vendredi 28 mars 2014

Le 27 Mars 2014 à Madrid et en Espagne

If you were offered a healthy scholarship that still
left you with five figures worth of debt at graduation
along with slim prospects of getting a job capable of
paying off the loan anytime soon, would you take it?
Mike Maddock, 13.12.2013, Forbes.


C'était entre 13h30 et 14h00. Il y en a qui disent que les jours de destruction sont jours de révolte. Une colonne d'étudiants manifestait en plein centre madrilène contre les coupes budgétaires, la hausse des frais d'inscription universitaires, la réduction des bourses d'études et la loi organique dite sur l'amélioration de la qualité de l'éducation, où ils en voyaient des Wert et des pas mûres, d'après les slogans qu'ils scandaient. "Franco ha mWERTo", rappelaient-ils. Ils dénonçaient aussi la lettre et l'esprit autoritaires et antipopulaires des récentes modifications pénales légiférées par le Parti dit Populaire. Ils prônaient le laïcisme face à un enseignement largement influencé, voire contrôlé, par l'idéologie et le clergé catholiques —il est pertinent de rappeler que le pouvoir de la calotte en Espagne est toujours ahurissant ; l'État continue d'organiser, par exemple, des funérailles catholiques en hommage des victimes du 11M 2004 !!! Et la hiérarchie ecclésiastique, qui ne voit midi qu'à sa porte, en profite politiquement et joue les tartuffes —ou plutôt, dans leur cas, les vierges effarouchées— vis-à-vis des victimes ("¿Cómo nos hemos comportado con ellos en éstos durísimos años?" eut le toupet de se demander le cardinal Rouco Varela, le patron de la COPE, dans son homélie, toujours sermon).
La colonne descendait lentement Carretas, emplissait une bonne partie de la place Jacinto Benavente ainsi qu'environ 400-500 mètres de la rue Atocha. J'y pris quelques photos :









Derrière la manifestation, à pied et motorisés, avançaient des robocops brandissant des armes qui ne plaisantaient pas. Et je songeais au Chamfort qui écrivait : "La plupart des institutions sociales paraissent avoir pour objet de maintenir l'homme dans une médiocrité d'idées et de sentiments qui le rendent plus propre à gouverner ou à être gouverné." Et de manière musclée, lorsque l'homme et la femme ne se laissent pas faire.
Les étudiants et les ouvriers évoqués sur la pancarte vallecana de la dernière photo souffrent d'une violence permanente dans l'heureuse ploutocratie globale. Prenons les étudiants, dont il est question ici. Les alarmes à leur égard se multiplient :
Selon The Guardian (24/10/2011), asphyxiés par la hausse des frais de scolarité, 10 % des "bacheliers" britanniques renonçaient à aller à l'université. D'autres envisageaient de plus en plus sérieusement de partir. Trois mois et demi plus tard, en 2012, les étudiants canadiens commencèrent à exprimer leur rage à ce sujet.
Comme curiosité, le Journal de Montréal informait le 31 mai 2013 que l’université de Cooper Union, située dans le quartier East Village à New York, gratuite depuis 110 ans, projetait d'introduire des frais de scolarité d'environ... 20 000 $ à partir de 2014.
En décembre 2013, nous avons appris -grâce à France Info- que la hausse des frais d'inscription dans les universités étasuniennes était de 550% entre 1985 et 2012. Selon Pierre Lagayette, auteur d'Aujourd'hui les Etats-Unis (Scérén-CNDP, 198 p., 17,90 €), « envoyer un enfant dans un établissement public représente 28 % du revenu familial moyen, mais pour un établissement privé la proportion grimpe à 76 % ».
Cette marchandisation de l'étude constitue un moyen détourné de reproduction de classe, une sélection par l'argent, d'après François Cocq et Francis Daspe, secrétaire national à l'éducation du Parti de Gauche et secrétaire général de l'Agaureps-Prométhée respectivement. Une façon loréaliste de faire passer les intérêts des entreprises et de la finance avant ceux des humains, dirait certainement Bernard Gensane (cf. son article L’Éducation nationale et L’Oréal, relayé initialement par bellaciao.org le 4 juin 2010).

Les retombées économiques du système universitaire libéral ne s'arrêtent pas là : Rachel Wenstone, la vice-présidente de la National Union Students, affirma dans le Guardian du 21 mars : « Obliger les étudiants à s'endetter pour financer les universités est une expérience qui a bel et bien échoué. Nous avons besoin d'un nouvel accord pour financer les études de la prochaine génération. ». Cet article commençait par une lourde constatation :
The proportion of graduates failing to pay back student loans is increasing at such a rate that the Treasury is approaching the point at which it will get zero financial reward from the government's policy of tripling tuition fees to £9,000 a year.
Autrement dit, la proportion de diplômés en défaut de remboursement des prêts étudiants est en augmentation à un rythme tel que le Trésor se rapproche du point où il obtiendra zéro récompense financière de la politique de tripler les frais de scolarité à 9.000 £ par an du gouvernement.
De nouvelles prévisions officielles suggéreraient que les prêts en pure perte auraient déjà atteint 45% des 10 milliards de livres empruntés par les étudiants chaque année.

En matière de dette étudiante, Christopher Newfield (Professeur à l’université de Californie de Santa Barbara) nous avait déjà prévenus en septembre 2012 dans les pages du Monde diplomatique (La dette étudiante, une bombe à retardement) :
DANS l’interminable feuilleton de la crise du capitalisme américain, la dette étudiante succédera-t-elle aux subprime ? Estimée à plus de 1 000 milliards de dollars, elle a doublé au cours des douze dernières années, au point de dépasser désormais le volume des achats par carte de crédit. En 2008, les créances moyennes des nouveaux diplômés s’élevaient à 23 200 dollars — à peine moins s’il sortait d’une université publique (20 200 dollars). Dans un contexte économique difficile, marqué par un taux de chômage élevé, un nombre croissant d’entre eux se trouvent dans l’incapacité de rembourser leurs prêts. Le taux de défaut de paiement des étudiants — qui ne peuvent pas recourir à une procédure de faillite individuelle — est passé de 5 à 10 % entre 2008 et 2011.
N'hésitez pas à lire attentivement cet article dans son intégralité. Les avertissements de Maurizio Lazzarato et Tim Mak au sujet des emprunts universitaires et leurs conséquences ne sont pas non plus à négliger.
Quant à Mike Maddock, qui tient blog sur le site de Forbes.com, il affirmait à son tour, dans son entretien avec France Info cité plus haut, qu'entre 2007 et 2012, la dette des étudiants étasuniens était passée de 548 milliards à 966 milliards de dollars, ce qui représente une dette moyenne de 21.402 dollars (16.300 €) par personne :
"Si bien que les familles y regardent à deux fois et que le modèle vacille. D'autant que l'Etat fédéral investit peu : sa contribution aux universités a baissé de 30% depuis 1980 et s'élève aujourd'hui à 20 milliards de dollars annuels, soit 14 milliards d'euros. A titre de comparaison, le budget du ministère français de l'enseignement supérieur et de la recherche est de 26 milliards."
[Note du 25 juin 2015 : Dans un article publié en ligne par la BBC le 3 juin, nous apprenons que la dette étudiante totale aux États-Unis a déjà atteint 1.300 milliards de dollars... the total student debt in the US has reached $1.3 trillion (£850 billion). L'info est signée par Franz Strasser qui nous rappelle : "While the cost of college education in the US has reached record highs, Germany has abandoned tuition fees altogether for German and international students alike. An increasing number of Americans are taking advantage and saving tens of thousands of dollars to get their degrees." C'est-à-dire, "Alors que le coût de l'enseignement universitaire aux États-Unis a atteint des niveaux records, l'Allemagne a abandonné les frais de scolarité aussi bien pour les étudiants allemands que pour les internationaux. Un nombre croissant d'Étasuniens en profitent et économisent des dizaines de milliers de dollars pour obtenir leurs diplômes". Les droits de scolarité ont flambé aux États-Unis en accord avec les dogmes libéraux : "In the 2014-2015 academic year, private US universities charged students on average more than $31,000 for tuition and fees, with many schools charging well over $50,000. According to the Chronicle of Higher Education, Sarah Lawrence University is most expensive at $65,480. Public universities demanded in-state residents to pay more than $9,000 and out-of-state students paid almost $23,000, according to College Board."]

Isabelle Rey-Lefebvre écrit ces jours-ci sur son blog :
Les alertes se multiplient sur la mauvaise affaire qu’aurait faite le gouvernement britannique en triplant les droits d’inscription dans les universités anglaises. Depuis septembre 2012, les 124 universités sont autorisées à augmenter ces frais et les deux tiers d’entre elles, notamment les plus prestigieuses, les ont d’emblée fixés au plafond autorisé, soit 9 000 livres (environ 10 700 euros) par an, contre 3000 auparavant.
Le gouvernement a, dans le même temps, réduit de 40 % ses subventions à ces établissements et promis aux étudiants des prêts à taux avantageux, d’une durée maximale de trente ans, garantis par l’Etat. Le dispositif prévoit que les emprunteurs, une fois diplômés et lancés dans la vie active, ne remboursent rien tant qu’ils ne gagnent pas plus de 21 000 livres par an ; au-delà, les mensualités ne doivent pas dépasser 9 % de leurs revenus, mais s’ils viennent à gagner plus de 41 000 livres par an, le taux d’intérêt appliqué est alors celui de l’inflation, majoré de 3 points.
Au rythme d’une dizaine de milliards de livres prêtés chaque année, la dette globale des étudiants s’élevait, en 2013, à 46 milliards de livres et 3 millions d’étudiants honoraient leurs remboursements. La pratique des crédits aux étudiants date de 1998. Selon le rapport du Comité des comptes publics (équivalent de la commission des finances au parlement anglais)  publié le 14 février, la dette atteindra, à ce rythme, 200 milliards de livres d’ici 2042, pour 6,5 millions d’emprunteurs.
Mais le taux d’impayés est récemment grimpé à 45 % au lieu des 28% à 30% prévus lorsque la réforme a été adoptée, en 2010, comme l'a annoncé le 21 mars le quotidien The Guardian. Cela dépasse les prévisions les plus pessimistes et frôle le taux fatidique de 48,6 % au-delà duquel l’Etat perdra plus d’argent qu'avec l’ancien système.
Bien entendu, comme contrepartie sociale nécessaire, les « university bosses are lining their pockets like never before » (les patrons d'université se remplissent les poches comme jamais auparavant), évalue . Die Macht a toujours eu besoin de fidéliser ses kapos (esse cum imperio... et cum pecunia) et de diviser (divide e impera), et rien ne permet mieux de diviser que la construction d'une hiérarchie ; hier et aujourd'hui, c'est archiconnu. Et puis, Chakrabortty a raison : vous pouvez imaginer un seul de ces adolescents contraints de galérer pour pouvoir s'inscrire hésitant à choisir entre telle ou telle université en fonction de son président ?

Vu que toute cause entraîne des effets, l'enquête de l'OVE (Observatoire de la Vie étudiante) Comment vivent les étudiants en France (2013) ? conclut que 54% des étudiants ont une activité rémunérée pendant l'année universitaire —pas pendant leurs vacances, ce qui comporte des limitations évidentes à leur rendement, à leur vie, à leurs possibilités de bonheur... Mais côté chiffres, nous avons lu ailleurs :
Alors qu'ils ne sont pas encore sur le marché du travail, 73 % des étudiants sont obligés d'être salariés pour faire face aux frais d'une année universitaire, indique une étude du syndicat étudiant UNEF.
En 2006, ils étaient 48%, c'est-à-dire, 50% d'augmentation en 7 ans. Au demeurant, en ce qui concerne seulement l'aspect de la réussite universitaire, le salariat étudiant multiplie par deux les risques d’échec, selon l’INSEE. Alors, la spirale se déchaîne : on redouble plus facilement, il faut repayer l'année de scolarité en question, on perd sa bourse, éventuellement on se surendette... Même les "business schools" (la coqueluche du système —les écoles de commerce et autres HEC de jadis—, les grands centres de formation des futurs bourreaux du travail, au double sens) s'affolent devant les angoisses financières de beaucoup de leurs élèves et ont commencé à aménager leurs horaires pour faciliter la conciliation études / emploi et "éviter des drames" ! Paradoxes de la doxa...

Eh ben, revenons à nos moutons : si vous le souhaitez, vous pouvez accéder à d'autres informations sur cette journée de manifestations étudiantes en Espagne diffusées par l'AFP ou eldiario.es en cliquant sur les liens ci-contre : manifestations en Espagne pendant la deuxième journée de grève des étudiants et que voit-on sur cette vidéo ?




Quant aux marches de la Dignité du 22 mars, lisez ici un compte rendu publié sur le site du CADTM (Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers Monde) ; et visionnez ici et deux vidéos illustratives.

1 commentaire:

Juan Luis Conde a dit…

Quienes tendríamos que hacer examen de conciecnia somos los profesores universitarios, que estamos desaparecidos en combate...