Je la rencontrai en 1991 à la Faculté de Philologie de l’Université de Salamanque (Espagne), pendant des journées consacrées à la linguistique contrastive. À cette époque-là, je collaborais encore avec le quotidien madrilène El País. Je me rappelle avoir parlé au téléphone avec Rosa Mora —qui était la nouvelle "redactora jefe" des rubriques Livres et Culture après l'étape Alejandro Gándara— pour savoir si un entretien avec Blanche-Benveniste serait publiable dans le journal. Elle acquiesça et suggéra, en plus, d'aborder avec elle le sujet des réformes de l'orthographe qui était dans l'air du temps.
Donc, le 27 février 1991, j'interviewai Claire Blanche-Benveniste pour El País. Malheureusement, pour des problèmes d'édition, l'entrevue ne vit jamais le jour —ce qui me causa un vif regret. Elle portait sur plusieurs aspects relatifs à ses travaux linguistiques. Là voilà, telle quelle, noir sur blanc —mieux vaut tard que jamais—, en castillan :
LINGÜÍSTICA CONTRASTIVA(Informe tras entrevista con Claire Blanche-Benveniste)
Entre los días 25 y 28 de febrero ha tenido lugar, en la Facultad de Filología de la Universidad de Salamanca, un Seminario de Lingüística Contrastiva centrado fundamentalmente en un programa internacional de enseñanza simultánea de francés, italiano, portugués y castellano.
El Seminario ha contado con la presencia de la directora del programa, Claire Blanche-Benveniste (Catedrática de Lingüística Francesa de la Universidad de Aix-Marseille I y profesora de la École des Hautes Études de París), junto a José Antonio Pascual, en su calidad de asesor científico del programa, Isabel Uzcanga, responsable del mismo en Salamanca, y otros colaboradores.
Según la profesora Blanche-Benveniste, la idea de desarrollar un método de enseñanza de las citadas lenguas latinas surgió hace tres años, sugerida por determinados problemas de trabajo: "en nuestros encuentros y congresos comprobábamos el absurdo de recurrir todos al inglés, mal hablado muchas veces; consideramos que conservar cada uno su lengua, si se trataba de lenguas románicas, implicaba un esfuerzo mínimo y garantizaba una expresión más matizada." Del rechazo al efecto "infantilizador" de un inglés mediocre se pasó a la actual construcción de un método destinado a facilitar los intercambios en la Europa del Sur y armonizar el trabajo universitario. Una competencia suficiente en las cuatro lenguas permitirá el acceso directo a las publicaciones científicas de interés producidas en los distintos países y la superación, por tanto, del problema de las traducciones, insuficientes por costosas.
Las principales dificultades de realización de este proyecto, en el que también intervienen la Sapienza de Roma y la Universidad de Lisboa, son de orden financiero. Se precisan equipamientos y tecnología para reducir el número de reuniones, que roban demasiado tiempo. Además, llevar a cabo una labor verdaderamente profesional requiere medios.
LA REFORMA DE LA ORTOGRAFÍA
Hace ya veinte años, cuando el tema no estaba muy de moda, Blanche-Benveniste escribió, en colaboración, un estudio histórico y descriptivo sobre la reforma de la ortografía en la lengua francesa. "Observamos que técnicamente era posible una reforma bastante profunda, pero culturalmente, no." Sus conclusiones indicaban que la ortografía es una "fabricación histórica" de racionalidad variable. Respecto al francés, el problema reside en la importancia concedida a la ortografía gramatical. No dominarla supondría, para muchos franceses, no dominar las estructuras gramaticales y carecer, en consecuencia, de estructuras intelectuales. La ortografía léxica, en cambio, no suscita un juicio tan severo. La catedrática de Aix es tajante: "toda reforma que toque en lo más mínimo la gramática está considerada de inmediato como un atentado a la lengua, o sea, a la mitología de la lengua", y recuerda que desde 1835 no se ha logrado imponer ninguna reforma en profundidad.
En cuanto a los proyectos parciales, por muy razonables que parezcan, no obtienen éxito en Francia, "a lo sumo violentas campañas de prensa. El sistema del mandarinato sigue vigente. Pocas personas manejan con plena maestría las reglas ortográficas, que se convierten así en algo inaccesible, santificado."
Por lo que hace a la resistencia en su país a feminizar términos clásicamente masculinos, esta activa lingüista aduce problemas no sólo psicológicos o sociales, sino asimismo técnicos y ortográficos, y comenta que en Québec, donde el movimiento feminista se ha mostrado más fuerte, las distintas tentativas, aun llegando más lejos que en Francia, no han pasado de unos resultados medianos.
Blanche-Benveniste dio el martes una sugestiva conferencia sobre cuestiones relativas a sintaxis y léxico en la lengua hablada. Basó sus reflexiones en diversas muestras extraídas del formidable corpus oral de que dispone el Groupe Aixois de Recherches en Syntaxe (GARS), que ella dirige. El GARS, en colaboración con el equipo de Lovaina de Karel van den Eynde, estableció en 1975 ese método descriptivo que conocemos con el nombre de Approche Pronominale.
Alberto Conde.Salamanca, 27/2/91.
En prime, j'ai transcrit les propos de Claire Blanche-Benveniste, ce jour-là, à l'égard de l'orthographe, et je vous en fais cadeau avec plaisir. Pour mieux vous situer, je vous rappelle qu'en 1969, elle avait déjà publié chez Maspero, en collaboration avec André Chervel, un ouvrage historique et descriptif intitulé L'Orthographe. Elle commença par évoquer ce projet et les passions incroyables qu'il suscita dès sa parution :
« (...), nous avons été très étonnés par les réactions violentes. Notre idée à l'époque était que techniquement, une réforme assez profonde de l'orthographe en français était possible mais que culturellement ne l'était pas. (...) Techniquement, on peut montrer que l'orthographe est une fabrication historique, qui a été faite quelquefois de façon rationnelle, quelquefois de façon peu rationnelle, et que d'autres événements historiques peuvent modifier. C'est une construction historique et elle peut être modifiée sans que la langue soit touchée; seulement, le problème très particulier du français, c'est l'importance de l'orthographe grammaticale. Aucune autre langue romane n'a autant de problèmes d'orthographe. (...) C'est-à-dire qu'en français nous n'entendons pas une grande partie des pluriels, nous n'entendons pas une partie de la conjugaison, qui à l'oral est vraiment très peu marquée et extrêmement différenciée à l'écrit. (...) Les enfants français, par exemple, passent une grande partie du temps scolaire à acquérir une morphologie écrite, avec un très grand nombre de difficultés. Il y a des problèmes presque insurmontables, les problèmes d'accord du participe passé sont des choses difficiles que peu de Français maîtrisent vraiment jusqu'au bout. Des problèmes du pluriel des noms composés sont vraiment des complications très très grandes. (...) L'homonymie, on n'a pas besoin de la raisonner, il n'y a pas de raisonnement; tu peux apprendre avec un petit peu d'étymologie, tandis qu'en grammaire, on a installé depuis longtemps des raisonnements grammaticaux. Donc, pour dominer cette difficulté orthographique, il faut nécessairement développer beaucoup de grammaire. C'est pourquoi il y a tellement d'enseignement grammatical en France. L'autre conséquence, c'est que les Français sont persuadés qu'il n'y a de grammaire que dans la langue écrite. Et vraiment, c'est une opinion très courante que dans la langue orale, il n'y a pas de structures grammaticales, et on estime que quelqu'un qui n'a pas l'orthographe n'a donc pas de structures grammaticales, au sens étroit où les gens l'entendent, et que de ce fait même, il lui manque des structures intellectuelles. Donc, le jugement sur l'orthographe grammaticale en France est un jugement très sévère. Des enfants, ou des adultes, qui maîtrisent mal l'orthographe grammaticale sont nécessairement jugés inférieurs intellectuellement. L'orthographe lexicale n'entraîne pas le même jugement ni les mêmes dépréciations. Donc, toute réforme de l'orthographe qui touche un tant soit peu à la grammaire est vue comme une atteinte profonde à la langue, à la mythologie de la langue. Ça, c'est vraiment très fort. Donc, l'autre chose c'est que nous avons étudié au cours de l'Histoire les projets de réforme de l'orthographe, et nous avons vu que depuis 1835 aucun ne fonctionnait. Mais aucun ! En 1835, il y a eu des changements assez importants dans le dictionnaire de l'Académie. Depuis, par exemple, au début du siècle, en 1905, il y a eu des linguistes très compétents qui se sont occupés et proposé des projets de réforme et qui n'ont rien obtenu. Donc, les projets partiels n'obtiennent, même quand ils paraissent raisonnables, petits, faisables, comme les projets espagnols, par exemple, qui en général ont procédé par petites séries de mots, on a supprimé des accents qui distinguaient des homonymes, ça touchait une dizaine de mots, des mots fréquents, mais les gens se sont habitués. C'est passé assez facilement. En France, aucune réforme partielle ne marche. (...) Ce projet-là [là elle fait allusion à ses travaux avec André Chervel] qui avait été étudié pourtant avec partiellement la caution de l'Académie, et qui paraissait raisonnable, assez peu dangereux, disons, suscitait une campagne de presse extrêmement violente. (...) C'est un système de mandarinat (...) Très peu de gens peuvent maîtriser de façon totalement correcte l'orthographe. Donc, ça devient une espèce de chose un peu inaccessible, très sanctifiée, sacrée. C'est la difficulté elle-même qui fait ça (...). C'est un exploit. »
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