mercredi 30 mars 2016

Baobab

Dimanche 13 mars, 11h, Teatro Valle-Inclán, siège du Centro Dramático Nacional, à Lavapiés, Madrid. Salle El Mirlo Blanco. Séance de théâtre pour enfants à partir de cinq ans (sic) dans le cadre de Titerescena. Au Québec, c'est à partir de 4 ans qu'on la conseille. Ma fille n'avait pas encore eu sa troisième année et pourtant, j'avais adhéré illico à l'idée maternelle sans en savoir grand chose. La mère, le théâtre et le titre de la pièce, Baobab, me semblaient trois garanties plus que suffisantes. Le mot baobab évoque aussitôt dans mon esprit le Sénégal, source toujours chez moi d'affects très joyeux.
Cela fait très longtemps, après un voyage au Sénégal en 1996, j'écrivis un texte témoignage. La découverte d'un baobab (« Adansonia digitata ») cinq fois centenaire sur la savane, sur notre chemin vers Djiffère, me fit écrire :
De nuevo en marcha. La sabana de baobabs, las termiteras salpicándolo todo, también los campos cultivados. Nos detenemos a la altura de un baobab gigante de más de 500 años. En compañía de un guía de guardia, nos vamos colando todos por una rendija del tronco, cabeza y pierna al tiempo, único modo de embutirse. Una vez dentro, el experto nos habla del ancestral valor funerario del baobab, en tiempos cámara mortuoria del griot recién fallecido. Igual que muchos esclavos griegos cubrían la relevante función de pedagogos en la antigua Roma, los miembros de esta baja casta de poetas y músicos han sido los depositarios de la tradición oral de su pueblo. Al griot (géwal/géwél en uólof) nunca se lo enterraba: unas largas parihuelas sostenidas en lo alto de aquella oscura bóveda eran su sepulcro. Inhumarlo podía provocar una temible sequía.
Donc, les griots n’étaient pas enterrés, si l'on voulait éviter une terrible sécheresse ; on les inhumait dans les trous des baobabs qui devenaient de la sorte des arbres-sépultures. Cette tradition sérère relie par conséquent eau et baobab...


Deux minutes avant l'heure prévue, nous occupions nos sièges. Sur scène, un musicien tapait gaiement sur les lames de bois de son balafon, ce beau xylophone mandingue, ou malinké, à calebasses. À sa droite, une femme blonde immobile jouait subtilement de la kora avec maîtrise. La kora est une sorte de harpe-luth typique de la tradition mandingue, elle aussi, que le public espagnol intéressé identifie notamment avec le malien Toumani Diabaté —qui enregistra Songhai (1 et 2) avec le groupe Ketama. J'apprendrais plus tard que les artistes en question s'appellaient Aboulaye Koné et Nathalie Cora (de son vrai nom Nathalie Dussault), formée justement auprès de Diabaté au Mali et devenue maîtresse de l'instrument qui lui donne son surnom, dont elle dit...
La kora est un instrument diatonique à cordes pincées classé dans la famille des harpes-luths. Elle se compose d’une demi-calebasse sur laquelle est tendue une peau de vache et est traversée par un long manche où sont fixées ses 21 cordes. Deux antennes permettent de tenir l’instrument que l’on joue avec les pouces et les index. Chaque joueur de kora fabrique lui-même son instrument.
La kora est issue de l’Afrique de l’Ouest. On la retrouve principalement au Mali, au Sénégal, en Guinée et en Gambie parmi les ethnies malinkés. Elle est traditionnellement jouée par des hommes, les griots, dont le métier est de perpétuer l’histoire, les coutumes et la généalogie des familles.
Arrivèrent ensuite un homme très costaud et une femme. C'étaient Widemir Normil et Sharon James. Elle monta les marches divisant les spectateurs en deux pour demander les prénoms de quelques enfants, dont ma fille, qui seraient salués par les comédients interprètes dans leur litanie d'ouverture. Visiblement enrhumée, Sharon James n'arrêterait pas de jouer son rôle de marionnettiste avec précision, le sourire aux lèvres quand il le fallait.

Baobab est une coproduction de la troupe Sô (Mali) et du québécois Théâtre Motus [voir plus bas pour Hélène Ducharme] créée le 18 janvier 2009 avec le soutien du Théâtre de la Ville de Longueuil et la collaboration du comédien Hamadoun Kassogué (né en 1957 à Ley, Kani Godouna, Mali) et du peintre, infographe et sculpteur sénégalais Ismaïla Manga (1957-2015). Ce 13 mars 2016, c'était le premier anniversaire de sa mort.
La traduction en castillan —hélas, faible— est due à Humberto Pérez Mortera. La diction travaillée et en général claire des acteurs —notamment du puissant et protéiforme Widemir Normil— facilitait néanmoins la compréhension.
Voici le résumé officiel de la pièce :
Dans cette région d'Afrique où une sécheresse sévit depuis très longtemps, se dresse un baobab millénaire. Voilà qu'un jour, de ce baobab naît un œuf et, de cet œuf, un petit garçon. Les villageois découvrent qu'il est le seul capable de libérer la source d'eau. Débute alors une grande quête où seul le courage d'un enfant peut changer l'histoire du Monde. Dans cet univers rempli de soleil, où l'ombre est réconfortante, les percussions africaines se transforment en animaux et les masques et marionnettes deviennent génies ou sorcières ! Laissez-vous guider par le grand griot dans cette fabuleuse histoire inspirée de contes africains.
Ce jeune garçon sauveur s'appelle Amondo, le rassembleur. Sa présence sur scène est assurée par une marionnette inoubliable. Il n'est pas Hercule, c'est un môme qui ne devra exécuter que... trois travaux décisifs pour la reconquête de l'eau, symbole autrement significatif, surtout en Afrique où la sécheresse ne plaisante pas.
L’enfance croit ce qu’on lui raconte..., disait Jean Cocteau au début de son film La Belle et la Bête. En guise d'« il était une fois », Baobab démarre comme cela...
« LE GRIOT : Aw ni sogoma! À vous le petit matin… Nous sommes les griots du village et pour vous raconter notre histoire, nous avons besoin de vos oreilles. Voulez-vous nous prêter vos oreilles? Les enfants répondent et le griot fait le geste de prendre dans ses mains les oreilles des enfants et de les placer sur son cœur. Merci. Ne vous en faites pas, elles sont entre bonnes mains. Zirin ! / TOUS : Namou. »
Au sujet de l'archéologie de la conception de Baobab, le journaliste Jean Siag publiait le 12 décembre 2009 un article très instructif dans La Presse :
La genèse du projet Baobab vaut la peine d'être contée. Après avoir plongé plusieurs mois dans l'univers glacial des Inuits pour sa pièce Inuussia, la femme-phoque, présentée la semaine dernière au Festival Titirijai de Tolosa, en Espagne, la cofondatrice de Motus, Hélène Ducharme, avait envie d'un peu de chaleur.
«Mon ami Aboulaye Koné, m'a dit: tu dois aller à la rencontre de l'Afrique, raconte-t-elle. Oui, j'avais une idée de ce que je voulais écrire, mais je devais m'imprégner de la culture africaine et de ses traditions.»
L'auteure de Nombril et de Bulles s'est donc rendue au Mali et au Sénégal, dans une démarche de recherche. De ce périple en Afrique de l'Ouest, Hélène Ducharme fera deux rencontres déterminantes: Ismaïla Manga, artiste visuel sénégalais, qui a peint toutes les toiles de Baobab que l'on voit sur scène; et l'acteur Hamadoun Kassogué, le «Brad Pitt du Mali !» dixit l'auteure, qui a peaufiné la structure du texte (...).



Librement inspiré de ce spectacle, les Éditions de la Bagnole publièrent en 2010, l'ouvrage Baobab. Amondo le rassembleur, texte d'Hélène Ducharme, illustrations de Normand Cousineau. 
Hélène Ducharme est comédienne, marionnettiste, acrobate, danseuse, auteure en résidence pour le Théâtre Motus ; elle a aussi mis en scène les dernières créations de la compagnie : La Crise (2003), Inuussia, la femme-phoque (2005), Bulles, Légendes d'hiver pour micro-marionnettes (2007) et Baobab (2009).
Le Théâtre Motus fournit sur son site cette information sur ses origines et son projet :
Fondé au début de ce millénaire, le Théâtre Motus explore, crée et diffuse des pièces de théâtre originales destinées au jeune public et au public familial. Nous privilégions le médium de la marionnette pour les libertés que celle-ci nous offre au niveau de la dramaturgie et de la mise en scène, comme véhicule d’émotions et comme objet qui nous permet de repousser les frontières des formes.
Nous explorons le mariage entre la marionnette, le jeu de comédien, la musique en direct, le théâtre d’ombres noires et en couleur et toute autre forme théâtrale potentiellement complémentaire à la marionnette. Le dialogue entre cultures diverses nous inspire également beaucoup.
La compagnie, qui a été fondée par Hélène Ducharme et Sylvain Massé et a pignon sur rue à Longueuil, diffuse ses spectacles à l’échelle internationale et a déjà donné plus de 1 200 représentations de neuf spectacles ici, aux États-Unis, au Mexique, en Espagne, en France, en Grèce et au Mali.
Les amis des contes africains disposent ici (les trésors d'Amadou Hampâté Bâ) et (contes du Congo) d'autres références abordées dans ce blog.

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