Faisons état d'un document important ; l'Observatoire des multinationales vient de publier en pdf, en ligne, l'édition 2019 de son rapport CAC40 : le véritable bilan annuel
Cette édition 2019 est la deuxième de cette étude et comporte 100 pages. Je vous rappelle que le CAC40 (Cotation Assistée en Continu) est le principal indice boursier de la place de Paris et il se compose de 40 valeurs parmi les 100 premières capitalisations françaises.
Pour élaborer son bilan, l'Observatoire se base sur des questions qu'on ignore en général dans les pages couleur saumon de la presse libre et plurielle :
Quelles sont les performances des grandes entreprises françaises cotées au CAC40 en matière climatique ou sociale, loin des variations de l’indice boursier et des vicissitudes des marchés financiers ? Les émissions de CO2 du CAC40 ont-elles augmenté ou diminué, et quelles sont les entreprises qui ont réellement fait des efforts, et celles qui n’en font aucun ? Comment s’effectue le partage de la richesse produite entre salariés, dirigeants et actionnaires, et quelles sont les entreprises les plus inégalitaires ?Vous y apprendrez, par exemple, que "22 grandes entreprises ont augmenté leurs émissions de CO2 depuis la signature de l’Accord de Paris [COP21], dont certaines considérablement" ou que "Les dividendes et rachats d’actions, ainsi que les rémunérations patronales battent de nouveaux records (+15%, à 63,4 milliards d’euros, et +10%, à 5,63 millions d’euros en moyenne, respectivement), malgré des bénéfices en baisse".
L'avant-propos du rapport déclare ses objectifs :
L'Observatoire des multinationales est heureux de vous présenter la deuxième édition de son « Véritable bilan annuel des grandes entreprises françaises ». Salaires, dividendes, impôts, mais aussi émissions de gaz à effet de serre, droits des travailleurs, déchets, égalité entre homme et femmes ou lobbying : c'est une tentative de radiographie complète du CAC40 du point de vue non pas des marchés financiers (comme c'est le cas des rapports officiels publiés par les entreprises), mais du point de vue de la société, c'est-à-dire des problèmes qui se posent à nous tous en tant que travailleur.se.s et citoyen.ne.s.Je vous invite à lire juste le sommaire de cette recherche. Il se peut qu'à partir de là, vous commenciez à fouiller ses pages. Alors, il sera simple comme bonjour de vérifier à quel point cupidité, impunité des multinationales, inégalités, fraude fiscale, paradis fiscaux, bancaires, réglementaires et judiciaires, majordomes, émissions de gaz à effet de serre, dérèglement climatique, déchets toxiques à foison, écoblanchiment (ou verdissage), mise à mort du travail, travail délétère, sociopathie, baratin éthique (« nos valeurs »), déshumanisation, assaut des dernières régions préservées de la planète, extrême droite, promotion de la guerre, course aux armements de tout poil, business de la guerre, BigBrotherisme, exploitation acharnée des pays bourrés de pauvres, privatisations, pollutions, biocides, bons bons, Lubrizols, malbouffe (et malnutrition et faim), médicaments inutiles ou contreproductifs, lobbying faramineux (1), portes tournantes, secret des affaires, désinformation, infox et omertà, encore omertà (2), poursuites-bâillons... constituent le corrélat nécessaire du système criminel qui nous fait produire et consommer comme des écervelé.e.s et ruine nos vies et la planète.
L'objectif de ce « Véritable bilan annuel » reste le même : susciter et alimenter l'indispensable débat démocratique sur les stratégies et sur les choix de « nos » multinationales, mais aussi sur les politiques publiques qui les soutiennent de manière directe et indirecte. Un débat qui n'a vraiment lieu aujourd'hui, parce que souvent relégué hors du champ du « débattable » par nos dirigeants politiques et économiques, mais aussi faute d'informations accessibles, sincères et indépendantes sur ces questions.
Inévitablement, notre publication appuie donc sur les points qui font mal et les questions qui fâchent – celles que le CAC40 minimise ou passe sous silence dans ses propres documents de communication. C'est parce que les questions posées ici sont importantes, et la responsabilité des grandes entreprises – françaises ou autres – souvent grande.
Des exemples...
- LE VRAI BILAN DU CAC40Eau, déchets, plastique, huile de palme : la lourde empreinte écologique du CAC
- LE VRAI BILAN DU CAC40Carrefour, Alstom, PSA, Sanofi... : ces poids lourds du CAC40, symboles d’un système à la dérive
- LE VRAI BILAN DU CAC40CAC40 : des profits considérables pour quelques-uns, les coûts pour tous les autres
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(1) Le CAC40 a dépensé 66 millions d’euros en lobbying à Paris, Bruxelles et Washington en 2018.
(2) Rappel sur le piteux état des grands média en France :
En France, les médias sont proches, très proches des grandes entreprises. Ils en dépendent pour leurs recettes publicitaires et, surtout, un grand nombre d’entre eux sont directement contrôlés par des groupes du CAC40 ou leurs patrons milliardaires : Bernard Arnault, PDG du groupe de luxe LVMH (Les Echos et du Parisien), Dassault (Le Figaro), François Pinault (Le Point), Patrick Drahi, principal actionnaire d’Altice-SFR (Libération, L’Express, BFM-TV, RMC), Vincent Bolloré (Canal+ mais aussi Havas, l’un des principaux pourvoyeurs de publicité des médias), Xavier Niel (co-propriétaire du groupe Le Monde qui inclut aussi Télérama, La Vie et indirectement L'Obs)... Une situation peu rassurante quant à la liberté des journalistes d’enquêter de manière critique sur les grandes entreprises. (Page 98 du rapport)
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Mis à jour du 1er octobre 2019 :
À propos de risques, pollutions et impunités, Thomas Leroux nous propose aujourd'hui une perspective historique dans sa tribune du Monde :
C’est à 500 mètres de l’actuelle usine Lubrizol de Rouen qu’eut lieu la première grande pollution industrielle chimique en France, au cours des années 1770, dans le quartier Saint-Sever, sur la rive gauche : les fumées corrosives d’une fabrique d’acide sulfurique détruisirent la végétation alentour et on les soupçonna de menacer laa santé publique. Malédiction sur le site ou simple coïncidence ? Ni l’un ni l’autre : mais c’est au miroir du passé que l’on peut mieux comprendre comment le risque industriel et les pollutions sont encadrés aujourd’hui._______________________________
Le procès instruit en 1772-1774 après la mise en cause de la fabrique d’acide, a en effet produit un basculement dans l’ordre des régulations environnementales, un vrai changement de paradigme lourd de conséquences.
Une mise en lumière du processus historique aide à répondre à un panache de questions, telles que : « Seveso, quèsaco ? », « Une usine dangereuse dans la ville, est-ce possible ? », « Tire-t-on les leçons d’une catastrophe industrielle ? ». Ou encore : « l’industriel : responsable, pas coupable ? ».
(...)
Autre leçon des régulations post-1810 : leur insistance sur l’amélioration technique, censée rendre, toujours à court terme, l’industrie inoffensive. La récurrence de l’argumentation, décennie après décennie, laisse rêveur au regard de la progression parallèle de la pollution au niveau mondial. Si la pression du risque industriel est partiellement contenue en Europe depuis les années 1970, c’est en grande partie la conséquence des délocalisations principalement en Asie, où les dégradations environnementales sont devenues démesurées.
La régulation des risques et des pollutions ne protège donc pas assez les populations, parce qu’elle protège avant tout l’industrie et ses produits, dont l’utilité sociale et l’influence sur la santé sont insuffisamment questionnées. Les garde-fous actuels (dispositifs techniques, surveillance administrative, réparation et remédiation, délocalisations) ont pour but de rendre acceptables les contaminations et les risques ; ils confirment une dynamique historique tragique dont l’accident de l’entreprise Lubrizol n’est que l’arbre qui cache la forêt dense de pollutions toujours plus chroniques, massives et insidieuses.
[Thomas Le Roux est historien. Chercheur au CNRS, il est auteur, avec François Jarrige, de « La Contamination du monde. Une histoire des pollutions à l’âge industriel » (Seuil, 2017).]
Mis à jour du 9 octobre 2019 :
En matière de novlangue (recel d'abus de contresens) néolibérale, l'expression « plates-formes collaboratives » est particulièrement méphitique. Nous savons tous que l'esclavage ne constitue aucune modalité de collaboration. Eh ben, on apprend ces jours-ci que les esclavisés de cette soi-disant « gig economy » commencent à s'organiser.
Profitons-en pour rappeler des faits linguistiques. Gig voulait dire en anglais traditionnel, selon Oxford : "a single performance by a musician or group of musicians, especially playing modern or pop music".
L'art du détournement de l'anglais étasunien des affaires (globish) a transformé ignominieusement le sens de ce mot, qui veut dire maintenant, dans ce contexte économique misérable et précaire : "a job, especially one as a performer or one that lasts only a short time".
Disons, comme curiosité, que « gig » est en français le sigle de Grand Invalide de Guerre.