Philologue, traducteur, jadis prof de français par temps d'anglobais obligatoire, désormais à la retraite (du travail, pas de la vie).
samedi 11 février 2017
Bamboula et racisme poignant
Je reproduis dans son intégralité et sans commentaires un texte de Jeune Afrique, du 10 février, au contenu historico-socio-linguistique éloquent.
Disons simplement que Marie Treps est linguiste et sémiologue au laboratoire d'ethnologie urbaine du CNRS à Paris et a participé à la rédaction du Trésor de la langue française. Elle est spécialiste en études tsiganes et auteure, entre autres, de Maudits mots, la fabrique des insultes racistes
(TohuBohu éditions).
Le « bamboula » : histoire d’une injure raciste ancrée dans l’imaginaire français
Cannibale, sodomite, rigolo... Le terme « bamboula », prononcé jeudi
9 février par un policier sur la chaîne de télévision France 5, renvoie
le Noir à la figure caricaturale d'un grand enfant brutal, et nie son
humanité. Explications avec la linguiste Marie Treps.
Stupéfaction jeudi 9 février, sur le plateau de l’émission « C’dans l’Air ». Avant d’être vivement repris par la présentatrice, un
syndicaliste policier français, Luc Poignant, jugeait que l’insulte « bamboula », « ça ne doit pas se dire, mais ça reste à peu près
convenable. »Il s’agit pourtant bien d’une injure… proférée dans un contexte déjà tendu suite à l’interpellation particulièrement brutale d’un jeune noir
de 22 ans, Théodore, alias « Théo », à Aulnay-sous-Bois
(Seine-saint-Denis).
Pour comprendre à quel point le terme est dégradant, il faut se plonger dans l’ouvrage Maudits mots, la fabrique des insultes racistes
(TohuBohu éditions), de la linguiste Marie Treps. « Bamboula »,
explique-t-elle, serait issu de « ka-mombulon » et « kam-bumbulu », qui
signifient « tambour » dans les langues sara et bola parlées en Guinée
portugaise. En 1714, en Côte d’Ivoire, le mot a pris le genre féminin, et désigne cette fois une « danse de nègres »… « il est déjà connoté négativement puisqu’il est associé au « nègre », à l’esclave noir, à un moment où la traite est en pleine expansion », nous précise l’auteur. La bamboula devient synonyme de danse violente et primitive dès la moitié du XIXe siècle (il conserve d’ailleurs ce sens aujourd’hui).
Des « bamboulas » pour sodomiser les « boches »
Mais c’est en 1914, avec l’arrivée des tirailleurs sénégalais sur le front que le terme se charge lourdement de mépris. « Le mot renvoie alors à
une imagerie alliant sauvagerie, cannibalisme, sexualité animale et rire, naïveté enfantine supposée des soldats noirs », souligne Marie
Treps. On la retrouve dans des caricatures du magazine français L’Illustration,
alors abondamment diffusé. Le tirailleur sénégalais, personnage à la fois violent et « rigolo » dans les dessins de l’époque, menace par
exemple les soldats allemands de sodomie.
« Le terme a beaucoup été utilisé au moment des grandes expositions coloniales, remarque la linguiste. Il flatte le paternalisme du colon.
Derrière le terme « bamboula », il y a l’idée que les Noirs sont des grands enfants qu’il faut civiliser. Et finalement, ce qui est commode à
l’époque c’est que l’être humain disparaît derrière sa caricature.
Ainsi, en 1914, ce ne sont pas des humains que l’on envoie au front se
faire tuer, seulement des « bamboulas ». On occulte la violence qui est
faite à une population. La maladresse du syndicaliste sur France 5 est
troublante : c’est ce terme ancien qui lui vient spontanément pour
dénoncer les insultes qui sont également faites aux policiers, preuve
que le mot est toujours présent dans l’inconscient post-colonial
français. Et c’est une manière, encore une fois, de dissimuler les
violences subies par les Noirs. »
Libération de la parole raciste
Pour la linguiste, les injures racistes sont de plus en plus
présentes dans la sphère publique. Certes, une loi, celle du 1er juillet
1972, a créé un délit nouveau de provocation à la haine, à la
discrimination ou à la violence. Elle pénalise les discours de haine.
« Cependant les ténors racistes de certains partis politiques ou des
amuseurs publics parlent aujourd’hui par insinuation ou utilisent des
euphémismes, remarque Marie Treps. On met du sucre autour d’un poison,
mais le poison est toujours là. De plus, une parole raciste souvent
anonyme se libère sur internet. On peut aujourd’hui dire à peu près tout
à n’importe qui et n’importe quand. »
Paradoxalement, à l’ère du politiquement correct, les noms d’oiseaux
permettant de stigmatiser la différence n’ont jamais été aussi
virulents. Léo Pajon
Photo prise à Bobigny et relayée par Madjid Messaoudenele 11 feb. 2017 à 7h07.
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