Savez-vous que CLASSE veut dire, dans un pays francophone, Coalition large pour une solidarité syndicale étudiante ? C'est au Québec, au Canada.
Je ne voudrais pas négliger ce qui s'y passe il y a plus de trois mois. L'effort de centaines de milliers de citoyens canadiens mérite tout notre soutien.
Le carré rouge, symbole du Collectif pour un Québec sans Pauvreté, est devenu le symbole de la grève étudiante. Photo tirée de Wikipédia.
On dirait un miracle, mais c'est vrai: plus de 100 jours se sont écoulés depuis le 13 février et les étudiants québécois y sont toujours, tiennent bien, ne se lassent pas de dire non. Ils n'acceptent pas l'obscène augmentation des droits de scolarité dans leurs universités : ils ne se laissent pas leurrer par l'air du temps ni beurrer la cervelle par les snobelen d'aujourd'hui qui ne tiennent qu'à faire leur beurre d'érable. Toute hausse considérable des frais d'inscription (et des frais "afférents" recouvrant d'autres coûts administratifs, de gestion, sportifs...) dans les universités entraîne, d'un côté, un accroissement des inégalités sociales et des chances devant l'étude, le savoir et les diplômes, et de l'autre, un endettement précoce qui va ruiner, voire réduire en esclavage bon nombre d'étudiants et leurs familles, car celles-ci se voient contraintes de cautionner les emprunts de leurs enfants.
À cet égard, dans Le nouvel Observateur nº 2480, du 17 au 23 mai 2012, page 67, Martine Desjardins, présidente de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) expliquait que, pour financer leurs études, « les jeunes Québécois travaillent en moyenne 15 heures par semaine et s'endettent pour 13 000 dollars. » Elle ajoutait :
« On arbore tous un carré rouge, en papier, en feutre, en tissu pour dire qu'on ne veut pas être "carrément" dans le rouge... » Aux États-Unis, rappelle Martine Desjardins, « la dette étudiante vient de franchir le seuil des 1 000 milliards de dollars ! Et c'est devenu la première cause d'endettement. »
Comme réponse démocratique à cette contestation pacifique, récalcitrante et bien nourrie, le gouvernement libéral québécois de Jean Charest (PLQ) a renforcé son autoritarisme et dicté le 17 mai une loi spéciale limitant sérieusement le droit de manifestation : la loi 78, dite officiellement " Pour la Paix et l'Ordre ", populairement " de matraque-sur-le-peuple ". Et les étudiants québecois de descendre dans la rue de plus re-belle ou de se mobiliser encore plus sur le web. Les manifs scandent : « La loi spéciale, on s'en câlisse », c'est-à-dire, « on s'en fout ».
Pour mieux comprendre la donne actuelle du conflit, voici d'autres informations récentes relatives à ce mouvement touffu et joyeux :
En ce 100e jour de grève étudiante,
des dizaines de milliers de personnes marchent dans les rues du
centre-ville contre la hausse des droits de scolarité et contre la loi
spéciale adoptée vendredi dernier. En lire plus (ou y voir énormément d'intéressantes photos)
Au Québec, le "printemps érable", éclos il y a quatre mois avec les premières protestations étudiantes, tourne à l'affrontement larvé. A tel point, note Le Temps, que Montréal "ne dort plus",
secouée par une crise sociale d'une ampleur jamais vue jusqu'ici.
Mardi, à l'occasion du centième jour de ce qui s'apparente à une"grève sans fin", plusieurs dizaines de milliers de personnes ont défilé dans les rues de la ville, relatent le Globe and Mail et La Presse. Leur mot d'ordre : "100 jours de grève, 100 jours de mépris, 100 jours de résistance". Une résistance globalement pacifique qui, désormais, ne vise plus seulement la hausse des frais universitaires, mais aussi et surtout la "loi 78",
adoptée en fin de semaine dernière à l'initiative du gouvernement libéral de Jean Charest et qui restreint le droit de manifester.
Fustigée sans réserve par la rue, laquelle semble s'engager sur la voie
de la désobéissance civile, cette mesure d'exception est également
éreintée par les médias : Le Devoir y voit un "abus de pouvoir" et une "tentation autoritaire","corollaire de la peur engendrée par la faiblesse des autorités en place", tandis que La Presse dénonce une disposition "malavisée et contre-productive".
Au-delà de ce nœud gordien, qui déchaîne les passions, comment
interpréter ce bras de fer ? S'agit-il d'un épiphénomène du mouvement
des "indignés" ou, comme d'aucuns le suggèrent, un "face-à-face de générations" ? Pour La Presse, en tout cas, l'attitude de "Rambo politique" adoptée par le gouvernement ne peut conduire qu'à une aggravation de la situation. D'où l'impérieux appel lancé par le quotidien à un"retour au calme", "devoir national" pour chacune des parties au conflit.
De nouvelles manifestations contre la loi 78 dans l'Est du Québec
Mise à jour le mercredi 30 mai 2012 à 12 h 03 HAE
Le Cégep de Rimouski
Plus d'une trentaine d'enseignants du Cégep de Rimouski ont manifesté contre l'adoption de la loi spéciale 78 tôt ce matin.Ils ont formé une chaîne de solidarité humaine devant l'entrée de la rue Saint-Louis. Ils ont demandé aux gens de ne pas emprunter cette porte
pour accéder au cégep, sans pour autant empêcher l'ouverture de l'institution.
NOTE : Un Cégep, c'est un collège d'enseignement général et professionnel destiné à assurer la formation postsecondaire/préuniversitaire des 15-24 ans.
— En même temps, comme cela fait longtemps que les grands faucons de la planète ont brisé la glace, le gouvernement canadien du conservateur Stephen Harper, semblable, frère de celui qui gouverne le Québec, veut vendre la mer —homophonie inquiétante. Plus concrètement, ils ont mis aux enchères 10 000 km2 de l'océan arctique dont les ressources minières et énergétiques font saliver les majors pétrolières car il faut vendre la glace tant qu'elle fond, réchauffement oblige, ou avant que l'ébullition sociale ne regarde de ce côté-là.
Vous pouvez penser que l'eau-céans en souffrira, tout comme toute la vie qui en dépend, bien entendu. C'est pour cela que certains scientifiques s'en inquiètent :
(...) Deux ans après la catastrophe environnementale provoquée par BP dans le
golfe du Mexique, plusieurs scientifiques redoutent cependant les
impacts potentiels de cette quête de ressources non renouvelables.
L’Arctique, de plus en plus accessible en raison de la fonte des glaces,
renferme en effet une riche biodiversité dont certains pans sont encore
méconnus. Plus de 2000 scientifiques de 67 pays ont d’ailleurs demandé à
la communauté internationale de protéger l’océan Arctique, en
interdisant la pêche commerciale tant que la recherche et un encadrement
réglementaire n’assureront pas le respect de cet environnement.
Dans ces zones, une intervention en cas de marée noire serait par
ailleurs complexe, en raison de la présence de glaces et de
l’éloignement. (Le Devoir, le 18 mai 2012).
___________________________________________ NOTE POSTÉRIEURE : Pascale Dufour a publié un article très documenté à ce propos, intitulé Ténacité des étudiants québécois, dans Le Monde diplomatique de juin 2012 (page 6). Elle est professeure au département de Science politique de l'université de Montréal (Canada). Son article s'appuie sur les recherches de Louis-Philippe Savoie, candidat à la maîtrise en Science politique à l'Université de Montréal.
« Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront de glorifier le chasseur. » Voici un proverbe africain que j'avais déjà évoqué dans ce blog et qui est la citation de départ d'un livre numérique téléchargeable qui envisage de revoir l'histoire de l'Afrique de 1900 à 2010, tout en apportant des ressources variées et des vidéos. C'est une proposition decuriosphère.tv, sa manière de fêter l'anniversaire de la signature
des accords de l'Organisation de l'unité africaine (OUA*), qui a eu lieu le 25 mai
1963 : le 25 mai est dès lors la journée mondiale de l'Afrique.
AFRIQUE(S)est doncune série qui s'engage à raconter à tous pour la première fois un siècle de l’histoire du continent africain « du point de vue des lions », et ceci en 4 épisodes de 90’. Et des éléphants, pour éviter que ça trompe énormément ?
Elle a été "co-écrite par Elikia M’BOKOLO, historien, directeur d’Etudes à l’Ecole
des Hautes Etudes en Sciences Sociales, et Philippe SAINTENY,
journaliste, ancien rédacteur en chef à Radio France Internationale, la
série est réalisée par Alain FERRARI, produite par Temps noir, France 5 et l’INA, en association avec TV5 MONDE et CFI, avec le soutien de l’ACSE et du Fonds de la diversité."
Résumé :
La série AFRIQUE(S), Une autre histoire du XXe siècle propose
de revivre 100 ans de l’histoire de l’Afrique, par la voix de ses
grands acteurs, tous ceux qui, de près ou de loin, ont pris part à son
réveil et l’ont fait entrer dans le 21ème siècle [sic !!!].
Construite à partir d’archives inédites et en danger de disparition, et
d’entretiens avec les plus grandes personnalités africaines, la série AFRIQUE(S), Une autre histoire du XXe siècle raconte l’histoire intérieure et méconnue du continent noir.
Elle dévoile, à la manière d’une épopée, la geste de ces peuples
africains qui, depuis les soubresauts de l’ère coloniale jusqu’aux
grandes aventures de la démocratie et de l’unité africaine, en passant
par le bouillonnement des indépendances et les guerres civiles, le chaos
des conflits mondiaux, l’effervescence des crises et les renouveaux
culturels, ont été au cœur des grands bouleversements du siècle passé.
Et en révélant pour la première fois cette mémoire de l’Afrique, la
série donne à tous l’occasion de découvrir une autre face de notre
histoire commune, une autre histoire du XXe siècle… Episodes :
Episode 1 : Le Crépuscule de l’homme blanc (1900-1945)
Episode 2 : L’Ouragan Africain (1945-1964)
Episode 3 : Le Règne des partis uniques (1964-1989)
Episode 4 : Les Aventures ambigües de la démocratie (1989-2010) Avec la participation de :
Abdou Diouf, Alpha Oumar Konaré, Boutros Boutros-Ghali, Jerry
Rawlings, Wangari Maathai, Kenneth Kaunda, Joaquim Chissano, Kofi
Annan, Frederik de Klerk, Ahmed Ben Bella, Emil Derlin Zinsou, Nuruddin
Farah, Ernest NDalla, Boubacar Boris Diop, Justin Bomboko, Pedro
Pires, Shula Marks, Wole Soyinka, Abel Goumba…
* Depuis le 9 juillet 2002, l'OUA est devenue l'Union africaine.
Quant au rapport entre l'emploi en Afrique et notre amour des affaires, en voici un cas de figure passablement illustratif... (Source : Le Monde diplomatique)
L'année dernière, nous avons fait un voyage superbe, emballant, à Marrakech, Essaouira, Aït Ben-Haddou et Tinfou. J'envisageais d'en rendre compte dans ce blog et j'avais commencé par concocter un premier billet au sujet de deux films classiques qui avaient été tournés à Marrakech et Essaouira respectivement, L'Homme qui en savait trop et Othello. Entretemps, j'essayais de mettre un peu d'ordre dans mes notes et mes photos : le matériel était abondant. Mais, soudain, l'épouvantable attentat du 28 avril au café Argana m'a empêché émotionnellement de continuer la tâche que je m'étais fixée, moi, prof du "Corredor del Henares" par-dessus le marché... Tout-à-coup, l'humeur n'était pas aux réjouissances.
Je pense maintenant que je voudrais bien reprendre ce projet et tenterai de ne pas le remettre aux calendes étasuniennes (comme les calendes, date exclusivement romaine, étaient le jour d'échéance des dettes, je préfère modifier l'adjectif établi du dicton). Mais pour l'instant, je me propose d'entamer une série de billets consacrés à notre dernier déplacement qui nous a conduits en Bourgogne et en Franche-Comté, via Genève, du 10 au 14 mai.
Jeudi 10 mai. La première journée de ce périple avait démarré de très bonne heure pour tout le monde, car nous avions rendez-vous à 07h30 devant les bureaux d’enregistrement de la compagnie IssueJet à Barajas. Tous les voyageurs se sont présentés le sourire aux lèvres, l'appétit en bandoulière : ils sont toujours comme ça, ce qui est un miracle de joie !
Avec 25 minutes de retard, notre vol pour Genève a décollé à 10h15.
Presque deux heures plus tard, en vol, soudaine revue des Alpes bourrées de neige dont les brillances sous un ciel bleu laiteux attiraient l’attention de tous les veinards du côté droit de l’avion....
Puis, nostalgie à la revue d’Annecy (cf. ici, ici, ici et là), répandue sur le sommet nord de son lac, sur notre droite, et des Aravis, et de la vallée de l’Arve, ...
... avant de virer à gauche pour survoler le lac Léman et atterrir à Cointrin, à 12h15.
Ensuite, déplacement en car vers Dijon, à 260 kms, par l'autoroute A40. C’était Felipe qui conduisait.
13h30 : Nous nous sommes arrêtés bientôt au restaurant l’Arche, sur l’aire de Valleiry, car il était bien le temps de manger. Journée ensoleillée et 26º. On est repartis vers 14h30.
14h35 : Utilisez le frein moteur, nous prévient-on ; douce descente très verte vers l’Ouest, peu avant le département de l’Ain.
Beau parcours sur l’A40, qu'on appelle l’autoroute des Titans sur ce trajet. À 65 km de Genève, toujours dans l’Ain, beauté spéciale des alentours de Nantua, vallée et fleuve, que l’on a traversé sur un viaduc impressionnant.
Viaduc de Nantua. Photo prise au retour, le 14 mai.
Nantua en souffre, certainement : il comporte un gros choc visuel et une pollution élevée sur les lieux. D'autre part, la position de la ville est extrêmement délicate : elle est située au bord d’un lac et au pied d'une haute falaise calcaire… instable, véritable épée de Damoclès.
15h00 : on était à 45 km de Bourg-en-Bresse, donc à 150 environ de Dijon. Des boutons d’or ; on a commencé à voir des champs jaunes de colza en fleur.
À la bifurcation de Pont-d’Ain, Felipe a ignoré les indications Mâcon, vers l’Ouest, et a mis le cap vers le Nord par la A39. Nous avons raté ainsi la vallée de la Saône et nous sommes rendus à Dijon par le Jura.
16h30: entrée en Côte d'Or et puis, quelques minutes avant 17h, arrivée à notre destination : la ville était très perturbée par les travaux du tramway qui va desservir le Grand Dijon. Le dimanche 13 mai, Dijonscope publierait cette image de la place Darcy, à quelques mètres de notre hôtel :
Nous nous sommes installés dans l’Hôtel de Paris, bien situé 9 avenue du Maréchal Foch, entre la gare SNCF et le centre-ville, tout près de la place Darcy. Puis, on est repartis faire le tour du centre-ville.
Cette simulation par ordinateur due à la NASA (cf. hubblesite.org) montre une géante rouge aspirée, broyée, disloquée par la gravitation d’un trou noir massif. Quelques débris stellaires tombent dans le trou noir et d’autres sont éjectés dans l’espace à très grande vitesse. Les aires en blanc sont des régions à la plus haute densité, alors que la progression vers le rouge correspond à des régions à densité de plus en plus faible. Le point bleu indique la position du trou noir.
Morale : la géante rouge n’est qu’une étoile en fin de vie dont le trou noir ne fait qu’une bouchée.
Et bien que celui-ci n’émette pas de rayonnement, il peut être repérable par son action sur son environnement. Du joli spectacle.
Voici le générique du film du quinquennat du Fouquet's boy, celui même qui s'est permis de nous expliquer ce que c'est le "vrai travail", celui qui feignait en public de croire qu'on pouvait se construire toute une vie sans demander rien à personne, Robinson d'opérette... ; celui qui voulait qu'on accepte gaiement de trimer de l'aube à minuit (si toujours est-il qu'on dispose d'un emploi) tandis qu'il s'occupait d'assurer l'assistanat tous azimuts des nantis...
Franchement, qu'une collection de cabotins antisociaux de cette trempe puisse contrôler la res publica, voilà ce qui fait frémir.
Un spectateur a déclaré :
Je regarde rarement les génériques de fin... mais là, je me le passe trois fois et en faisant des pauses...
Nous sommes le Premier Mai 2012. Que les chômeurs désespérés me permettent d'aborder aujourd'hui le thème du "travail", ce turbin tellement imploré qui n'a rien à voir avec la vraie vie ou la justice sociale.
Les grandes entreprises distribuent d'énormes dividendes aux actionnaires et réservent aux employés, de moins en moins nombreux, des conditions de travail de plus en plus flexibles (vulgo "affreuses") ; que ce soit en Chine (cf. Apple, par exemple), au Canada ou en France, mutatis mutandis, on trime à la chaîne ; la corvée (au sens propre) est notre bouillon de culture. À New-York, Deborah Stevens s'est fait virer après avoir donné son rein à sa patronne, Jacqueline Brucia ; lorsqu'elle a commencé à éprouver des malaises liés à des complications dérivées de l'opération, sa patronne lui a expliqué qu'elle ne voulait rien en savoir. La compagnie, Atlantic Automotive Group, a affirmé de son côté « qu'il est regrettable qu'une employée prenne prétexte d'un acte généreux pour lancer une réclamation sans fondement. » Ah, la générosité tenait à saper les fondements d'une entreprise libérale, insidieuse perfidie. Sic transit gloria negotii. Cliquez ici pour lire l'info en français.
L'expression française "ça coûte les yeux de la tête" se traduit en castillan par "cuesta un ojo de la cara", voire "cuesta un riñón" (littéralement, ça coûte un rein)... Comme la réalité entrepreneuriale et marchande nous a un peu poussés dans le domaine de la triperie, on peut se rappeler la préface de Serge Halimi à « L'Art d'ignorer les pauvres », de John Kenneth Galbraith, où il était question d'un texte de Jonathan Swift qui...
« (...) conseillait aux pauvres d’échapper à la misère en saignant leurs enfants afin de les commercialiser sous forme de « nourrisson de boucherie », plutôt que de se saigner eux-mêmes à élever leur progéniture au risque de la voir ensuite déraper dans le crime et servir de gibier de potence. »
...je conseille, outre cette petite réflexion, le visionnement de La mise à mort du travail, une série documentaire à trois volets réalisée par Jean-Robert Viallet sur une idée de Christophe Nick.
« Lorsque Christophe Nick m’a proposé le sujet de La Mise à mort du travail, il s’agissait de reprendre le principe qui avait été celui des Chroniques de la violence ordinaire et d’École(s) en France : circonscrire l’enquête à un lieu unique ou à un petit nombre de lieux particuliers et s’y installer dans la durée avec l’ambition d’élargir peu à peu le point de vue à une question sociale plus générale. En l’occurrence ici la « crise du travail » que connaissent aujourd’hui tous les pays développés. L’idée n’était pas de faire un énième film sur la souffrance au travail, ni de révéler les malversations de telle ou telle entreprise, encore moins d’accuser X ou Y de terroriser ses employés. Que l’entreprise soit un lieu de souffrance pour des millions de gens, il suffit de regarder les chiffres – maladies du travail, dépressions, suicides, harcèlement… – pour s’en convaincre. » (Viallet)
Les trois parties de la série s'appellent La Destruction, L'Aliénation et La Dépossession. Le tout comporte environ trois heures et il existe à son propos un dossier de France 3 riche, entre autres, d'un forumetd'une bibliographie fort intéressante. Quant à moi, je vous rappelle une référence récente et très pertinente que j'ai déjà citée dans ce blog, l'essai de Frédéric Lordon Capitalisme, désir et servitude (La Fabrique Éditions, 2010), soutien énorme à 'heure de réfléchir à ces automatismes conditionnés appelés « désirs » ou « choix naturels » ainsi qu'à d'autres hétéronomies plus ou moins passionnelles.
Je fournis ci-dessous un petit guide à l'intention de ceux qui auraient des difficultés de compréhension auditive, en vue de leur faciliter la compréhension textuelle du film. J'y ajoute, entre crochets, des commentaires personnels. Bonne lecture.
1) LA DESTRUCTION (66’) - volet émis le 26/10/2009 sur France 3.
RÉSUMÉ DE LA PREMIÈRE PARTIE
« Dans un monde où l’économie n’est plus au service de l’homme mais l’homme au service de l’économie, les objectifs de productivité et les méthodes de management poussent les salariés jusqu’au bout de leurs limites. Jamais maladies, accidents du travail, souffrances physiques et psychologiques n’ont atteint un tel niveau. Les histoires d’hommes et de femmes que nous rencontrons chez les psychologues ou les médecins du travail, à l’Inspection du Travail ou au conseil de prud’hommes nous révèlent combien il est urgent de repenser l’organisation du travail. »
Les objectifs de productivité et les méthodes de management poussent les salariés jusqu’au bout de leurs limites.
Métro, boulot, dodo…
La santé au travail concerne tout le monde et pourtant, on en parle peu. Et c’est un million de personnes atteintes par accidents, etc.
Chaque pays de l‘UE y consacre entre 3 et 4% de son PIB. Mais voilà qu‘en plus des maladies et accidents, un mal nouveau est apparu depuis quelques années : la souffrance. La détresse psychique concerne 25% des hommes et 33% des femmes qui sont en activité.
On voit l’activité de la première consultation spécialisée dans les Souffrances au travail, celle de la psychologue et psychanalyste Marie Pezé, à l’hôpital de Nanterre, Hauts-de-Seine, le département le plus riche de France. Elle existe depuis 1997. Depuis, 23 autres se sont ouvertes dans les grandes villes du pays. Elles sont toutes débordées.
La consultation de Marie Pezé a déjà soigné plus de 9000 patients, dont 900 l’année de production du film. Les souffrances liées au travail nuisent à tous : cadres supérieurs, ouvriers, managers, employés… Tous sont psychologiquement fragilisés.
Véronique, caissière de supermarché, parle du travail : « Ça m’épanouit,… j’aime être utile dans la société,… j’en suis fière ». Elle a des douleurs au bras droit : TMS, Troubles musculo-squelettiques. Une caissière peut soulever 1 tonne de produits par heure. Elle est malade de son travail et elle va se retrouver sans revenus. Un autre cas : une femme qui avait toujours travaillé dans une chaîne de fabrication de tubes de rouge à lèvres ; elle en faisait 350 à l'heure au début, à la fin, cadence infernale, il a fallu qu'elle en fasse 1200 à l'heure ! Marche ou crève… Puis, les travailleurs partant à la retraite ne sont jamais remplacés. Éventuellement, lors des coups de bourre, on recourt à des intérimaires, c’est tout.
Les nouvelles organisations du travail recherchent l’obtention de taux de rentabilité faramineux pour bien rémunérer les investisseurs. Le rythme de production s’envole, se multiplie par trois ou quatre.
On commence à consommer de l’alcool, des psychotropes… pour tenir le coup au travail, sans broncher. Bref, on perd sa vie à force de tout faire pour la gagner. Perte d’auto-estime, penchants suicidaires… Une cadre trop exigée, harcelée par son patron, qui s’est vu soudain snobée, s‘est sentie zéro, un néant, plus rien, et a pris la décision d’en finir une fois pour toutes : elle est allée près de chez elle attendre de se jeter sous un train qui n’est pas venu ce jour-là.
En général, un salarié met fin à ses jours chaque jour, ce qui fait donc 3 à 400 morts par an. C’est un peu comme dans les affaires de violence conjugale, quand la vie quotidienne est devenue un enfer mais que chacun préfère encaisser plutôt que reconnaître la violence.
Conseil de Prud’hommes de Nanterre, Tribunal du Droit du Travail. Depuis 20 ans, le nombre d’affaires a été multiplié par trois. Il y a tellement de coups montés… Les fausses accusations de vol (on accuse des employées de piquer des étuis de chewing-gum !) sont une manœuvre récurrente pour licencier des travailleurs comptant parfois une paire de décennies d’ancienneté de bons et loyaux services sans aucun incident. Ils ne sont pas que piégés : selon les témoignages des employées, elles sont aussi épiées, voire humiliées devant les clients ou les collègues, surmenées... C’est la destruction de l’être humain. Par ailleurs, les patrons font du vrai piquetage contre la syndication des ouvriers. Un salarié syndiqué est facilement virable (« Ils veulent pas qu’on se rassemble »).
Un cadre qui crée un syndicat dans son entreprise mérite, selon son patron, "une balle dans la tête au parking".
[Maintenant, les successives réformes du droit du travail rendent négligeables les manigances patronales : il est très aisé de se débarrasser d’un salarié sans autre forme de procès].
La réduction des effectifs entraîne la direction à s’appuyer sur quelques salariés en sorte de mater les protestations. C‘est le cas de Magali, une chef de caisse stressée, rendue chauve d'angoisse parce que sa direction l’a forcée à tourmenter ses collègues. Et finalement, elle aussi, elle a été convoquée chez son chef… Réprimer sa colère, ses émotions, ne pas critiquer... Tout cela, c’est dur.
Le climat pourrit : il y a le mal que l’on fait aux autres et le mal que l’on subit, et qui ronge : chacun se sent coupable de ne pas tenir, de ne pas être assez fort, de se comporter comme un lâche.
Telle autre a encaissé toute sorte d’humiliations jusqu‘à ce jour où elle a pété les plombs ; elle s’est mise à hurler au milieu du supermarché : on peut la mettre à la porte.
Alors qu’il y a un policier pour 600 habitants en France, il n’y a qu’un inspecteur du travail pour 10.000 salariés. Totalement asphyxiés, ils n’instruisent que les cas les plus criants.
Des cadres sont convoqués par le DG et sommés de signer un texte de délation sous peine de représailles à peine voilées. Se soumettre, et garder son emploi, ou se démettre, et se retrouver à la rue [Reprise des mots que Léon Gambetta (1838-82) adressa au Président Patrice de Mac Mahon (1808-93), monarchiste, dans son discours de Lille, le 12 août 1877 : « il faudra se soumettre ou se démettre »].
On peut représenter ses collègues, en devenant syndicaliste, et puis finir lynché par ces mêmes collègues qui sauvent ainsi leur peau ; on appelle cela un effet d’émeute : un collectif agit comme les chiens lors d’une chasse à courre jusqu’à ce que les chasseurs en finissent avec la proie. On fait tout pour vous faire craquer. La personne est atteinte. Désespéré, on pense même à avoir un pistolet… « Heureusement que les armes ne sont pas aussi disponibles en France qu‘aux Etats-Unis, parce que sinon, il y aurait des faits divers dramatiques en France. Et je pense que cela va finir par arriver, parce que si la justice aujourd’hui ne donne pas les moyens pour pouvoir justement sanctionner toutes ces injustices, les salariés vont finir par vouloir faire la justice eux-mêmes. Et aujourd’hui, dans notre métier, on a des directions assez dures, extrémistes. »
« Ce n’est pas quelques voyous dans un monde qui va très bien, c’est l’organisation du travail elle-même qui produit tout cela. (…) Les gens sont déstabilisés. »
Il est très rare que des affaires de ce type aboutissent à un procès. La plainte a été déposée en 2004, en février 2009, le dossier faisait encore la navette entre le parquet et le juge d’instruction. Les dirigeants risquent de fortes amendes et l‘interdiction de diriger une entreprise, et leur société une interdiction d’accès aux marchés publics. Dans l’affaire du supermarché, en revanche, pas de justice pénale. Les prud’hommes rendent des jugements civils. On n’y fait qu’indemniser les victimes, d’accord avec le code du travail.
[Jusqu’à présent, on budgétisait un licenciement. Pour l’entreprise, c’était matériellement et psychologiquement rentable. Après les successives réformes, c’est encore moins cher et plus pratique. On est tous sous pression.]
L’employée du supermarché n’en peut plus, se sent au bout du rouleau professionnel : « Je ne souhaite qu’une chose : c’est de mettre en retraite ce monde. Je ne pourrais plus jamais retourner travailler, jamais, j’ai été cassée ; il y a deux solutions, ou je me suicide, ou je me mets en maladie. »
Des cadences de travail infernales, des évaluations à tout bout de champ, illogiques, subjectives, indépendantes du travail, des journées à rallonge à n’en pas finir, travail le dimanche non déclaré, harcèlement, stress…
Le chômage induit la soumission, d’un côté, et la domination, de l’autre.
La peur agissant, les gens acceptent de modifier leur comportement. « Pourquoi donnons-nous notre consentement à ces pratiques ? »
Remerciements du réalisateur à Paul Ariès, Yves Clot, Christophe Dejours, Christian Dutertre, Vincent de Gaulejac, Paul Jobin, Frédéric Lordon, Marie Pezé, Thomas Philippon, Serge Volkoff, Éric Girard et ses équipes, Olivier Ouzé, Gary Lubner, Jean-Pierre Bizet, Frédérique Lini…
2) L'ALIÉNATION (64’)
RÉSUMÉ DE LA DEUXIÈME PARTIE
« En France, 3 salariés sur 4 travaillent dans les services. S’il y a une crise du travail, c’est donc de là qu’il faut l’observer. Nous nous sommes installés dans une entreprise anodine, une entreprise comme il en existe aujourd’hui des dizaines de milliers dans le monde : Carglass. Mondialisée, standardisée, Carglass est une filiale du groupe anglais Belron présent dans plus de 30 pays du monde. Ici, deux credo : une productivité maximale et un client roi totalement satisfait… Deux notions qui, aujourd’hui, dans toutes les entreprises de services du monde, imposent la mise en place d’un management de la manipulation... »
«Je n'ai pas choisi une boîte où l'on était mal payé ou qui venait de vivre un plan social, explique Jean-Robert Viallet. J'ai pris une entreprise normale pour m'immerger pendant deux ans comme un sociologue au long cours. Ce qui m'intéressait, c'était de montrer la contradiction entre le message interne et la façon dont c'était réellement perçu dans
l'entreprise.»
La Défense, une entreprise de services… CARGLASS (1), et ses thérapies pathétiques sans éthique.
Le manager veut des salariés fiers, heureux, efficaces… et il faut les motiver.
[Tout y est contrôlé, y compris le moindre « abus de pause ».]
[Selon lui, ils ont besoin d’un patron capable de les… comprendre, développer, pousser, coacher… Bref, les clichés de la mouvance entrepreneuriale du moment. On dirait un archétype : il est parfait de lui laisser s’exprimer longuement, il est trop bon dans son rôle.
En même temps, on voit que le travail est tendu, automatique, répétitif, abrutissant ; « je n’ai pas dormi pendant trois jours », l’air fier…]
Ce quotidien fait naître un sentiment de frustration dans le salarié. Dans le call-center, on travaille sans réfléchir, on débite des locutions standard, on oublie ses paroles, on se fait insulter, il faut gommer ses tics et se borner à suivre le script ; le travail n’est pas un service qu’on rend mais une tâche qu’on exécute.
[Éric Girard, le boss, passe de plain-pied de ses balivernes précédentes au slogan de conclusion qu’il débite avec fougue, comme si les prétentions de son entreprise étaient le nec plus ultra de l’ingéniosité : « On veut devenir un choix naturel ». Cherchez sur Google, entre guillemets, l’expression « devenir un choix naturel » : vous vérifierez qu’il y en a beaucoup qui connaissent la chanson.]
Mêmes enseignes, mêmes paysages, mêmes travailleurs… Chasse aux consommateurs, faire du standard tout en s’adaptant à chaque consommateur…
Critère de sélection à l’embauche : trouver des individus qui n’ont pas d’autre choix que se soumettre.
On dit aux standardistes -« l’accueil téléphonique »- qu’ils jouent un rôle fondamental. Ils habitent Paris ou région et ils touchent 1.268 € bruts (donc, le SMIC) plus les primes. En échange, ils acceptent de bosser un samedi sur 3 ou sur 4.
[À l’heure d’embaucher de nouveaux employés, on organise des jeux de recrutement genre téléréalité en vue de dénicher les meilleurs traîtres, les prêts à tout pour décrocher l’emploi, y compris la délation. Ils balancent, descendent d’autres chômeurs. Chômeurs et démunis, même combat ? Que des concurrents pour accéder au SMIC convoité]. Culture de la technique du maillon faible.
Exercices [Ils s’évertuent à déconner, à obéir à toutes les consignes qu’on leur donne pour les dresser ; je pense aux deux militaires nazis qui, recevant des ordres directes de Hitler à bord d'un avion, dans To be or not to be, de Lubitsch, sautent dans le vide sans hésiter et sans parachute]. Il y a toujours un gagnant. Dans le groupe, on engueule plus aisément qu’on ne félicite… Et pourtant : « T’appelles ça un cadrage ? ».
Des tâches identiques partout et pour tous.
La qualité s’arrête là où la marge baisse.
La PUB : « Carglass est connu pour son jingle ; sur les ondes, on est présents. »
On force tous à penser à la course au podium. L’esprit d’équipe ? La prime d’équipe qui dépend de la capacité de chacun à se dépasser => la haine envers celui qui travaille moins bien, « un maillon faible pour les autres ». La prime d’équipe fait de chacun le contrôleur, le maton de son collègue.
L’entreprise nous propose un idéal [conation conne à tous, conatus con à Sion ; et à Paris]. Est-ce le mien ? Est-ce le vôtre ? C’est l’âge d’or du management.
3) LA DÉPOSSESSION (63’)
RÉSUMÉ DE LA TROISIÈME PARTIE
« Alors que la crise fait vaciller le capitalisme financier, La Dépossession raconte l’extraordinaire pouvoir des actionnaires sur le travail et les travailleurs. L’histoire nous transporte d’une usine Fenwick – un fabricant industriel de matériel de manutention implanté dans le centre de la France – jusqu’aux arcanes de la finance new-yorkaise. Petite entreprise française née il y a 150 ans, Fenwick est racheté en 2006 par l’un des financiers les plus redoutés des États-Unis, Henry Kravis. Un homme à la tête du fonds d’investissement KKR, dont les ventes annuelles dépassent celles de Coca-cola, Disney et Microsoft cumulées. Avec ce rachat, pour les salariés français de Fenwick, la donne va radicalement changer. Cette même histoire se déroule dans des dizaines de milliers d’entreprises à travers le monde… »
L’homme au service de l’Économie.
Être gentil entraîne trop de déconvenues.
Chariots de manutention FENWICK.
Aimé Jacquet inspire un bourrage de crâne de type bilardien : « Jouez comme vous le savez, prenez vos responsabilités, fixez-vous des objectifs, bien évidemment, nous, on vous en fixe, des objectifs, mais cela ne suffit pas, il faut aussi vous, vous fixer des objectifs ». « Si on vous oblige pas, si on vous tord pas le bras, vous y allez pas ». « Il faut muscler son jeu. Donc, si vous voyez un concurrent qui a des difficultés, qui est en train de mourir sur le bord de la route, surtout n’hésitez pas à l’achever. »
Deux grands fonds d’investissements : Goldman Sachs et KKR [Henry Kravis, 2,6 milliards de dollars en 2009, selon le film. $3.7 milliards en septembre 2011 ; voir plus bas].
Georges Giovinazzo, directeur des Opérations Commerciales : « GÉNÉRER UN DÉPASSEMENT : être bon ne suffit pas : il y a toujours des gains possibles » et ce sont ces nouveaux arrivants qui nous l’ont fait savoir, en être conscients.
Les vendeurs sont poussés à créer le besoin.
[De quoi nous parle-t-on au juste ?]
Secte de gestionnaires.
1981 : Le prix de l’Excellence (de Tom Peters et Robert Waterman, alors consultants chez McKinsey), livre de chevet des dirigeants d’entreprise. Commentaires de...
—Vincent de Gaulejac (sociologue) :
« C’est une satisfaction narcissique formidable de proposer aux gens d’être dans un idéal de perfection, de se dépasser, d’aller au-delà de leurs limites… Donc, la tentation est forte d’y croire. »
COMMENT AUGMENTER LES PROFITS ? : « La variable d’ajustement, c’est le travail : il faut faire plus avec moins. Donc, la seule réponse qu’il y a, c’est la réduction des effectifs (…) qui met sous tension ceux qui restent et sous tension ceux qui sont exclus. Le management dans son ensemble, et l’ensemble de la population, a accepté cette folie du capitalisme financier qui fait que des actionnaires qui ne sont plus branchés sur la production, exigent des taux de rentabilité sans se préoccuper du tout du réel du travail et des conditions qui permettent cette rentabilité ». On ne les modifiera - améliorera que si cela entraîne un meilleur rendement. Management implique ne jamais être content, donc avoir des raisonnements et des stratégies sans complaisance.
—et de Christophe Dejours (psychologue) [=> « Extractions des connaissances »] :
« (Le vendeur) se fait prendre, c’est l’antichambre de sa propre liquidation, ce qu’il ne sait pas. Ce qui, au départ, est donné sur le mode de la séduction pour reconnaître aux meilleurs leurs mérites, est en fait réutilisé comme une méthode de terrorisation. »
KRAVIS et KKR, une société de Private Equity, LBO : Leverage Buyout => un peu de capitaux propres plus énormément d’endettement. Leverage => effet levier. Lordon : presque une prise d’otage pure et simple.
Optimiser, c’est tout faire pour qu’on n’arrête pas d’augmenter la cadence de travail, au point que les travailleurs finissent par ressembler aux sportifs de haut niveau [D’ailleurs ce sont eux qu’on prend, qu’on leur montre comme modèles productifs, comme archétypes à imiter].
Les gens sont à la limite de leurs résistances physiques => accidents, dopage (pour oublier les souffrances, les douleurs, le stress…)…
Un peu d'histoire :
1911, TAYLOR : le travail découpé en tâches, chronométré, avec des ingénieurs qui pensent et des ouvriers qui exécutent.
FORD : travail à la chaîne, idée qui lui a été suggérée lors d’une visite d’un abattoir de Chicago.
Début de la production de masse.
1970 : TOYOTISME chez Fenwick. Les accidents de travail ont augmenté de 25%. Lubie : que le travailleur adhère à l’idéologie de l’entreprise.
Laurent Hebenstreit.
Frédéric Lordon : « Foutage de gueule. », on se moque de nous. « Tout le monde est pris à la gorge de partout, il n’y a plus de marge de manœuvre. »
Retournons à Kravis, parce que tout cela lui permet d’obtenir 51.200 $ par heure, 1.300.000 $ par jour, 450.000.000 $ par an (en 2006) = 23.492 années de salaires d’un ouvrier de Fenwick.
« Il suffit de parcourir les rayons « management » des librairies pour comprendre combien cette idéologie se diffuse, combien ce mélange abrutissant de solutions clé en main ne rencontre plus aucune résistance ». Énormité de moyens mis en place pour distribuer ce discours et son vocabulaire à travers lequel s’empreigne l’ensemble de notre monde contemporain.
L’idéologie gestionnaire se présente comme pragmatique, pas du tout idéologique.
Les consultants consacrés à l’extraction des connaissances : « Le mapping du top performeur ».
Le mépris dans lequel est tenu le travail n’est pas d’aujourd’hui : esclaves, serfs de l’Ancien Régime, Taylorisme, Fordisme…
DEJOURS :
« Cet écart, cette manipulation qui est faite en faveur du patrimoine et des revenus spéculatifs contre le travail, dont on est prêt à détruire toutes les caractéristiques, celles qui sont nécessaires à l’exercice de l’intelligence et de l’accomplissement de soi, est une évolution qui ressemble trop à la décadence d’une civilisation ».
Christophe Nick, producteur de la série documentaire « La mise à mort du travail » et Paul Moreira, co-auteur avec Hubert Prolongeau de « Travailler à en mourir : quand le monde de l'entreprise mène au suicide » étaient les invités de Pascale Clark dans Comme on nous parle sur France Inter (09h35 - 26 Octobre 2009).
Carglass reste zen mais, selon le réalisateur, a quand même déclenché un tir de barrage en faisant poster sur le forum du site des messages de salariés hostiles au film… avant même sa diffusion.
(…) Certains témoignages semblent plus crédibles que d'autres. Exemple : "Je ne suis pas salariée de cette société, mais à la vue des reportages, je me dis que si ma boîte me proposait ce genre de séance (de motivation de groupe, montrée dans le film, ndlr), je serais plus épanouie. Du coup, je suis mal à l'aise car je ressens un profond décalage entre ce que le réalisateur a filmé, et ce qu'il essaie de nous faire croire, comme s'il fallait tordre l'image, lui faire évoquer, à coup de voix et de phrase off lugubre, ce que de toute façon, il avait rêvé de nous dire, pour faire un beau petit reportage, bien commercial, à l'époque où le sujet est vendeur", écrit Emmadulub. Ce à quoi le producteur, Christophe Nick, répond du tac au tac. "Etant donné que seuls quelques cadres dirigeants de Car Glass ont vu le film en question (votre allusion aux commentaires prouve que vous parlez du film et pas des modules sur internet, donc que vous faites parti des initiés) je ne vois pas comment vous pouvez vous présenter comme "je ne suis pas salariée de cette société". Le reste de votre témoignage en est du coup réduit à sa vacuité". (…)
SUICIDE EN LIEN AVEC LE TRAVAIL
Depuis la fin de l'année 2006, les suicides sur le lieu du travail ou attribués aux conditions de travail ont fait irruption dans la sphère médiatique. Est-ce un phénomène nouveau ? En augmentation ? Comment peut-on expliquer cette « épidémie » ? Face à cet acte extrême, que faire dans l'entreprise ? Ce dossier fait le point sur le sujet. La prévention des suicides au travail passe par une démarche globale de prévention des risques psychosociaux.
En savoir plus sur le site de l'INRS.
LE STRESS AU TRAVAIL
Le stress apparaît depuis une quinzaine d'années comme l'un des risques majeurs auquel les organisations et entreprises doivent faire face : un salarié européen sur cinq déclare souffrir de troubles de santé liés au stress au travail. Les moyens de prévenir le stress au travail existent. La démarche de prévention collective est à privilégier car elle est plus efficace dans le temps. Elle consiste à réduire les sources de stress dans l'entreprise en agissant directement sur l'organisation, les conditions de travail, les relations sociales de travail et/ou le poste de travail. En savoir plus sur le site de l'INRS.
HARCELEMENT ET VIOLENCES AU TRAVAIL
Le harcèlement moral et le harcèlement sexuel sont les formes les plus connues des violences exercées au sein de l'entreprise (violences internes). Elles peuvent également se manifester par des agressions verbales ou des insultes, des brimades, des intimidations, des conflits ou des agressions physiques entre salariés... Ces agissements hostiles peuvent affecter gravement les salariés et avoir des répercussions importantes sur leur santé physique et psychologique. Elles peuvent également dégrader le climat social de l'entreprise. Il est donc important de les prévenir et de proposer, pour les situations urgentes, des réponses rapides aux salariés en difficulté. En savoir plus sur le site de l'INRS.
Extrait de Wikipédia à propos de Henry R. Kravis qui multiplie son argent à une vitesse époustouflante sur le dos de milliers de travailleurs :
Henry R. Kravis (born January 6, 1944) is an American businessman and private equity investor. He is the co-founder of Kohlberg Kravis Roberts Co., a private equity firm with over $62 billion in assets as of 2011. He has an estimated net worth of $3.7 billion as of September 2011, ranked by Forbes as the 88th richest man in America. He mainly lives in New York City and has a residence in Palm Beach, Florida.
Le cas des suicides chez France Télécom, selon l'émission Envoyé Spécial (30/09/2010) :
________________________ NOTE POSTÉRIEURE : Une inspectrice du travail témoigne de l'état des lieux...
27 mars 2012 (Lu sur Montpellier,
une place au soleil.") A l’inspection du travail, « on n’est pas assez nombreux et les entreprises le savent »
C'est une curieuse symétrie que vivent les agents de l'inspection du travail. D'un côté le mal-être qu'ils observent dans les entreprises ; de l'autre leur propre malaise dans un service public qui subit de profondes mutations. "C'est très difficile à encaisser. Je suis à la limite", avoue Joëlle de Veylder, contrôleuse du travail à Montpellier, qui nous accueille dans son bureau à l'étage d'un bâtiment en plein travaux.
A l'inspection du travail, tout a changé ces dernières années. Quand
elle est arrivée à Montpellier, Joëlle de Veylder, militante syndicale
et élue de la CGT, était chargée de contrôler les entreprises de
transport. En 2009, tous les services de l'inspection du travail ont été
fusionnés
à des fins de "rationalisation des moyens du service public". A de
rares exceptions près, les agents s'occupent désormais de tous les
secteurs d'activité de la région géographique qu'ils couvrent.
Et surtout, à l’instar de la fonction publique dans son ensemble, des
postes ont été supprimés selon la règle du « un sur deux » (ou révision
générale des politiques publiques, RGPP) qui consiste à ne pas
remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. « Les effectifs théoriques calculés ne correspondent plus à la masse de dossiers que nous avons à traiter et à leur complexité »,
regrette Mme de Veylder qui s’avoue impuissante face à des entreprises,
qui en temps de crise, ont davantage tendance à flirter avec la
légalité. « Les entreprises ont conscience qu’elles peuvent passer entre
les mailles du filet. On n’est pas assez nombreux et elles le savent.
Les amendes sont minimes et elles le savent aussi. Globalement, tout
cela génère un sentiment d’impunité », explique-t-elle, un brin lasse. En lire plus.
Pour mieux comprendre la droiture morale, la probité et les scrupules de ceux qui sont là pour faire des affaires... toujours sur la sueur, le dos et la vie des autres, ne ratez surtout pas l'article Mercenaires africains pour guerre américaines, publié par Alain Vicky dans Le Monde diplomatique de ce mois de mai (nº 698). Vous allez voir où on en peut arriver.
______________________________
(1) Carglass a perdu son procès contre "La Mise à Mort du Travail". Télérama a expliqué le 02/03/2011 (info mise à jour le 29/03/2012) que le tribunal de Paris a débouté cette entreprise spécialiste du pare-brise de toutes ses demandes :
« Il n'y a diffamation dans aucun des trois points soulevés », a tranché hier la dix-septième chambre du tribunal de Paris, qui a débouté la société de toutes ses demandes. Carglass n'avait pourtant pas lésiné : elle réclamait la modification ou la suppression des trois passages en question en cas de rediffusion, et la somme exorbitante de 200 000 € de dommages et intérêts.
______________________________ Mise à jour du 10 décembre 2018 :
Le dernier numéro de Siné Mensuel (joyeux 10e anniversaire !) se penche sur la mise à mort libéral-macronite, délibérée, logique, de l'inspection du travail :
On vous a parlé
dans un numéro précédent (n°74) des attaques contre les médecins du
travail. Depuis quelques années, les inspecteurs du travail sont aussi
la cible (logique) des adorateurs de la dérégulation sauvage. Trop
chers, trop nombreux, et surtout trop indépendants : autant de reproches
lancés pour discréditer une profession censée protéger tous les
travailleurs, en particulier les plus faibles et les plus précaires. Les
dernières lois sur le travail, El Khomri 2016, ordonnances 2017,
compliquent singulièrement leur tâche. En lire plus.
______________________________ Mise à jour du 4 février 2021 :
« Silence, des ouvriers meurent » : autour du traitement médiatique des accidents du travail