Grève générale en Espagne : "La précarité est devenue la norme"
Le Monde a publié, dans son édition numérique, plusieurs témoignages en français. En voici les premiers, sans altérations (donc y compris coquilles et écarts de la norme), tels qu'ils ont été relayés par le quotidien parisien la première heure du mercredi 29 septembre 2010. À vous d'en juger.
Je suis actuellement étudiant à l'université polytechnique de Madrid. Dans la cité universitaire, les affiches sauvages, les autocollants et les tags ont fait leurs apparitions sur les murs depuis une bonne semaine. Des prospectus jonchent le sol un peu partout. Cependant dans ma fac, la grève n'a pas l'air de susciter beaucoup de débats. Si je m'en tiens aux paroles de mon professeur, j'ai cours normalement demain matin. Je pense néanmoins que j'assisterai à la manifestation. D'abord par curiosité mais aussi et surtout parce que la réforme proposée par un gouvernement "socialiste" est inacceptable pour une société qui, bien plus qu'en France, souffre de la crise et du chômage !
- La grève à l'espagnole, par Julien D.
Je vis et travaille à Barcelone depuis mainteant cinq ans. Ayant grandi en région parisienne, je suis assez habitué aux grèves et autres manifestations sans me sentir vraiment impliqué. En revanche ici, il faut apparement s'attendre au pire. Dur de faire le tri entre les racontars et la vérité, mais cette grève promet d'être beaucoup plus intense, voire violente que les manif-merguez-chansons parisiennes. Tous les magasins du centre-ville ferment en prévision des casseurs, et il est dit que les "jaunes"peuvent être "rappellés à l'ordre" sur le chemin du bureau.
- "Maintenant le débat sur la retraite à 62 ans en France me fait bien rigoler", par Colin Poutiers
Je me suis renseigné sur les principales revendications et je peux vous dire que maintenant le débat sur la retraite à 62 ans en France me fait bien rigoler. Ici on travaille jusqu'à 65 ans, bientôt 67, 40 heures par semaine et avec bien moins de congés payés. Les licenciements vont être facilités, les retraites gelées, le tout en sachant que le chômage avoisine les 20 %... Donc oui, demain je vais faire grève. Ce pays qui m'a accueilli est socialement à des années-lumière de la France, et j'ai peur que l'écart ne se creuse encore.
Je travaille dans une école de commerce, mais ma situation est identique à celle de plusieurs copains à moi : on travaille avec des limitations. Je bosse comme sous-traitante sans les droits qu'ont mes copains de travail : beaucoup moins de jours feriés, pas syndiquée, moindre salaire (avec le même travail à faire)... et je peux être heureuse ! Parce que en Espagne ils sont des milliers de jeunes qui ne trouvent rien, même si t'as des bonnes études universitaires.
- Pour une moblisation massive, par Aina P
Je ne peux pas participer, parce que je risquerais de perdre une partie de mon salaire et d'avoir une mauvaise réputation (je ne travaille que depuis 3 mois). Par contre je suis pour une mobilisation massive. Si je ne peux pas y aller, au moins qu'il y ait le plus de gens possible.
Je prépare le concours pour devenir professeur de français en Espagne. C'est compliqué. Il y a peu de postes, un concours tous les deux ans et un barème favorisant les remplaçants. La situation est encore plus désastreuse dans le privé : smic à 600 euros par mois, semaines de 40 heures, travail au noir omniprésent. Ma compagne, fonctionnaire, s'est fait retirer presque 3 000 euros de salaire annuel, mais elle ne fait même pas grève, même si elle n'approuve en rien ces mesures. Moi, sans travail, sans aide au logement, j'irai dans la manifestation en espérant que les socialo-libéraux arrêtent un peu le désastre. Leurs mesures d'austérité n'ont rien changé et ils démantèlent encore plus le droit des travailleurs. Par exemple, ils sont en train de faciliter le licenciement : une simple grippe pourra devenir un motif valable ! La solidarité ne doit pas seulement être supportée par les fonctionnaire et les bas salaires !
- "Une simple grippe pourra devenir un motif de licenciement !", par Matthieu Huet
Je me joindrai à la grève générale par solidarité avec la personne avec qui je vis. En Espagne, les barrières à l'emploi sont nombreuses. Quand on a déjà la chance d'en trouver un précaire (contrats d'un mois, travail temporaire, etc.) payé moins de 1 000 euros, on saute dessus. Si le président n'est pas bling-bling ici (c'est déjà quelque chose), la précarité est devenue la norme. Il est temps ici aussi de montrer que le peuple vote pour qu'on le représente, pas pour qu'on l'utilise.
- "La précarité est devenue la norme", par Thierry
Quant à moi, je pense en ce moment à un livre relativement récent de Naomi Klein, publié en 2007, dont il y a des traductions en français et en castillan. C'est peut-être un bon moment pour entamer sa lecture et méditer un peu. Titre original : The Shock Doctrine - The Rise of Disaster. Titre en français : La stratégie du choc : la montée d'un capitalisme du désastre, Actes Sud, avril 2008 ; en castillan : La doctrina del shock. El auge del capitalismo del desastre, Ed. Paidós Ibérica, Barcelona 2007. Parce qu'il faut tenter de savoir ce qui nous arrive, à l'échelle planétaire, et pourquoi.
Voici la première partie d'une interview de Naomi Klein à la Télélibre au sujet de son livre :
1128 NAOMI KLEIN ET LA CRISE FINANCIÈRE #1/3
Téléchargé par latelelibre.
Il existe un film de Michael Winterbottom à partir de ce livre : je ne l'ai pas vu et j'ai appris par la presse que Naomi Klein l'avait désavoué.
Dans cet ordre des choses, ABC nous rappelle que chez nous, en Espagne, il y a équation entre "crise" et augmentation de millionnaires (12,5% de plus en 2009 —"la pire année de la crise" (sic)— qu'en 2008). Et en France ? Le Parisien notifie éberlué que "Malgré la crise, ils sont environ 562 000 Français à être redevables de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en 2010, soit 23 000 foyers de plus que l'an dernier". Malgré ? Malgré le "malgré" (je vous laisse réfléchir au genre d'informations qu'on nous flanque), rien n'est plus intelligible car il suffit de vérifier le rapport entre les dimensions relatives des parties et du tout et il n'est pas difficile de constater que la soif très durable et peu animiste des mains invisibles nécessite des sacrifices, voire des hécatombes. La dépredation n'est pas née de la dernière pluie et nombreux sont ceux qui nous avaient déjà prévenus depuis belle lurette, dont le grand André Gorz :
Le rêve du capital a toujours été de faire de l'argent avec de l'argent sans passer par le travail et de soustraire l'économie au pouvoir politique des États et des peuples.Bref, dans nos sociétés barbares, le travail emploi n'est que la charité des grands voleurs, étant donné que toute classe oisive a besoin d'une classe travailleuse et que le pur esclavage n'est pas toujours possible dans une démocratie formelle.
Interview d'André Gorz, Le Monde, mardi 6 janvier 1997.
Enfin, on n'a qu'à regarder de près la drôle de manière qu'ont nos sociétés de répartir esclavage, misère, précarité, travail emploi et argent, pour ne pas trop s'étonner qu'il y ait de temps à autre certaines réactions : il faut imaginer chômeurs, salariés et retraités excédés. Dans ce contexte, ce sont la résignation ou la satisfaction qui nous laissent pantois et prouvent l'existence du syndrome de Stockholm.
À Paris, le trublion François Ruffin s’est faufilé dans la manif du 23 septembre contre la réforme des retraites pour prendre la température de la colère sociale tout en y semant sa zone et, ô merveille !, il a déclenché sur-le-champ certains arguments...
Il a besoin de vous from mutins on Vimeo.
Ne me cherchez pas aujourd'hui au bahut.
NOTE du 2 novembre 2011 : Vous pouvez écouter Naomi Klein à la radio.
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