Qui est-ce ? Je vous ai parlé plusieurs fois d'Alain Rey, surtout évidemment à propos du dictionnaire Le Robert, qu'il rédige et dirige depuis plus de 40 ans. Puis, on l'a vu en classe, en vidéo, causer des mots, de la langue, ou on a lu des extraits d'articles de son cru. Enfin, il y en a parmi vous qui se souviendront peut-être du Mot de la Fin, la microémission qu'il assurait tous les matins sur France Inter, de 8h57 à 9h00 (au sein du 7/9 de Stéphane Paoli), où il analysait —tout esprit, toute finesse— le mot qu'il avait choisi ce jour-là, souvent en rapport avec l'actualité. Nous avons podcasté plusieurs de ces courtes et savoureuses interventions et elles sont toujours à votre disposition dans notre salle d'informatique.
Mais, désolation inattendue, on l'a mis à l'écart fin juin 2006. Le mot qu'il a décortiqué pour conclure ses prestations, c'était... "Salut". Lors d'un entretien offert à Hélène Viala (Le Monde, 20.09.06), il s'exprimait là-dessus. Je vous joins ci-dessous quelques fragments de ce portrait:
"C'est comme si, après treize ans de chroniques quotidiennes (...), on vous disait "on ne veut plus de gens de votre génération."" Il y voit aussi un geste politique, la volonté de "faire place nette" en vue de la campagne présidentielle. "Des définitions telles que celles que j'avais données aux mots "Kärcher" ou "canaille" me plaçaient d'emblée dans la catégorie de ceux qu'il fallait écarter !"
Trois mois plus tard, il se reconnaît franchement soulagé : "Ne plus avoir à se lever le matin à 6 heures, ça n'a pas de prix." Il a réuni une sélection de ses chroniques de France Inter dans A mots découverts, tout récemment sorti aux éditions Robert Laffont (464 p., 21 euros). (...)
Alain Rey sait bien que parfois il agace. Ce n'est pas pour lui déplaire. D'abord il y a son look de dandy, qu'il a d'abord improvisé puis cultivé : "J'ai vite été ressenti comme un personnage. Tant mieux. Il ne faut jamais tuer son propre narcissisme !" Mais il y a aussi, et surtout, le fait qu'il n'ait jamais joué au puriste, qu'il a toujours prêté aux mots une vie propre. "Il y a aussi une dimension sensible, sensuelle, esthétique, dans les mots." Pour lui, un Mallarmé ou un Boby Lapointe, un Devos, un Queneau ou un Coluche, "chacun a apporté sa pierre à notre langue". "Vouloir figer le langage dans une norme, s'agace-t-il, c'est se priver de ce qui a le plus de goût, le priver d'épices."
Car l'homme est un gourmand. De mots, bien sûr. Mais aussi de bonne chère, de vins, de polars, de musique, de BD, d'Internet, de télévision et même de publicité. "En fait, le coeur de tout ce qui me passionne, c'est le signe. Le chant du signe. Tous les signes chantent à mon oreille, sans distinction. Même l'orthographe des SMS m'intéresse. Et tout cela doit déplaire à certains !"
Le seul reproche que Jean-Pierre Colignon, l'ancien chef correcteur du Monde devenu conseiller linguistique, aurait à lui faire, c'est de s'être toujours "fichu comme d'une guigne" de l'orthotypographie : "Les traits d'union, les capitales, tout ça ne l'a jamais intéressé, et dans ce domaine-là, le Larousse est meilleur."
Reproche que cet humble professeur ne saurait point partager, loin de là : ce mépris reyen vis-à-vis de ce genre de foutaises ne serait que preuve supplémentaire de sa qualité comme linguiste.
Donc, Alain Rey ne travaille plus pour France Inter mais nous pouvons encore jouir de sa voix et de ses remarques grâce aux bons offices de Laurent Baffie, qui nous propose le dimanche matin Coloscopie, émission que vous pouvez écouter ou podcaster sur Europe 1, radio appartenant au groupe Lagardère, tout proche des Chirac, Sarkozy et autres Balladur. Comme ce groupe sait faire du forcing pour protéger ou médiatiser les copains, on a demandé à Laurent Baffie, lorsqu'a démarré son émission, s'il craignait d'être censuré. Il y a répondu : "Je vais essayer d'être moi-même, on verra ce qui restera".
Enfin, n'oubliez pas que, parmi ses derniers livres, Alain Rey a publié L’amour du français : contre les puristes et autres censeurs de la langue (Denoël, 2007).
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