocente :

J'ai dit à mes enfants, / Mes bébés éléphants: / "Regardez l'homme blanc: / Ça, c'est un président. / C'est celui qui sourit / Et qui tient un fusil. / Il dirige un pays / Où y a pas d'éléphants." / - Qu'est-ce qu'y z'ont donc là-bas? / - Y z'ont pas d'éléphants / Mais y z'ont des moutons, / Des troupeaux de moutons / Et puis un président. / - Qu'est-ce qu'ils font, ces moutons? / - Ils ont jamais le temps. / - Et lui, qu'est-ce qu'il fait là? / - Il vient pour tuer le temps!
"Est-ce qu'il a des enfants, / Ce monsieur Président?", / M'ont d'mandé mes enfants / En langage éléphant. / "Oui, bien sûr, il en a, / Et quand il seront grands, / Ils iront à l'E.N.A., / Ils seront Présidents."
- Où est-ce que c'est l'E.N.A.? / - Où est-ce que c'est l'E.N.A.? / Est-ce que c'est loin d'ici? / Est-ce que c'est au Kenya? / - Mais non, c'est à Paris. / - Et Paris, où est-ce que c'est? / - C'est derrière la prairie. / Bon, maintenant, ça suffit: / Il commence à tirer!
Ils ont eu le vieux Paul / Qui pouvait plus courir, / Mauricette et Frédo / Qui se grattaient le dos. / Ils étaient sans défense. / Je dis pas ça pour rire: / C'aurait pu être pire, / On a eu de la chance!
- Qu'est-ce qu'y z'ont donc là-bas? / Nous on vit bien au chaud / Au fin fond de la brousse, / On s'pousse au bord de l'eau / Et là, on s'éclabousse, / On fait partir les mouches / Qui sont dans nos oreilles. / Après on prend des douches / A poil sous le soleil! / On n'est pas bien sauvages, / Juste un peu corpulents, / L'oeil tout rond, pas méchants. / Plutôt dans les nuages, / On voyage à pas lents, / C'est pour ça qu'on est sages. / On vient du fond des âges, / D'avant les Présidents!
- Où est-ce que c'est l'E.N.A.? 
Dans sa Théorie de la classe de loisir, Thorstein Veblen écrivit ces deux morceaux que je tire de mon édition castillane signée Carlos Mellizo (Alianza Editorial) :
« Cuando la comunidad pasa de un salvajismo pacífico a una fase depredadora de vida, las condiciones de emulación cambian. Las oportunidades e incentivos de emulación aumentan considerablemente en amplitud y urgencia. La actividad de los varones adopta cada vez más un carácter de proeza; y una comparación odiosa entre un cazador o guerrero y otro, va haciéndose más fácil y habitual. Evidencias tangibles de que algo constituye una proeza —los trofeos— encuentran un lugar en los hábitos mentales de los hombres como pieza esencial de los paraphernalia de la vida. El botín, los trofeos de caza o de guerra son apreciados como prueba de fuerza preeminente. La agresión se convierte en la forma acreditada de acción, y el botín sirve de evidencia prima facie de una agresión triunfal. » (page 43, opus cit.)

« Los deportistas —cazadores, pescadores— tienen en mayor medida el hábito de considerar el amor a la naturaleza, la necesidad de recreo y otras cosas semejantes como incentivos de su pasatiempo favorito. (...) Estas ostensibles necesidades podrían satisfacerse con más facilidad y de modo más completo sin el acompañamiento de un esfuerzo sistemático por quitar la vida a aquellas criaturas que constituyen una característica esencial de esa « naturaleza » amada por el deportista. Ciertamente, el efecto más perceptible de la actividad del deportista es mantener la naturaleza en un estado crónico de desolación, mediante el procedimiento de matar a todos los seres vivos cuya destrucción está a su alcance. » (page 259, opus cit.)
Sous le titre Un roi carabiné, le Canard Enchaîné a abordé en mai la dernière bévue pachydermique exemplaire, histoire de montrer comment les glandeurs à grandeur édifiante se serrent les coudes lorsque l'heure est grave. Cliquez sur le lien de l'article si sa lecture vous tente.
Moi, en matière cynégétique en général, je pense toujours à ce sketch des Inconnus, Les Chasseurs, dont la tautologie est à savourer :