La sélection du Maroc, qui participe avec beaucoup de succès à la Coupe du monde au Qatar, est la première africaine qui s'est qualifiée pour les demi-finales de cette compétition de football mégabusiness plus que professionnel. Entre autres anciennes puissances coloniales (la Belgique, le Portugal), elle a battu l'Espagne aux tirs au but en huitièmes de finales.
Malgré la terrible réalité que dénonce courageusement Miss Raisa, par exemple ; en dépit de certaines menaces issues de groupes d'extrême droite sur les réseaux sociaux, très préoccupantes, les sympathisants et sympathisantes de l'équipe marocaine ont pu joyeusement s'éclater dans plusieurs quartiers et villes que je connais, comme Lavapiés ou Parla, dans la Communauté de Madrid, où j'habite. L'exploit des joueurs marocains a été commenté avec beaucoup de respect et de considération dans les deux groupes audiovisuels espagnols, public et privé, qui proposent la retransmission des matchs qataris. Les journaux les plus importants [y compris la presse nationaliste/patriotique espagnole, cf. ici ou là] ont rendu compte avec panache d'une explosion de joie dans énormément de bars et dans les rues de tout le pays. J'ai vu beaucoup de reportages et d'entrevues où bon nombre de joueurs, journalistes ou supporteurs marocains ou d'origine marocaine ont pu exprimer allègrement leurs émotions. Parfois, c'étaient carrément des Espagnols (par naissance ou par naturalisation, peu importe). En fait, il est difficile de savoir combien de citoyens de nationalité ou d'origine marocaine habitent en Espagne, car il y en a beaucoup qui disposent de la nationalité espagnole et, par conséquent, ne sont pas ou plus recensés au registre des étrangers en Espagne —l'INE recense en 2021 5.440.148 citoyens étrangers (sur une population totale, le 1er janvier, de 47.432.805), dont 872.759 Marocains. [Le nombre de ressortissants étrangers ayant acquis la nationalité espagnole en 2021 a été de 144.012 et la nationalité d'origine la plus fréquente a été la marocaine dans 42.000 cas, loin devant la Colombie (8.328) et l'Équateur (8.325).]
Ces 5.440.148 citoyens constituent donc 11,47% de la démographie espagnole, 1,17% de plus qu'à l'Hexagone, car comme curiosité, l'INSEE résume ainsi la situation de l'immigration en France :
En 2021, 7,0 millions d'immigrés vivent en France, soit 10,3 % de la population totale. 2,5 millions d'immigrés, soit 36,0 % d'entre eux, sont français. Ils ont acquis la nationalité française depuis leur arrivée en France.On parle toujours de la joie des Marocains, mais je sais que beaucoup de citoyens espagnols et d'autres nationalités ont fêté parmi nous la victoire des Lions de l'Atlas contre les tiki-takeurs de Luis Enrique. Une amie aragonaise me disait tranquillement : si le foot, c'est de la joie, qu'elle se partage, n'est-ce pas ? Il était très facile de comprendre son enjouement. Une autre m'envoyait une vidéo de la fête dans son quartier (Lavapiés) des vainqueurs de la journée et ajoutait : « J'en suis drôlement ravie ! » Voilà pourquoi je flippe (malheureusement, sans surprise) de l'aigre contraste médiatique sur l'Hexagone dès l'annonce même du match France-Maroc, de la constatation, encore une fois, de la force audiovisuelle et imprimée dont jouit l'extrême droite hexagonale, qui ne se lasse pas d'être toujours plus dégueulasse, plus insupportable, ce qui explique ce tweet du 12.12.2022 de Clément Viktorovitch :
La population étrangère vivant en France s'élève à 5,2 millions de personnes, soit 7,7 % de la population totale. Elle se compose de 4,5 millions d'immigrés n'ayant pas acquis la nationalité française et de 0,8 million de personnes nées en France de nationalité étrangère.
1,7 million de personnes sont nées de nationalité française à l'étranger. Avec les personnes immigrées (7,0 millions), au total, 8,7 millions de personnes vivant en France sont nées à l'étranger, soit 12,8 % de la population.
(...)
En 2021, 47,5 % des immigrés vivant en France sont nés en Afrique. 33,1 % sont nés en Europe. Les pays de naissance les plus fréquents des immigrés sont l'Algérie (12,7 %), le Maroc (12 %), le Portugal (8,6 %), la Tunisie (4,5 %), l'Italie (4,1 %), la Turquie (3,6 %) et l'Espagne (3,5 %). La moitié des immigrés sont originaires d'un de ces sept pays (49 %).
« Les commentaires sur France-Maroc prouvent que, derrière les critiques qui accablent l’Islam ou l’immigration, se cache souvent un rejet phobique de nos concitoyens noirs et maghrébins »Foot, racisme et refoulé colonial : ma chronique, pour @Qofficiel.
Avec le match à venir, les franco-marocains ont le cœur qui balance… Et ça agace un paquet de commentateurs qui les accusent de manquer de loyauté. / Or le rejet de la binationalité fait partie de l’ADN du Front National…[et de toute extrême droite historiquement, qui sait toujours joindre la bourde affective à la cruauté politique (ce qui n'empêche que certains binationaux soient xénophobes, racistes et ultranationalistes ; je pense en vitesse à Valls, aux fafs franco-libanais ou à des Espagnols d'origine étrangère de ma connaissance). Miss Raisa en a plus que ras le bol et fait face, griffes et sourire, ironie et dédain. Joie.]Écoutez tranquillement les réflexions de Viktorovitch dans les deux vidéos, ça vaut le coup.
Mais en même temps, le jour du match Espagne-Maroc, je me demandais (et l'écrivais à des ami.e.s) : et un Saharaoui, qui, de l'Espagne (de l'éhonté Pedro Sánchez) ou du Maroc (son actuelle puissance coloniale), préférerait-il voir perdre ? "Contre" qui irait-il ?
[Les Blancs ont instillé partout leur suprémacisme à travers, aussi, leurs langues, au point qu'un Saharaoui clairvoyant et très conscient des horreurs coloniales emploie spontanément le terme "blanchir", "rendre blanc", pour dire rendre digne, disculper, laver de tout soupçon, dédouaner, faire passer crème... En langue légitime, les Blancs sont toujours la crème de la crème ; oui, les langues sont, entre autres, un champ de mines].
(...) mucha gente de los apoyos clásicos que solemos tener aquí [en Espagne], que son los movimientos o los partidos de izquierdas, muchísimos simpatizantes de esos partidos están celebrando las victorias de Marruecos porque para ellos representa un país africano y demás, pero no entienden el contexto de que es un país colonizador y ocupante. Y no sólo eso, tú puedes apoyar cualquier selección, pero es que se está instrumentalizando esa selección para blanquear una ocupación. Es una oportunidad para nosotros para concienciar, pero por desgracia no está dando los resultados que debería. Y aquí abro un paréntesis: hemos visto una oposición feroz de muchísima gente sobre la celebración del Mundial en Qatar por la defensa de los derechos humanos y, sin embargo, estamos viendo que casi las mismas personas, los mismos países y los mismos movimientos están apoyando a la selección marroquí incluso cuando esa selección sale cantando el “Sáhara es marroquí y siempre será marroquí”. Hay una contradicción. (...)Quand on pense que tel ou tel joueur marocain est capable, en même temps, d'arborer le drapeau palestinien sur un gazon footballeur au Qatar et de chanter que le Sahara est marocain et le sera pour toujours (“el Sáhara es nuestro, sus ríos son nuestros y su tierra es nuestra”), il y a de quoi perdre contenance.
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P.-S. - Pour mieux comprendre l'histoire moderne du Sahara et les clés d'un cas de colonialisme non résolu, tout comme ses retombées, je conseille l'ouvrage superbe de Tomás Bárbulo, La historia prohibida del Sáhara Español. Las claves del conflicto que condiciona las relaciones entre España y el Magreb, ediciones Península, 2017. Cette édition révise et augmente la première, celle de Destino, publiée en 2002. Bárbulo eut ainsi la possibilité d'introduire son livre par l'histoire d'Aminatou Haidar ("Jaque de Dama a Rey"), une femme marquante qui est devenue un symbole très puissant et encourageant de la résistance saharaouie.
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NOTE POSTÉRIEURE (nuit du 14.12.2022) :
Affections politico-footballeuses : Taleb Alisalem a inséré sur son compte Twitter plusieurs vidéos qui montrent de grands éclats d'euphorie saharaouie à Smara, Laâyoune ou Dakhla après la défaite de l'équipe marocaine. Cf. ici, ici, ici, ici ou là.
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MISE À JOUR du 16.12.2022 :
Samuel Gontier se lâche, gouailleur, sur sa vie au poste (Télérama) et son sarcasme le met à l'abri, j'imagine, des toxicités immondes qu'il doit se taper. Réservez 11 minutes pour lire une chronique illustrant le conditionnement islamophobe que tentent d'opérer dans la journée CNews ou BFMTV. Ces chaînes s'évertuent à déshumaniser à priori les Marocains en lançant un chapelet de pronostics délirants en guise d'information —prophéties calomnieuses destinées au signalement des boucs émissaires qui en disent long sur l'ordinaire d'intox, de suprémacisme et de haine tribale qu'on assène aux téléspectateurs français :
France/Maroc : cuisante défaite pour CNews, la guerre civile n’a pas eu lieu
Un meutrier déferlement de supporteurs du Maroc ivres de sang, d’honnêtes Français et d’intrépides commerçants menacés de lynchage par des hordes vengeresses sourdes aux bienfaits de la colonisation… Depuis samedi dernier, les journalistes et les experts de CNews (appuyés par Éric Zemmour et Yves Calvi sur BFMTV) prédisaient que l’apocalypse surviendrait sitôt finie la demi-finale de la Coupe du monde. Las, encore raté. (...)
Grâce à Elon Musk et à Twitter, je découvre que cette providentielle ébauche de guerre civile survient grâce au remarquable esprit d’intiative de groupuscules universalistes. Cagoulés, tout de noir vêtus, arborant de fédératrices croix celtiques, ces combattants de la liberté de lyncher en paix ont dans plusieurs villes pris en chasse des supporteurs du Maroc, renouant avec une tradition sportive dans laquelle la France a toujours excellé, la ratonnade. Mieux, place de la Comédie, à Montpellier, ces chevaliers du Zemmouriaque ont chargé sans distinction les supporteurs du Maroc et de la France, réussissant à créer des affrontements entre eux (l’enquête établira si la mort d’un adolescent renversé par une voiture est liée à cette confusion ingénieusement suscitée). Pudique, CNews tait ces maigres progrès, elle a dû concentrer à Nantes et sur les Champs-Élysées tous ses envoyés spéciaux. Pascal Praud avait prévenu : « S’il y a des dégradations (sic) de l’ultradroite, ce sera fortement analysé et commenté. » Les bobos bien pensants de Franceinfo doivent déjà être en édition spéciale pour agonir les défenseurs de nos racines chrétiennes tout en absolvant les criminels supporteurs du Maroc panislamiste.