Le voyage de l'école devait nous emmener cette année en Normandie. Et on le fit, mais toujours sous le parfum des grèves et manifestations contre la loi Travail. C'était prévisible et émouvant.
Déjà, il fallut improviser pour y arriver car notre vol à Beauvais fut annulé une demie journée avant notre départ. Finalement, notre déplacement se fit en car.
Puis, ce serait au Havre qu'on aurait une idée plus précise de la contestation. Au Havre, fief de la lutte où, un peu plus tard, le 2 juin, celle-ci continuait...
"Une loi scélérate, une loi qui est une trahison du socialisme, une loi qui est une trahison des espoirs des salariés" a martelé Gérard Filoche en direct sur France 3 avant d'entrer dans une
salle pleine à craquer pour rejoindre ceux qui, comme lui, ont affirmé
et défendu à la tribune que "cela ne peut se terminer que par le retrait"
: François Ruffin (réalisateur du film "Merci Patron !" et fondateur
du journal Fakir) Isabelle Attard, Serge Halimi et Miguel Urbán
(cofondateur du mouvement espagnol Podemos).
Le samedi 21 mai, quant on arrivait au Havre, j'écrivais dans mon bloc-notes :
10:00. À la radio, Valls débitait encore sa rengaine de la veille : « La loi Travail ira jusqu’au bout ». Après le radeau bleu du Stade Océane, l’inquiétude : on bougeait pas, on était tombés sur un grand bouchon juste à l’entrée du Havre. Blocage ? Non… on apprendrait vingt minutes plus tard qu’il s’agissait d’une longue queue de voitures qui attendait pour pomper de l’essence dans une station-service.
À gauche, on vérifiait que les docks étaient devenus des centres commerciaux. On les verrait plus tard de plus près.
Lecture entretemps d'une info sur les bombardements de septembre 1944. La bataille de Normandie étant conclue, et Paris libérée, Le Havre fut pilonnée par les alliés alors que les défenseurs allemands dynamitaient les installations portuaires...
Puis, déjà en ville :
La résistance contre la loi Travail était partout visible. Par terre, je lus sur le goudron une citation de Pierre Bottero, un écrivain de littérature adolescente mort prématurément :
« ELLE T’OFFRIRA EN
REVANCHE UN TRÉSOR QUE
LES HOMMES ONT OUBLIÉ :
LA LIBERTÉ. »
PIERRE BOTTERO
LOI TRAVAIL NON MERCI
Ensuite, Boulevard Clémenceau, à la hauteur à peu près de l’église St-Joseph, on aperçut une longue file d’attente de bagnoles assoiffées devant la station de service de Total, peu avant le Musée d’Art Moderne André Malraux.
Finalement, à la sortie de la ville...
Le chauffeur du car [nos amitiés, Jean-Marie]
prit par les docks et la Route Industrielle. L’idée était de quitter la ville tout en contemplant la zone portuaire qui nous intéressait. D’ailleurs, on savait que les travailleurs portuaires et dockers menaient une longue lutte contre Hollande-Valls, depuis deux mois au moins. Le port, les docks du Havre accueillent bon nombre de grands porte-conteneurs, de pétroliers ainsi que des paquebots de croisière qui y font une escale. Son terminal pétrolier reçoit en principe 40 % des importations françaises de pétrole brut.
Charme en brique nickel des Docks Vauban. Ils survécurent aux bombardements alliés et à la dynamite allemande, et furent retapés par l’architecte Bernard Reichen et transformés en centre commercial et de loisirs où règnent les heureuses marques de l’itérative mondialisation.
On quitte vite fait la municipalité du Havre ; nous parcourûmes ensuite la zone industrielle de Gonfreville-l’Orcher où Total dispose de sa plus grande plateforme de raffinage-pétrochimie en France. Sa capacité annuelle de transformation de pétrole brut est de 12 millions de tonnes, selon le site de la compagnie.
À 12 :35, on commença à voir sur l’autoroute les effets des blocages d’une résistance tout feu tout flammes, logique choix stratétique, concrètement avant d’arriver au panneau signalant la sortie vers le Port 4150-4400.
À 12 :38, depuis le car, Route Industrielle, nous vîmes à une
centaine de mètres, à son accès, ce qui semblait un calme piquet de
grève. Sur une pancarte, on parvenait à lire : « La CGT Total de
Normandie, pour un syndicalisme de conquêtes sociales ».
Jean-Marie devait de temps à autre se frayer un passage à travers des carrefours et des ronds-points où les traces de barrages de pneus brûlés étaient nombreuses, bien visibles, toutes fraîches. Les voyageurs se rappelèrent sournois l’incendie intentionnel et toujours actif de l’immense décharge illégale de pneus de Seseña, en Espagne. Les hautes températures de ces barricades en feu avaient troué et défiguré le bitume. Le car cahotait dessus.
[
De retour à Madrid, le 25 mai, tard dans la nuit, je lirais un article signé par Natalie Castetz pour Libération dont voici cet extrait :
Pneus, palettes, arbres déracinés
ont brûlé sur les routes donnant accès à la zone industrialo-portuaire
qui compte plus de 30 000 salariés. Les barrages ont ralenti les flux de
marchandises et perturbé la circulation des salariés, mais le mouvement
a pris une autre ampleur avec l’annonce, vendredi, de l’arrêt de la
plus grosse raffinerie de France. Pour le retrait de la loi travail, les
syndicats CGT et FO de la raffinerie Total de Gonfreville-l’Orcher, 1
700 salariés, ont voté l’arrêt de la production.]
Le
dernier rond-point de la Route Industrielle était coupé par des
barrières métalliques. Jean-Marie dut tourner à droite, s’engager dans
le sens contraire à notre marche sur la Route de la Plaine, faire 360º
au rond-point qu’il y a à la hauteur de DHL pour revenir en arrière et
sauver ainsi ledit rond-point bloqué.
De retour à Madrid de ce voyage en Normandie, je lance une recherche sur internet et je saisis trois mots :
Valls, libère, raffineries.
Je me livre souvent à ce genre d'exercices car les résultats sont autrement époustouflants. Il est drôle de voir à quel point la presse
libre et plurielle remplit constamment la fonction de passeuse de notes gouvernementales et/ou patronales, ce qui revient au même, surtout quand Valls déclare depuis Jérusalem, imprégné d'un sadisme extra. C'est-à-dire : les tyrans
libèrent et la presse, toujours dépendante, soutient leur campagne. Sauf lorsque la priorité revient à un parti pris en rapport aux querelles des familles intrasystémiques : c'est là qu'on s'amuse le plus.
Et Google de vomir aussitôt bon nombre de résultats
libertaires :
22 may. 2016 - Ce Dimanche, quatre des huit raffineries étaient encore bloquées, ainsi ... Les forces de l'ordre libèrent deux nouveaux dépôts de carburant ...
www.ouest-france.fr › ... › Transports › Pénurie de carburant
24 may. 2016 - Manuel Valls a promis que « d'autres sites (de raffinerie) seront libérés ... Le dépôt de Fos libéréLa raffinerie Esso et le dépôt de carburants de ...
24 may. 2016 - Manuel Valls a réaffirmé mardi qu'il n'y aurait "pas de retrait" du projet de loi travail, et a promis que "d'autres sites (de raffinerie) seraient ...
24 may. 2016 - Face au blocage des raffineries et des dépôts de carburant, Manuel Valls ... "A Fos-sur-Mer, le site a été libéré, tous les accès ont été dégagés.
https://twitter.com/cricrib/status/735021085310214144
24 may. 2016 - Follow Following Unfollow Blocked Unblock Pending Cancel. christophe @cricriB May 24. Manuel Valls libère les raffineries.. (ce qui est bien ...
www.economiematin.fr/news-loi-travail-blocage-CRS-police-raffi...
Valls envoie les CRS débloquer les raffineries, la grève se généralise ! par Paolo Garoscio ... Fos-sur-Mer libérée, le port du Havre en grève. Si, Manu(el) ...
24 may. 2016 - Plus tôt, Manuel Valls avait affirmé que "d'autres sites [seraient] libérés" ... Un salarié de la raffinerie de Donges participe à un blocage pour .... 15h13 : "Nous respecterons toujours la liberté syndicale, la liberté de manifester (.
hace 2 días - Valls assure que d'autres sites seront libérés » (Ouest-France). ... Et là, il met le feu, Manuel, avec son « libérer » les raffineries et les dépôts ...
https://nuitdebout.fr/.../le-deblocage-par-la-force-des-raffineries-e...
25 may. 2016 - Le déblocage par la force des raffineries en grève est-il légal ? ... lorsque les forces de l'ordre ont libéré les accès à la raffinerie et aux dépôts ... De son côté, Manuel Valls a promis : « Nous continuerons à évacuer les sites (…) ...
Et ce n'était que la première page des résultats, il y en avait d'autres dont on reparlera illico.
Pour aller un peu plus loin, je clique sur le lien du
Monde, qui nous renvoie à un article de Lucien Jedwab intitulé
Statuts de la liberté et publié par le magazine du
Monde. Son début confirme nos soupçons :
« Raffineries bloquées. Valls assure que d’autres sites seront libérés » (Ouest-France). « Tous les sites seront libérés. Encore ce matin, le site de Fos-sur-Mer a été libéré, tous les accès ont été dégagés par les forces de l’ordre » (Manuel Valls, sur Europe 1). « L’Etat fera ce qui est nécessaire pour libérer un certain nombre de ces raffineries, pour assurer l’approvisionnement des Français » (Stéphane Le Foll, sur France Info, déclaration rapportée par Le Parisien). « Onze dépôts ont été libérés » (le même, après le conseil des ministres). Le choix des mots…
Le Figaro, Économie Matin, Le JDD, Ouest-France,... Un blog de
L'Obs analyse et met en perspective... J'en profite pour vérifier que
le gouvernement libère même les prix, comme on pouvait s'en douter. Ou qu'en Belgique, 7sur7 titre également :
Le port pétrolier de Wandre a été libéré.
Mais ce qui est vraiment sidérant, c'est que Mathias Jeanne, délégué de la CGT (Confédération générale des travailleurs) du terminal pétrolier de la Compagnie industrielle maritime (CIM) havraise et participant aux grèves, reprend, selon RFI, le
participe du verbe libérer à l'égard du carburéacteur repris par la police. Et que
le site de la Nuit Débout relaie tranquillement ce vocabulaire, le 25 mai, comme si de rien n'était ; après une introduction qui pose une question...
Mardi, des militants CGT opposés à la loi Travail ont été dégagés par
les forces de l’ordre des accès à la raffinerie de Fos-sur-Mer, qu’ils
occupaient depuis la veille. Ce mercredi 25 mai, ce sont les accès au
dépôt de Douchy-les-Mines qui ont été débloqués. Ces « déblocages » par
la force sont-ils légaux, alors que les employés usent légitimement de
leur droit de grève ? (...)
... , voici la suite de ce texte :
« On utilisera tous les moyens au service d’une démocratie pour qu’il n’y ait pas de pénurie » .
En faisant cette déclaration, le ministre Michel Sapin avait
sous-entendu que le gouvernement aurait recours à la force pour mettre
fin au blocage des raffineries. De fait, c’est ce qu’il s’est passé ce
mardi matin, aux environ de 4 heures, à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône),
lorsque les forces de l’ordre ont libéré les accès à la raffinerie et
aux dépôts de carburants bloqués depuis lundi par des militants de la
CGT. « Débloquer les raffineries, c’est illégal, a réagi le secrétaire général du syndicat, Philippe Martinez. Monsieur Sarkozy a essayé en 2010, il a été condamné par l’OIT pour non respect du droit de grève dans les raffineries« . De son côté, Manuel Valls a promis : « Nous continuerons à évacuer les sites (…) qui sont aujourd’hui bloqués par cette organisation » . Alors, qui a raison ?
Le rouge est de mon cru : j'ai tenu à ce que le texte rougisse là où il fait singulièrement mal.
Car Victor Klemperer, sous la botte nazie, abasourdi, consterné que les Juifs allemands puissent réemployer la
lingua tertii imperii (LTI), la langue de leurs oppresseurs, nous avait bel et bien prévenus :
la victime doit éviter le langage du vainqueur.