dimanche 31 janvier 2021

Les Guignols, les virus et la « loi du marché »

Merci, Maite, pour le tuyau !



 

Vous rappelez-vous Les guignols de l'Info ? Émission satirique emblématique de Canal+, diffusée à partir du 29 août 1988, elle a été supprimée le 22 juin 2018.
Elle parodiait le journal télévisé, grand totem de l'histoire de la télévision française, et passait en revue grand nombre de personnages de l'actualité française et mondiale, un peu à la manière de Spitting Image, invention britannique précédente.
C'est Vincent Bolloré qui a voulu signer son acte de décès dès 2015 pour abus de dérision. Rire de salariés ringards qui se font virer, ça c’est drôle ! Ou virer des humoristes. Oui, des humoristes, car la démocratie libérale adore la satire, est Charlie et n'est pas le Venezuela ! Au bout du compte, la haute direction d'une grande maison mérite un peu de terreur...

Voici un extrait des Guignols qui date de 2009 et tombe à point nommé —par ces temps de coronavirus,  d'infos quotidiennes à propos de vaccins, d'informaticiens et de téléthons indispensables, faute de recherche mutualisée et démarchandisée.
C’était l’époque de l’épidémie de grippe aviaire ; PPD, caricature de l'ex-présentateur du journal télévisé de TF1 Patrick Poivre d'Arvor, interviewait la marionnette stallonienne de M. Sylvestre, le directeur de la communication d’une multinationale pharmaceutique qui avait refusé de fabriquer industriellement des vaccins contre la grippe aviaire.
Ce petit scénario contient des perles d'acuité simple, à la portée de tout le monde, et pourtant si subtiles... Puis, l'application stricte de la doctrine libérale à l'argumentation d'un guignol en 2009 lui confère aujourd'hui une saveur prémonitoire, on nous dit : Les Guignols étaient des prophètes ! C'est la valeur probante des conséquences, car la logique ne lâche rien. D'ailleurs, il ne faut pas être Einstein pour comprendre qu'appât du lucre et bien commun (santé publique, vie...), ça fait deux. Encore une fois, on a beau l'ignorer, il faut choisir : c'est la bourse ou la vie.


Léger prix des vaccins pour la grippe aviaire - Les Guignols - CANAL+, 2009.


AIDE À LA COMPRÉHENSION :

« Monsieur Sylvestre, vous avez refusé de fabriquer industriellement des vaccins contre la grippe aviaire, parce que ça n’est pas rentable, c’est ça ?
—Ouais, c’est nous, hein ?
—Mais... c’est tout ce que vous avez à dire ?
—Eh, non, pardon aux familles et tout ça. C’est bon ?
—Euhhh, mais, c’est affolant : vous avez 4 millions de vaccins seulement, ce qui représente à peine 2% de la population américaine. Ça devrait vous inquiéter !
—Non... J’fais partie des 2% qui sont vaccinés.
—Non, mais les autres...
—On les soignera.
—Mais, vous allez faire des vaccins, alors.
—Non, on les soignera. Quand ils seront malades...
—Pourquoi attendre qu’ils soient malades ?
—Pour leur vendre des médicaments, banane !
—La première chose que vous trouvez à faire, c’est de vendre des médicaments ?
—Non, la première chose, c’est de doubler les prix des médocs.
—Mais... c’est atroce !
—Non, c’est la loi du marché, ne fais pas l’étonné, hein ! Nous, on est là pour vendre des médocs. Et pour vendre des médocs, faut que les gens soient malades. On a un business plan très clair ; Un : pas de vaccin. Deux : épidémie mondiale. Trois : les médocs arrivent en retard.
—Hein ? Pourquoi les médicaments arriveraient en retard ?
—C’est dans le business plan ! Pour atteindre deux millions de morts !
—Quoi ?
—Ouais, c’est génial, quand il y a des morts en pagaille, on vend les médocs le prix qu’on veut. Tu sais, quand ton père a perdu deux gosses sur trois de la grippe aviaire, généralement, il est pas regardant sur le prix pour sauver le troisième, hein ! Ouais, il peut vendre sa bagnole, le gars !
—Horrible !
—Nooon. C’est après que le business plan, il est génial. C’est que l’année d’après, on fait des vaccins.
—Ah, quand même !
—Ah, oui, je te raconte pas, hein ? Ça va partir comme des petits pains, parce que les pauv’, ça a une vie de merde, mais ça veut pas mourir, hein ? C’est la grande interrogation que j’ai, ça...
—Je suppose que vous allez tripler les prix ?
—Nous, les premiers vaccins, non ! parce qu’ils marchent pas.
—Comment ça, ils marchent pas ?
—Ben, c’est dans le business plan, au début, on tâtonne, on n’est pas au point, c’est surtout à base d’eau et d’huile de vidange.
—D’huile de vidange ?
—Ouais, General Motors est actionnaire. On a des bidons à pas cher.
—On est au bout de l’horreur, là !
Mais non, l'année 3, on fait les vrais vaccins, on n’est pas des bêtes. Puis, y'aura sûrement une nouvelle maladie d’ici là, croise les doigts, hein ?
—Tout est sous contrôle, quoi !
—Bah, on est des pros, hein ? Je viens de l’informatique, moi, c’est un business plan qu’on utilise souvent, on fabrique des virus pour fourguer de l’antivirus.
—Avec la grippe aviaire, c’est un problème de santé publique.
—Bof, privé ou public, du moment que c’est bien payé, hein ?
—Non, mais là, vous nous annoncez une catastrophe sanitaire, là !
—Ah, ouais, j’ai pas été aussi optimiste que depuis l’arrivée du SIDA dans les années 80.
—En même temps, si les actionnaires sont contents, ça va peut-être réduire le chômage...
—Ouais, comptez plutôt sur les morts, hein ?
—C’est ce que je voulais dire, hein ? La suite... »


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Quand on évoque Les Guignols, c'est peut-être notamment à la période 1992-1996, avec le trio Benoît Delépine, Jean-François Halin et Bruno Gaccio, qu'on pense.
Bruno Gaccio a collaboré comme co-auteur de cette satire entre 1992 et 2007. Le média indépendant Thinkerview lui donnait la parole en direct le 16 octobre 2019. Je relaie ci-dessous cet entretien qui pourrait intéresser beaucoup de monde :

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Mise à jour du 12.03.2021 :

La lecture d'un article d'Andy Robinson (La Vanguardia, 6/03/2021, et Ctxt) a suscité en moi la fantaisie d'identifier Monsieur Sylvestre et Frank A. D’Amelio, le directeur financier de Pfizer, car celui-ci a aussi, bien entendu, son business plan et a avoué innocemment début février, lors d'une téléconférence sur les résultats de Pfizer avec des spéculateurs de Wall Street : 

Now let's go beyond a pandemic-pricing environment, the environment we're currently in. Obviously, we're going to get more on price. And clearly, to your point, the more volume we put through our factories, the lower unit cost will become. So clearly, there's a significant opportunity for those margins to improve once we get beyond the pandemic environment that we're in.

Nous sommes dans un environnement de prix pandémiques, donc, bien évidemment, nous allons obtenir de meilleurs prix.” Simple comme bonjour.
Il est vrai, néanmoins, que les actionnaires de Pfizer en voulaient beaucoup plus ; le cours de l'action s'est piteusement enfoncé sous les 36$ fin 2020 et son prix YTD (year to date) va plutôt mal en 2021, malgré une légère récupération depuis le 2 mars (il était à 33,49$ le 26 février et il est à 34,94$ le 12 mars) ; d'autant qu'il y a en perspective l'entrée en jeu du vaccin de Janssen (Johnson & Johnson), qui sera fourni dès avril en principe et dont les atouts alléchants, aujourd'hui, sont majeurs : meilleur marché, meilleures conditions de transport-stockage (il n'a besoin que de la température normal d'un frigo) et une seule dose à injecter ! Et il y a d'autres vaccins à débarquer...

Dans son article, Andy Robinson cite également Matt Taibbi, le journaliste de RollingStone toujours percutant (mentionné ici, ici et ) :

The business model for Big Pharma is brilliant. A substantial portion of research and development for new drugs is funded by the state, which then punts its intellectual work to private companies, who are then allowed to extract maximum profits back from the same government, which has over decades formalized an elaborate process of negotiating against itself in these matters.

How big are these giveaways? Since the 1930s, the NIH has spent about $930 billion in research. Between 2010 and 2016, every single drug that won approval from the FDA — 210 different pharmaceuticals — grew at least in part out of research funded by the NIH. A common pattern involves R&D conducted by a small or midsize company, which sells out to a behemoth like Gilead the instant its drug makes it through trials, and obscene prices are set. (...)
Extrait de Big Pharma’s Covid-19 Profiteers. How the race to develop treatments and a vaccine will create a historic windfall for the industry — and everyone else will pay the price.

[Le modèle commercial de Big Pharma est brillant. Une partie substantielle de la recherche et du développement de nouveaux médicaments est financée par l'État, qui cède ensuite son travail intellectuel à des entreprises privées, qui sont ensuite autorisées à retirer le maximum de profits du même gouvernement, qui a officialisé pendant des décennies un processus de négociation élaboré contre lui-même dans ces matières.
Quelle est la taille de ces cadeaux ?
Depuis les années 1930, le NIH a dépensé environ 930 milliards de dollars en recherche. Entre 2010 et 2016, chaque médicament qui a obtenu l'approbation de la FDA - 210 produits pharmaceutiques différents - est issu au moins en partie de la recherche financée par le NIH.
Un modèle courant implique la R&D menée par une petite ou moyenne entreprise, qui se vend à un géant comme Gilead au moment où son médicament passe à travers des essais, et des prix obscènes sont fixés. (...)

Extrait de
Les profiteurs Covid-19 de Big Pharma. Comment la course au développement de traitements et d'un vaccin créera une aubaine historique pour l'industrie - et tout le monde en paiera le prix.]

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Mise à jour du 22.10.2021. À propos :

Les vaccins lucratifs ne suffisent pas à maîtriser une pandémie

Investig'Action, 21 Oct 2021, par

Les vaccins COVID qui ont été mis au point n’ont pas été conçus pour endiguer la pandémie à court terme. Ils ont été développés pour consolider les monopoles économiques et en créer de nouveaux.

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