mardi 30 janvier 2018

Les Forêts natales et le dépôt d'ossements ou de crânes des vaincus dans les musées


Photo : Alberto Conde

Du 3/10/2017 au 21/01/2018, nous avons pu voir l'exposition des Forêts natales dans la Galerie Jardin du musée du Quai-Branly-Jacques Chirac de Paris. Pour accéder à son dossier pédagogique, cliquez ici. Son commissaire était Yves Le Fur, le directeur du Département de Patrimoine et des collections du musée.


Le nom de l’exposition avait été inspiré par un poème de Guillaume Apollinaire. Yves Le Fur y fit référence dans une entrevue accordée a Géopolis (France TV Info) :
L’Afrique équatoriale atlantique couvre majoritairement le Gabon. Mais elle s’étend aussi sur trois autres Etats. Le titre de l'exposition ne pouvait donc pas porter uniquement sur le Gabon. Par ailleurs, cette région a connu des mouvements de populations depuis au moins trois siècles. Dans cet espace-temps, il y a ainsi une histoire, artistique notamment, que l’on ne peut pas résumer simplement. Pour la raconter, il convient d’adopter la démarche de l’histoire de l’art en montrant qu’à l’intérieur de la période, il y a un ensemble de styles différents.
Dans ce contexte, je n’ai pas voulu donner un titre particulier et réducteur. On l’a donc transposé sur Apollinaire et son poème Les fenêtres, publié en 1913 :
«Du rouge au vert tout le jaune se meurt / Quand chantent les aras dans les forêts natales».
Apollinaire est l’un des premiers en Occident à avoir considéré ces objets comme des œuvres d’art.
«Forêts natales», c’est un titre à tiroirs, qui botte un peu en touche. Il fait référence à la forêt équatoriale, d’où viennent les esprits, le surnaturel. Mais aussi au bois des statues et des masques. Un bois qui sert aussi pour la fabrication de médicaments.
Elle commençait par une déclaration de principes forte : "Les très grands sculpteurs sont africains. Pas seulement ceux de Grèce antique, de la Renaissance ou autres. L'exposition veut le montrer en présentant les styles et mutations des formes des arts au cœur de l'Afrique équatoriale atlantique".

Photo : Alberto Conde
Photo : Alberto Conde
Statue d'ancêtre, gardien de reliquaire.
Fang, Betsi-Mvaï - Bois, métal.
Photo : Alberto Conde

La présentation était divisée en zones géographiques. Aussi pouvait-on passer en revue le Nord de l'Afrique équatoriale atlantique et ses statuettes de gardiens de reliquaire Fang, comme la pièce en bois de funtumia (et faïence et métal) qui avait été choisie comme image de l'exposition ; l'Est et le culte des ancêtres des Kota et des Mbede, avec les masques-heaumes Emboli (mot qui veut dire "l'esprit de la forêt") et les masques Mahongwé ; le centre, représenté par les grands masques ovales polychromes, parfois recouverts de fibres végétales, des Galwa —ethnie gabonaise implantée en aval de la ville de Lambaréné sur le cours inférieur du fleuve Ogooué...

Masques Galwa - Photo : Alberto Conde

Le tout amenait des sensations ineffables et l'intérêt allait en croissant à mesure qu'on avançait : notre parcours s'acheva en point d'orgue avec un superbe échantillon des œuvres des Tsogo et des Punu, ethnies du Sud du territoire étudié, qui comprenait aussi des piliers de case rituelle des Tsogo.

Piliers de case rituelle - Photo : Alberto Conde

Les masques féminins des Punu, en bois, colorés avec des pigments, aux visages recouverts de kaolin, dont la blancheur était relevée et recoupée dans un espace délibérément enténébré par une illumination très bien focalisée, composaient de fascinantes physionomies aux yeux étirés et clos.

Masque Punu - Photo : Alberto Conde

 Masque anthropomorphe, Punu, République gabonaise.
XIXe siècle-début du XXe siècle, bois, pigments, dont kaolin.
(Coll. du Musée du Quai Branly-Jacques Chirac, Paris.
Photo Thierry Ollivier, Michel Urtado, p
age 7 du catalogue des éditions Beaux Arts, octobre 2017)

Les Punu, principal groupe des provinces de Ngounié (qui présente une importante diversité d’ethnies appartenant au groupe bantou) et Nyanga, habitent une vaste étendue de savanes, forêts et bassins au Sud du Gabon et au Sud-Ouest de la Republique du Congo. Une affiche de l'exposition expliquait que les membres d'un clan se disaient les « descendants d'un seul ancêtre féminin ou première femme, la mukaukila »...
Cela a éveillé ma curiosité sur les punu et ses origines, j'ai trouvé ici un blog spécialisé apparemment bien documenté.

À l'égard de cette distribution géographique des pièces exhibées, Yves Le Fur a tenu à préciser :
Ces peuples se sont déplacés du Nord au Sud, mais pas seulement : il y a eu des emprunts, des retours, des déplacements latéraux, ils ne sont pas restés dans le cadre des frontières coloniales qui ont été tracées au cordeau à un moment où les Allemands étaient au Cameroun et les Français au Gabon. Dans l’exposition, nous avons une centaine d’œuvres fang et plus encore de kota, qui permettent de percevoir ces variations. C’est cela que je veux offrir au public, cette idée de variations et de styles qui montre une grande créativité.(Extrait d’un entretien réalisé par D. Bétard, C. Pommereau et R. Turcat pour le catalogue de l’exposition)
Quant aux questions d'ancienneté et de conservation, Le Fur a souligné :
L’un des gardiens de reliquaire mahongwé a été daté entre 1640 et 1670. Entre les déplacements de populations et de villages, les guerres, les prises d’esclaves, le climat qui rend la conservation difficile, le fait que ces pièces aient traversé les âges est effectivement la marque d’une grande attention à ces œuvres.
La manière dont elles exsudent, les brillances de certaines statues attirent vraiment l'attention. Le Fur explique cette sorte de sueur :
Chez les Fang, par exemple, il existe un souci de vitalité à travers les patines suintantes. Il s'agit d'une imprégnation assez savante du bois afin que la patine ne reste pas en surface, mais qu'elle n'imprègne pas totalement le bois non plus. Ces bois ont été scannés et ont révélé que ces patines, dans certaines conditions, comme la chaleur, parviennent à suinter.
Patrick George (fabricant de placages de bois exotiques) a étudié les essences d'une
trentaine de statuettes de gardiens de reliquaires fang et kota. L'erimado ou essessang,
l'emien ou ekouk ou alstonia, l'evino ou angona et le sorro sont les essences qu'il y a trouvées.
Page 37 du catalogue des
éditions Beaux Arts, octobre 2017.

Sur un mur derrière ou en face des pièces Tsogo, un écran montrait (voir photo ci-dessous) un extrait de Disoumba (1969), documentaire de Pierre Salléeethnomusicologue et spécialiste des musiques du Gabon
Photo : Alberto Conde

Le film, trouvable dans la vidéothèque du CNRS, est un bijou qui témoigne de la Liturgie musicale des Mitsogho du Gabon central (on les appelle Mitsogo ou Tsogo) :
Lors de rites de la vie initiatique de la Confrérie du Bwété, au Gabon, les Mitsogho chantent les origines en s'accompagnant à la harpe rituelle, à l'arc musical et aux tambours.
Après un chant initiatique et un prélude à la harpe, des danses rituelles sont exécutées sur un rythme de poutrelles percutées et de tambours.
Au matin, les rites nocturnes cèdent la place à des divertissements carnavalesques auxquels tout le village participe.
Deux jeunes hommes sont initiés à la confrérie initiatique du Bwété, au cours de deux rites de passage : la descente de la rivière mythique, puis le séjour dans les limbes et la renaissance au pied de l'arbre de vie.
Au revisionnement du film, je vérifie que la scène que l'on pouvait voir à ce moment-là correspondait à peu près à la minute 24' 40'' du métrage. Un masque Tsogo faisait partie d'un déguisement carnavalesque qui transformait un homme en pantin aux mouvements souples, voire frénétiques —dans la lignée, pensais-je, d'autres traditions socio-religieuses de l'Afrique occidentale, au Burkina Faso, en Côte d'Ivoire... ou des exemples maliens glanés par la compagnie Etcétera de Grenade dans El alma del pueblo, son spectacle de recherche sur les différentes marionnettes et masques du monde.
Le village entier devenait le théâtre d'une vive représentation collective et multiple, aux accents souvent satiriques, car vient ensuite la séquence dite du Yamango qui met en scène un bouffon grotesque et libidineux. Selon L'Arc et la Harpe, la thèse de Pierre Sallée, cette scène paillarde où l'on voit un personnage parfaitement ridicule affligé d'éléphantiasis poursuivre vainement une jeune fille tsogo figurée par un travesti, semble bien être également une "mise en boîte" des Kélé [anciens ennemis des Tsogo].

Je fis ma visite des Forêts natales en famille le mercredi 3 janvier, après avoir admiré Le Pérou avant les Incas, exposition qui se proposait de montrer l'origine et l'organisation du pouvoir dans les cultures anciennes du Nord du Pérou (Cupisnique, Mochica, Chimú, Lambayeque…) et qui nous apprenait qu'à leur arrivée sur la côte nord du Pérou, les Espagnols découvrirent des villages où l'autorité était détenue par des femmes : on les appelait les Capullanas. La Dame de Cao, jeune femme de la période mochica ancienne, serait la première femme dirigeante sur laquelle nous disposons d'un témoignage archéologique.
Mais revenons aux Forêts natales : l'impressionnante et touffue présentation de la Galerie Jardin réunissait près de 400 œuvres d'art du XVIIIe siècle au XXe siècle d'Afrique équatoriale atlantique appartenant notamment à la collection permanente du musée du Quai-Branly, bien qu'elle bénéficiât également de prêts exceptionnels du Musée Barbier-Mueller (situé au nº10 de la rue Jean-Calvin, à Genève) et du Musée Dapper.
Devant une telle quantité de merveilles, je me demandais —en toute connaissance de réponse— si on pourrait trouver un seul musée africain disposant d'une collection comparable de chefs-d'œuvre conçus et réalisés dans quatre pays de l'Europe occidentale, question en effet, bien qu'intime, très rhétorique.
Mais ma réflexion eut à aller plus loin, car j'appris, grâce au dossier pédagogique de l'exposition, destiné aux enseignants, qu'un panier reliquaire Kota (cf. la photo ci-dessous)...

Photo : Alberto Conde

... contenait "un nombre important d'ossements enchevêtrés répartis dans deux espaces distincts : un filet associé au pied de la statue reliquaire et fixé au moyen de ligatures, qui repose lui-même dans un panier tressé. Le premier espace, délimité par le filet, renferme les fragments mandibulaires appartenant à quatre individus compris entre vingt et trente ans. Hormis la mâchoire inférieure, aucune autre trace d'ossements de la face n'a été détectée. Dans la seconde enveloppe, celle du panier, on observe la présence de dents encore disposées sur un fragment de mandibule, dont l'examen indique qu'il s'agit d'un jeune individu d'âge compris entre trois et cinq ans", selon l'explication de Christophe Moulhérat, chargé d'analyse des collections au musée du Quai Branly-Jacques Chirac :


L'idée de conserver dans un musée français, au lieu de rendre aux Kota, ce gardien-panier de reliquaire me devenait insupportable.
Deux jours plus tard, je lus dans la presse que l'Algérie réclam[ait] officiellement la restitution des [37] crânes des résistants [algériens du XIXe siècle] conservés au musée de l’Homme à Paris,...
C’est ce qu’a indiqué, aujourd’hui, l’ambassade d’Algérie en France qui a révélé, via l’APS, que «l’ambassadeur Abdelkader Mesdoua a été chargé par le ministre des Affaires étrangères, Abdelkader Messahel, d’effectuer une démarche auprès des autorités françaises au sujet de ces deux dossiers liés à la question mémorielle».
(Algérie-Focus, 5 janvier 2018)
Cette affaire avait déjà été mentionnée dans ce blog. L'entreposage dans des musées d'échantillons de notre foisonnante production civilisationnelle de cadavres est un détail qui en dit long sur le cadre général qui nous détermine, sur le bouillon de culture mythique et particulièrement perverse où nous pataugeons, d'où découle un phénoménal formatage/bourrage de crâne qui a réussi la prouesse de déshumaniser, à nos yeux, une belle partie des populations du monde et de nous persuader, en même temps, que nous sommes les détenteurs de valeurs universelles insurmontables. Sidérant tour de force : y a-t-il vraiment de quoi crâner ?
Afin de situer ce cadre général à sa juste place, c'est peut-être le moment de citer Alexis de Tocqueville, libéral à la hauteur de l'Histoire du libéralisme :
« La race européenne a reçu du ciel ou a acquis par ses efforts une si incontestable supériorité sur toutes les autres races qui composent la grande famille humaine, que l'homme placé chez nous, par ses vices et son ignorance, au dernier échelon de l'échelle sociale est encore le premier chez les sauvages ».
Un florilège de cette libérale, ergo suprémaciste, vision du monde pourrait convoquer d'autres pompons :
« J’ai souvent entendu en France des hommes que je respecte, mais que je n’approuve pas, trouver mauvais qu’on brûlât les moissons, qu’on vidât les silos et enfin qu’on s’emparât des hommes sans armes, des femmes et des enfants. Ce sont là, suivant moi, des nécessités fâcheuses, mais auxquelles tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre ». (...)
« Je crois que le droit de la guerre nous autorise à ravager le pays et que nous devons le faire soit en détruisant les moissons à l’époque de la récolte, soit dans tous les temps en faisant de ces incursions rapides qu’on nomme razzias et qui ont pour objet de s’emparer des hommes ou des troupeaux. »
(Alexis de Tocqueville, Travail sur l’Algérie, 1841, in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1991, p. 704 et 705. Cf. ici ou ici et )
Voyons :
Le musée du quai Branly - Jacques Chirac est l’héritier de 200 ans d’histoire, d’enrichissement, d’étude et de conservation de collections publiques. Il préserve près de 370 000 œuvres originaires d’Afrique, du Proche-Orient, d’Asie, d’Océanie et des Amériques qui illustrent la richesse et  la diversité culturelle des civilisations extra-européennes du Néolithique (+/- 10 000 ans) au 20ème siècle. (Histoire des collections)
La collection permanente du musée du Quai-Branly a concentré celles —déjà très remarquables— du Musée de l’Homme et du Musée national des Arts d’Afrique et d’Océanie. Un ensemble époustouflant intimement lié aux conquêtes coloniales favorisant 200 ans... d'enrichissement.
Quant au Musée de l'Homme du palais de Chaillot du Trocadéro...
Crée en 1937, le Musée de l’Homme [prit] la suite du musée d’ethnographie du Trocadéro tombé en désuétude [dans la] première moitié du 20ème siècle. Refondé sur des bases scientifiques, le musée [fut] enrichi par un important mouvement d’expéditions visant à dresser l’inventaire de cultures matérielles mondiales. En parallèle, et suivant l’évolution politique des territoires coloniaux, le Musée des Colonies se [mua] en 1935 en Musée de la France d’Outre-mer. Les collections privées, et notamment celles des artistes tels que Picasso ou André Breton, [invitèrent] à une perception esthétique de ces œuvres. Avec les décolonisations de la seconde moitié du 20ème siècle et sous l’impulsion d’André Malraux, la vision artistique des civilisations extra-européennes [s'affirma] et le Musée des Colonies [devint] en 1961 le Musée des Arts africains et océaniens, puis en 1990 le Musée national des Arts d’Afrique et d’Océanie.
C'est là, dans ses sous-sols, que les restes mortuaires de quelques dizaines de résistants et de prisonniers de droit commun algériens (et je cite l'universitaire et écrivain algérien Brahim Senouci, qui a lancé en mai 2016 une pétition à ce sujet)...
(...) sont entreposés dans de vulgaires cartons, rangés dans des armoires métalliques (...).
Ces restes, des crânes secs pour la plupart, datant du milieu du 19ème siècle, appartiennent à Mohamed Lamjad Ben Abdelmalek, dit Chérif "Boubaghla" (l’homme à la mule), au Cheikh Bouziane, le chef de la révolte des Zaatchas (région de Biskra en 1849), à Moussa El-Derkaoui et à Si Mokhtar Ben Kouider Al-Titraoui. La tête momifiée d’Aïssa Al-Hamadi, qui fut le lieutenant du Chérif Boubaghla, fait partie de cette découverte, de même que le moulage intégral de la tête de Mohamed Ben-Allel Ben Embarek, lieutenant de l’Émir Abdelkader.

Ce cas rappela à mon souvenir celui, également honteux et pathétique, du guerrier bochiman du musée d'Histoire naturelle de Banyolesle Noir de Banyoles, dont l'obscène exhibition (jusqu'en 1997) fut dénoncée par Alphonse Arcelin, médecin haïtien établit en Catalogne.

Dans toutes les cultures de part et d'autre de la Méditerranée, le respect des morts, leur enterrement, est un droit des décédés et une obligation sociale. Les sociétés chrétiennes ont toujours appris à leurs enfants les œuvres de miséricorde corporelles, à savoir, donner à manger aux affamés, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, accueillir les étrangers, assister les malades, visiter les prisonniers et ensevelir les morts. Dans ce contexte spirituel, empêcher un normal enterrement de ces Algériens, importer et entreposer leurs crânes était, bien entendu, leur nier toute humanité ; un second crime de lèse-humanité. Leurs têtes n'étaient que des trophées de guerre. C'était d'ailleurs à peu près l'époque de la craniométrie, soit dit en passant, pratique insensée faisant partie de cette tradition anthropométrique européenne qui puise sa source dans la physiognomonie (tellement moquée par Lichtenberg !) et la phrénologie du XVIIIe siècle (cf. Juanma Sánchez Arteaga, La razón salvaje. La lógica del dominio: tecnociencia, racismo y racionalidad, Ed. Lengua de Trapo, Madrid, 2007; page 113).
Et au XXIe siècle, cette barbarie persiste. Il fallut attendre le mois de mars 2011 pour que l’existence de ces crânes fût révélée au grand jour par l’historien et anthropologue algérien Ali Farid Belkadi (cf. TSA-Algérie).


Le 27 mai 2011, Ali Farid Belkadi lança une première pétition dans Le Matin d'Algérie...
Pour le rapatriement des restes mortuaires algériens conservés dans les musées français
Nous signataires, auxquels se joignent des personnalités amies de l’Algérie, toutes familles politiques confondues, appelons le Président de la République Abdelaziz Bouteflika et le gouvernement algérien, à entreprendre diligemment auprès de l’État français, les démarches nécessaires au rapatriement en Algérie des restes mortuaires de résistants algériens conservés dans les musées français.
Appelons les membres influents de la société française à se joindre à cette noble action. Sachant que les insurrections des Algériens contre la France coloniale sont consommées depuis bien longtemps.
Une proposition de loi exigeant « la restitution de toutes les têtes maories détenues en France » a été adoptée le 4 mai 2010 par le parlement français, à l’issue d’une bataille engagée depuis de longues années par le peuple maori de Nouvelle-Zélande. La première tête d’un guerrier maori momifiée qui était conservée au muséum de Rouen depuis 1875, a ainsi été restituée lundi 9 mai à des émissaires néozélandais du musée Te Papa Tongareva de Wellington. La restitution des autres dépouilles maories doit se poursuivre au cours des mois à venir.
Ces manquements détestables aux règles morales les plus rudimentaires, aucune culture ne saurait y souscrire, aucune croyance ne peut les admettre. Aucune pratique de piété ne peut permettre qu’un corps soit délibérément séparé d’un bras, d’une jambe ou de la tête pour finir naturalisé dans un musée pour la postérité. Sauf à faire volontairement don de son corps à la recherche scientifique ou pour des raisons médicales envers son prochain. Par delà les tactiques et les calculs politiciens, partant du principe démocratique que l’influence citoyenne sur les décideurs peut être non-négligeable, les signataires de la présente pétition demandent aux autorités françaises, d’étendre aux restes mortuaires des dizaines de partisans algériens à la colonisation, actuellement conservés dans les musées français, le bénéfice de la loi adoptée par le parlement de la France, qui préconise « la restitution de toutes les têtes maories détenues en France ».
(En lire la totalité)
En juillet 2016, le quotidien Le Monde publia un manifeste collectif pour la restitution des crânes des révoltés algériens de 1849, signé par Pascal Blanchard (historien), Raphaëlle Branche (historienne), Christiane Chaulet Achour (universitaire), Didier Daeninckx (écrivain), René Gallissot (historien), François Gèze (éditeur), Mohammed Harbi (historien), Aïssa Kadri (sociologue), Olivier Le Cour Grandmaison (universitaire), Gilles Manceron (historien), Gilbert Meynier (historien), François Nadiras (Ligue des droits de l’homme), Tramor Quemeneur (historien), Malika Rahal (historienne), Alain Ruscio (historien), Benjamin Stora (historien), Mohamed Tayeb Achour (universitaire) :
« Les crânes de résistants algériens » n’ont rien à faire au Musée de l’homme
LE MONDE | 09.07.2016 à 13h30 | Par collectif
(En lire la totalité)
Le texte détaillait la délectation sadique —trop dure à lire— de l'armée occupante pendant la guerre de conquête d'Algérie, concrètement en 1848-49 contre les résistants de l'oasis de Zaâtcha, dans la wilaya de Biskra, dirigés par le cheikh Bouziane (crâne n° 5 941 du stock du Musée de l'Homme).


(...) Deux ans plus tard, Charles Bourseul, un « ancien officier de l’armée d’Afrique » ayant participé à l’assaut, publiera son témoignage : « Les maisons, les terrasses sont partout envahies. Des feux de peloton couchent sur le sol tous les groupes d’Arabes que l’on rencontre. Tout ce qui reste debout dans ces groupes tombe immédiatement sous la baïonnette. Ce qui n’est pas atteint par le feu périt par le fer. Pas un seul des défenseurs de Zaâtcha ne cherche son salut dans la fuite, pas un seul n’implore la pitié du vainqueur, tous succombent les armes à la main, en vendant chèrement leur vie, et leurs bras ne cessent de combattre que lorsque la mort les a rendus immobiles. ». Il s’agissait là des combattants.
Or, l’oasis abritait aussi des femmes, des vieillards, des enfants, des adolescents. La destruction de la ville fut totale, méthodique. Les maisons encore debout furent minées, toute la végétation arrachée. Les « indigènes » qui n’étaient pas ensevelis furent passés au fil de la baïonnette.
Dans son livre La Guerre et le gouvernement de l’Algérie, le journaliste Louis de Baudicour racontera en 1853 avoir vu les zouaves « se précipiter avec fureur sur les malheureuses créatures qui n’avaient pu fuir », puis s’acharner : « Ici un soldat amputait, en plaisantant, le sein d’une pauvre femme qui demandait comme une grâce d’être achevée, et expirait quelques instants après dans les souffrances ; là, un autre soldat prenait par les jambes un petit enfant et lui brisait la cervelle contre une muraille ; ailleurs, c’étaient d’autres scènes qu’un être dégradé peut seul comprendre et qu’une bouche honnête ne peut raconter. Des procédés aussi barbares n’étaient pas nécessaires, et il est très fâcheux que nos officiers ne soient pas plus maîtres en expédition de leurs troupes d’élite, qu’un chasseur ne l’est d’une meute de chiens courants quand elle arrive avant lui sur sa proie. »
D’après les estimations les plus basses, il y eut ce jour-là huit cents Algériens massacrés. Tous les habitants tués ? Non. Le général Herbillon se crut obligé de fournir cette précision : « Un aveugle et quelques femmes furent seuls épargnés ». Le pire est que la presse française d’alors reprit ce rapport cynique.
Un peu plus tard, en juin 2016, L'Humanité s'occupa de cette sombre affaire de terreur coloniale et civilisatrice entreposée.
Puis, en juillet 2016, ce fut le tour du site d'information, débat et humour Là-bas, si j'y suis (cf. Les crânes oubliés de la conquête de l'Algérie, 29/07/2016). Son reportage incluait une citation très pertinente d'Aimé Césaire que je tiens à insérer ici comme conclusion :
« Et je dis que de la colonisation à la civilisation, la distance est infinie ; que, de toutes les expéditions coloniales accumulées, de tous les statuts coloniaux élaborés, de toutes les circulaires ministérielles expédiées, on ne saurait réussir à extirper une seule valeur humaine. » (Aimé Césaire : Discours sur le colonialisme)
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Mise à jour du 3 juillet 2020 :

Voici une info d'aujourd'hui du quotidien Le Monde :

La France remet à l’Algérie 24 crânes de résistants décapités au XIXe siècle et entreposés à Paris

A la veille des célébrations du 58e anniversaire de l’indépendance algérienne, ce geste marque une volonté d’apaisement entre Paris et Alger. 

Par Publié le 3 juillet 2020 à 14h56

« Prise d’assault de la Zaatcha (1849) », par Jean-Adolphe Beauce.



Le 26 novembre 1849, au terme d’un siège de quatre mois, près de 6 000 soldats français commandés par le général Emile Herbillon se lancent à l’assaut de Zaatcha, une oasis fortifiée du Sud-Constantinois habitée par plusieurs centaines d’habitants et défendue par des résistants commandés par Ahmed Bouziane, dit le cheikh Bouziane.
Plus de 800 locaux meurent dans les combats, les survivants sont massacrés. « Ici, un soldat amputait, en plaisantant, le sein d’une pauvre femme qui demandait comme une grâce d’être achevée et expirait quelques instants après dans les souffrances ; là, un autre soldat prenait par les jambes un petit enfant et lui brisait la cervelle contre une muraille », témoignera en 1853 le journaliste Louis de Baudicour dans son livre La Guerre et le Gouvernement de l’Algérie.




Outre « un aveugle et quelques femmes », selon le général Herbillon, trois survivants sont épargnés : le cheikh Bouziane, son fils de 15 ans et un marabout. Ils seront plus tard décapités et leurs têtes exposées au bout de piques sur la place du marché de Biskra, la cité régionale, avant d’être envoyées en France par un médecin militaire. La pratique est alors courante. Les têtes coupées – trophées de guerre ou « éléments scientifiques » – récoltées dans les « colonies » peuplent les musées européens.

« Calfeutrés dans de vulgaires boîtes cartonnées »

Conservé dans les collections du Musée de l’homme, à Paris, le crâne du cheikh Bouziane fait partie des 24 restes mortuaires que la France restitue, ce vendredi 3 juillet, à l’Algérie. Transportés à bord d’un appareil militaire, ils sont arrivés vers 13 h 30 à Alger, encadrés par plusieurs avions de chasse et accueillis par le président Abdelmadjid Tebboune.
Historiens et universitaires algériens puis français demandaient depuis des années le rapatriement de ces dépouilles dans leur pays pour leur donner une sépulture digne, comme ce fut le cas pour la remise à la Nouvelle-Zélande de 20 têtes maories acquises au XIXe siècle par les explorateurs et marins occidentaux, en 2012, ou pour Saartjie Baartman, dite « la Vénus hottentote », dont les restes ont été restitués à l’Afrique du Sud en 2002.




Les têtes décapitées des résistants algériens ont été longtemps oubliées. Il faut attendre 2011 pour que l’anthropologue et historien algérien Ali Belkadi les redécouvre, perdues dans la collection de 18 000 crânes du Musée de l’homme. Les restes sont « calfeutrés dans de vulgaires boîtes cartonnées qui évoquent les emballages de magasins de chaussures », déplore le chercheur. Une critique réfutée par la direction de l’institution. Ali Belkadi lance alors une pétition pour demander un rapatriement et alerte les autorités algériennes, qui restent indifférentes.
En 2016, l’écrivain et universitaire Brahim Senouci adresse un appel au directeur du Musée de l’homme. Une pétition relayée par une tribune dans Le Monde signée par un collectif d’intellectuels, parmi lesquels les historiens Pascal Blanchard, Malika Rahal, Gilles Manceron et Benjamin Stora, ou encore l’écrivain Didier Daeninckx. Puis, lors d’une visite à Alger, en décembre 2017, le président français, Emmanuel Macron, se dit « prêt » à ce que Paris renvoie ces crânes en Algérie. C’est finalement en janvier de l’année suivante que l’Algérie demande officiellement à la France leur restitution ainsi que des archives coloniales.




(...)



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