Le vendredi 27 janvier, j'avais vent de la parution d'un webreportage au titre drôlement gainsbarre sur six étrangers venus faire leurs études en France et qui s'y sont vu refuser, comme tant d'autres, la possibilité d'entamer une activité professionnelle. Oh les beaux mots toc des libéraux !
Je t'aime moi non plus : tel est le nom de ce reportage sur des "cibles faciles" —pour reprendre l'expression de Ian, l'Étasunien interviewé— qui racontent leurs rêves brisés par la
circulaire du 31 mai 2011 signée par le ministre français de l'Intérieur, Claude Guéant.
Les auteurs du travail sont deux jeunes journalistes : les images sont l'œuvre d'
Edouard de Mareschal ; le son est dû à
Jean-Baptiste Gauvin. Ils précisent à l'égard de la circulaire de Guéant :
Depuis plusieurs mois, il est devenu quasiment impossible pour un
étranger non ressortissant de l'Union européenne d'obtenir un changement
de statut sur son titre de séjour lui permettant d'acquérir une
première expérience professionnelle en France après y avoir fait des
études. En cause, une circulaire, promulguée par le ministre de
l'Intérieur, Claude Guéant, et le ministre du Travail, Xavier Bertrand,
le 31 mai dernier. Lire la circulaire Guéant.
Devant la multiplication des refus de changement de statut,
beaucoup de jeunes diplômés étrangers ont dû renoncer à des promesses
d'embauches, parfois des CDI dans de grandes entreprises. Un certain
nombre ont tenté un recours, aidé par un collectif qui s'est formé pour
sensibiliser le public sur cette situation. Le collectif du 31 mai a
dénoncé ces refus et il a demandé, avec le soutien de personnalités
politiques et d'intellectuels, au gouvernement de revoir sa position.
Une polémique a suivi, de nombreux articles de presse ont relayé
cette histoire, et le gouvernement a admis avoir commis une maladresse.
Le 23 décembre 2011, Claude Guéant est convoqué à l'Elysée. A la sortie,
il annonce qu'il va revoir sa copie. Le 4 janvier, il déclare qu'une
nouvelle circulaire vient se greffer à celle du 31 mai pour alléger
cette dernière. L'idée principale est de revoir les situations au cas
par cas afin que les jeunes diplômés étrangers à "haut potentiel"
puissent rester en France. (...)
"Haut potentiel". Beurk. Oh les beaux mots toc des libéraux, quel TOC décalé ! Dans un article publié le 4 février 2012 par le quotidien madrilène
El País ("
El saldo de la lengua"), Antonio Valdecantos nous prévenait, avec une rare acuité,
contre ce genre d'expressions qu'on nous débite souvent et avec la plus grande solennité en conjuguant la cupidité et la pédanterie...
Revenons à nos moutons ; les jeunes diplômés et bilingues qui s'expliquent sont donc :
Ian, l'Étasunien "indigné" :
Américain, Ian s'est installé en France il y a presque huit ans. A 30
ans, il est actuellement en quatrième année de thèse à l'université
Paris Dauphine.
Avant, il a fait un master d'affaires publiques à Sciences po Paris.
Malgré son parcours prestigieux et sa nationalité, il a été touché par la circulaire.
Indigné, il estime qu'il s'agit d'une simple stratégie électoraliste.
Zineb, la Marocaine "militante" :
Au Maroc, déjà, Zineb était dans un lycée français. Après son baccalauréat (français), elle vient faire ses études en France.
Une prépa (Janson de Sailly), puis l'école des Mines de
Saint-Etienne. Une fois diplômée, elle décroche un CDI dans un cabinet
d'audit très connu.
Elle demande alors un renouvellement de son titre de séjour en août. Pas de nouvelles pendant plusieurs mois.
Le 2 décembre, la lettre est là. On lui refuse sa demande.
Depuis, elle participe activement au collectif du 31 mai qui rassemble les étudiants touchés par la circulaire.
Elle y trouve un réconfort et elle espère que ce mouvement fera changer la politique du gouvernement.
César, le Vénézuélien
"pragmatique
" :
César, 25 ans, est venu en France pour étudier l'architecture. Six ans qu'il est ici.
Il vient de terminer son diplôme et il est touché par la circulaire.
Vénézuélien, il rêvait de revenir dans son pays après une première expérience professionnelle en France.
Tant pis, il la fera ailleurs, aux Etats-Unis par exemple. Pour lui, il n'y a pas de temps à perdre.
Nous l'avons rencontré lors d'une réunion du collectif du 31 mai.
Des personnalités sont venus soutenir les étudiants étrangers. Lui a
reçu le soutien de la journaliste Caroline Fourest que nous entendons à
ses côtés.
Teddy, le Chinois
"déçu
" :
Teddy, 32ans, est amoureux de la France. Il aime l'esprit du pays, la
beauté du paysage et la culture qui s'y dégage. Il est venu faire des
études pour construire sa vie ici. Il veut développer les liens entre la
Chine et la France.
Trois formations: l'Ens-cinéma Lyon, la fac Lyon 3 en "Profession
des médias", du management et stratégie d'entreprise dans une école de
commerce. Cet été, une entreprise lui propose un CDI. Elle veut étendre
son activité en Chine et a donc besoin d'une personne comme Teddy,
maniant les deux langues.
Le 2 décembre dernier, il reçoit une lettre de refus à son renouvellement.
Tu, la Vietnamienne
"jusqu'au-boutiste
" :
Le combat quoi qu'il arrive. Tu, 26 ans, vietnamienne, veut rester ici.
Après des études en Ressources Humaines à Nanterre, elle décroche une promesse d'embauche dans une entreprise française.
En septembre dernier, on lui refuse le renouvellement de son titre de séjour.
Depuis, elle a entamé une série de recours. Son titre de séjour a expiré.
Elle vit au jour le jour, attendant une ultime décision de la préfecture.
Ting, la Chinoise
"affligée
"
Chez Ting, c'est la colère qui domine. Deux fois qu'on lui refuse son
titre de séjour pour travailler en France. A 29 ans, elle y a fait des
études pourtant brillantes. Un Master de droit à l'université d'Assas à
Paris après une école à Clermont-Ferrand.
Neuf ans qu'elle est ici, neuf ans qu'elle espère vivre sa première expérience professionnelle en France...
Mais maintenant, elle en a marre. Elle songe sérieusement à retourner en Chine.
Sur ce même sujet, on peut lire le reportage
Etudiants étrangers : portraits de "nouveaux sans-papiers" du
Monde du 23/01/2012. Pour connaître de nombreuses histoires de sans-papiers renvoyés dans leurs pays, découvrez
expulses.net.
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NOTE du 1er juin 2012 : La circulaire Guéant a été abrogée le 31 mai 2012.
Hervé Le Tellier a écrit dans son "
Papier de verre" quotidien :
L'absurde
circulaire Guéant abrogée, les étudiants étrangers diplômés pourront
plus aisément postuler pour un emploi en France. Reste à faire perdre
aux préfets les réflexes acquis.