Cette pétition de lumumba.org soutient en plus qu' "il est impératif que l’Etat belge accepte L’OUVERTURE DE L’INTEGRALITE DES ARCHIVES COLONIALES, à savoir celles de l’administration coloniale, de la Force publique, de la Sûreté, du Ministère des Colonies, notamment. Ces archives doivent faire l’objet d’un recensement et être accessibles au public pour qu’enfin, la vérité triomphe."
Là-bas, si j'y suis, le repaire radiophonique de Daniel Mermet, s'est penché sur ce cas de figure et nous a invités à trois émissions +2 (podcastables : on peut toujours les écouter) pour remettre les pendules à l'heure sur cette affaire :
Et "Il y a cinquante ans, l’assassinat de Patrice Lumumba". Reportage à Bruxelles avec Ludo de Witte et au Katanga avec le professeur Kongolo et le collectif "Mémoire coloniale", ici, là, et là, ici, et làMermet choisit un extrait d'un texte incontournable d'Aimé Césaire, son Discours sur le colonialisme, pour illustrer ces cinq volets ; je vous le colle ci-dessous :
« Il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu’il y a au Viet Nam une tête coupée et un œil crevé et qu’en France on accepte, une fillette violée et qu’en France on accepte, un Malgache supplicié et qu’en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s’opère, une gangrène qui s’installe, un foyer d’infection qui s’étend et qu’au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et interrogés, de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent. »Le sociologue flamand Ludo de Witte (1956) a beaucoup contribué à rompre le silence ou la désinformation (1) sur ce crime d'État(s) grâce à la publication de son livre L’assassinat de Lumumba (Karthala, janvier 2000). En 2001, il affirmait à Matchafa (collection de médias québécois) « que l’assassinat a été exécuté en accord avec les gouvernements belge et américain et que les commanditaires étaient tous des actionnaires d’entreprises qui pillaient ou avaient des vues sur les richesses du Congo. L’assassinat a été réalisé au nom du libre marché et de la lutte contre le communisme. » Le procédé habituel, la méthode éternelle : un assassinat ou un coup d'état, voire les deux (cf. Mohammad Mosaddeq, João Goulart, Jacobo Árbenz, Achmed Sukarno, Salvador Allende, Jaime Roldós, Omar Torrijos, etc), pour laisser la voie libre à la rapine. Dans ces déclarations, de Witte précisait le résultat de ses recherches :
Aimé Césaire : Discours sur le colonialisme, Éd. Réclame, 1950
(rééd. Présence africaine, 1955)
-Ludo De Witte. Des indices sérieux indiquent que les plus hautes instances politiques belges ont été impliquées dans différentes tentatives d’assassinat de Lumumba, de septembre à octobre 1960. Pendant l’enquête, on a par exemple parlé de l’opération L, mise sur pied par Edouard Pilaet. Celui-ci travaillait pour le compte de la Forminière, la société belge qui exploitait le diamant au Congo. Par l’intermédiaire du colonel de réserve Laude, il était notamment en contact avec le chef de la maison militaire du roi, le général Dinjaert. Les plus hautes instances politiques étaient impliquées dans cette opération. C’est d’ailleurs le bras droit du comte d’Aspremont Lynden, le ministre des Affaires africaines, qui a chargé Pilaet de se rendre au Congo et d’y travailler sous la direction du colonel Marlière. Celui-ci deviendrait plus tard le conseiller de Mobutu.Quant aux motivations de l'entente criminelle alliant les gouvernements belge et étasunien et les léopoldistes, Ludo De Witte est clair comme de l'eau de roche :
Il y a encore d’autres témoignages. Ainsi, le commandant Noël Dedeken a reconnu avoir reçu du commandant en chef de l’armée belge, le baron de Cumont, l’ordre d’enlever Lumumba, sans doute en vue de l’éliminer par la suite. Et, récemment, l’officier belge Paul Heureux a confirmé l’existence d’un plan visant à assassiner Lumumba et émanant du journaliste Jo Gérard, partisan notoire du roi Léopold III et collaborateur de Paul Vanden Boeynants. Ce plan a été préparé sous la supervision du colonel Marlière, qui agissait avec l’accord de ses supérieurs. Ces opérations ont finalement été suspendues lorsque l’initiative est passée aux mains des Américains.
-Avez-vous des informations sur la collaboration entre les services américains et belges?
-Ludo De Witte. Nous savons que dès l’été 1960, les Américains et les Belges ont lancé plusieurs tentatives d’assassinat contre Lumumba et que toutes ces opérations ont été suspendues entre le 10 et le 15 octobre. Des documents de la CIA et les archives de Pilaet révèlent qu’on était arrivé à la conclusion que trop de personnes travaillaient à la préparation du meurtre de Lumumba. Hormis les opérations préparées par les services occidentaux eux-mêmes, ceux-ci ont aussi tenté de faire exécuter la sale besogne par des Congolais. Mais ceux-ci se sont montrés peu enthousiastes. Pilaet écrit dans un rapport: «Tous les Congolais avec lesquels je parle sont d’accord pour dire que Lumumba doit disparaître. Mais ils espèrent tous que quelqu’un d’autre fera le travail à leur place». En d’autres termes, de très nombreuses personnes étaient au courant des opérations. A Brazzaville et à Léopoldville, les rumeurs allaient bon train. Des amateurs étaient impliqués dans l’affaire et il y avait des fuites. Un moment donné, il a donc été décidé de mettre fin à toutes les opérations.
Noël Dedeken et Pilaet ont alors été révoqués. La CIA a envoyé un message à l’ambassade américaine précisant que «toutes les initiatives par rapport à Lumumba devaient être arrêtées». Mais en même temps, le quartier général de la CIA a transmis un message secret, via un canal spécial, à Larry Devlin, chef de la CIA à Léopoldville, lui indiquant littéralement qu’il ne devait en aucun cas tenir compte du message officiel et que l’opération serait poursuivie de manière accélérée.
La CIA décide alors d’engager un tueur à gages professionnel. Cet homme, recruté en Belgique et portant le nom de code QJWIN, est arrivé au Congo juste avant la fuite de Lumumba de Kinshasa. Finalement, il sera rappelé sans avoir pu achever son travail parce qu’entre-temps, Lumumba a été arrêté par Mobutu pour être livré plus tard au Katanga. Mais le fait qu’à la mi-octobre, Belges comme Américains mettent fin à toutes leurs opérations officielles et que la CIA prend alors toute l’affaire en main, donne à penser qu’il y a eu une coordination à un très haut niveau entre Bruxelles et Washington. En outre, des concertations ont eu lieu en janvier 1961, tant au niveau de l’Otan que de manière bilatérale. Le Portugal, qui était encore maître en Angola, et le régime britannique en Rhodésie ont discuté avec le régime Tshombé au Katanga pour arrêter la progression des forces nationalistes. Des contacts avec les Français ont eu lieu en vue de renforcer le régime de Mobutu. Le Pentagone insistait à cette époque pour que les bases militaires de Kitona et de Kamina restent entre les mains de forces «alliées».
Toutes ces forces, traversées par d’énormes conflits d’intérêts, étaient toutes des actionnaires d’entreprises qui exploitaient le Congo. Derrière Jean del Marmol, il y avait le groupe Lambert; derrière Pierre Wigny, il y avait une floppée de sociétés coloniales; dans l’entourage du Palais royal, il y avait la Société Générale. L’oncle d’Aspremont Lynden était l’un des commissaires de la Société Générale. Pour les Américains, l’enjeu était aussi de mettre la main sur les énormes richesses du Congo. En outre, un succès du nationalisme de Lumumba pourrait avoir des conséquences importantes dans l’ensemble de l’Afrique.Là-bas, si j'y suis conseille aussi la lecture de Lumumba, un crime d’Etat. Une lecture critique de la Commission parlementaire belge, de Colette Braeckman (Aden, avril 2009).
On peut lire également, sur le site du Projet Lumumba, le poème Lumumba's gebit (Les dents de Lumumba), d'Hugo Claus, que l'écrivain flamand publia le 8 novembre 1999, dans le quotidien De Standaard, après avoir vu à la télé le documentaire où l'inspecteur policier Gerard Soete (2) expliquait comment il s'était débarrassé des cadavres de Patrice Lumumba et de ses compagnons Maurice M'Polo et Joseph Okito : « Nous avons découpés les corps en morceaux. Le crâne a été dissout dans de l'acide sulfurique et le reste a été brûlé. » Et ceci après l'arrachement des deux canines dorées de Lumumba...
Si vous souhaitez accéder à une bibliographie plus touffue en la matière, cliquez dessus.
Enfin, le site du Projet Lumumba nous rappelle une citation de Jacques Derrida (1930-2004) parfaitement pertinente à cet égard :
"Nous n’accepterons plus de vivre dans un monde qui non seulement tolère les violences illégales mais viole la mémoire et organise l’amnésie de ses forfaits. Notre témoignage critique doit transformer l’espace public, le droit, la police, la politique de l’archive, des médias et de la mémoire vive. Et il doit le faire en passant les frontières nationales."(1) Au début, on rejeta sur des villageois congolais la responsabilité du massacre de Lumumba et ses "complices". En Espagne, les textes des informations de la presse franquiste de l'époque étaient inénarrables. La loi n’était jamais la même selon qu’il s’agissait d’un blanc ou d’un noir, disait Patrice Lumumba. La presse, non plus.
"Nous aurions, me semble-t-il «contre l’oubli», un premier devoir: pensons d’abord aux victimes, rendons-leur la voix qu’elles ont perdue. Pensons d’abord à la destinée - chaque fois unique et irremplaçable - de ceux et de celles à qui on a dénié le droit à la parole et au témoignage et qui ont eu à souffrir l’injustice dans leur vie, parfois dans leur honneur. Pensons à la machine qui les a ainsi broyés, à l’ignominie de certains individus, de certaines forces sociales, de certains appareils étatiques ou policiers. A chacune des victimes, toujours au singulier, à tous ces «disparus», nous devons épargner ce surcroît de violence : l’indignité, l’ensevelissement du nom ou la défiguration du souvenir.
Mais un autre devoir, je le crois, est indissociable du premier: en réparant l’injustice et en sauvant la mémoire, il nous revient de faire oeuvre critique, analytique et politique. En général et cette fois au-delà des singularités exemplaires. Les crimes en question, les censures, les amnésies, les refoulements, la manipulation ou le détournement des archives, tout cela signifie un certain état de la société civile, du droit et de l’État dans lesquels nous vivons. Citoyens de cet État ou citoyens du monde, au-delà même de la citoyenneté et de l’Etat-nation, nous devons tout faire pour mettre fin à l’inadmissible. Il ne s’agit plus seulement alors du passé, de mémoire et d’oubli. Nous n’accepterons plus de vivre dans un monde qui non seulement tolère les violences illégales mais viole la mémoire et organise l’amnésie de ses forfaits. Notre témoignage critique doit transformer l’espace public, le droit, la police, la politique de l’archive, des media et de la mémoire vive. Et il doit le faire en passant les frontières nationales."
Déclaration de Jacques Derrida au colloque « 17 et 18 octobre 1961: massacres d’Algériens sur ordonnance ? »
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