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samedi 21 janvier 2017

Tromelin, un cas incroyable d'esclavage, cruauté, solidarité et survie

Condamner l'esclavage reviendrait à condamner le Saint-Esprit
qui ordonne aux esclaves, par la bouche de Saint-Paul,
de demeurer en leur état et n'oblige pas le maître à les affranchir.
Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704), Avertissements aux Protestants,
5e avertissement, § 50. Œuvres complètes, t. 3, 1879, p. 610.

Paradoxalement, le Siècle des Lumières est
celui qui voit l'apogée de la traite négrière.
Sylvain Savoia, Les Esclaves oubliés de Tromelin, page 47,
Aire libre, Dupuis, 2015.

Malheur à la politique qui veut fonder la
prospérité d'un pays sur le désastre des autres,
et malheur à l'homme dont la fortune est
cimentée par les larmes de ses semblables !
Abbé Grégoire (1750-1831), De la Traite et de l'Esclavage des Noirs, 1815

(...)
Vil bétail, sous la main du superbe Pyrrhus,
Auprès d'un tombeau vide en extase courbée ;
(...)
Je pense à la négresse, amaigrie et phtisique,
Piétinant dans la boue, et cherchant, l'oeil hagard,
Les cocotiers absents de la superbe Afrique
Derrière la muraille immense du brouillard ;

A quiconque a perdu ce qui ne se retrouve
Jamais, jamais ! (...)

Je pense aux matelots oubliés dans une île.
Aux captifs, aux vaincus !... à bien d'autres encor !
Charles Baudelaire,  Le Cygne, Tableaux Parisiens, Les Fleurs du Mal, poème 89,  1857.


Le 17 janvier 2017, Le Point publiait cette information :
Qui gouvernera l'îlot Tromelin ? Cette question a une fois de plus été retoquée. L'accord de cogestion sur ce minuscule morceau de terre entre la France et l'île Maurice, contesté notamment par la droite et l'extrême droite mais aussi le Medef, a été retiré de l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, a-t-on appris mardi de sources parlementaires et gouvernementales. Le projet de loi visant à autoriser l'approbation de l'accord-cadre entre les deux gouvernements sur la cogestion économique, scientifique et environnementale de Tromelin et ses espaces maritimes environnants devait être débattu mercredi dans l'hémicycle, à quelques semaines de la fin de cette législature. Adopté au Sénat en 2012, puis en commission à l'Assemblée au printemps 2013, le texte avait déjà été retiré de l'ordre du jour de la séance publique en 2013, et n'avait jusqu'alors jamais été réinscrit.
Divers partis, notamment l'UDI et le FN, ou organisations avaient manifesté leur opposition ces derniers jours, entre autres au nom de la souveraineté française. Tromelin, bout de terre de 1 kilomètre carré, à 520 km au nord de La Réunion et découvert par un navigateur français en 1722, est actuellement géré par l'administration des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Il couvre 280 000 kilomètres carrés de domaine maritime. Tromelin est revendiqué par l'île Maurice depuis 1976. Depuis, la question de la souveraineté de l'île n'a cessé d'empoisonner les relations entre les deux pays. Pas moins de 20 années de négociations ont été nécessaires pour qu'un accord soit signé le 7 juin 2010, prévoyant une « cogestion » économique, scientifique et environnementale.
Tromelin ? Il n'y a pas longtemps, Le Monde diplomatique d'avril 2016 m'avait appris l'existence d'une BD bouleversante : Les Esclaves oubliés de Tromelin. Philippe Leymarie écrivait alors à son égard :
Dans Les Esclaves oubliés de Tromelin*, le dessinateur français Sylvain Savoia réussit quant à lui à combiner deux histoires : sous forme de bande dessinée, celle d’un équipage français et de ses esclaves malgaches échoués en 1761 sur ce minuscule îlot du sud-ouest de l’océan Indien ; et en parallèle, sous forme de carnet de voyage, celle de la quête d’une équipe d’archéologues passionnés. Ces derniers ont tenté de remonter le temps au fil de plusieurs missions sur cette terre désolée, et ils ont mis au jour de fragiles vestiges, constituant ainsi un lieu où la mémoire de l’esclavage s’est inscrite avec force. Car, déracinés, coupés du monde, les Malgaches naufragés ont utilisé les rares ressources disponibles pour survivre, puis pour reconstruire une minisociété : « Ils ont par là même recouvré, comme par défi, la dignité et l’humanité qui leur avaient été déniées », conclut l’ouvrage.

*Sylvain Savoia : Les Esclaves oubliés de Tromelin, Dupuis, coll. «Aire libre », Paris, 2015, 120 pages, 20,50 euros. D'après les recherches menées par Max Guérout (GRAN), Thomas Romon (INRAP) et leur équipe pluridisciplinaire (dépassant le dialogue entre sources historiques et vestiges archéologiques : géomorphologue, anthropologue, archéozoologue et ornithologue). ISBN 978-2-8001-5038-3.

Dupuis, la maison qui a édité cette bande dessinée, explique sur son site :
L'île des Sables, un îlot perdu au milieu de l'océan Indien dont la terre la plus proche est à 500 kilomètres de là... À la fin du XVIIIe siècle, un navire y fait naufrage avec à son bord une "cargaison" d'esclaves malgaches. Les survivants construisent alors une embarcation de fortune. Seul l'équipage blanc peut y trouver place, abandonnant derrière lui une soixantaine d'esclaves.
Les rescapés vont survivre sur ce bout de caillou traversé par les tempêtes. Ce n'est que le 29 novembre 1776, quinze ans après le naufrage, que le chevalier de Tromelin (1) récupérera les huit esclaves survivants : sept femmes et un enfant de huit mois.
Une fois connu en métropole, ce "fait divers" sera dénoncé par Condorcet et les abolitionnistes, à l'orée de la Révolution française.
Max Guérout, ancien officier de marine, créateur du Groupe de recherche en archéologie navale (GRAN), a monté plusieurs expéditions sous le patronage de l'UNESCO pour retrouver les traces du séjour des naufragés. Ses découvertes démontrent une fois de plus la capacité humaine à s'adapter et à survivre, en dépit de tout.
L'archéologue a invité le dessinateur à les rejoindre lors d'une expédition d'un mois sur Tromelin. De là est né ce livre : une bande dessinée qui entremêle le récit "à hauteur humaine" (on "voit" l'histoire du point de vue d'une jeune esclave, l'une des survivantes sauvées par le chevalier de Tromelin) avec le journal de bord d'une mission archéologique sur un îlot perdu de l'océan Indien. Après le succès international de Marzi, Sylvain Savoia offre à nouveau aux lecteurs une magnifique leçon d'humanité.

L'académie de Marine de Paris a décerné son Prix Bande Dessinée à cet album le 24 octobre 2016.
Sur la première page de sa BD, Savoia met deux citations en exergue :
"Transporter d'un point à un autre de la surface du globe, voilà toute l'activité de l'homme. [...] Mais de toute façon, la majorité des actions humaines ne sont pas faites pour être examinées aux yeux de la raison."
(Aldous Huxley, Tour du monde d'un sceptique, 1926)

"...Et ce qui sert à vos plaisirs est mouillé des pleurs et teint du sang des hommes." (Bernardin de Saint-Pierre, Esclaves dans les îles françaises, 1773)

La chair de poule : ces Malgaches kidnappés, esclavisés —ou esclavagés (mot moins usité) car l’on n’est point esclave par nature— et naufragés, plaqués sur une langue de sable au milieu de la mer, me semblent beaucoup plus inconcevables que le Robinson Crusoé de Daniel Defoe (ca.1660-1731), personnage probablement inspiré par l'histoire d'Alexander Selkirk, qui vécut tout seul sur son île de l'archipel Juan Fernández, au large du Chili, entre 1704 et 1709.
Ces esclavisés risquaient certainement d'avoir pensé au premier abord, le jour de leur enlèvement, le premier jour de leur captivité, que "rien ne pouvait être pire que leur capture"... car "l'imagination se limite aux champs de la connaissance". Quelle histoire...

"L'homme mauvais est comme une pierre
que l'on jette sur la pente d'un précipice,
il ne s'arrête qu'au fond de l'abîme."  
Page 52 et fin de la première partie de cette BD.

Je vérifie que le 17/10/2015, France 24 avait déjà présenté une information à leur sujet à l'occasion d'une exposition organisé dans le château des ducs de Bretagne, à Nantes.

Mais Internet nous fournit surtout une vidéo téléchargée un peu avant par l'Institut du Tout-Monde, dont le site vous propose, entre autres, des mémoires des esclavages. Elle contient un film réalisé par Emmanuel Roblin et Thierry Ragobert, et produit par TV5Monde, Carrimages 3 et Matin & Soir Films. Nous y apprenons que c'est grâce à l'entêtement passionné de Max Guérout, ancien capitaine de vaisseau de la marine française, archéologue et président du GRAN (Groupe de Recherche en Archéologie Navale), qu'on organisa une expédition en 2008 sur Tromelin et que nous connaissons cette épopée incroyable très en détail —bien qu'il s'agisse d'un récit encore inachevé :


  INSTITUT DU TOUT-MONDE, 23/03/2013

Laurent Hoarau, historien réunionnais indépendant, spécialisé dans la recherche en Histoire hors du circuit universitaire, collabora très activement, avec Jean-François Réberot, dans la logistique de cette expédition du GRAN et participa aux travaux des fouilles sur Tromelin. Expédition formée par historiens, anthropologues, archéologues... et notre dessinateur : Sylvain Savoia.
Dans le film, Hoarau explique qu'en 1848, on libéra les 62.000 esclaves qu'il y avait à l'île de la Réunion (nouveau nom de l'île Bourbon après 1793). Pourtant il n'y a aucun musée, aucune trace matérielle, aucun cimetière, aucun objet, aucun vestige palpable de l'esclavage à la Réunion. Les Histoires officielles n'ont pas l'habitude de s'occuper des damnés de la terre. Les rues et les places, les plaques, les statues, les collèges, lycées et universités... portent traditionnellement les noms de leurs bourreaux. Savoia écrit à propos de Laurent Hoarau que ses projets de recherche lient Histoire, Patrimoine et Identité et qu'il est "capable de sauver une mission avec un élastique et un trombone".
Le film recueille aussi les témoignages de l'historien Sudel Fuma et de la journaliste et politologue Françoise Vergès. Sudel fit également partie de l'expédition sur l'île ; Savoia le présente ainsi : "Sudel, malgache d'origine, professeur d'Histoire à l'Université de Saint-Denis, directeur de la Chaire UNESCO de la Réunion, ancien athlète et homme politique. Aucune casquette n'est trop grande pour lui." Et il publia sa BD à sa mémoire car Sudel décéda en 2014.

Quant à la radio, France Culture nous propose toujours sur son site un entretien, réalisé en décembre 2013 par universcience.tv, avec Max Guérout dont le récit hérisse toujours poils et plumes...


Esclaves oubliés de l'île Tromelin par universcienceTV

Encore une occasion de réfléchir à la honteuse Histoire de notre civilisation.
Morale ? : l'Utile (2) méprise la vie humaine et finit toujours par naufrager causant d'épouvantables dommages collatéraux. Alors que la solidarité est autrement utile. Peut-on encore larguer que la société n'existe pas ("There is no such thing as society", Margaret Thatcher dixit), qu'il n'y a que l'individu...? Dans Vendredi ou les limbes du Pacifique, Robinson écrit dans son Log-book (oui, le blog marin de l'époque), page 116 de mon édition Folio :
—Je sais maintenant que si la présence d'autrui est un élément fondamental de l'individu humain, il n'en est pas pour autant irremplaçable. (...)
Il est vrai que ce Robinson nuance ensuite son propos mais, quand j'écoutais Max Guérout et avalais ma salive, je pensais que si Michel Tournier avait eu vent des 15 ans d'existence sur Tromelin de ce groupe de Vendredis issus des Hauts-Plateaux de Madagascar, forcés, naufragés et oubliés, il aurait peut-être substitué, comme source d'inspiration, cette vraie histoire à celle de Defoe et rédigé un roman intitulé, par exemple, Les esclavisés clandestins et sans nom ou les limbes de l'Indien...

Sur France Culture, on peut aussi écouter l'émission Le Salon noir du 31/10/2015 (29 min.) qui, sous le titre Les Robinsons de Tromelin découverts par l'archéologie, interviewe Max Guérout.

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(1) Jacques Marie Boudin de Lanuguy de Tromelin (1751-1798), commandant de la corvette La Dauphine. Cf. la page 113 de l'ouvrage de Sylvain Savoia :


(2) Tel était le nom benthamien du navire négrier naufragé, une flûte de 136 pieds de long, environ 45 mètres, et de 600 tonneaux de jauge.
Construite à Bayonne par la Compagnie des Indes Orientales, elle échoua le 31 juillet 1761, après avoir heurté en pleine nuit un récif "situé au 15e degré 52 minutes de latitude au Sud & au 52e degré 45 minutes de longitude à l'Orient de Paris". Avec les débris de l'épave, les naufragés construisirent une embarcation de fortune et réussirent à quitter, moins de deux mois après l'échouage, l'île des Sables, cet îlot aujourd'hui de Tromelin où l'on avait du mal à jouer des flûtes. Tous prirent le large... sauf les 60 esclavisés malgaches encore en vie, abandonnés à leur sort. On leur promit de les envoyer chercher, mais on connaît la suite.
Quant à la Compagnie française des Indes Orientales, elle fut fondée en 1664 par Jean-Baptiste Colbert et avait pour but de "procurer au royaume l'utilité du commerce [d'Asie] et d'empêcher que les Anglais et les Hollandais n'en profitassent seuls comme ils l'avaient fait jusqu'alors". Il s'agissait donc de prendre part à l'Utile. C'est pour cela qu'elle se réserverait le monopole du commerce des esclaves dans l'océan Indien, ce qui rapporta gros. Mais au fil des années, la traite échapperait au contrôle de la Compagnie et, à partir de 1740, elle serait "détournée et asservie à l'enrichissement personnel des employés de la Compagnie des Indes". Ce qui explique l'histoire concrète de l'Utile.

_________________________________________
MISE À JOUR DU 22.02.2019 :

Le 16.02.2019, Le Monde a publié une information d'Hervé Morin à ce sujet qui fait état de l'hommage que le Musée de l’Homme rend du 13.02 au 03.06.2019 aux Malgaches abandonnés en 1761 sur l'île de Tromelin. Voici des extraits de l'article de Morin :
(...)
Cette terrible fortune de mer est retracée dans une exposition présentée au Musée de l’Homme à Paris. On est frappé d’emblée par la masse de données de toutes sortes, notamment écrites, qui témoignent de l’entreprise commerciale conduite par les Français. Chaque lingot ou pièce de zébu est consigné, la vie à bord puis le naufrage minutieusement décrits par l’écrivain du bord. Le contraste est saisissant avec les esclaves malgaches anonymes, dont l’expérience extrême ne peut guère être exhumée que par l’archéologie.
L’exposition est le fruit de quatre expéditions scientifiques conduites sur place à l’initiative de Max Guérout, animateur du Groupe de recherche en archéologie navale (GRAN), avec Thomas Romon, spécialiste de l’esclavage à l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). Les fouilles sous-marines ont d’abord confirmé la présence de l’épave de L’Utile, dont un morceau de la cloche figure dans l’exposition.
(...)
Des dessins et des planches d’une bande dessinée signés de Sylvain Savoia, qui a participé à l’une des expéditions archéologiques, évoquent aussi la dignité et la force d’âme des oubliés de l’île de Sable. Après avoir été présentée à Nantes, Lorient et Bordeaux, qui ont construit une part de leur prospérité sur l’esclavage, l’exposition s’inscrit dans une saison consacrée aux droits de l’homme par le musée du même nom.
Le site du Musée de l'Homme précise :
Le parcours de l'exposition vous propose de naviguer entre l'histoire et l'archéologie :
  • une partie historique présente la traite négrière et la navigation dans l'océan Indien au XVIIIe siècle, les histoires croisées des Malgaches et des Français jusqu'au naufrage du navire l'Utile à Tromelin ;
  • une partie archéologique, conçue à partir des fouilles opérées par l’Inrap et le Muséum, sur la survie, la vie et la mort des naufragés sur l'îlot, les témoins de leur alimentation, de leur artisanat, de leur organisation sociale, jusqu'à leur sauvetage ;
  • une partie mémorielle évoque la résonance de l'événement sur les mentalités au sujet de l'esclavage.
Commissaires scientifiques : Max Guérout et Thomas Romon
Pour en savoir plus vous trouverez une multitude d'informations, de photos et de liens dans le dossier en ligne réalisé par l'INRAP :
Consulter le dossier sur l'île de Tromelin réalisé par l'INRAP

vendredi 16 décembre 2016

Visite virtuelle de la grotte de Lascaux et ouverture de son fac-similé

(Billet actualisé le 20 février 2019, après une visite de Lascaux IV le 18 février 2019)

L’expression art pariétal (du latin parietalis, « relatif aux murs ») désigne les œuvres réalisées sur des parois d'abris sous roche ou au fond de grottes difficiles d'accès. Ce sont notamment des images et des signes énigmatiques peints ou gravés —arts plastiques et écritures, des facettes/traductions de la même pulsion— tout au long d'environ 35 000 années, spécialement dans des territoires qui correspondent aujourd'hui à l'Espagne et à la France :
Classiquement l’art apparaût vers - 35 000 ans à l’Aurignacien puis se développe jusqu’à une apogée au Magdalénien aux environs de - 13 000. Il régresse ensuite rapidement pour disparaître complètement vers - 8 000. Cette perspective est modifiée depuis peu, la datation directe par SMA donne en effet, après calibration, un âge de - 35 000 pour des œuvres très élaborées de la grotte Chauvet [cf. ce blog]. Dès le début de la période artistique, à l’Aurignacien, il existait donc un art pariétal très accompli.
Mais les découvertes de Blombos bousculent les idées que nous avions reçues... 
Située en Afrique du sud la grotte de Blombos a délivré deux morceaux d'ocre datant de 77 000 ans. Ils sont sculptés de traits obliques et parallèles. Ces motifs géométriques remettent en cause la thèse de la révolution symbolique européenne... [À propos]
Au demeurant, comme l'écrit Joséphine Bindé« disséminées aux quatre coins du globe, des centaines de cavernes ornées ne cessent de repousser les limites spatio-temporelles de l'art pariétal. » En dehors de la France et de l'Espagne, d'après nos connaissances actuelles, les plus anciennes se trouvent en Italie (Fumane), en Roumanie (Coliboaia), en Indonésie (Maros), en Afrique du Sud (Blombos et Maloti-Drakensberg), en Inde (Bhimbetka) et en Australie (The Bradshaws).

Un Centre international de l’art pariétal a ouvert ses portes hier 15 décembre à Montignac-sur-Vézère, en Dordogne, pour montrer aux visiteurs une réplique intégrale (Lascaux 4) de la grotte de Lascaux, l'Altamira française ou « la chapelle Sixtine de l'art pariétal », d'après l'expression attribuée au grand préhistorien Henri Breuil (l'« abbé Breuil »).
Plan interactif pour se repérer.
Il y a environ 20 000 ans, à la période solutréenne de l'époque paléolithique supérieure, l'antre fut décoré avec cerfs, chevaux, bisons, aurochs, félins, un ours, un homme... Au total, 1963 figures peintes et ornées. La France comptait moins de 50 000 habitants. Les artistes avaient besoin d'une intendance collective pour aménager des échafaudages, s'éclairer, disposer de sept pigments différents (pour le noir, ils utilisaient de l'oxyde de manganèse au lieu du charbon de bois), peindre, graver... sans compter les probables rituels ou cérémonies annexes.

 Burin, pinceau, crayon, pochoir, bloc de colorant, tubes pour souffler la peinture.
Atelier de Lascaux/ALBERTO CONDE

L'ilumination au fond des cavernes était fournie par des brûloirs, des lampes en pierre, calcaire ou grès rose ou rouge. On façonnait ces dernières comme des cuillerons dont les creux servaient à placer de la graisse animale et une mèche de feuilles de genévrier pour éviter la suie, astuce très intelligente.

 Lampe simple bloc de calcaire et lampe façonnée dans un bloc de grès.
Atelier de Lascaux/ALBERTO CONDE

Lascaux fut découvert par hasard en septembre 1940 par quatre adolescents, Marcel Ravidat, Jacques Marsal, Georges Agniel et Simon Coencas (juif parisien alors réfugié pour fuir l'Occupation nazie, il vit encore).
Le chien de Marcel, du nom de Robot, s'introduisit après la chute d'un arbre dans ce qui semblait être un terrier de renard, mais qui était, en fait, l'entrée effondrée d'une grotte.
Photos prises à Lascaux IV, le 18 février 2019/ALBERTO CONDE

Un éboulement avait ainsi créé un sanctuaire qui avait réussi la conservation de ses merveilles pariétales, en collaboration avec les qualités protectrices de la calcite blanche...



Calcite sur les murs très modernes de Lascaux IV avant d'accéder à la grotte en fac-similé/ALBERTO CONDE

Lascaux 2, ouvert le 18 juillet 1983 —à 200 mètres en contrebas de l'original— pour éviter les dégâts provoqués par les visites, fut un premier fac-similé du site.
L'Exposition internationale Lascaux, ou Lascaux 3, a été conçue pour faciliter une itinérance mondiale des reproductions des fresques lascautoises. 
Dans Lascaux IV, on trouve tout et à l'identique : la salle des taureaux ou rotonde, le diverticule axial, le passage, l'abside et son puits (1), et la nef, et ses cerfs qui nagent. Seul l'inaccessible diverticule de la frise aux six félins, au fond de la nef, n'a pas été dupliqué.
Cette aventure ou prouesse technique se fit pendant trois ans, en huit étapes ; il fallut scanner la grotte originale, fraiser les blocs en polystyrène et papier mâché (un bras armé métallique, assisté par ordinateur et projetant un fin jet d'eau à très haute pression, sculpta le relief de la grotte dans du polystyrène), peaufiner à la main les moindres détails des parois, prendre l'empreinte en élastomère de silicone, créer des parois en voile de pierre (un assemblage de minéraux sur lequel on ajouta une couche de résine et fibre de verre), restituer les patines, les nuances de la coloration du fond rocheux, reproduire les figures peintes et, finalement, assembler et installer les panneaux comme les pièces d'un puzzle. Puis le tout fut fixé à l'arrière grâce à du béton projeté. (Cf. Joséphine Bindé in Lascaux. Centre international de l'art pariétal. Le secret des artistes des cavernes. Lascaux IV : les coulisses de l'exploit, Beaux Arts éditions, décembre 2016 —ouvrage paru le 4 janvier 2017)

Colline de Lascaux, le 18 février 2019, vers 11h40/ALBERTO CONDE

À propos de cette reproduction exacte, dans la mesure où elle représente la totalité des parties accessibles de la grotte originale...
Le fac-similé représente la quasi-totalité de la grotte originale reproduite avec les techniques et l’art de l’Atelier des Fac-Similés du Périgord (AFSP).
À l’intérieur du fac-similé, l’atmosphère est celle d’une véritable grotte. Il fait humide et sombre, les sons sont assourdis. L’idée est que les visiteurs apprécient la splendeur des œuvres à l’intérieur de la grotte, dans une atmosphère authentique, avec un minimum d’interruptions. Cette zone est surtout dévolue à la contemplation.
Les visiteurs entrent dans la grotte par groupes d’environ 30 personnes et, en haute saison, sont accompagnés par un guide. Cependant, ils vivront, à l’intérieur de la grotte, une expérience aussi personnelle que possible, en contemplant les œuvres d’art sans être trop interrompus, le guide ne donnant que des informations destinées à enrichir leur expérience.
En période de basse saison, il est possible d’utiliser la Torche comme guide. Elle accompagne le visiteur dans le fac-similé, en lui délivrant, dans sa langue, un minimum d’informations. À l’intérieur de la grotte, certains points importants feront l’objet d’un arrêt programmé car ils représentent les incontournables de Lascaux.
Le site du ministère français de la Culture propose une visite virtuelle en vidéo, une présentation et des photos. Voici son entrée en matière (y compris le jargon totémique habituel genre a pour vocation de mettre en valeur, la richesse et caetera) :

Lascaux - Centre International de l’Art Pariétal ouvre ses portes

Lascaux- Centre International de l’Art Pariétal ouvre ses portes au public le 15 décembre 2016 à Montignac-sur-Vézère en Dordogne. Il propose une visite immersive dans la réplique intégrale de la grotte de Lascaux, chef-d’oeuvre de l’art pariétal, ainsi que différents espaces scénographiques de médiation.
Lascaux - Centre International de l’Art Pariétal. Installé à Montignac-sur-Vézère au pied de la colline de Lascaux, le Centre International de l’Art Pariétal a pour vocation de mettre en valeur et d’expliquer la richesse des représentations peintes et gravées situées dans la grotte de Lascaux, chef-d’oeuvre de l’art pariétal, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO et fermé depuis 1963. Combinant haute exigence scientifique et volonté d’accessibilité pour tous, le site invite les visiteurs à contempler et ressentir l’émotion authentique de la grotte originale, et réfléchir au contexte environnemental et culturel dans lequel elle a été réalisée. Elément majeur du site, le fac-similé reproduit l’intégralité des parties accessibles de la grotte de Lascaux avec les techniques et le savoir-faire de l’Atelier des Fac-Similés du Périgord (AFSP). Afin d’offrir une visite immersive, l’atmosphère de la grotte originale a été recréée. A la sortie du fac-similé, différents dispositifs scénographiques proposent une expérience de visite s’appuyant sur les dernières technologies de l’image et du virtuel pour favoriser l’appropriation de l’art pariétal et de la civilisation de l’homme de Cro-Magnon. (En lire plus)


Pour l'étymologie de Cro-Magnon, rappelons que c'est la francisation de l'occitan Cròs-Manhon, expression où Cròs signifie « creux, grotte », tandis que Manhon pourrait signifier « grand » (du latin magnus) ou être le nom de l'ancien propriétaire de la terre où Louis Lartet dénicha en 1868 un ensemble de restes fossiles d'Homo sapiens. L'expression vient donc du toponyme correspondant à ce petit abri sous roche situé au bord de La Vézère, sur sa rive droite, dans la commune des Eyzies-de-Tayac-Sireuil, haut-lieu de l'Âge de la Pierre et siège du Musée national de la Préhistoire.
Signalons en passant que dans cette commune, ou à proximité immédiate, l'on peut visiter 37 grottes ou abris ornés au Paléolithique, dont la splendide grotte de Font-de-Gaume, découverte en 1901 et véritable pépite émotionnelle du coin, dans la mesure où, encore ouverte au public, elle étale —aux yeux fascinés d'un nombre limité de visiteurs par jour— plus de 200 gravures et peintures paléolithiques authentiques dans un cadre très préservé.

 Grotte de Font-de-Gaume (Les Eyzies-de-Tayac-Sireuil), le 18 février 2019/ALBERTO CONDE

Infos pratiques

Lascaux - Centre International de l’Art Pariétal
Avenue de Lascaux - La Grande Béchade
24 290 Montignac
Ouverture à partir du 15 décembre 2016

Sur le web

_________________________
(1) Il s'agit d'un puits normalement inaccessible de huit mètres de profondeur, sous l'abside.
Je reproduis à son égard un extrait d'un bouquin que j'ai offert à ma fille, Découvrir Lascaux, d'Elena Man-Estier et Patrick Paillet (ëd. Jean-Paul Gisserot) :
"Au fond de ce puits, deux parois ont été décorées. L'ensemble le plus connu est une scène plutôt étrange qui a été dessinée au trait noir. On y voit un homme tout nu. Les bras légèrement écartés, il tombe en arrière. Il n'a que quatre doigts à chaque main et sa tête ressemble à celle d'un oiseau. Il est menacé par un bison qui dirige vers lui ses cornes redoutables et en même temps se retourne vers une profonde blessure qui ouvre son ventre. L'homme est-il attaqué par l'animal qu'il vient de blesser ? Il nous semble d'ailleurs reconnaître à côté de lui une arme de chasse, un propulseur couronné d'un oiseau, et une longue lance qui traverse le ventre du bison.
Mais l'histoire n'est sans doute pas aussi simple. À côté de ces deux protagonistes se trouvent aussi un rhinocéros qui s'éloigne tranquillement, et sur la paroi d'en face, un cheval qui observe toute la scène... Alors s'agit-il d'une histoire réelle ou d'un récit totalement inventé ?"

jeudi 28 mai 2015

Visite virtuelle de la grotte Chauvet-Pont d'Arc

La caverne du Pont d'Arc, [rebaptisée Grotte Chauvet 2 Ardèche. Merci Philippine Hamy pour votre remarque], réplique de la grotte Chauvet-Pont d'Arc, en Ardèche, est une réalisation du Syndicat Mixte constitué par le Département de l’Ardèche et la Région Rhône-Alpes (Tél. : +33.(0)4.75.94.39.40). Cette délicate restitution a été ouverte au public le 23 avril 2015. Le site comporte en prime 29 hectares boisés où l'essentiel de la végétation d'origine a été conservée.
Qu'est-ce que Chauvet-Pont d'Arc a de spécial ?
La grotte Chauvet-Pont d’Arc abrite un ensemble d’oeuvres d’art exceptionnel et unique par son ancienneté (il y a 36 000 ans), son envergure et ses multiples qualité picturales, dont il n’existe jusqu’ici aucun autre exemple dans le monde. L’état de conservation des représentations pariétales est exceptionnelle. Il semblerait que les oeuvres nous soient parvenues en ayant gardé leur intégrité conférant à la cavité la dimension spirituelle que nous ancêtres paléolithiques pouvaient lui attribuer.
À l'occasion de cette inauguration, on a mis en ligne une page web multimédia qui rend possible une visite virtuelle de la vraie grotte ; comme il s'agit d'un sanctuaire inaccessible aux profanes, cette visite est la seule manière de jouir des fresques ornant ses parois, qui comptent parmi les plus anciennes au monde. Ainsi découvre-t-on un bestiaire de 425 animaux principalement constitué de lions et ours des cavernes, panthères, mammouths et rhinocéros laineux. L'internaute dispose de plus de 600 images (photos, plans, cartes et documents interactifs) et de 150 entretiens vidéo avec les chercheurs de l'équipe du projet.
Au menu du site, on a établit les rubriques suivantes :

Pour aller plus loin, une bonne amie m'a suggéré de voir Cave of Forgotten Dreams (La Grotte des rêves perdus), un extraordinaire documentaire de Werner Herzog (Fr., G.-B., E.-U., 2010, 90 min) que j'insère ci-dessous en V.O. sous-titrée en castillan.


jeudi 30 avril 2015

Du Paléolithique ancien à nos jours sur une frise interactive de l'INRAP

L'Institut national de Recherches archéologiques préventives (INRAP) propose un nouveau dossier multimédia. Il s'agit d'une frise chronologique interactive, "largement illustrée par les dernières découvertes de l'archéologie", qui nous plonge dans un parcours depuis le Paléolithique ancien (– 800 000 ans) jusqu'à nos jours : la dernière frise porte sur les périodes moderne et contemporaine.
On peut sélectionner des périodes de cette chronologie générale et chacune "est abordée à travers huit thèmes nourris par les apports de l'archéologie". Ainsi, pour le Paléolithique supérieur, par exemple, on lit d'abord une introduction (saupoudrée de liens renvoyant à des fenêtres explicatives)...

Le Paléolithique supérieur débute sur tous les continents, hormis l'Amérique, aux alentours de -40000 et perdure jusque vers -12500.
Il est caractérisé par l'expansion de l'Homme moderne à travers le monde.
Son développement accompagne la dernière phase glaciaire –
Pléistocène supérieur – dans le nord de l'Eurasie et une période de dégradation climatique plus au sud.
Il se subdivise en plusieurs cultures marquées par des changements techniques et des innovations. En Europe, on trouve successivement, du plus ancien au plus récent, le Châtelperronien, l'Aurignacien, le Gravettien, le Solutréen et le
Magdalénien.
Nelly Connet

... et un menu s'ouvre nous permettant de cliquer sur huit possibilités différentes :
Parmi les dossiers multimédia de l'INRAP, qui sont au nombre de 17 jusqu'à présent, il y a une belle variété de titres fort alléchants, dont...

Archéologie du sel

Archéologie du vin

L'habitat nomade de Néandertal

Leur première publication date du 24 novembre 2004 :

Bourgfontaine, une enquête archéologique


NOTE extraite de Wikipédia :
L'archéologie préventive a pour vocation de préserver et d'étudier les éléments significatifs du patrimoine archéologique menacés par les travaux d'aménagement. Elle peut impliquer la mise en œuvre de diagnostics archéologiques (sondages), de fouilles (fouilles de sauvetage ou fouilles préventives) et, dans certains cas, de mesures de sauvegarde.